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Le gel des fonds en droit communautaire

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par Jérémie Piété
Université Paris I Panthéon-Sorbonne - Master 2 recherche droit européen 2010
  

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Section 2. La discussion sur les fondements

La difficulté des instances communautaires à justifier les fondements en vertu desquels l'Union est compétente pour adopter des sanctions ciblées illustre une partie du

96 ROSENFELD E., VEIL J., article préc., p. 66, voir aussi p. 72 : « La sanction administrative n'est pas un ersatz inutile de la sanction pénale. Elle n'est pas seulement le fouet dont tout régulateur a besoin pour être crédible dans sa mission quotidienne. Elle est une possibilité offerte à l'autorité de poursuite de graduer la punition en fonction de la gravité des comportements et de gérer de la manière la plus efficace les dossiers. ».

97 Ibid, p. 62

98 Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, rapport de D. Marty, Listes noires du Conseil de sécurité des Nations Unies et de l'Union européenne, 16 novembre 2007, Doc. 11454, [ http://assembly.coe.int/mainf.asp?Link=/documents/workingdocs/doc07/fdoc11454.htm].

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débat portant sur les listes adoptées dans l'Union européenne. Lors de l'affaire Kadi,

l' « âpreté »99 des discussions devant le Tribunal de première instance (Paragraphe 1) puis devant la Cour de Luxembourg aboutit finalement au même résultat, mais au prix d'une substitution complexe du raisonnement du Tribunal par la Cour (Paragraphe 2). La discussion sur les fondements est importante s'agissant de la compétence de la Communauté pour adopter les sanctions ciblées de gel des fonds.

Paragraphe 1. La solution du Tribunal de première instance

Le juge communautaire était appelé à statuer sur la légalité du règlement CE n° 881/2002 adopté par les institutions communautaires. Le Tribunal devait donc examiner la base juridique sur laquelle ces actes avaient été adoptés. A la fois le règlement CE n° 881/2002 et le règlement CE n° 2580/2001 pris pour l'exécution des positions communes correspondantes (voir supra pp. 17 et s.) avaient reçus pour fondements les articles 60, 301 et 308 CE100. Introduits par le traité de Maastricht pour formaliser l'articulation entre le premier et le deuxième pilier, les articles 60 et 301 CE répondent à des considérations essentiellement politiques (faire pression sur un régime dictatorial ou appuyer le règlement pacifique d'un différend)101 et permettent des sanctions économiques.

Les arrêts Yusuf 102 et Kadi 103 du Tribunal, puis l'arrêt de la Cour dans ces mêmes affaires ont été l'occasion pour le juge communautaire de se prononcer à propos du régime des sanctions ciblées. Deux séries de moyens étaient avancées, l'une tenant à la violation des articles 60 et 301 CE, l'autre à la violation des articles 60, 301 et 308 CE pris conjointement.

99 MOINY Y., article préc., p. 44.

100 L'article 60 § 1 CE dispose que, « [s]i, dans les cas envisagés à l'article 301, une action de la Communauté est jugée nécessaire, le Conseil, conformément à la procédure prévue à l'article 301, peut prendre, à l'égard des pays tiers concernés, les mesures urgentes nécessaires en ce qui concerne les mouvements de capitaux et les

paiements. » En vertu de l'article 301 CE, « [l]orsqu'une position commune ou une action commune adoptées en vertu des dispositions du traité sur l'Union européenne relatives à la politique étrangère et de sécurité commune

prévoient une action de la Communauté visant à interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations

économiques avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, prend les mesures urgentes nécessaires. » Enfin, la clause de flexibilité de l'article 308 prévoit que,

« [s]i une action de la Communauté apparaît nécessaire pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté, sans que le présent traité ait prévu les pouvoirs d'action requis à cet effet, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, prend les dispositions appropriées. »

101 TERPAN F., « Article 301 CE », in PINGEL I. (dir.), De Rome à Lisbonne - Commentaire article par article, Bâle, Paris, Bruxelles, Helbing Lichtenhahn, Dalloz, Bruylant, 2ème éd., 2010, p. 1871.

