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Les défis du terrorisme au Sahel. Aqmi,une menace stratégique?

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par Rodrigue NANA NGASSAM
Université de Douala - Cameroun - Master II en science politique- option : études internationales 2013
  

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B - Une région confrontée à de multiples facteurs d'instabilités

La réalité du sahel est complexe, résultante de l'imbrication entre de nouveaux facteurs (1) participant de sa structuration et de traces d'un passé trouble qui produisent encore leur effet et que l'on peut qualifier de facteurs anciens (2). Dans un certain sens, le théâtre sahélien est un condensé des dynamiques qui façonnent l'Afrique.

1) Les facteurs anciens

La vulnérabilité et l'insécurité au sahel ne sont pas nouvelles. L'arc sahélien est depuis bien longtemps fragilisé par un ensemble de facteurs allant d'une question touarègue non résolue à une absence quasi-totale de l'Etat dans cette galaxie.

Le Nord du Mali et le Nord du Niger ont été douloureusement secoués par ce que l'on a désormais l'habitude d'appeler le « conflit touareg », conflit qui a commencé en Mai 1990 au Niger et qui s'est étendu au Mali à partir de juin 1990108(*). Appelés communément les « hommes bleus du désert »109(*), les touarègues sont un peuple berbère dont la zone de peuplement s'étend sur près de 2,5 millions de km2, à cheval sur cinq pays : Le Mali, le Niger, l'Algérie, la Libye, et le Burkina Faso. Leur nombre varie selon les estimations. Ils seraient entre 1 et 3 millions, la plupart, près de 85% vivant sur le territoire du Mali, représenterait 10% de la population. Ils formeraient également 20% de la population du Niger. La langue « Tamasheq », ciment de l'identité touarègue, est une composante du berbère et sur le plan religieux, les touaregs sont majoritairement des musulmans sunnites. Depuis des décennies, les touaregs ont connu la souffrance allant de la période coloniale jusqu'à l'indépendance des Etats Africains. Divisé minoritairement dans chacun des nouveaux Etats, considérés avec suspicion et étroitement surveillé par les autorités, les touaregs n'ont pas hésité à se révolter à plusieurs reprises. Au Mali, les années 1963 et 1964 sont marquées par la rébellion, contre le pouvoir central des KEL ADRAR, des tribus touarègues issues d'une des neuf confédérations traditionnelles. Mené par des moyens traditionnels et rustiques, ce mouvement est durement réprimé par la jeune armée malienne qui emploie des armes bien plus modernes et meurtrières. Au Niger, les tribus touarègues sont également victimes de la dictature de Seyni KOUNTCHE qui dirige le pays de 1974 à 1987.

En mai 1990, à la suite de nombreuses arrestations dû au retour massif des refugiés touaregs d'Algérie, des jeunes se soulèvent, attaquent et pillent une gendarmerie. Avec l'arrivée de ces refugiés, tous les ingrédients étaient donc réunis pour qu'un petit incident mette le feu aux poudres aussi bien au Mali qu'au Niger110(*). Cette épisode connue sous le nom de massacre de « Tchin - Tabaraden », déclenche une révolte au Niger qui dure cinq années, jusqu'aux accords de Ouagadougou entre les autorités nigériennes et les rebelles111(*). Au Mali, le Mouvement Populaire de Libération de l'AZAWAD (MPLA), fondée en 1988 par des jeunes touaregs aguerris en Libye, déclenche une insurrection en 1990 qui aboutie à la signature des accords de Tamanrasset en 1991 et du pacte national en 1992 qui mettent fin au conflit. En 2006, une seconde rébellion force l'Etat Malien à de nouvelles négociations avec les touaregs, lesquelles aboutissent à l'accord d'Alger du 4 juillet 2006. Si les dernières années ont été marquées par un certain apaisement, les évènements récents, au Mali (la reprise de la rébellion le 16 octobre 2012 par deux mouvements touaregs, le Mouvement National de l'AZAWAD (MNA) et le Mouvement Touareg du Nord du Mali (MTNM) qui ont fusionné pour donner naissance au Mouvement National de libération de l'AZAWAD (MNLA) sont très inquiétantes et posent une fois de plus, l'épineuse problématique de la crise de l'Etat en Afrique et la question des minorités.

L'absence de l'Etat dans une grande partie de l'espace sahélo-saharien, du fait du faible maillage des territoires nationaux, de l'incapacité ou des faibles capacités des structures sécuritaires à assurer un contrôle effectif sur de vastes étendues, très souvent désertiques, et à répondre aux besoins de base des populations qui y vivent (éducation, santé, alimentation, opportunités socio-économiques) a généré des situations se traduisant par un sentiment d'abandon112(*). Les faibles capacités des Etats, conjuguées à des zones frontalières immenses pouvant s'étendre sur plusieurs centaines de kilomètres, conduisent également à la porosité des frontières, rendant possible les déplacements incontrôlés des personnes et des biens divers (illicites ou licites), contribuant à faciliter par la même occasion, le développement des bandes terroristes et des trafiquants.

Les conséquences des défaillances étatiques ou de l'absence de l'Etat ont très souvent été aggravées par des déficits de la gouvernance politique, économique et sécuritaire qui a caractérisé et caractérise encore bon nombre de pays en Afrique. Cette mal gouvernance chronique débouche sur des politiques économiques et sociales inefficaces, voire aberrantes. En matière de politique, ce déficit s'illustre principalement par des systèmes politiques faillibles en matière de respect des principes démocratiques, de bonne gouvernance et de l'état de droit, ou encore se caractérisant par une démocratie de façade. La corruption à tous les niveaux contribue à ce basculement113(*). Le niveau de corruption généralisée affecte un grand nombre de secteurs de ces Etats, particulièrement les plus sensibles, notamment le système de défense et de sécurité. Ce qui contribue à les rendre incapable de remplir de manière effective et efficace leurs missions fondamentales et vitales. En matière de défense et de sécurité, cette situation rend particulièrement vulnérable et même illusoire la protection d'un pays contre des incursions, la lutte contre les trafics et activités criminelles en tout genre et l'implantation des activités terroristes. « Aujourd'hui, les Etats sont liquéfiés dans la plupart de nos pays, les gardes prétoriennes et les milices politico-ethniques ont supplanté l'armée, la police et la gendarmerie qui ne sont plus que les ombres d'elles mêmes. L'insécurité s'est généralisée, nos routes et les rues de nos villages sont devenues des coupe-gorge »114(*). Quelque soit l'importance que représentent ces facteurs, la menace terroriste telle quelle s'est développée au sahel, s'est aggravée par des réalités nouvelles.

2) Les facteurs nouveaux

La situation au sahel a mis au jour l'existence de nouveaux facteurs à l'origine de l'aggravation de l'instabilité dans cette immense zone grise et de cet espace transnational. Il en résulte que la montée de l'islamisme politique ou radicale et le printemps arabe avec le facteur libyen sont les nouveaux facteurs de déstabilisation et de la fragilisation de la bande sahélienne et vectrice de la crise au Nord du Mali.

En Afrique, sur les douze Etats considérés comme étant à « haut risque », huit ont des populations composées de plus d'un tiers de musulmans115(*). Ce qui accentue, et davantage encore, leur risque d'instabilité et constitue un terrain éventuellement fertile pour les intégristes. Un grand nombre de ces pays ont vu l'influence des islamistes augmentés depuis quelques années. Selon les islamistes, la politique et la vie personnelle doivent reposer sur l'islam. Dans un Etat islamique idéal, toujours d'après leur pensée, la charia (ou loi traditionnelle), constitue la base de l'autorité politique. La majorité des musulmans en Afrique ne sont pas violents. Mais leur progression en influence coïncide avec les menaces récentes que posent les extrémistes violents africains. Cette flambée du militantisme islamique progresse également dans les pays de la région sahélienne, ce qui fait craindre une poussée du terrorisme en Afrique. Des islamistes africains ont par ailleurs été impliqués dans des attentats terroristes en Afrique et à l'étranger116(*). Les mouvements islamistes actifs en Afrique, s'ils ne sont invités à la concertation, posent un grave danger à la sécurité personnelle, nationale et internationale117(*).

Par ailleurs, toutes les grandes sources de l'islam radical se positionnent peu à peu au sein des pays sahéliens en s'appuyant sur leur légitimité spirituelle et historique. Ces nouvelles forces, tout en étant de nature trans-étatique, sont pilotées par les moteurs de l'islam radicale (Arabie Saoudite, Pakistan, Iran, et soudan) et interagissent avec les forces islamiques autochtones, les confréries, et ceci de manière propre à chaque pays118(*). En Afrique sahélienne, la pénétration du salafisme a été lente et insidieuse. Voilà une trentaine d'années que des prêcheurs, souvent wahhabites, la branche la plus rigoriste de l'islam sunnite, venus d'Arabie Saoudite ou du Soudan se sont installés dans de petites mosquées. Des associations caritatives, financées par L'Arabie Saoudite, se sont implantées pour aider des populations souvent lésées par l'Etat. Et la bonne parole salafiste a ainsi fait son chemin. De même, la victoire de l'islam politique, et notamment les élections qui viennent de se tenir au Maghreb à la suite des printemps arabes ont consacré les partis musulmans parmi les plus radicaux et simultanément, la défaite des partis libéraux laïcs, moins puissants, moins organisés et moins populaires que les islamistes. On peut d'ores et déjà constater, en Egypte comme en Tunisie, la résurgence de graves violences interreligieuses, intercommunautaires, de graves menaces vis-à-vis de telle ou telle minorité. Cet état de fait constitue pour l'AQMI un élément supplémentaire qui peut renforcer ses capacités d'endoctrinement, de fanatisation et donc de recrutement119(*). Vu l'état des choses, il ne faudrait donc pas que le « printemps arabe conduise à l'hiver islamiste ».

Les évènements majeurs qui se sont déroulés depuis un an ne sont en effet pas sans conséquence sur les pays voisins du Maghreb et même sur l'ensemble de l'Afrique. C'est une véritable onde de choc qui est partie depuis la Tunisie vers l'Egypte puis vers la Libye, et maintenant en direction des pays du sahel dont le Mali. L'impact de la crise libyenne que personne n'avait prévue avec la chute du colonel KADHAFI a eu un effet déstabilisateur sur la situation sécuritaire au sahel. Les répercussions de la crise libyenne sont nombreuses dans la zone sahélienne à la suite de la dispersion des armes en provenance de Libye et au retour des mercenaires dans leur pays d'origine120(*). La chute du colonel KADHAFI a privé les Touaregs d'un protecteur et d'un bastion où il pouvait se refugier. Devenus indésirables, et privés d'une importante source de financement, les Touaregs ont été contraints de retourner dans leur région d'origine. Un tel afflux d'hommes, généralement âgés entre 20 et 40 ans, qui ont perdu leur travail et se retrouvent sans moyens pour subvenir aux besoins de leurs familles, ne peut rester sans conséquence dans des régions pauvres et fragilisés121(*). La reprise de la rébellion touarègue au Mali au cours de ces mois n'est pas étrangère à ce retour massif de la Libye. D'autant plus que les hommes qui ont fui la crise libyenne ne sont pas revenus sans arrière pensée.

A la faveur de l'insurrection libyenne et du « printemps arabe », une grande quantité d'armes a été introduit au sahel et même en Afrique du Nord. La prolifération d'armes lourdes conjuguée à la porosité des frontières ont introduit une menace nouvelle et pour la Libye et pour l'ensemble de la région122(*). Les matériels ont ainsi été distribués, pillés puis abandonnés ou sont restés sans surveillance durant cette crise. Les nombreux stocks sans surveillance, accessibles à toutes sortes d'affairistes, de trafiquants et de mercenaires révèlent une abondante diversité d'armements : fusils d'assaut, roquettes, mines, kalachnikov, obus, armements chimiques, missiles sol-air, Sam-7 dont la Libye possédait 20000 unités, et missiles SA - 24 russes issus de la dernière génération de missiles aériens capables d'abattre des avions de chasse123(*). Si l'assistance de Tripoli était devenue à la longue incontournable pour les pays du sahel, son arrêt brutal a grevé le développement de sous-régions entières tributaires des investissements et des flux financiers des compagnies libyennes124(*). De par ses conséquences donc, la crise libyenne loin d'être un vecteur d'aggravation de la menace terroriste a été un facteur supplémentaire de déstabilisation du sahel. Des pays de la zone comme le Mali, ou certaines puissances membres du conseil de sécurité de l'ONU, telles que l'Afrique du Sud, la Chine ou la Russie, ont ouvertement critiqué l'intervention militaire contre le régime du colonel KADHAFI, laquelle selon eux, aurait été gérée de façon irresponsable, sans se soucier des répercussions néfastes sur la région.

* 108 Modibo KEITA, « La résolution du conflit touarègue au Mali et au Niger », Note de recherche du GRIPCI, n° 10, juillet 2002, p. 4.

* 109 Hélène BRAVIN, La question touarègue, www.defnat.com/site_fr/pdf/Bravin I.pdf, p. 1.

* 110 Modibo KEITA, op.cit., p. 10.

* 111 Le processus de paix sera confirmé par un deuxième accord à Alger en 1997 et prévoyait en échange d'une dissolution des forces rebelles, une intégration progressive des touaregs dans les services publics et un début de décentralisation. Mais la mise en oeuvre de ce plan fut un échec et la rébellion touareg réapparue en 2007, avec le Mouvement des Nigériens pour la justice (MNJ).

* 112 William ASSANVO, « Etat de la menace terroriste en Afrique de l'Ouest », Observatoire de la vie diplomatique en Afrique (OVIDA), Note d'analyse n° 12, p. 17.

* 113 Denis BAUCHARD, « Les Etats fragiles - Le Japon, d'un modèle à l'autre », politique étrangère, Volume 76, n° 1, p.13.

* 114 Jean-Paul NGOUPANDE, ancien Premier Ministre Centrafricain, Le Monde, L'Afrique Suicidaire, 18 mai 2002.

* 115 Tchad, Côte-d'Ivoire, Ethiopie, Guinée, Niger, Nigéria, Somalie et Soudan. En outre, l'Erythrée, la Guinée-Bissau, la Mauritanie et la Sierra Leone sont les autres pays à risque avec de grandes populations musulmanes.

* 116 En juillet 2010, les milices islamistes somaliennes, Al-SHEBAAB, commettaient un triple attentat aux explosifs contre les téléspectateurs de la finale de la coupe du monde de football, faisant au moins 74 morts, des ougandais et des étrangers. Voir à ce sujet AFP, « Des islamistes somaliens revendiquent les attentats de Kampala », 12 juillet 2010. Le cas le plus inquiétant est celui d'Omar Farouk Abdul MUTALLAB, un nigérian qui a fait ses études dans des écoles coraniques au Yémen et qui fût l'auteur d'une tentative d'attentat aux explosifs le 25 décembre 2009 à bord d'un avion à destination des Etats-Unis. Sans oublier l'attentat le plus marquant de l'année perpétré le 12 septembre 2012 et qui a frappée le consulat des Etats-Unis à Benghazi, dans l'Est de la Libye tuant l'ambassadeur des Etats-Unis et trois de ces collaborateurs.

* 117 Zachary DEVLIN-FOLTZ, « Les Etats fragiles de l'Afrique : vecteurs de l `extrémisme, exportateurs du terrorisme », Bulletin de la sécurité africaine, une publication du centre d'études stratégiques de l'Afrique, n° 6, août 2010, p. 2.

* 118 Mehdi TAJE, « Vulnérabilités et facteurs d'insécurités au sahel », enjeux ouest africains, note publiée par le Secrétariat du club du sahel et de l'Afrique de l'Ouest (CSAO/OCDE), n° 1, août 2010, p. 7.

* 119 Mehdi TAJE, « La réalité de la menace d'AQMI à l'aune des révolutions démocratiques au Maghreb », Géostratégiques n° 32. 3e Trimestre 2011, p. 292.

* 120 Julia DURFOUR et Clair KUPPER, « Groupes armés au Nord-mali : état des lieux », Note d'analyse du GRIP, 6 juillet 2012, p. 4.

* 121 Rapport d'information de l'Assemblée nationale française n° 4431, « La situation sécuritaire dans les pays de la zone sahélienne », 6 mars 2012, p. 29.

* 122 Laurence AIDA AMMOUR, « Les enjeux de sécurité émergents au Maghreb et au sahel depuis le « printemps arabe », Annuaire de l'Institut Européen de la Méditerranée (IEMED.) 2012, p. 3.

* 123 Laurence AIDA AMMOUR, ibid.

* 124 Laurence AIDA AMMOUR, « L'après -Gaddafi au Sahara et au sahel », Notes Internationales du CIDOB, janvier 2012, p. 1.

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