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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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B. Une place dans la société qui serait déjà « acquise » et confirmée

par le graffiti ?

Nous pouvons considérer, à raison, que le graffiti a une fonction d'intégration sociale pour ses agents. Pour autant, cela ne rentre-t-il pas en contradiction avec ce que nous avons développé tout au long de ce chapitre, à savoir que les graffeurs proviendraient de milieux socialement intégrés ou, du moins, peu marginalisés ? Ce que Baamara considère comme un instrument d'intégration sociale à propos des jeunes algériens ne peut-il pas se comprendre plutôt comme une confirmation de dispositions sociales déjà acquises ? Enfin, faut-il réellement trancher en faveur de l'un ou l'autre, plutôt que de les considérer de manière complémentaire ? Il sera question d'analyser cette apparente contradiction, à la fois en réinterrogeant l'origine socioculturelle des acteurs et en la faisant dialoguer avec la création de conventions sociales par ces derniers, conventions qui apparaissent comme une tentative de conciliation entre l'idéaltype du graffeur et sa réalité sociale.

1. Une origine socioculturelle pleinement intégrée à la société libanaise

Sans revenir en détail sur l'origine socioculturelle des graffeurs, notons qu'elle empêche de facto de leur appliquer le qualificatif de déviant ou d'outsider du monde social dans lequel ils s'insèrent par la pratique. Même d'un point de vue artistique, la notion de « contre » ou « sous » culture est problématique au Liban : si les acteurs, les artistes beyrouthins, les sociologues ayant traité de ces derniers, les journaux reconnaissent de manière consensuelle l'existence d'une scène underground, celle-ci se perçoit très clairement, dans la rue même, comme une scène underground à « ciel ouvert ». Le graffiti apparaît plus comme une confirmation de dispositions sociales héritées que comme une véritable intégration à un univers qui serait inconnu aux graffeurs. Cela peut aussi se comprendre comme une ascension sociale,

81 Ibid., p. 238-239.

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quoique moins observée : le statut d'artiste est-il perçu comme un signe d'ascension sociale ou simplement une différenciation sociale par rapport aux postes occupés par les parents et proches ? Bien sûr, ce propos n'est ni exclusif ni généralisable, puisque certaines différences sociales persistent entre les graffeurs, quand bien même ils se positionneraient tous au sein de la classe moyenne - moyenne ou haute. En fait, si l'on doit combiner deux idées théoriquement antithétiques, ne pouvant considérer l'une ou l'autre comme « porteuse de vérité exclusive », une hypothèse émerge en priorité. Il est toutefois nécessaire de noter que ce « devoir » ne traduit pas tant une volonté de faire entrer dans des cases des idées qui ne le pourraient pas, mais qu'au contraire cela découle très directement des observations et entretiens réalisés. Cette hypothèse tient à ce que cette confirmation d'une place dans la société déjà acquise serait en même temps une intégration : le graffiti aurait pour fonction de transformer ces dispositions sociales acquises en position sociale effective, et néanmoins jamais définitive.

Cette hypothèse trouve une réalité dans ce que le graffiti est une activité peu accessible pour ceux ne bénéficiant pas des dispositions sociales que nous avons développées. L'entrée dans l'activité permet de développer un réseau social tel que nous l'avons démontré, mais ces réseaux sont aussi permis parce que les graffeurs proviennent de milieux ouvrant déjà la voie à ce type de sociabilité. Ainsi, même la relation avec un client est possible parce qu'une confiance, fondée sur une interrelation de connaissance et de reconnaissance, existe : « un réseau de relations, c'est un certain nombre de personnes qui vous connaissent suffisamment pour remettre entre vos mains le sort d'une partie de leur projet. L'élément primordial de ce réseau, c'est la confiance »82. L'acquisition d'une expérience artistique, ouvrant la voie à une reconnaissance artistique et sociale, ne s'active que grâce à des connaissances préalables qui placent leur confiance dans le talent du graffeur. Ces connaissances ne sont pas uniquement le fruit d'un réseau directement hérité des parents, les trajectoires peuvent être plus indirectes : il en va ainsi de Zed ou d'Ashekman par exemple qui n'ont pas réinvesti directement le réseau hérité du cercle de socialisation primaire, mais se sont servi de celui-ci pour acquérir une reconnaissance sociale autre et antérieure à celle de graffeur. Plus clairement, ces artistes seraient reconnus et intégrés socialement comme tels par leur activité annexe, la peinture pour Zed, le concept hip-hop pour les frères Ashekman. Cette intégration préalable leur permet, en sus, de faire valoir une reconnaissance dans le graffiti, artistique et sociale. Pour revenir sur la notion première de disposition sociale, rappelons que, d'accord avec Bourdieu et « de façon générale, ce sont les plus riches en capital économique, en capital culturel et en capital social qui sont les premiers à se porter vers les positions nouvelles (proposition qui se vérifie, semble-t-il, dans tous les champs, dans l'économie aussi bien que dans la science) »83. De fait, ces dispositions sociales décrites sous forme de

82 BECKER, Howard, op. cit., p. 106.

83 BOURDIEU, Pierre, Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire, Paris, Éditions du Seuil, 1998 (1ère éd. 1992), 567 p., p. 431.

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capital chez Bourdieu influent l'orientation des acteurs vers le graffiti, qui fait office de « position nouvelle ». Or, pour reprendre notre démonstration, largement inspirée du travail de Layla Baamara, cette position nouvelle permet une intégration sociale. Celle-ci pourrait alors s'envisager comme une affirmation de ces dispositions sociales, qui se concrétisent en position sociale. Le détour par le graffiti permet de transformer ces dispositions sociales acquises en position sociale, qui n'est plus celle des parents bien qu'elle s'en rapproche (et c'est, dès lors, une des raisons qui tend à confondre deux dynamiques qui seraient différentes) mais bien celle du graffeur en tant qu'individu. De manière extrêmement schématique, ceci pourrait se résumer de cette manière :

Milieu social d'origine

Permet
l'acquisition
d'une position
sociale

Facilite
l'engagement
dans la
pratique

Dispositions
sociales
héritées

Ce type de confirmation sociale de dispositions héritées ne va pourtant pas sans poser de problèmes : comment, effectivement, concilier une origine sociale non populaire réaffirmée par une activité artistique dont l'imaginaire se construit pourtant en opposition avec cette même origine sociale ?

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