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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. L'apprentissage d'un vocabulaire spécifique et de ses applications

L'apprentissage et l'utilisation d'un vocabulaire spécifique au graffiti recouvrent une dimension technique propre à la pratique. C'est, dans le même temps, un processus de labellisation et de définition

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des conventions, processus essentiel à la constitution d'un monde de l'art : se doter de termes spécifiques agit comme un référentiel commun visant à fédérer plusieurs individus en une communauté de pratiques, lesquels participent eux-mêmes à sa labellisation et son artification. Ce « lexique particulier aux initiés »99 fonctionne comme un facteur de distinction, à la fois par rapport aux « esthétiques dominantes » et aux activités « non-artistiques ». En somme, les graffeurs participent à la définition du bon graffiti, donc à édifier les « catégories du « beau », de « l'artistique », de « l'art », du « grand art », du « laid », du « non-art », etc. »100. Cette fonction est d'ordinaire dévolue aux esthéticiens et aux critiques pour Becker, or le graffiti à Beyrouth (et ailleurs) connaît peu, voire pas, ce type d'organisation dans la définition du beau. S'agit-il d'une propriété de l'art urbain, qui serait radicalement différent des arts traditionnels puisque n'étant jugé que par les pairs ou le public ? À ce jour, aucun critique artistique de graffiti n'est apparu, contrairement aux disciplines classiques de l'art. Ou serait-ce parce qu'il s'agit d'un art encore peu institutionnalisé ? Nous tenterons d'y revenir dans la question de la reconnaissance institutionnelle du graffiti, toutefois force est de constater que personne ne s'est érigé en esthéticien ou critique du graffiti, sinon ses participants. En définitive, la mise en mots permet de « formuler des jugements sur des oeuvres d'art particulières et [d']expliquer ce qui en fait la valeur ». Il s'agit d'un « système de conventions qui permet aux membres des monde de l'art d'agir ensemble (...) Par ailleurs, une esthétique cohérente et défendable contribue à la stabilité des valeurs, et par là à l'homogénéité de la pratique »101.

Dans la pratique, « la création d'une esthétique déterminée peut précéder, suivre ou accompagner l'élaboration des techniques, des formes et des oeuvres qui composent la production d'un monde de l'art, et elle peut être le fait de n'importe quel participant »102. Le vocabulaire commun aux graffeurs puise allègrement dans la langue anglaise, et sa réutilisation les associerait au monde de l'art du graffiti plus largement. C'est, aussi, un gage de mise en conformité de soi par rapport aux conventions et de connaissance du milieu. Le lexique est alors conçu comme prérequis à la pratique et au positionnement du graffeur dans une activité artistique déterminée et relativement homogène : « le blase, synonyme de signature, le caps (embout de la bombe de peinture permettant de couvrir une surface plus ou moins grande), le perso (motif figuratif distinct du lettrage), la multitude des noms de crews, de tagueurs ». La connaissance de ce lexique et de ce à quoi il renvoie oriente effectivement l'activité des graffeurs, qui la définissent et convergent vers ses formes acceptées, témoignant du caractère non-figé ou univoque de « l'esthétique [conçue] comme une activité et non comme un corps de doctrine » 103. Savoir ce qu'est un flop permet d'en réaliser et de s'intégrer au milieu graffiti. Cela est certes insuffisant, puisque la maîtrise et

99 VAGNERON, Frédéric, op. cit., p. 89.

100 BECKER, Howard, op. cit., p. 147.

101 Ibid., p. 147-150.

102 Ibidem.

103 VAGNERON, Frédéric, op. cit., p. 89.

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l'expérimentation restent essentielles. Cependant, notre propre observation et les enseignements reçus des graffeurs permettent de définir aisément ce que serait un bon graffiti a priori. Par la connaissance des termes et de leur technique, nous pourrions penser réaliser un graffiti de taille moyenne, en lettrage simple (simple style), avec une certaine régularité et homogénéité des lettres, verticalement et horizontalement. Nous saurions également que, pour placer les shines, il est nécessaire de définir une source de lumière, le plus simple étant à droite ou à gauche. Pour la 3D, un point d'ancrage sera nécessaire également, il s'agit alors de faire converger les tangentes des lettres vers ce point d'ancrage et de les matérialiser ; cela fonctionne également pour les ombres, même si celles-ci devront être une duplication en arrière-plan du graffiti. Cette connaissance simplifie l'élaboration d'un graffiti lors de la période d'apprentissage, puisqu'elle définit un nombre de composantes satisfaisant aux attentes du graffiti. D'un point de vue plus méthodologique, la connaissance personnelle de ces termes permettait de s'entretenir plus aisément avec les graffeurs, surtout ceux inconnus jusqu'alors : nous pouvions discuter de leur travail ou de leurs conceptions du graffiti sur un pied d'égalité puisque, d'une certaine manière nous parlions « la même langue ».

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