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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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2. L'oeuvre sans son propriétaire : la visibilité en espace urbain

L'espace urbain est le médium clef de la reconnaissance pour qui chercherait à se faire connaître des autres graffeurs. Parallèlement, il devient le lieu d'exposition des pièces les plus avancées (dans la carrière). La recherche et l'occupation de spots largement visibles sont monopolisées par les graffeurs confirmés, qui souhaitent faire valoir leur technique et leur talent. La réduction considérable du nombre d'intermédiaires entre l'auteur et son public supprime le coût d'accès à l'art, coût tant symbolique (démarche d'aller en musée, réseau social en galeries, etc.) que matériel (prix d'entrée). L'argument d'un art qui viendrait au public plus que le public ne vient à l'art est fortement investi et partagé entre les graffeurs. Il sera ensuite réinvesti dans un discours plus réflexif et socialement « engagé ». Les murs ne constituent qu'un niveau de reconnaissance, qui peut être additionné, complété, et dialoguer avec d'autres, mais il reste, dans la plupart des cas, indépendant de ces autres lieux ou niveaux de reconnaissance. La réputation qu'a Fish sur les murs est inexistante dans le marché institutionnel ou particulier de l'art, la reconnaissance d'Eps sur les murs est bien différente - et moins conditionnée - que celle qu'il acquiert lors de la réalisation de commandes, etc. Sans nier ces autres niveaux de reconnaissance, il apparaît néanmoins que le mur devient la vitrine officielle du graffiti, qu'il est la nouvelle toile127 de l'artiste. De plus, en « mettant volontairement son travail sur les murs, dans la cité », le graffeur se place « hors du marché » et donc des appareils de consécration qui gravitent autour de celui-ci ; c'est par ce placement que les graffeurs conservent

127 PRADEL, Benjamin, Une action artistique en milieu urbain : le graffiti ou l'impossible reconnaissance, Mémoire pour l'obtention du diplôme d'Institut d'Études Politiques de Grenoble, 2003, 145 p., p. 75.

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« l'indépendance nécessaire pour pouvoir faire un art engagé selon [leurs] propres conditions »128. L'avantage est surtout de pouvoir garantir une autonomie et un plein contrôle quant à la gestion de sa visibilité, puisqu'ils sapent très clairement les intermédiaires traditionnels et consacrés du marché de l'art contemporain.

En revanche, l'autre pendant de cette visibilité tend à dissocier dans cet espace la reconnaissance de l'artiste de celle de l'oeuvre. De plus, elle pose la question de la désacralisation, voire de la non-sacralisation de l'oeuvre, ce qui entre en rupture profonde avec la théorie de la réputation de Becker. Cette dissociation entre l'oeuvre et l'artiste s'opère à plusieurs échelles, recréées dans l'espace urbain lui-même. Premièrement, la reconnaissance par un public plus large (les passants) porte sur une oeuvre jugée plaisante ou belle, et très peu sur l'artiste : il resterait cette « présence anonyme dans le quartier », cette « personne qui est là quelque part, qui existe, mais que tu connais pas exactement » (Kabrit). À l'inverse, le marché de l'art institutionnel, les clients, collectionneurs et marchands vont très peu dans la rue, et reconnaissent l'artiste par ses commandes plus que par son oeuvre personnelle, placée dans la rue. La conciliation entre reconnaissance de l'individu et de l'oeuvre revient, encore, à ce public extrêmement restreint que représentent les pairs et initiés, qu'ils soient des amis, des connaissances, ou des relations familiales. Quant au problème de la sacralisation de l'oeuvre, il entraîne plusieurs sous-questions : peut-on considérer comme art ce qui ne peut être sacralisé, en raison même de son support ? Le graffiti reste-t-il du graffiti s'il est « sacralisé » ? Peut-on reconnaître le graffiti comme un art, lorsqu'il bouscule les appareils de consécration conventionnels ? Ces questionnements mériteraient de plus amples recherches, que nous ne pouvons malheureusement effectuer ici. Nous pouvons cependant avancer quelques pistes, à commencer par le fait que le graffiti à Beyrouth semble plus sacralisé que dans les autres scènes, qui se sont longtemps attachées à le rayer du paysage urbain. Toutefois, la présence dans l'espace urbain tend à confondre l'oeuvre et l'espace, puisqu'elle n'est pas placée au-dessus du cadre de vie habituel des individus mais y est pleinement intégrée : volonté des graffeurs certes, mais qui a pour conséquence de fondre l'oeuvre jusqu'à ce qu'elle devienne parfois inaperçue du grand public. Tout au plus, une pièce fera office de décoration, c'est justement « joli », « regardable », « gai » mais, des passants que nous avons rencontré lors des observations peu l'ont qualifié comme un « art ». Les pièces sur les murs ont tendance à recevoir cette reconnaissance et cette « sacralité » de la part des pairs et initiés ; quant aux marchands (etc.), la sacralisation de l'oeuvre survient lors du passage à la toile, soit quand elle rentre à l'intérieur, en galerie ou propriétés privées. Finalement, une dernière question surgit, à laquelle nous ne pouvons répondre : l'art a-t-il besoin d'être sacré ou sacralisé pour être art ?

128 ALVISO-MARINO, Anahi, op. cit., p. 324.

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