102 TPICE, 21 septembre 2005, Ahmed Ali Yusuf et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, aff. T-306/01, Rec. II-3533.

103 TPICE, 21 septembre 2005, Yassin Abdullah Kadi c./ Conseil et Commission, aff. T-315/01, Rec. II-3649.

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On ne traitera ici que de la deuxième série de moyens104, car celle-ci est complète et reprend en totalité l'appréciation de la première série de moyens (les griefs étant identiques dans les deux cas, la seule différence tenant à la présence de l'article 308). Les requérants reprochaient au Conseil et à la Commission d'avoir choisi des bases juridiques inadéquates. Ils invoquaient le fait que la combinaison de ces articles qui fonde la compétence de la Communauté pour imposer des mesures économiques (« interrompre ou à réduire, en tout ou en partie, les relations économiques » selon l'article 301 CE, sous la forme d'embargo, de blocage d'avoir par exemple105) ne concernaient que des États (le texte de l'article 60 parle bien de mesures « à l'égard des pays tiers ») dans le cadre de la PESC et non des personnes et entités privées. De plus, aucune base juridique ne prévoit de mécanisme de gel des fonds à l'encontre de particuliers, que ce soit dans le traité UE ou dans le traité CE. Par ailleurs, ils invoquaient aussi le caractère disproportionné du règlement en question par rapport aux objectifs fixés dans les articles 60 et 301 CE. Enfin, ils contestaient l'utilisation de la clause passerelle de l'article 308 CE pour conférer au Conseil un pouvoir qu'il ne possède pas, vu l'absence de liens entre les sanctions ciblées et l'un des objets de la Communauté106.

Le Tribunal, après avoir constaté l'absence de compétences communautaires explicites ou implicites autonomes, rejette les moyens des requérants en procédant à une deuxième analyse. Comme l'écrivent Denys Simon et Florian Mariatte, « [s]i les trois dispositions prises isolément ne peuvent servir de bases légales au second règlement litigieux, elles le peuvent cependant conjointement, à raison de la "passerelle" établie entre les piliers PESC et communautaire de l'Union »107. En effet, le Tribunal avait préalablement reconnu que les deux seuls articles 60 et 301 ne s'adressaient qu' « aux pays tiers » et étaient donc insuffisants. C'est la même chose pour l'article 308 qui ne peut servir selon le Tribunal de

104 Quant à la première étape du raisonnement, voir notamment SIMON D., MARIATTE F., « Le Tribunal de première instance des Communautés : Professeur de droit international ? - À propos des arrêts Yusuf, Al Barakaat International Foundation et Kadi du 21 septembre 2005 », Europe, décembre 2005, comm. 12 ; STANGOS P., GRYLLOS G., « Le droit communautaire à l'épreuve des réalités du droit international : leçons tirées de la jurisprudence communautaire récente relevant de la lutte contre le terrorisme international », Cahiers de droit européen, n° 3-4, 2006, pp. 454-464.

105 PARTSCH PH-E., « Article 60 CE », in PINGEL I. (dir.), De Rome à Lisbonne - Commentaire article par article, op. cit., p. 595.

106 TPICE, Yusuf, arrêt préc., points 84 et 110.

107 SIMON D., MARIATTE F., article préc., p. 39.

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base unique pour l'adoption des mesures108, celui-ci ne s'articulant pas avec l'un des objets de la Communauté décrits aux articles 2 et 3 CE, ni à un objectif plus général de défense109.

Le Tribunal insiste par la suite sur la spécificité des articles 60 et 301 CE110 qui illustrent « la coexistence de l'Union et de la Communauté en tant qu'ordres juridiques intégrés mais distincts », ainsi que de « l'architecture constitutionnelle des piliers voulues par les auteurs des traités actuellement en vigueur »111. Suite à cette remarque, il estime finalement que « le recours à la base juridique cumulée des articles 60 CE, 301 CE et 308 CE permet de réaliser, en matière de sanctions économiques et financières, l'objectif poursuivi dans le cadre de la PESC par l'Union et par ses États membres, tel qu'il est exprimé dans une position commune ou une action commune, nonobstant l'absence d'attribution expresse à la Communauté des pouvoirs de sanctions économiques et financières visant des individus ou entités ne présentant aucun lien suffisant avec un pays tiers déterminé »112. La reconnaissance de la triple base juridique et corrélativement, d'un nouveau titre de compétence au Conseil pour adopter les mesures en question113, est consacrée lorsque le Tribunal affirme que les conditions d'application de l'article 308 sont remplies114. En l'occurrence, la lutte contre le financement du terrorisme apparaît comme étant l'un des objectifs de l'Union en vertu de l'article 11 UE115, et semble devoir bénéficier d'une action de la Communauté116. Le Tribunal admet donc que des mesures prises sur cette triple base juridique puissent frapper des ressortissants d'un Etat membre, résidant dans la Communauté, s'ils sont suffisamment liés au régime d'un État tiers contre lequel des sanctions sont dirigées117. Le champ d'application

108 Voir Yusuf, points 134 à 157 et Kadi, points 98 à 121, arrêts préc., notamment voir Yusuf, point 156, « il n'apparaît pas possible d'interpréter l'article 308 CE comme autorisant de façon générale les institutions à se fonder sur cette disposition en vue de réaliser l'un des objectifs du traité UE ».

109 SIMON D., MARIATTE F., article préc., p. 39.

110 Le Tribunal affirme au point 160 de l'arrêt Yusuf que les articles 60 CE et 301 CE, « sont des dispositions tout à fait spécifiques » du traité CE en ce qu'elles « envisagent expressément qu'une action de la Communauté puisse s'avérer nécessaire en vue de réaliser non pas l'un des objets de la Communauté, tels qu'ils sont fixés par le traité CE, mais un des objectifs spécifiquement assignés à l'Union par l'article 2 UE, à savoir la mise en oeuvre d'une politique étrangère et de sécurité commune ».

111 TPICE, Yusuf, point 156 ; Kadi, point 120, arrêts préc.

112 TPICE, Yusuf, point 166 ; Kadi, point 130, arrêts préc.

113 SIMON D., MARIATTE F., article préc., p. 39.

114 TPICE, Yusuf, point 168 ; Kadi, point 132, arrêts préc.

115 TPICE, Yusuf, arrêt préc., point 167, « la lutte contre le terrorisme international et son financement relève incontestablement des objectifs de l'Union au titre de la PESC, tels qu'ils sont définis à l'article 11 UE, même lorsqu'elle ne vise pas spécifiquement les pays tiers ou leurs dirigeants. »

116 Ibid, point 168, « Il est constant, par ailleurs, que la position commune 2002/402 a été adoptée par le Conseil, à l'unanimité, dans le cadre de cette lutte et qu'elle prescrit l'imposition par la Communauté de sanctions économiques et financières à l'encontre de particuliers soupçonnés de contribuer au financement du terrorisme international, sans plus établir un quelconque lien avec le territoire ou le régime dirigeant d'un pays tiers. »

117 Ibid, point 115. Voir aussi sur ce point, TPICE, 31 janvier 2007, Leonid Minin c./ Commission, aff. T-362/04, Rec. II-002003.

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rationae personae des sanctions prévues aux articles 60 et 301 CE est donc largement étendu. Des arguments extra-juridiques étayent également l'argumentaire du Tribunal, notamment lorsqu'il cite la nécessaire adaptation de l'Union à la lutte contre le financement du terrorisme118.

Lors de l'examen du pourvoi des deux affaires, la Cour présentera un raisonnement différent qui, malgré sa fragilité, aboutit à la même conclusion que le Tribunal.

Paragraphe 2. Le raisonnement fragile de la Cour

Le débat sur les bases juridiques permettant d'adopter des sanctions ciblées atteint une réelle complexité lorsqu'il est porté devant la Cour lors de l'affaire Kadi. A tel point qu'il est permis de douter que la Cour ait réussi à légitimer l'exercice d'une nouvelle compétence de sanction. Celle-ci rend un arrêt qui, sur conclusions contraires, sanctionne le Tribunal tout en donnant raison à sa solution.

Contrairement au Tribunal, l'avocat général Poiares Maduro conclut que la double base juridique composée des articles 60 et 301 CE est suffisante. Celui-ci avance en effet que « [...] [l]e Tribunal a interprété l'article 308 CE comme un «pont» entre la PESC et le pilier communautaire. Néanmoins, si l'article 301 CE peut être considéré comme un pont entre les piliers du traité, l'article 308 CE ne peut certainement pas remplir cette fonction. Comme l'article 60, paragraphe 1, CE, l'article 308 CE est uniquement une disposition d'autorisation : il indique les moyens, mais pas les objectifs119 ». Ainsi il rappelle implicitement le principe des compétences d'attribution120 qui impose une lecture stricte de l'article 308 CE121. La

118 TPICE, Yusuf, arrêt préc., point 169, « [...] le recours à l'article 308 CE, afin de compléter les pouvoirs de sanctions économiques et financières conférés à la Communauté par les articles 60 CE et 301 CE, est justifié par la considération que, dans le monde actuel, les États ne peuvent plus être considérés comme la seule source des menaces à la paix et à la sécurité internationales. Pas plus que la communauté internationale, l'Union et son pilier communautaire ne sauraient être empêchés de s'adapter à ces nouvelles menaces par l'imposition de sanctions économiques et financières non seulement à l'encontre des pays tiers, mais également à l'encontre des personnes, groupes, entreprises ou entités associés développant une activité terroriste internationale ou portant autrement atteinte à la paix et à la sécurité internationales. »

119 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, aff. jointes C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. I-0635, conclusions Poiares Maduro, § 16.

120 Ibid, voir in fine ; « Même si l'article 308 CE se réfère aux «objectifs de la Communauté», ces objectifs lui sont exogènes; ils ne peuvent pas être introduits par l'article 308 CE lui-même. Par conséquent, si l'on exclut l'interruption des relations économiques avec des acteurs non étatiques du domaine des moyens acceptables pour atteindre les objectifs autorisés par l'article 301 CE, on ne peut avoir recours à l'article 308 CE pour réintroduire ces objectifs. Soit une mesure dirigée contre des acteurs non étatiques répond aux objectifs de la PESC, que la Communauté peut poursuivre en vertu de l'article 301 CE, soit, si tel n'est pas le cas, l'article 308 CE n'est d'aucun secours. »

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Commission soutient également la thèse de la double base juridique et argue notamment que les mesures en questions relèvent de la politique commerciale commune122.

Il était avant tout question de la détermination des bases juridiques nécessaires à l'exercice d'une nouvelle compétence confiée à la Communauté par le biais des résolutions du Conseil de sécurité ; celle d'exécuter ces résolutions et d'ordonner des mesures de gel des fonds à l'encontre d'individus et d'entités privés. Pour cela, la Cour confirme la position du Tribunal sur le fait que la double base juridique constituée par les articles 60 et 301 CE est insuffisante pour les mêmes motifs avancés par le Tribunal123.

Comme l'a fait le Tribunal avant elle, la Cour aboutit finalement à la conclusion que la triple base juridique est adéquate. Le raisonnement est néanmoins divergent et pas nécessairement satisfaisant. La Cour de justice sanctionne le tribunal par deux fois124, pour les erreurs de droit qu'elle estime que celui-ci a commis.

En premier lieu, il s'agissait pour la Cour de corriger le statut extensif attribué à l'article 308 CE afin de faire jouer un effet de passerelle entre, d'une part, les actions de la Communauté quant aux sanctions économiques au titre des articles 60 CE et 301 CE, et d'autre part, les objectifs du traité UE en matière de relations extérieures. La Cour refuse que cette passerelle entre Communauté et Union s'étende à l'article 308 CE125. L'action de la Communauté ayant trait au « fonctionnement du marché commun » et visant à réaliser l'un des « objets de la Communauté » (termes de l'article 308 CE), celle-ci n'inclut donc pas les objectifs de la PESC au sens de l'article 11 UE126. Il y aurait danger à accepter la thèse du Tribunal car « cette disposition permettrait, dans le contexte particulier des articles 60 CE et 301 CE, l'adoption d'actes communautaires visant non pas l'un des objets de la Communauté, mais l'un des objectifs relevant du traité UE en matière de relations extérieures, au nombre desquels figure la PESC »127. Cela s'oppose à la « coexistence » voulue entre l'Union et la Communauté en tant qu'ordres juridiques distincts128.

121 SIMON D., RIGAUX A., « Le jugement des pourvois dans les affaires Kadi et Al Barakaat : smart sanctions pour le Tribunal de première instance? », Europe, novembre 2008, comm. 9, p. 7.

122 CJCE, 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation c./ Conseil et Commission, aff. jointes C-402/05 P et C-415/05 P, Rec. I-0635, points 135-142.

123 Ibid, points 183-197 et 190-193.

124 Ibid, points 196 et 223.

125 Ibid, point 197.

126 Ibid, points 200 et 201.

127 Ibid, point 198.

128 Ibid, point 202.

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En second lieu, la Cour accepte la thèse de la triple base juridique en livrant des arguments peu convaincants. Le Tribunal avait statué que l'objectif poursuivi par le règlement litigieux ne pouvait être rattaché à l'un des objets de la Communauté au sens de l'article 308 CE129. La Cour statue en sens contraire. Sur la base du postulat que la Communauté ne disposait d'aucun moyen pour sanctionner financièrement des destinataires privés n'entretenant aucun lien avec le régime d'un pays tiers donné, elle estime que « [...] l'objectif poursuivi par le règlement litigieux peut être rattaché à l'un des objets de la Communauté au sens de l'article 308 CE ». En effet, selon elle, les articles 60 CE et 301 CE « sont l'expression d'un objectif implicite et sous-jacent, à savoir celui de rendre possible l'adoption de telles mesures par l'utilisation efficace d'un instrument communautaire ». Elle conclut donc que « [c]et objectif peut être considéré comme constituant un objet de la Communauté au sens de l'article 308 CE » 130.

Au risque de déplaire, la Cour tente tant bien que mal de légitimer cette nouvelle compétence par un raisonnement qualifié de byzantin131 qui se veut respectueux de l'architecture communautaire mais peut néanmoins laisser perplexe132. Yves Moiny écrit à ce propos que la Cour « semble avoir voulu coûte que coûte défendre la stabilité juridique de l'édifice sans cependant avoir évité de tomber dans une certaine forme d'incohérence »133. Denys Simon parle d'une « rare sophistication entre objet et objectif ». Ce qui frappe en effet à la lecture de l'arrêt, c'est le manque de pédagogie de la Cour pour atteindre au final la même solution que le Tribunal.

Les rédacteurs du traité de Lisbonne ont intégrés ces controverses. Il était en effet permis de douter de la pérennité de l'article 60 qui visait des « mesures urgentes »134 à l'égard des pays tiers dans le cadre de la lutte contre le financement du terrorisme. La Cour ayant légitimé une nouvelle compétence sur une fragile triple base juridique, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) entré en vigueur le 1er décembre 2009 dote la lutte contre le terrorisme d'une nouvelle base juridique avec l'article 75 TFUE (ex-article 60 CE) qui prévoit expressément que le Conseil et le Parlement peuvent adopter des règlements

129 TPICE, Kadi, point 116 ; Yusuf, point 152, arrêts préc.

130 CJCE, Kadi, points 225 à 227, arrêt préc, italiques ajoutées.

131 SIMON D., RIGAUX A., article préc., p. 7.

132 MOINY Y., article préc., p. 46.

133 Ibid.

134 10 ans après les attentats du 11 septembre, peut-on encore parler d'urgence à adopter de telles mesures ?

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imposant des mesures de gel135. Enfin, l'article 301 CE, suite à la suppression de la Communauté, a également été modifié. Le nouvel article 215 TFUE, place désormais l'ensemble de la procédure sous l'égide de l'Union sans altérer la substance de l'article, c'est-à-dire l'articulation entre une décision PESC sur la base de laquelle est prise une mesure par le Conseil.136 Il est notable de constater qu'un nouveau paragraphe est introduit en vue de permettre l'adoption de « mesures restrictives à l'encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d'entités non étatiques ». Ces deux nouveaux articles permettront à l'avenir plus de cohérence et de transparence dans l'adoption de mesures individuelles de gel des fonds.

Ce premier chapitre a tenté de dessiner les contours des mesures de gel des fonds adoptées dans le cadre des sanctions intelligentes instituées par le Conseil de sécurité. Ces mesures sont l'objet d'un enchevêtrement des sources juridiques internationales et européennes et il est de surcroît difficile de trancher quant à leur nature pénale ou administrative. Les fondements de celles-ci, récemment rénovés comme on l'a vu avec le traité de Lisbonne, tentent d'insuffler un gage de cohérence à ce que l'on pourrait qualifier de « chimère » juridique. Le qualificatif de sui generis refaisant surface à l'étude de chacune des caractéristiques de ces mesures, il convient de voir désormais que les mesures de gel des fonds en tant que moyen de lutte contre le financement du terrorisme ont entraîné un contentieux passionnant quant à la possibilité d'un contrôle juridictionnel de ces mesures, contrôle dont l'intensité est variable et dont l'une des raisons d'être est la garantie des droits fondamentaux.

135 L'article 75 TFUE dispose que « Lorsque la réalisation des objectifs visés à l'article 67 l'exige, en ce qui concerne la prévention du terrorisme et des activités connexes, ainsi que la lutte contre ces phénomènes, le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, définissent un cadre de mesures administratives concernant les mouvements de capitaux et les paiements, telles que le gel des fonds, des avoirs financiers ou des bénéfices économiques qui appartiennent à des personnes physiques ou morales, à des groupes ou à des entités non étatiques, sont en leur possession ou sont détenus par eux. »

136 TERPAN F., « article 301 CE », in PINGEL I. (dir.), De Rome à Lisbonne - Commentaire article par article, op. cit., p. 1871.

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SECONDE PARTIE. LE CONTRÔLE JURIDICTIONNEL DU GEL DES FONDS

Dans l'affaire OMPI, le Tribunal mentionnait à juste titre que le contrôle juridictionnel constitue « la seule garantie procédurale permettant d'assurer un juste équilibre entre les exigences de la lutte contre le terrorisme international et la protection des droits fondamentaux »137. Le contrôle des mesures de gel des fonds par la Cour de justice est d'autant plus important que la Cour a jugé que le traité offre un « système complet de voies de recours » de sorte que dans une « communauté de droit [...] ni ses États membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité »138. Il fallait d'abord pour le juge communautaire relever les obstacles au contrôle juridictionnel des règlements d'exécution des résolutions des Nations Unies pour pouvoir les dépasser et poser le principe du contrôle juridictionnel des mesures de gel des fonds dans l'ordre communautaire (Chapitre 1). Une fois le principe consacré, il restait encore à la Cour d'en déterminer les modalités (Chapitre 2).

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote