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Le pouvoir de standard and poor's, illustration de la raison néolibérale

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par Elise Fraysse
Université Lyon 2 Lumière - Master 1 2012
  

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Section 2. La mise en concurrence, moyen de diffusion de la raison néolibérale

L'action de Standard and Poor's et sa perception des différents acteurs du monde, qui peuvent et doivent être comparables, et ainsi mis en concurrence, en dépit de leurs spécificités, a entrainé un processus quasi-infini qui tend à élargir la concurrence à tous les secteurs, et ainsi à faire prévaloir la raison néolibérale. C'est ainsi que Standard and Poor's étend le principe de mise en concurrence tant aux droits (Paragraphe 1) qu'aux Etats eux-mêmes dans le cadre de leurs relations internationales (Paragraphe 2).

Paragraphe 1. L'extension de la mise en concurrence aux droits

Par son activité, Standard and Poor's a une influence sur le fonctionnement sur les Etats et ainsi, sur leur Droit. Passivement, Standard and Poor's contribue à objectiver les différents droits, puisque tous sont comparable (A) mais elle joue également un rôle plus actif en influençant directement ces mêmes droits (B).

A) La mise en concurrence des droits, produit de l'objectivisation de l'attractivité financière

L'objectif de Standard and Poor's est de mettre à la disposition des investisseurs des notes reflétant la solvabilité des émetteurs d'obligations sur le marché obligataire. Elle tient

85 Dardot (P.), La nouvelle raison du monde, op. cit., p. 355

86 Ibid., p. 356

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particulièrement à ce que l'échelle des notes soit la même d'un secteur à un autre87, de sorte que l'attribution d'un « AA+ », par exemple, reflète la même réalité de solvabilité, qu'il s'agisse d'un Etat, d'une banque ou d'une entreprise. Au-delà de la concurrence qui s'instaure entre les Etats et les entreprises, une concurrence se renforce également entre les différents Etats présents sur le marché obligataire, notamment par le biais de leur Droit respectif. De fait, les Etats entrent en rivalité, en poursuivant un même but : obtenir la meilleure note, afin d'emprunter au meilleur prix, c'est-à-dire avec les taux d'intérêt les plus faibles.

Cela est particulièrement révélateur du déplacement qui caractérise le néolibéralisme, celui « qui irait de l'échange à la concurrence »88. Avec Standard and Poor's, qui contribue à la rationalisation du marché obligataire, il ne s'agit plus de s'échanger des obligations entre acteurs du marché, il s'agit pour ces derniers d'entrer en concurrence entre eux, afin d'être meilleur que les autres, c'est-à-dire d'obtenir une meilleure note. Les Etats acceptent d'être notés sur la façon dont ils gouvernent, car une partie de leur destin - et de celui de ses citoyens - est en jeu, à travers la dette. Les Droits des Etats doivent pouvoir être comparés sur la base de critères communs et poursuivre un objectif d'efficacité. En cela, on peut dire que Standard and Poor's contribue à mettre les droits en concurrence.

Le rating final publié par Standard and Poor's pour chaque Etat est le produit de cinq notes : une note politique, une note économique, une note extérieure, une note budgétaire et une note monétaire. Les deux premières notes sont regroupées afin de dresser le profil économique et politique de l'Etat en question, alors que les trois dernières (extérieure, budgétaire, monétaire) sont regroupées afin d'évaluer la performance et les capacités d'adaptation de l'Etat en question. C'est la confrontation du profil économique avec la performance de l'Etat qui aboutit au fameux rating, qui prend la forme d'une note, pouvant aller de « D » (défaut) à « AAA ».

Dans le cadre de notre étude, c'est la note politique, qui entraine un examen bien plus qualitatif que quantitatif, qui revêt le plus d'intérêt. Les autres notes se fondent en effet sur des critères techniques, d'ordre quantitatif. La note politique est davantage liée au coeur même de l'Etat. Car si Standard and Poor's répète sans cesse qu' « il n'existe pas de corrélation entre les notes attribuées et la nature du système politique en vigueur »89, il est toutefois indéniable que les critères touchent au coeur de l'action publique.

Sans énumérer l'ensemble des critères utilisés par Standard and Poor's, il est toutefois notable que le champ lexical du néolibéralisme est particulièrement présent. Il est d'ailleurs consolidé par le fait que Standard and Poor's, pour élaborer sa notation, a recours entre autres au rapport Doing business, élaboré par la Banque mondiale. Ce rapport compare « les réglementations qui facilitent la pratique des affaires et celles qui l'entravent »90. Avant tout destiné aux entrepreneurs, homo oeconomicus, il permet à ceux-ci de choisir l'Etat où la réglementation est la plus propice à la maximisation de ses profits, dans un contexte de sécurité juridique et de transparence. La démarche entreprise par le rapport Doing business est donc similaire à celle entreprise par Standard and Poor's puisqu'elle propose de mettre en concurrence les différents Etats et leur réglementation, en étant tournée vers l'entrepreneur.

87 Voir supra. Chapitre 1, section 1, Paragraphe 2, B)

88 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p.121

89 Standard and Poor's, Sovereign Government Rating Methodology And Assumptions, 30 juin 2011, p.10

90 Banque mondiale, Doing business 2012 : Entreprendre dans un monde plus transparent, 2011

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Outre les notions de sécurité et de prévisibilité juridiques, de transparence, qui sont des termes éminemment néolibéraux, dans la mesure où ils visent à optimiser la concurrence entre les acteurs et ainsi à maximiser les richesses des entrepreneurs, la méthodologie de Standard and Poor's fait référence à un terme que Foucault avait déjà relevé comme étant caractéristique de la raison néolibérale ; l'enforcement. En effet, Standard and Poor's examine l' « enforcement objectif des contrats »91. Dans son cours sur la Naissance de la Biopolitique, Michel Foucault faisait pour sa part référence à l'enforcement of law, qui se distingue de la law, et qui revêt « l'ensemble des instruments mis en oeuvre pour donner [...j à la loi une réalité sociale, politique »92. L'enforcement of law traduit la capacité des Etats de limiter les externalités négatives de certains actes93. L'enforcement c'est dès lors savoir concrètement optimiser le rendement de la loi, son efficacité, voire son efficience. Chez Standard and Poor's, il semblerait que le néolibéralisme soit encore plus présent dans la mesure où il ne s'agit même plus de l'enforcement de la loi, mais bien celui du contrat. Or, le contrat est particulièrement révélateur de la raison néolibéralisme, en ce qu'il gomme tout unilatéralisme.

Par ailleurs, la volonté de Standard and Poor's d'objectiviser, ou de critériser des choses qui ne le sont pas, est particulièrement présente. Cela peut être compris comme la manifestation d'une volonté de rendre le transcendant immanent, c'est-à-dire de donner une réalité statistique, palpable et ainsi utile, à un comportement impalpable, à l'instar de la souveraineté, et ce afin de pouvoir mieux comparer les acteurs du marché et les mettre en concurrence. C'est ainsi que pour calculer la note politique d'un Etat, Standard and Poor's se réfèrera à « l'effectivité, la stabilité et la prévisibilité des politiques étatiques »94, en examinant entre autres l' « habilité et la volonté d'un Etat à mettre en oeuvre des réformes pour relever les défis budgétaires, comme le système de santé »95. Elle n'examine donc pas seulement la capacité d'un Etat à rembourser son créancier, mais aussi sa volonté (willingness) de le faire.

Cette mise en concurrence des droits, et leur perception comme étant dédiés à l'entrepreneur modifie la conception du Droit dans son ensemble. Le droit est ainsi instrumentalisé ; il n'est plus vu comme l'expression de la volonté générale d'une nation, mais comme un outil permettant à un entrepreneur de maximiser son profit. On parle alors de forum shopping96 puisque c'est le consommateur du droit qui devient l'arbitre ultime. S'agissant du marché obligataire, l'Etat, émetteur d'obligations, est mis en concurrence avec les autres ; l'entrepreneur les compare, à l'aide de la notation émise par Standard and Poor's, et fait son choix. On l'a déjà dit, ce choix est crucial pour l'Etat, en raison de ce que représente la dette publique ; c'est son destin et celui de ses citoyens que l'entrepreneur a dans les mains. Standard and Poor's contribue donc à faire émerger un marché de normes, à l'instar de la Banque mondiale et de son rapport Doing business et à réduire l'Etat à un prestataire de normes, un « diseur de droit »97.

91 Standard and Poor's, Sovereign Government Rating Methodology And Assumptions, 30 juin 2011, p. 13

92 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 259

93 Foucault (M.), Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 258

94 Standard and Poor's, Sovereign Government Rating Methodology And Assumptions, 30 juin 2011, p. 13

95 Idem.

96 Garapon (A.), La raison du moindre Etat, op. cit., p. 174

97 Valentin (V.), Les conceptions néolibérales du droit, op. cit., p. 245

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry