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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. Des pratiques transgressives et distinctives perçues comme intégratives et connectives

Ces modifications du comportement s'insèrent dans une réflexion plus large sur la dialectique entre une pratique théorisée comme subversive et son effet intégrateur. La réflexion de Lachmann sur la notion de contre-culture appliquée au graffiti nécessite d'être repensée dans le cas présent, puisqu'il l'accole directement au concept de déviance développé par Becker. Or, ici, comment peut-on comprendre le graffiti ? Il apparaît que cette activité ne peut être envisagée comme une pratique transgressive (au sens où elle romprait avec un interdit légal) puisque son statut n'est pas défini au Liban. Subversion et transgression se perçoivent alors dans l'aspect inédit, nouveau du graffiti, en rupture avec les formes artistiques antérieurement répandues au Liban. Logiquement77, ce type de pratique ne devrait pas être accepté en dehors d'un cercle « remarquablement fermé aux non-initiés »78, et par voie de conséquence

76 BECKER, Howard, op. cit., p. 122.

77 Au regard des études sur les pratiques contre ou sous-culturelle. Voir à ce sujet « Contre-Culture n° 1 », Volume !, 2012/1 (9 :1), 256 p.

78 Ibidem.

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faire reconnaître le graffeur comme déviant plus que comme acteur social intégré. Comment se fait-il que, dans les faits, le phénomène inverse puisse se produire ? D'autres pratiques ont pu remplir la même fonction, selon des modalités similaires : c'est le cas des jeunes musiciens de l'association SOS Bab-el-Oued en Algérie, décrypté par Layla Baamara79. Elle explique que ces jeunes musiciens bénéficient d'un réel soutien grâce à leur engagement associatif, dans un contexte plus restrictif qu'au Liban. Plusieurs facteurs rendent cette opportunité possible, à commencer par le fait que SOS Bab-el-Oued représente l'une des rares associations tournée vers le domaine de la culture, ce qui lui « confère une certaine singularité ». Face aux difficultés rencontrées par les jeunes Algériens, elle permet de canaliser leurs peurs, revendications, ou au moins les mettre en forme et les éloigner, par exemple, des mouvements islamistes. L'association se conçoit, de plus, comme un réservoir de talents dont la visibilité est amplifiée par l'organisation associative, ce qui, à terme, peut faire de SOS Bab-el-Oued un « tremplin professionnel »80. Son rôle socialisateur s'avère extrêmement important pour ces jeunes. L'expérience algérienne appelle pourtant à plusieurs distinctions d'avec le cas libanais : les graffeurs restent, dans leurs rapports avec le monde social, fortement individualisés et ne sont pas issus des milieux populaires que Baamara relate à propos du cas algérien. Quelle peut alors être la pertinence de la comparaison ? Cela est à voir dans les similarités et l'interprétation des différences que l'on peut faire entre ces deux cas de figure.

Ces différences sont d'ailleurs peu significatives, une position sociale plus élevée à l'origine chez les graffeurs libanais n'empêche pas que leur activité puisse avoir le même type d'effet que pour les jeunes algériens. De plus, l'absence de rapport à une association peut se compenser par l'étroitesse de la scène graffiti actuelle et sa forte cohésion : ainsi, ce n'est pas tant le réseau associatif que les solidarités - affectives en particulier - qui remplissent ce rôle socialisateur. De fait, l'aspect transgressif du graffiti rejoindrait la notion d'avant-garde artistique, plus que d'illégalité. Le graffiti peut se comprendre comme un instrument d'intégration sociale par la désignation de l'artiste. Il n'est pas conçu comme déviant mais comme artiste, professionnel ou amateur. D'où, d'ailleurs, l'impossibilité de penser ensemble cas libanais et expériences américaine ou européenne du point de vue des processus de labellisation de la déviance. Quoi qu'il en soit, le graffiti permet à ses acteurs de leur assigner un rôle, donc de trouver une place qui aurait pu être occupée par d'autres (décorateurs d'intérieurs, peintres, etc.). L'avantage de cette pratique sur ces « autres » est son caractère nouveau, nous l'avons dit ; l'avant-garde permet de définir ce qui est en vogue et devient attractif pour les mécènes, clients, journalistes, pour cette même raison. Le graffiti est d'autant plus attractif qu'il est peu cher et de bonne qualité ce qui, trivialement, permet à ceux qui font appel au talent des graffeurs, d'être responsables du développement artistique de cette scène, et d'être

79 BAAMARA, Layla, « A SOS Bab-el-Oued. Rappeurs et rockeurs entre intégration et transgression à Alger » in BONNEFOY, Laurent, CATUSSE, Myriam (dir.), op. cit.

80 Ibid., p. 236.

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rétribués par cet investissement, qui leur confère un rôle de « précurseur » à bas coût. Dans le cas libanais comme dans le cas algérien, « en reprenant les mots de Denis-Constant Martin, il semble finalement que les pratiques culturelles et sociales des jeunes rencontrés soient autant distinctives et transgressives que « connectives et intégratives car elles visent plus à l'acquisition d'une place dans la société qu'à démanteler cette dernière » »81. Le graffiti aurait alors une fonction inclusive, permettant une reconnaissance artistique et professionnelle, et par là-même sociale.

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