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Opportunité et stratégie du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence

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par Edouard Bruc
Université de Montpellier - DJCE 2016
  

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    Université de Montpellier

    Centre du Droit de l'Entreprise

    Année : 2016

    Mémoire soutenu par M. Édouard BRUC

    Titre :

    Opportunité et stratégie du

    règlement consensuel des

    litiges au regard des actions

    collectives en droit européen de

    la concurrence

    Directeurs de mémoire :

    Guillaume ZAMBRANO

    Maître de conférences en Droit privé

    Marie-Pierre DUMONT-LEFRAND

    Professeur à la Faculté de Droit de Montpellier

    2

    « La Faculté de Droit et de Science Politique n'entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur »

    3

    « Une armée est victorieuse si elle cherche à vaincre avant de combattre ; elle est vaincue si elle cherche à combattre avant de vaincre. »

    SUN TZU in L'art de la guerre, chapitre IV

    1

    1

    même si la paternité de l'ouvrage à Sun Tzu (ou Sun Wu) reste sujette à caution (voir pp.23-41 dans Sun Tzu, L'art de la guerre, traduction de l'anglais Samuel B. Griffith par Francis Wang, édition Champs classiques)

    4

    RÉSUMÉ

    L'opportunité du règlement consensuel des actions collectives (ou class action) demande de regarder dans un premier temps son sujet qui est l'action collective. L'action collective pourrait se décrire comme l'action holiste faite de l'agrégation d'actions individuelles. L'existence d'une action collective en droit de la concurrence est le produit en Europe d'un éclatement du droit en droits subjectifs par l'arrêt Courage de la Cour de justice. En effet, en donnant un droit d'agir à tout justiciable en cas de préjudice découlant d'une infraction au droit de la concurrence, le juge a donné une assise à l'hypothèse même d'une collectivisation des préjudices. Malgré la volonté du juge européen, reste l'incapacité du législateur à créer un régime harmonisé d'actions collectives au niveau européen. Cette incapacité frappe les victimes que ce soit les entreprises ou les consommateurs qui subissent une insécurité juridique et une inégalité de traitement face à une action collective selon les droits internes applicables. Ainsi, un risque de forum shopping apparaît au regard des lois contemporaines de droit international privé.

    La directive n°2014/104 vient en partie révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et intérêts qui sont regardées comme un complément du travail des autorités publiques. Ce travail, le public enforcement se caractérise par la sanction, l'amende donnée aux entreprises contrevenantes. Elle frappe l'auteur parfois comme un coup de tonnerre du fait de l'importance de son montant. L'action individuelle en dommages et intérêts pour le surcoût payé par la victime, du fait de son caractère sporadique, s'apparente plus à une pluie agrégée de petites gouttes correspondant au préjudice personnel de chacun.

    Face à ces deux facettes du droit de la concurrence, la directive propose d'accroitre leur coordination tout en respectant le droit à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite la production de preuves, affirme l'autorité des décisions des autorités de concurrence ou protège l'intérêt du programme de clémence. Ce renforcement des modalités du contentieux privé touche directement les actions collectives qui n'en sont qu'une modalité procédurale.

    Par ailleurs, reste que le risque des actions collectives doit être nuancé au regard de l'apathie rationnelle du consommateur et des difficultés propres au contentieux concurrentiel notamment sur le terrain de la caractérisation du préjudice et de sa répartition. Le législateur européen face à ces difficultés voit dans le règlement consensuel une opportunité de règlement rapide et efficace du contentieux. Il chercher à promouvoir ce type de règlement amiable quitte à créer une course au règlement extra-judiciaire pour les entreprises.

    Le règlement consensuel a aussi d'autres qualités qui sont notamment la disparition de l'aléa de la sanction. Aléa qui peut en outre être réduit par des procédures de compliance qui pourront au demeurant être utilement utilisées lors du contentieux judiciaire ou extra-judiciaire.

    Enfin, l'ouverture légalisée par la directive d'un marché européen de la cession de créance indemnitaire peut être un risque pour l'entreprise du fait de l'établissement de marchands de procès mais cela peut aussi être cyniquement une opportunité dans sa recherche de la baisse du coût infractionnel.

    5

    REMERCIEMENTS

    Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont aidé dans la rédaction de ce mémoire.

    Tout d'abord, mes directeurs de mémoire : M. le maître de conférence Guillaume Zambrano pour sa vision approfondie du sujet et son aide jusqu'au dernier instant et Mme. le professeur Marie-Pierre Dumont-Lefrand pour ses encouragements.

    Mme. le professeur Carine Jallamion qui a toujours été bienveillante et d'un soutien indéfectible.

    Je voudrais adresser aussi un mot particulier à mon ami Pierre Nicolas avec qui j'ai toujours pu partager des réflexions juridiques enrichissantes.

    Mais aussi, mes voisines, Vérène et Mélanie qui m'ont soutenu et ont apporté de la lumière dans mon quotidien.

    Mes amis qui m'ont chaleureusement entouré et immuablement supporté pendant tant de temps : Clément, Léonor, Lo
    ·c, Julie, Joan, Marie, Ivan, Romain, Stivian.

    Ma grand mère qui me souhaite toujours le meilleur.

    Mon frère et mes soeurs, pour leurs présences.

    Mes parents qui m'ont inlassablement soutenu depuis mon premier cri. Enfin, mon grand père à qui je dédie ce mémoire.

    6

    SOMMAIRE

    INTRODUCTION

    PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA CONCURRENCE

    Titre 1 - Risque actuel

    Chapitre 1: Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen Chapitre 2: Risque inégal des actions collectives découlant des droits internes

    Titre 2 - Risque potentiel

    Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts

    Chapitre 2 - Obstacles pratiques à l'efficacité des actions collectives

    PARTIE 2 - GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU RÈGLEMENT EXTRA-JUDICIAIRE

    Titre 1 - Opportunité des modes de règlements consensuels

    Chapitre 1 - Les différents modes de règlement consensuel

    Chapitre 2 - Les modalités concrètes d'utilisation des règlements consensuels

    Titre 2 - Stratégie des modes de règlements consensuels face aux actions collectives

    Chapitre 1 - Gestion opportune de l'action collective par le règlement extra-judiciaire Chapitre 2 - Gestion intensive par l'entreprise de l'action collective et de son règlement consensuel

    BIBLIOGRAPHIE

    TABLES DES MATIÈRES

    7

    ABREVIATIONS

    ADR : Alternative Dispute Resolution (modes alternatifs de résolution des conflits)

    ANC : Autorité nationale de la concurrence

    C. com : Code de commerce

    C. cons. : Code de la consommation

    C. civ : Code civil

    CE : Conseil européen

    CEDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés

    fondamentales ou Convention européenne des droits de l'homme

    Cour EDH : Cour européenne des droits de l'homme

    CJCE : Cour de justice des Communautés européennes

    CJUE : Cour de justice de l'Union européenne

    DG comp.. : Direction générale de la concurrence de la Commission européenne

    EEE : Espace économique européen

    Ibidem : même endroit

    i.e. : c'est-à-dire

    Infra : ci-dessous

    MARC: modes alternatifs de résolution des conflits

    PE : Parlement européen

    PME: petites et moyennes entreprises

    Supra : ci-dessus

    REC : Réseau européen de concurrence

    TFUE : Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne

    TUE : Traité instituant l'Union européenne

    UE : Union européenne

    8

    INTRODUCTION

    1. Une opportunité stratégique. « Y croire sans y croire, ne rien faire pour tout faire, se
    donner, sous les ordres de la Dame-Fortune, les moyens et le temps d'agir, en ne sachant pas ce que l'action deviendra et en considérant qu'une bonne intention peut dégénérer de façon perverse ou qu'à quelque chose malheur est bon. Le machiavélisme, dans sa partie descriptive, est un grand traité de stratégie, une science rationnelle de l'efficacité qui débouche presque sur la théorie des jeux. La politique n'est plus une fin en soi. Elle devient une panoplie de moyen, un art du réalisme, de l'ajustement permanent, de la négociation
    » pointe Michel Bergès.

    2

    Ainsi, homme aux mille visages, le Prince s'évertue au travers de la virtù à faire sien la Fortuna,

    3

    combat démesuré entre la volonté d'un seul et une destinée commune, une mécanique imprévisible. Lutte individuelle contre la collectivité ou révolte collective contre le souverain, pour le Prince il faut faire preuve d'allocentrisme en se figurant tous les points de vue. Vision instable du Prince qui doit se mettre en abîme, se démultiplier en autant de point de vue que d'acteurs.

    Multiplicité donc mais surtout métamorphose, mutation animalière du Prince qui se transforme au gré des événements. Le bestiaire princier c'est avant tout un prolongement politique de sa stratégie. Dès lors, penser une stratégie en s'adaptant à toutes les circonstances, faire face à l'imprévisible, c'est prendre l'opportunité. Penser l'opportunité, c'est porter, rapporter quelque chose aisément, c'est in fine prendre une position avantageuse. Il est donc à la fois question d'action par l'usage de la stratégie qui par sa nature même s'inscrit dans le mouvement: l'acte ; là où l'opportunité

    4

    caractérise un fait. Fait et acte ainsi se font face mais cette subdivision n'a de sens que si elle s'inscrit, s'incarne au travers d'un acteur à qui elle se propose.

    2. La stratégie dans l'opportunité. Penser l'opportunité comme un fait extérieur peut a priori
    être juste, ce qui est opportun c'est nécessairement ce qui est l'intériorisation5 d'une extériorité, d'une possibilité qui se présente. Mais l'opportunité ne peut s'étaler à la vue que d'un acteur qui la perçoit, tout comme la stratégie pour la saisir. Par conséquent, il s'agit de caractériser face à une opportunité la pluralité de perceptions possible de celle-ci, qui pourront ainsi en devenir les acteurs.

    2 BERGéS, Michel in Machiavel, un penseur masqué ?, édité en 2000, Editions Complexe, p.297

    3 MACHIAVEL, Nicolas in Le Prince paru en 1532

    4 celle-ci se définissant comme une : « Partie de l'art militaire qui consiste à préparer, à diriger l'ensemble des opérations de la guerre. [É] Il s'emploie aussi figurément et désigne l'Art de manoeuvrer. » in Dictionnaire de l'Académie Française, 8ème édition (1932-1935)

    5 en effet, intérioriser c'est bel et bien le « processus psychanalytique qui consiste à transporter à l'intérieur de soi les conflits auxquels un sujet est confronté dans le monde extérieur » (Larousse) or pas d'opportunité sans subjectivité et un extérieur à soi-même.

    9

    Opportunité au pluriel et stratégie multiple, car la stratégie incarnée par un acteur s'inscrit dans sa volonté, elle est ainsi un ensemble de manière d'organiser, de structurer un travail, de coordonner une série d'actions, un ensemble de conduites en fonction d'un résultat 6 .

    Celle-ci peut s'inscrire dans l'action ou l'inaction, comme le rappelle d'ailleurs la distinction du Code civil de 1804. Mais reste à l'horizon la question substantielle de l'objectif, du résultat voulu.

    3. Stratégie et concurrence. En l'occurence, la question du résultat après ce préambule pour
    saisir l'enjeu ne s'écarte pas tant de l'oeuvre de Nicolas Machiavel. Cette oeuvre politique trouve aussi un écho au travers de la notion de Politikè, ou de l'art politique c'est-à-dire la pratique du pouvoir, celle-ci s'inscrivant dans une lutte. La concurrence est donc aussi un art de la politique.

    Art de la politique et politique de la concurrence se présente donc en un miroir et son reflet face à un même acteur. En ce qui concerne la concurrence comme miroir, i.e. siège darwinien d'une lutte intestine entre des acteurs pour le pouvoir. Elle s'inscrit dans un paradigme au travers d'acteurs choisis dans un univers qu'il est nécessaire de qualifier de capitaliste7. Dès lors, la concurrence est une lutte qui dans ce paradigme est fatalement économique. Elle se reflète au travers d'acteurs qui ne peuvent être choisis qu'au regard de la norme, de la politique de la concurrence.

    En ce qui concerne la concurrence comme politique, ce reflet d'une perception de la réalité se traduit par un intentionnalisme. En conséquence, cette lutte économique peut prendre place comme reflet au travers de deux types de surface, de cadre qui techniquement, idéologiquement s'opposent diamétralement. Modèle économique dit classique (voir néo-classique) ou modèle marxiste ; liberté dite « absolue » ou planification de l'économie se proposent comme une méthodologie d'appréhension économique. Prosaïquement, le modèle européen de concurrence s'éloigne pour partie du « laissez-faire, laissez-passer8 » mais s'écarte largement du dirigisme économique.

    4. Domination du droit européen. Partant du postulat d'une correction du marché, il s'agit
    dans un premier temps d'asseoir le marché unique comme défini dans l'article 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne . Dans un second temps, il s'agit véritablement au-delà

    9

    d'uniformiser ce marché de créer des instances supra-étatiques correctrices du marché et établissant au passage sa suprématie. Ce quasi-monopole du droit européen de la concurrence sur les droits internes est aujourd'hui factuel (voir infra point 26).

    6 Centre national de ressources textuelles et lexicales, définition de « stratégie »

    7 il apparaît nécessaire de partir du postulat que les acteurs (ici économique) s'inscrivent dans une concurrence au travers d'un « système de production dont les fondements sont l'entreprise privée et la liberté du marché » (définition du capitalisme du dictionnaire Larousse)

    8 aphorisme apparu au XVIIIème siècle attribué à Vincent DE GOURNAY (1712-1759)

    9 Au titre du préambule : « reconnaissant que l'élimination des obstacles existants appelle une action concertée en vue de garantir la stabilité dans l'expansion, l'équilibre dans les échanges et la loyauté dans la concurrence » mais aussi à divers articles, dont l'article 3 « b) l'établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du marché intérieur; »

    5.

    10

    Politique de la concurrence. La règle juridique comme expression du politique en droit
    européen n'est donc que le reflet d'une idéologie qu'il sera nécessaire de saisir pour en comprendre la forme et la transformation tant passées que futures.

    Plus concrètement, la loi régule des acteurs, acteurs économiques qui seront définis comme : le consommateur, l'entreprise et l'Etat. En outre, ils agissent sur un marché défini par une offre et une demande. Schématiquement, le droit européen s'inscrit dans ce marché et part du postulat que celui-ci est faussé par l'abus. Sans son intervention apparaît ainsi une asymétrie entre les acteurs, asymétrie structurelle qu'elle essaye conjoncturellement de corriger. Dès lors, « la concurrence apparaît de plus en plus comme une forme d'organisation et non plus comme un état naturel, spontané, normal ». Il n'y a pas de « invisible hand » ou une théorie hayékienne de l'ordre auto-

    10 11

    organisé du marché (« spontaneous order ») au yeux du législateur européen. Bien au contraire, il

    12

    s'agit de « faire concurrence » et non pas de « laisser-faire concurrence ». Dès lors, le législateur met en place un cadre juridique qui se veut prescriptif, prohibitif mais surtout dissuasif.

    6. Appréciation économique du droit européen. Derrière ce cadre se dévoile ainsi une norme
    propre au droit de la concurrence qui est fluctuante au gré de l'appréciation plus ou moins libérale ou interventionniste faite du « marché » tant par le législateur au travers des textes de loi et des lignes directrices que par les juges eux-mêmes. Apparaît ainsi la question sous-jacente de toute étude contextuelle de l'idéologie majoritaire (ou même de la dogma) interne aux racines du

    13

    raisonnement tant du législateur que des institutions ou des juges. À partir de ce constat, il apparait incohérent et abscons de ne pas se pencher sur la vision économique, car celle-ci est le fondement idéologique de la politique tant législative que jurisprudentielle des institutions en charge de créer ce droit de la concurrence.

    En effet, la compréhension de l'approche économique prise par les institutions européennes nécessite de regarder cette analyse par le prisme de trois écoles de pensée et de courants modernes plus diffus : Harvard, Chicago, Fribourg et « théorie contemporaine des jeux non coopératifs » et modèle de Porter.

    7. Ecole d'Harvard. Pour l'école structuraliste d'Harvard, la structure détermine les
    comportements, il faut intervenir pour règlementer la structure. Ainsi, après avoir déterminé juridiquement la nature d'un accord, il faut définir le marché pertinent avant d'analyser la structure dudit marché. Plus concrètement, la thèse structuraliste se traduit par le « modèle SCP » d'Edward Mason14. Ce paradigme s'articule autour de trois séries de critères interdépendants : la structure (S)

    10 FARIAT, Gérard in Pour un droit économique, PUF, Paris, 1994 p.45

    11

    SMITH, Adam in The Wealth of Nations, paru en 1776, Livre IV, Chapitre II, paragraphe IX

    12 VON HAYEK, Friedrich August in Law, Legislation and Liberty, a new statement of the liberal principles of justice and political economy, Volume I, Rules and Order, The University Chicago Press, p.36

    13 au-delà de l'aspect virtuel de penser pouvoir saisir une « courant de pensée » uniformisé à un instant précis

    14 MASON, Edward S., in Price and Production Policies of Large-Scale Enterprise, American Economic Review, paru en mars 1939, vol.29, no 1

    11

    du marché (caractérisée par la présence ou l'absence de barrières à l'entrée et la mauvaise ou bonne information des entreprises), les comportements (C) des agents économiques (soit une rivalité intense exercée entre les différents concurrents et une absence de discrimination déraisonnable, soit une collusion tacite ou expresse entre les acteurs de marché) et la performance (P) du marché (en tenant en compte du niveau des prix, de la production et de l'innovation).

    En vertu de ce paradigme, la structure du marché conditionne la concurrence qui y règne. La relation entre la structure du marché et le pouvoir de marché dépend essentiellement des conditions d'entrée sur le marché, à savoir l'existence de barrières à l'entrée, qui sont définies par Joe Bain comme:

    « The extent to which, in the long run, established firms can elevate their selling prices above minimal average costs of production and distribution without including potential entrants to enter the industry ».

    15

    In fine se pose deux questions majeurs : le degré de concentration au sein du marché pertinent16 mais aussi les barrières à l'entrée, la croissance de ces indicateurs augmentant le risque de comportement anticoncurrentiel. Ce paradigme impose donc aux autorités en charge de la concurrence de répondre par une politique appréhendée au travers de ces deux paramètres.

    8. Ecole de Chicago. Pour l'école de Chicago prend pied tout d'abord dans « l'école de

    l'offre », critiquant le modèle SCP qui est, selon ce courant, trop basé sur le modèle de concurrence pure et parfaite des Classiques . Le théoricien phare contemporain est Richard Posner (par

    17 18

    ailleurs juriste), il a une approche dynamique de la concurrence, envisagée comme un processus de sélection des entreprises les plus efficaces. En outre, il faut inverser le modèle SCP.

    En effet, ce sont les comportements des entreprises et les performances qui déterminent la concentration industrielle. Ainsi, l'entreprise qui propose un produit de meilleure qualité que ses concurrents acquiert une nouvelle clientèle et pourra, ainsi, détenir une position dominante. La concentration du marché est alors due aux différences de performance entre entreprises, l'entreprise en position dominante étant simplement meilleure que ses concurrentes. Il est donc surtout question d'efficience sur un marché, la concentration pouvant simplement en être le résultat.

    Qui plus est, les barrières à l'entrée, or l'exception de barrière légale, ne sont que l'effet de cette efficience. Par exemple l'existence d'un monopole peut être justifiée car d'autres entreprises peuvent, si elles le souhaitent, y entrer ; le postulat est donc que ce monopole existe parce que l'entreprise monopolistique est la seule capable de satisfaire la demande aux conditions requises.

    15 BAIN, Joe in Industrial Organization, paru en 1968, John Wiley and Sons, New York, p. 252

    16 « small is beautiful » pour reprendre l'expression de David Encaoua et Roger Guesnerie

    17 KNIGHT, Frank in Risk, Uncertainty and Profit, paru en 1921 où la concurrence pure et parfaite est définie par une structure de marché parfaite avec une : atomicité de l'offre et de la demande, homogénéité du produit, liberté d'entrer et de sortir du marché, information parfaite des acteurs sur le marché, mobilité parfaite des facteurs de production

    18 POSNER, Richard Allen in The Chicago School of Antitrust Analysis, University of Pennsylvania Law Review, paru en 1979, Vol.127, no.4, pp. 925-948

    12

    Par ailleurs, à la fin des années soixante-dix émerge la théorie dite des « contestable markets ».

    19

    Cette théorie met l'accent sur le rôle de la concurrence potentielle comme contrainte pesant sur le pouvoir de marché des entreprises actives dans un secteur d'activité. Il y a deux moteurs à celle-ci : l'absence de barrières à l'entrée et à la sortie du marché (sans coût). Ainsi, les entreprises en place maintiennent leurs prix au niveau concurrentiel en raison de la menace constante représentée par les entrants potentiels (en cas de prix trop élevés notamment). Ce paradigme impose donc une intervention plus fluette des autorités, se limitant à éliminer les barrières légales à l'entrée et à la sortie, mais oblige à se pencher plus amplement sur les gains d'une structure ou un comportement qui pourraient paraître anticoncurrentielles .

    20

    La défense de la concurrence dans la loi allemande est garante de la liberté économique des acteurs qu'elle préserve des abus de pouvoir exercé par les entreprises dominantes : la concurrence est un objet de droit qu'il convient de protéger en soi. L'objectif diffère ainsi de celui qui a fini par prévaloir aux États-Unis en la matière, à savoir la promotion de l'efficacité économique. Selon Posner (2001, p. 29) :

    « l'efficacité est l'objectif ultime de l'antitrust, mais la concurrence est un objectif intermédiaire qui est souvent suffisamment proche de l'objectif ultime pour éviter aux tribunaux de pousser plus loin leurs investigations ».

    9. Ecole de Fribourg. Courant de pensée libéral européen dit d'« ordolibéralisme » selon

    lequel la mission économique de l'État est de créer et maintenir un cadre normatif permettant la concurrence libre et non faussée entre les entreprises. Pour les ordolibéraux, il s'agit par là de créer une économie sociale de marché, qui assume l'idée que le libre-marché est naturellement social. Pour Walter Eucken l'ordre de la concurrence n'est pas un ordre naturel, il faut intervenir pour le corriger. Ainsi, l'État intervient donc dans la vie économique de deux façons : en fixant des règles et en les faisant appliquer et respecter. Il s'agit de valoriser l'ordre (en référence à la théorie augustinienne de l'ordre) et de réguler par le biais de l'État (Etat-ordonnateur) ; l'ordolibéralisme se distingue du libéralisme classique basé sur la dérégulation et le « laissez-faire ».

    Idéologie normative, il est nécessaire de trouver une véritable constitution permettant une efficience concurrentielle , l'ordre concurrentiel en découlant est justifié par l'aspect démocratique de la

    21

    société. S'inspirant des travaux de Heinrich von Stackelberg , il s'agit que l'ordre économique

    22

    réalise une concurrence parfaite dont les points clefs sont la libre formation des prix et des marchés atomistiques, ce qui suppose une abolition de l'imposition des prix et une législation sur les cartels.

    19 BAUMOL, William, PANZAR, John, WILLIG, Robert in Contestable Markets and the Theory of Industry Structure, Harcourt Brace Jovanovich, Revised edition 1988.

    20 Richard Posner précisant ainsi que « that the design of antitrust rules should take into account the costs and benefits of individualized assessment of challenged practices relative to the costs and benefits of the rule of thumb prohibitions, notably the per se rules of antitrust illegality » (in Antitrust Law, Second Edition, University of Chicago Press, édition de 2009, Préface, ix)

    21 COMMUN, Patricia in L'ordolibéralisme allemand, aux sources de l'économie sociale de marché, paru en 2003, CIRAC/CICC, édition Broché, pp.95-100

    22 modèle d'analyse de duopole complétant les travaux d'Antoine Courront et Joseph Bertrand

    13

    Courant aujourd'hui consacré au moins textuellement au travers de l'article 3 du Traité de l'Union

    23

    européenne qui use directement d' « économie sociale de marché » mais aussi économiquement (au travers de la politique de stabilité monétaire de la Banque centrale européenne).

    10. Théorie des jeux non coopératifs et modèle de Porter. Émergent deux courants dominants

    basés sur les concepts de « théorie des jeux » et de « forces de Porter ».

    En ce qui concerne la théorie des jeux non coopératifs (en dehors d'une position d'entente), elle incarne un retour de balancier post-Chicago. La théorie des jeux s'intéresse à des situations où des « joueurs » ou « agents » prennent des décisions, chacun prenant en compte que les gains dépendent de sa propre décision que de celle des autres « joueurs ». Plus précisément, le théorie des jeux « non coopératifs » s'inscrit dans une modélisation des interactions stratégiques entre différents joueurs qui ne cherchent pas à se coordonner. Elle s'accompagne aussi d'une prise en compte explicite des asymétries d'information qui peuvent exister entre les acteurs et du postulat d'une rationalité de chacun des joueurs (recherche d'un optimum propre). Tout d'abord, cette théorie réhabilite l'équilibre de Cournot. Celui-ci s'inscrivant dans le cadre d'un duopole où chaque firme considère la production de son concurrent comme une donnée. Chaque entreprise choisit simultanément ce qu'elle va produire en considérant le niveau de production de l'autre comme acquis, ce qui conduit à un équilibre de Nash (i.e. une situation dans laquelle aucun joueur n'a intérêt à changer de

    24

    stratégie). L'anticipation est donc essentielle à l'équilibre de Nash et la théorie des jeux non coopératifs recentre le débat sur : d'une part, les prix (notamment : prix limite, le prix de prédation, les compressions de marge, les remises de prix et les baisses sélectives de prix) mais aussi, sur d'autres facteurs extérieurs au prix : les informations transmises aux autres acteurs, les signaux fournis par les acteurs, ou encore les ventes liées, les clauses d'exclusivité et les refus de vente.

    À partir de ces données, chaque acteur agit en conséquence et doit chercher la position la plus avantageuse au regard notamment des informations qu'il a sur le marché pertinent en question et du prix et autres barrières sur le marché. Il y a donc une prise en compte explicite des asymétries d'information qui peuvent exister entre les acteurs.

    En ce qui concerne le modèle des « cinq forces de Porter », élaboré en 1979 par le professeur

    25

    Michael Porter, la notion de concurrence est élargie et désigne toute acteur économique capable de réduire la capacité potentiel des entreprises à créer du profit. Selon Michael Porter, la structure

    23 et même idéologiquement comme en atteste l'ancien commissaire à la concurrence Karel Van Miert, dans son discours à l'occasion de la réception du prix Ludwig Erhard en 1998 : « Si l'on a fait dès le départ des règles de la concurrence l'un des piliers de base du Traité CEE, c'est en grande partie à l'influence de l'Allemagne où ce thème occupait à l'époque le devant de la scène. C'est donc avant tout à l'Allemagne que l'on doit le fait que la concurrence se soit vue accorder dès le début une importance si grande et qu'elle ait presque joué le rôle de fondement du Traité CEE. Depuis lors, les politiciens allemands et les juristes allemands spécialisés dans le droit des ententes ont toujours joué un rôle phare lors de l'élaboration et du développement des règles de concurrence européennes. » ENCAOUA, David et GUESNERIE, Roger in Politiques de la concurrence, paru en 2006, Rapport La Documentation Francaise, pp. 62-63

    24 NASH, John in Equilibrium Points in N-person Games, publié dans Proceedings of the National Academy Sciences, paru en 1950

    25 PORTER, Michael in The Five Competitive Forces That Shape Strategy, Harvard Business Review, janvier 2008, p. 78-93

    14

    concurrentielle d'une industrie (de biens ou de services) est déterminée par cinq forces : le pouvoir de négociation des clients, le pouvoir de négociation des fournisseurs, la menace des produits ou services de substitution, la menace d'entrants potentiels sur le marché, l'intensité de la rivalité entre les concurrents. La distinction se fait donc dans la maîtrise par chaque acteur des éléments en présence caractérisant ainsi un avantage/faiblesse concurrentiel de cet acteur sur le marché d'espèce. La question de l'intégration des pouvoirs publics comme « force » reste sujette à caution, Porter refusant une telle qualification préférant y voir une modalité des cinq autres forces (notamment comme une barrière à l'entrée).

    Pour conclure, ces modèles sont aujourd'hui souvent utilisés par les économistes (tant au service de la Commission que des entreprises) dans leurs analyses concurrentiels d'un marché ou sur des questions de prix de transfert, notamment par le biais de l'économétrie .

    26

    11. Analyses structurelles et protectrice du consommateur. L'analyse contemporaine

    s'inspire au moins partiellement de tous ses modèles économiques quant à leurs approches systémiques des interactions des acteurs et le modèle de marché servant de paradigme. Néanmoins, il apparaît clairement comme dit supra que la vision n'est pas hayékienne, il ne s'agit pas de pencher vers une auto-régulation du marché par un désengagement total des autorités publiques permettant une forme d'épuration et d'épanouissement de celui-ci.

    Dès lors, il semble au regard de la recherche du « bien-être » du consommateur (notamment au

    27

    travers du 101§3 du TFUE, le progrès économique pouvant étant englobé dans le bien être du consommateur, ou encore, des lignes directrices du Règlement 330/2010 ou les accords horizontaux) comme critère d'exemption possible, que le législateur européen soit dans une approche interventionniste justifiée par une analyse in concreto du marché pertinent en question. L'analyse rejoignant la conception moderne de « workable competition » ou « effective competition » telle que définie par John Maurice Clark28. Les études d'impacts sont ainsi typiquement utilisées par les autorités avant l'édition de toute norme concurrentielle avec les options à envisager et leurs effets permettant ainsi de contextualiser les hypothèses normatives.

    En outre, les autorités européennes se dégagent de l'idéal de concurrence pure et parfaite et présente une analyse où :

    « An industry may be judged to be workably competitive when, after the structural characteristics of its market and the dynamic forces that shaped them have been

    26 FEGATILLI, Ermano et PETIT, Nicolas in Économétrie du droit de la concurrence, un essai de conceptualisation, The Global Competition Law Centre Working Paper Series, Collège d'Europe, GCLC Working Paper 03/08

    27 notion standard tant en droit européen qu'américain, d'ailleurs le Conseil du commerce et du développement (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement) a précisé à Genève en 2012 que : « l'objectif principal du droit et de la politique de la concurrence est de maintenir et de promouvoir la concurrence comme moyen [É] la maximisation de l'intérêt des consommateurs devient une préoccupation principale ».

    28 CLARK, John Maurice in Toward a Concept of Workable Competition, paru en 1940, American Economic Review, pp. 241-256

    15

    thoroughly examined, there is no clearly indicated change than can be effected through public policy measures that would result in greater social gains than social losses29».

    En dehors de la seule structure de concurrence effective, il y a donc une extension dans l'analyse concurrentielle des institutions européennes vers la notion plus subjective de « bien-être » de l'utilisateur (vocable large englobant le consommateur). Celle-ci peut être comprise étroitement comme le « surplus » économisé par le consommateur (argent économisé du fait du fonctionnement non tronqué du marché, le « consumer welfare » tel que défini par l'école de Chicago) ou encore plus largement comme les avantages subjectifs pour celui-ci (accès à un service nouveau, qualité de la prestation, etc.). Comme le pointe Neelie Kroes, membre de la Commission chargée de la concurrence : « des règles claires protégeant les consommateurs et promouvant l'innovation sont de la plus haute importance ». Se profile donc un mouvement cherchant à rapprocher le droit de la concurrence et le droit de la consommation, en ce que la protection de la structure du marché aboutit de manière générale au bien-être du consommateur. Ainsi, le législateur et le autorités européennes tendent aujourd'hui à entendre le champ d'application d'un droit régulateur, d'un « droit du marché ».

    12. Politique contemporaine des institutions de concurrence. Base légale d'un droit du

    marché européen de la concurrence qui ne cesse de revendiquer une volonté d'efficience face à

    30

    des acteurs mondiaux qui font au-delà d'un « tax shopping » un « competition shopping », cherchant bon an mal an à se protéger d'une sanction par des stratégies juridiques qui s'affranchissent des simples frontières nationales ou européennes.

    Mais ici se pose le premier degré de réflexion, car penser une politique législative de concurrence n'a intérêt que par son efficience, penser une soumission des acteurs et notamment des entreprises n'a de réalité qu'au travers des vertus d'une sanction efficace voir efficiente. Dès lors se pose dans un deuxième temps, la question de la qualification de sanction efficiente ; qu'est-ce qu'une sanction efficiente ? Sous quel prisme faut-il déformer la notion pour parvenir au résultat voulu ? Quel est le résultat voulu ?

    Comme il sera vu plus bas, la notion centrale est celle du bien-être économique et notamment du surplus pour le consommateur, dès lors l'usage de bilan concurrentiel est affiné par une analyse plus économique des effets réels ou potentiels d'un accord potentiellement prohibé. Mais face à cet objectif se dévoile un échec de la politique anticoncurrentielle, en effet, comme il sera vu, la règle de droit n'est efficiente que si elle est dissuasive voire punitive ; car elle s'impose alors non pas comme une norme donnée traductrice d'un devoir-être mais comme une coercition, une force entrant ontologiquement dans une logique économique de coût. Elle ne peut être un coût dans une logique économique que si l'agent économique a une espérance de perte plus importante que de bénéfice.

    29 MARKHAM, Jesse in An Alternative Approach to the Concept of Workable Competition, paru en 1950 dans The American Review, p.361

    30 qui contrairement à l'efficacité sous-entend une optimisation des moyens mis en oeuvre pour parvenir à un résultat

    16

    Ici, l'espérance des acteurs se dévoile au travers de multiples agrégats, le coût se fait par une indemnisation ou une amende qui doit être plus importante que le bénéfice, une probabilité procédurale d'être sanctionné et enfin une probabilité de caractériser tant factuellement que sur le plan probatoire la pratique déviante (caractériser au travers des ententes, abus de position dominante ou concentration illicites). Autant de facteurs qui transforment la sanction en une probabilité qui nécessite de dépasser la simple logique de « la politique du bâton » pour se pencher aussi vers « la carotte ». Il ne s'agit pas pour autant pas que les agents soient récompensés pour des comportements « non-anticoncurrentielles », mais d'une politique plus souple ou même une coopération entre les autorités internes ou européennes et les entreprises .

    31

    13. Dualité de l'action publique/privée. L'efficience de ce droit européen va conditionner

    l'objet de cette étude, appréhender l'opportunité et la stratégie d'un acteur se fera avant tout face à la norme. Parmi les agrégats en cause, passé le problème de caractérisation de l'atteinte reste la question du montant de l'indemnité à payer qui dépend du préjudice causé. Préjudice qui prend place dans la gravité de l'atteinte et donc du nombre de personnes juridiques touchées (essentiellement les clients souvent « consommateur » ou encore les concurrents).

    Cependant un préjudice peut exister, encore faut-il que la partie lésée agisse en justice pour réclamer son dû. Dynamique procédurale qui prend forme au travers d'une dualité d'actions offertes. En effet, existe une dichotomie entre « public enforcement », c'est-à-dire action publique des autorités de la concurrence pour réparer l'atteinte au marché (au travers d'une amende) et « private enforcement », action civile du fait d'une atteinte pour réparer un préjudice seulement personnel. Mais la notion de droit de la concurrence d' « enforcement » reste d'origine anglo-saxonne, subsiste dans sa traduction une barrière linguistique entre le mot et son sens, entre le contenant et le contenu. Le terme « action » ne recouvre qu'une partie de la notion. L'enforcement renvoie in fine à une notion de force, de mouvement en avant ou plus subtilement pour donner une image simple de capacité à passer une barrière, passer une porte. Dès lors, prosaïquement en droit de la concurrence :

    « l'expression private enforcement désigne [É] les effets privés du droit communautaire de la concurrence, c'est-à-dire la faculté reconnue aux victimes d'agir en justice, pour obtenir la sanction civile d'une infraction, par réparation, restitution, nullité ou injonction32».

    De l' « enforcement » dépend substantiellement l'efficience du droit de la concurrence tant interne qu'européen. Plus spécifiquement, l'efficacité du private enforcement (ou dans un traduction

    31 la transaction et la politique de clémence ou la diminution des amendes selon le comportement des entreprises en étant des manifestations contemporaines

    32 ZAMBRANO, Guillaume in L'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence, étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p. 5

    17

    francophone, le contentieux « privé » ou « subjectif») est soumise à l'aléa de l'action des victimes

    33

    que les autorités en charge ne peuvent dépasser sauf à demander elle-même la réparation du préjudice personnel des victimes et donc agir par procureur.

    14. Inefficience du private enforcement. L'inefficacité du private enforcement ou plutôt son

    inefficience est avant-tout factuel, l'inaction des victimes étant le point névralgique de cet échec pour les autorités concurrentielles.

    Mais au-delà de l'inaction des victimes, le droit de la concurrence d'espèce s'inscrit avant tout dans un cadre politique et idéologique européen, choix politique fort d'un mécanisme européen d'intégration unique. Intégration unique qui explique aussi cette volonté de fonder comme pilier central du marché unique un public enforcement sous la houlette de la Commission qui s'impose ainsi comme un rouage européen d'harmonisation verticale. Verticalité du droit européen de la concurrence qui prend pied dans la nature même du marché unique constitué ab initio d'agrégats de marchés nationaux qu'il faut dans un premier temps réguler et uniformiser.

    Toutefois cette autorité européenne laisse une place aux autorités nationales, mais elle reste en toute hypothèse une autorité référentielle et compétente (donc « supérieure ») dès lors que cela touche mutatis mutandis substantiellement au marché européen.

    Partant de ce postulat de volonté d'harmonisation par le haut, cela explique l'attraction du droit de la concurrence vers le public enforcement, premier pas d'une harmonisation nécessaire et d'un équilibre dans l'action de l'autorité (censée notamment être en dehors des rouages politiques de protectionnisme nationale propre aux juridictions internes).

    Subséquemment, les Traités avaient organisé de manière lacunaire le private enforcement .

    34

    Mais le temps ayant fait son ouvrage, la consolidation du droit européen de la concurrence a nécessité un déploiement plus efficient du private enforcement. Les premiers éléments déclencheurs furent notamment les arrêts Manfredi35et Courage36 de la Cour de justice (étudiés plus en profondeur infra points 31 et 32). Ces arrêts fondateurs affirment que les actions indemnitaires participent à l'« effet utile » des règles de concurrence européenne ainsi dotées de l'effet direct.

    Ainsi « toute personne est en droit » de demander la réparation du préjudice qui lui est causé par la violation desdites règles de concurrence. Et ceux, même en l'absence de réglementation européenne, il appartient aux États membres de faire en sorte que leur réglementation garantisse ce droit sur la base des principes d'« effectivité » et d'« équivalence ». Alors il n'est pas étonnant d'entendre déjà en 2004 l'ancien commissaire européen Mario Monti dire que :

    « The Commission has one particular project in the pipeline which, I hope will have a far reaching impact on the way in which the competition rules are enforced in the Union.

    33 AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M. Béhar-Touchais, Bruylant, 2014, n° 10

    34 SAINT-ESTEBEN, Robert in L'impact de la future directive sur les actions en dommages et intérêts relatives aux pratiques anticoncurrentielles, paru dans AJ Contrats d'affaires - Concurrence - Distribution 2014, p.258

    35 CJCE, arrêt du 13 juill. 2006, n° C-295/04, Manfredi, RTD eur. 2008. 313

    36 CJCE, arrêt du 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com. 2002. 398

    18

    We are looking at ways to encourage actions before courts by private parties to punish breach of the competition rules [...] Private actions before courts are a central feature of the modernisation of our competition rules. We want to encourage private parties actively to seek compensation for harm caused to them by anticompetitive behavior37».

    La même année, les rédacteurs du rapport « Ashurst » constataient l'état de « total sous-développement » des actions en réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles . Par la

    38

    suite apparaît un Livre Vert dès 2005 et un Livre Blanc en 2008 avec le même constat cuisant d'un

    39

    sous-développement du private enforcement , constat cinglant surtout quand selon les estimations

    40

    présentées par la Commission accompagnant le Livre Blanc, le dommage direct des « hardcore cartels » au sein de l'UE oscillerait chaque année entre 25 et 69 milliards d'euros41. Le montant perdu par son ampleur suffit pour parler d'un échec caractérisant l'état larvaire de cette voie d'action.

    15. Opportunité des actions collectives. Face à ce problème d'inefficience potentielle du

    « contentieux privé » tant par l'inactivité des victimes que par l'incapacité des institutions à déployer cette voie d'action, il pourrait s'agir d'encourager ce contentieux par le biais d'action collective regroupant une masse de victimes. En outre, l'action collective s'inscrit comme un outils coercitif du fait de l'agrégation créée permettant ainsi d'exhumer un dommage collectif d'une certaine dimension. Elle se déploie dans la lignée de l'activité des autorités de concurrence (follow-on) ou de manière autonome (stand-alone), élargissant ainsi parfois le champ d'application du droit de la concurrence en dehors de l'activité simple des autorités de concurrence.

    Ainsi, l'action collective est une agrégation d'action individuelle, mais que se cache-t-il derrière le vocable d' « action collective42 » ?

    37 disponible en ligne : http://ec.europa.eu/competition/publications/cpn/interview_monti.pdf

    38WAELBROECK, D., SLATER, D. et EVEN-SHOSHAN, G. in Study on the conditions of claims for damages in case of infringement of EC competition rules, août 2004, disp. sur le site de la Commission européenne

    39 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final: Non publié au Journal officiel] ; Trouvé le 2 août 2016 : hhttp:// eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120

    40 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 3. : « dans la pratique, les victimes d'infractions aux règles de concurrence communautaires n'obtiennent, à ce jour, que rarement réparation des dommages subis. [...] Le meilleur moyen de lutter contre l'inefficacité actuelle des actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles de concurrence consiste à combiner des mesures tant au niveau communautaire qu'au niveau national, en vue de garantir, dans chaque État membre, une protection minimale effective du droit des victimes à obtenir des dommages et intérêts, en application des articles 81 et 82, ainsi que des conditions plus équitables pour tous et une sécurité juridique accrue dans l'ensemble de l'UE ».

    41 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 97

    42 terme d'ailleurs utilisé par PIETRINI, Silvia in L'action collective en droit des pratiques anticoncurrentielles, Bruylant, août 2012

    19

    Se dévoile prosaïquement la traduction de l'idée de « class action », dérivée du droit américain ,

    43

    les Etats-Unis faut-il le rappeler restant le pays fondateur en matière d'antitrust.

    Dès lors, « class » peut se traduire en français par une classe, soit un ensemble de personne ayant des caractères communs. En ce qui concerne le mot « action », il est la traduction de la capacité d'ester en justice. Ainsi, par « class action », il s'agit pour un ensemble de personnes ayant des caractères communs de s'ester en justice ensemble, ce qui a pu ainsi être traduit par une action collective. Plus précisément, d'un point de vue processuel, la doctrine a pu définir l'action collective comme l'action qui : « consiste à réunir dans une seule instance, donnant lieu à un seul jugement, la réparation de préjudices individuels multiples ayant une origine commune ».

    44

    En ce qui concerne le préjudice, il existe deux typologies de dommages possibles : un « dommage sériel », c'est-à-dire un même dommage causant différent préjudice selon la victime ou un « dommage collectif », dommage unique affligé à l'intérêt général.

    Réunir dans une seule instance une multiplicité de victimes d'un cartel pour se voir réparer par une seule décision un dommage pluriel (de l'ensemble des consommateurs, de certains consommateurs ayant une préjudice propre) apparaît comme un moyen de concentration, facteur d'efficience pour le droit de la concurrence par le truchement du private enforcement. À titre d'exemple45, aux Etats-Unis, cinq industriels du tabac se sont faits poursuivre par les victimes du tabac dans l'Etat de Floride (par le biais d'une class action) donnant lieu en 2000 au versement de 145 milliards de dollars de dommages et intérêts .

    46

    16. Collectivité de demandeurs. L'action individuelle ou collective n'est que la traduction d'un

    pouvoir coercitif, d'une menace qui pèse sur des acteurs hors-la-loi. Le fait d'agir en justice n'est qu'un mécanisme parmi d'autres pour que s'exerce le monopole de la « violence légitime » telle que définie par le législateur. La coercition s'exerce avant tout par la persuasion plus que par la sanction, même si le premier n'a de raison d'être que parce que le second existe de manière effective. Ainsi, au-delà de ce qui relève de la puissance publique et de la souveraineté étatique, apparaît que les citoyens (dans le cadre légal) peuvent de manière logique appréhender leurs droits en une multitude de pouvoirs. En effet, par le procès privé s'oppose deux parties, deux poids qui se jaugent et où le juge apparaît comme un tiers pesant la véracité des arguments avancés.

    Subséquemment, le fait d'agir en justice apparaît de manière générale comme une menace pour le défendeur (même si le droit d'agir en justice prend aussi pour le défendeur la forme de demande reconventionnelle) et c'est ici que les actions collectives du fait de l'agrégation joue un rôle central de coercition. Concentrer les demandes contrebalance l'iniquité de fait du procès entre d'une part

    43 plus précisément, la procédure de « class action » a été introduite en 1938 aux Etats-Unis (règle 23 de la procédure civile fédérale) avec la possibilité de dommages et intérêts et d'une injonction. Sous l'impulsion de Ralph Nader, le texte a par la suite été modifié en 1966, laissant place au modèle contemporain de class action.

    44 CALAY-AULOY, Jean in Pour mieux réparer les préjudices collectifs, une class action à la française ?, La Gazette du Palais, 28:29 septembre 2001, p. 13.

    45 exemple à nuancer du fait du treble damages propre au droit antitrust américain

    46 Engle c/ R.J. Reynolds Tobacco Co., arrêt du 6 Novembre 2000, No. 94:08273 CA:22, 2000 WL 33534572 (Fla. Cir. Ct. Nov. 6, 2000).

    20

    un consommateur profane et une entreprise experte, mais surtout un acteur ayant certains moyens financiers propre à soutenir un procès et des avocats qualifiés. De facto, le choix du contentieux pour un consommateur qui a peut être été lésé de quelques euros ou même centimes apparaît improbable si ce n'est inopportun. Cette opportunité s'évapore et les entreprises sont promptes à enfreindre la loi sans probabilité de sanction possible efficiente (au regard du « contentieux privé »). Mais la « collectivité » des demandeurs, elle, peut avoir un intérêt à agir, du fait de l'agrégation des préjudices et des moyens. À partir de ce constat de capacité à agir, il est nécessaire de regarder la manière dont va être mise en oeuvre ce pouvoir d'agir. En effet, il existe deux voies possibles : la voie judiciaire et la voie extrajudiciaire. Deux voies distinctes mais pas inconciliables, l'une pouvant être les prémices d'une autre, l'une pouvant se mêler à l'autre, l'une pouvant influencer la manière dont s'exerce l'autre.

    Par conséquent, séparer les deux voies semblent totalement abscons, la mise en place d'une stratégie du règlement des actions collectives pour les entreprises ou les consommateurs demandeurs à l'action nécessite la prise en compte dans le contentieux de ces deux modalités de voie d'action.

    17. Règlement consensuel des actions collectives. L'action collective suppose un litige qui va

    prendre forme au travers de la voie judiciaire ou extrajudiciaire.

    La voie judiciaire est typiquement connue, elle présuppose la saisine d'une juridiction et s'empreigne véritablement du système juridique auquel elle est soumise (par exemple, au niveau procédural tant au niveau interne qu'européen apparait de larges différences selon les cultures juridiques propres à chaque État). La voie extrajudiciaire, elle, se démarque par son consensualisme, voie ouverte par le seul consentement des deux parties engagées. Ainsi, qu'un accord existe a priori ou a posteriori les parties s'accordent pour se dégager du système judiciaire classique. Le règlement consensuel est donc avant tout le règlement extra-judiciaire d'un litige, sa définition peut comprendre ou non l'arbitrage, car celui-ci est une solution imposées aux parties (le consensualisme ne reposant que sur la délégation à un tiers de la mission de juger les parties). En toute hypothèse, le règlement consensuel peut prendre place au travers de la médiation, la conciliation ou encore la transaction. C'est ce dernier type de mode de règlement alternatif des litiges qui est aujourd'hui le plus usuel en droit de la concurrence. En effet, l'étude du règlement consensuel des actions collectives ne peut pas se faire sans regarder outre-Atlantique avec le succès relatif que connaît la transaction qui représente 95% du traitement du private enforcement . L'état

    47

    larvaire du contentieux privé en Europe explique peut être la volonté des institutions européennes de promouvoir les modes de règlement alternatif, même s'il est vrai que ce mouvement est plus large et s'inscrit dans une politique globale48 commencée depuis le Conseil de Tampere de 1999.

    47 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe)

    48 Regulation (EU) No 524/2013 of the European Parliament and of the Council of 21 May 2013 on online dispute resolution for consumer disputes and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC (Regulation on consumer ODR)

    21

    La question au travers du règlement consensuel est avant tout pour les parties à l'action de comprendre les modalités des actions collectives, que ce soit au travers de leur fondement, de leur efficacité ou tout simplement de questions pratiques sur le droit international privé applicable. Le règlement consensuel s'impose dans un second temps comme un mode de traitement curatif du risque des actions collectives en droit européen car il présente des avantages que n'offre pas le traitement contentieux, notamment en terme de coût et de rapidité.

    18. Révolution de la directive n°2014/104. La directive n°2014/104 (qui doit être transposée
    d'ici décembre 2016) vient en partie révolutionner le paysage juridique des actions en dommages et intérêts qui sont regardées comme un complément du travail des autorités publiques. Face à ces deux facettes du droit de la concurrence, la directive propose d'accroître leur coordination tout en respectant le droit à la réparation intégrale du préjudice. Pour cela, elle facilite la production de preuves, affirme l'autorité des décisions des autorités de concurrence ou protège l'intérêt du programme de clémence. Par ailleurs, elle crée un chapitre entier sur le règlement consensuel et offre à cette voie extra-judiciaire des caractéristiques attractives en terme économique (notamment par une possible réduction de l'amende des autorités nationales de concurrence). Au demeurant, la directive sur les actions en dommages et intérêts pour violation du droit de la concurrence européen est aussi le moment d'une consécration de principes jurisprudentiels acquis depuis longtemps. Elle est surtout un moyen d'harmoniser les procédures des Etats membres de manière horizontale évitant les inégalités de traitement et l'insécurité juridique qui prévalaient jusque là.

    19. Opportunité et stratégie. La révolution juridique engendrée impose de repenser le
    positionnement tant des entreprises que des consommateurs face aux actions collectives telles qu'elles se présentent aujourd'hui au travers des différents systèmes juridiques au sein de l'Union européenne. A priori, pour les entreprises s'impose un nouveau défi de gestion de ce type de contentieux, un risque nouveau. Pour les consommateurs (ou plus globalement les victimes) se propose une opportunité qu'il faudra gérer de manière efficiente.

    Néanmoins, penser une opportunité et/ou une stratégie n'a de sens qu'en ce qu'elle s'inscrit dans une perspective, un point de vue propre à un acteur. À titre liminaire, en ce qui concerne le point de vue, l'objet de notre étude sera faite au regard des entreprises, néanmoins sera traité tout autant le positionnement du consommateur comme un miroir à chaque situation analysée en l'espèce et comme un risque et ou une opportunité à prendre en compte. Se présente donc à cet acteur un risque nouveau qu'il faudra analyser pour ensuite s'interroger sur sa possible gestion. En outre, comme un médecin il faudra d'abord cerner les tenants et aboutissants du risque avant de proposer un traitement palliatif.

    À ce titre, la gestion de ce changement de circonstance, de cette opportunité, nécessite tout d'abord d'analyser l'environnement juridique et le risque actuel et potentiel des actions collectives (Partie 1). Par la suite, il conviendra de se pencher sur la gestion de ce risque par le règlement extrajudiciaire des actions collectives (Partie 2).

    22

    « Lorsque le coup de tonnerre éclate, il est trop tard pour se boucher les oreilles. » SUN TZU in L'art de la guerre, chapitre I, Champs classiques, page 127

    23

    PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA CONCURRENCE

    20. Risque actuel et risque potentiel. L'analyse d'une opportunité et d'une stratégie du

    règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives en droit européen de la concurrence nécessite un préalable de détermination du risque en question constitué par les actions collectives. Risque, c'est-à-dire possibilité, probabilité d'un fait, d'un événement considéré comme un mal ou un dommage qui s'incarne ici par l'action collective.

    Il ne sera pas nié qu'une « action collective » ne puisse être qualifiée ontologiquement de risque, mais comme il a été dit supra penser une stratégie nécessite bel et bien d'adopter téléologiquement un point de vue. Dès lors, le choix est fait de penser ce renforcement voulu du private enforcement comme un risque pour les entreprises (du fait d'une possible meilleure efficience de celui-ci par le biais des actions collectives).

    Ce risque, certes, n'est pas indépendant des faits de l'entreprise (au sens large) subissant une action en justice, le demandeur démontrant bel et bien un intérêt à agir contre cette entreprise, néanmoins il s'agit ici non pas de caractériser les comportements fautifs ou non, mais de gérer les demandes suite à ces comportements. Dès lors, ce risque des actions collectives en droit de la concurrence, nécessitera dans un premier temps de faire un état des lieux du risque actuel (Titre 1), pour ensuite, appréhender de manière spéculative le risque potentiel encouru (Titre 2).

    24

    Titre 1 - Risque actuel

    21. Droit de la concurrence européen et droits internes de la concurrence. Derrière la

    question des actions de groupe en droit de la concurrence se pose indubitablement le droit de la concurrence applicable et son champ d'application. En effet, « quel droit de la concurrence » pour les actions collectives et « quelle action collective » ?

    Quel droit de la concurrence ? La question semble déjà laisser présager la réponse : le droit de la concurrence européen. Néanmoins, faut-il rappeler qu'aucun règlement ne régit les actions collectives en droit européen et qu'en l'état actuel seule une directive qui sera étudiée infra (cf. Titre 2) donne un régime juridique concernant uniquement les actions en dommages et intérêts, permettant une certaine harmonisation sur ce point.

    Quelle action collective ? Les modalités juridiques des actions collectives sont souvent dépendantes des traditions juridiques de chaque État. Par exemple, il suffit de penser notamment aux dommages punitifs toujours refusés dans la tradition juridique française (se limitant à la réparation intégrale

    49

    du préjudice) alors qu'ils sont ancrés dans la tradition du Common Law, ou encore à la procédure de discovery ou au mareva injuction totalement inconnues en droit latin. Se dégage ainsi au sein de

    50 51

    l'Union européenne une « diversité d'action collective » qu'il sera nécessaire de regarder plus en profondeur (tout de même dans un souci de clarté et de concision, tous les systèmes juridiques ne seront pas regardés, l'Europe étant constituée de plus de 28 pays et donc d'autant de systèmes juridiques).

    À ce titre, il semble opportun, en ce qui concerne le risque actuel des actions collectives, d'éclaircir dans un premier temps, les racines juridiques de cette modalité d'agir en droit de la concurrence européen (Chapitre 1), pour ensuite se pencher sur l'inégalité des droits substantiels et procéduraux des actions collectives en concurrence dans les États membres (Chapitre 2).

    49 défini dans le Black's Law Dictionary comme : « la sanction financière prononcée à l'encontre de la partie succombante afin de sanctionner son comportement »

    50 se caractérisant comme une modalité procédurale employée par une partie lors d'une action au civil ou au pénal, avant un procès, pour requérir de la partie adverse de divulguer des informations qui sont essentielles pour la demande et que seule l'autre partie connaît ou possède.

    51 qui peut être défini comme : « temporary injunction that freezes the assets of a party pending further order or final resolution by the Court, so named after the case which allowed the remedy », la sanction qui est le « contempt of court » en fait la spécificité, celle-ci pouvant parfois prendre la forme d'une sanction pénale (c.f. Mareva Compania Naviera SA v. International Bulkcarriers SA, [1975] 2 Lloyd's Rep 509 (C.A. 23 June 1975). , [1980] 1 All ER 213)

    25

    Chapitre 1 - Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen

    22. Être et devoir-être. Nonobstant la nécessité certaine du développement du private
    enforcement
    par le biais des actions collectives est de l'essence même du droit européen qui a vocation à saisir ce contentieux (Section 1) et l'action majeure du droit prétorien venue pallier la carence textuelle (Section 2), le droit européen reste aujourd'hui incapable d'offrir un cadre légal efficient aux actions collectives comme cela peut être statiquement le cas notamment aux États-Unis52.

    Section 1 - Une vocation limitée du droit européen à promouvoir les actions collectives

    23. Droit substantiel et champ d'application. Pour saisir l'applicabilité du droit européen aux
    actions collectives en droit de la concurrence, il faut d'abord saisir le droit de la concurrence objet de ces actions collectives. Or, pour s'en saisir il apparaît impérieux d'une part, d'en peindre le champ d'application (1) et d'autre part, de pointer le droit substantiel qui en est l'objet (2).

    §1) Champ d'application matériel du droit européen concurrentiel

    24. Union européen et droit de la concurrence. Avant de plonger plus en avant dans le champ
    d'application ratione loci de ce droit concurrentiel, source de l'action collective, il faut regarder en quoi le droit de l'Union européenne a vocation à s'appliquer à cette hypothèse. L'Europe en tant que construction économique d'un « marché unique » a utilisé le droit de la concurrence comme un outil régulateur, en ce qu'il est normatif et dérégulateur, en ce qu'il permet de mettre à mal le protectionisme et les barrières nationales. Le droit de la concurrence européen est donc un outil essentiel à l'uniformisation européenne. Derrière cette uniformisation se transcrit une vision économique du marché économique tel qu'il devrait être. Ce que l'on a ainsi dénommé « l'économie sociale de marché » (Marktwirtschaft), qui s'organisera ainsi autour d'une forme d'ordre économique, appuyée sur des règles spécifiques. Suivant la tradition ordo-libérale, l'État, garant de la liberté individuelle dans la sphère économique, doit notamment empêcher que la concurrence ne soit entravée par le comportement des agents dominants, que ceux-ci soient privés ou publics.

    Ainsi, textuellement, l'article 3.3 du Traité de l'Union Européenne précise bien que:

    « l'Union établit un marché intérieur. Elle oeuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive ».

    52 représentant environ 90% du volume contentieux total selon Kathleen Maguire in Antitrust cases filed in U.S. District Courts, by type of case 1975-2010 dans Sourcebook of Criminal Justice Statistics. University at Albany, Hindelang Criminal Justice Research Center, (Table 5.41.2010).

    26

    Mouvement d'une prééminence du droit européen qui a conduit à élargir son champ de compétence au fur et à mesure du temps pour un intégration renforcée. Ainsi, en décembre 1989, soit plus de trente ans après la signature du Traité instituant la Communauté économique européenne et deux ans seulement avant la date butoir de 1992 assignée à l'achèvement du marché unique, les pays membres sont parvenus à un accord, qui a délégué à la Commission le pouvoir exclusif de contrôler les opérations de concentration de dimension communautaire. Par la suite, les diverses directives comme celle sur l'action en dommages-et-intérêts ou notamment les règlements concernant les accords de franchise , la procédure , les accords verticaux constituant des ententes confirment

    53 54 55

    cette tendance (comme aujourd'hui concernant la proposition sur le geo-blocking ).

    56

    La construction européenne a donc dès le départ posé le droit de la concurrence en pierre angulaire de sa fondation et son renforcement comme moteur à sa fortification.

    25. Champ d'application. Il apparaît nécessaire de regarder l'assise territoriale du droit

    européen de la concurrence.

    En premier lieu, conformément à l'article 52 du TUE qui dispose que le droit de la concurrence s'applique là ou le droit de l'Union s'applique, le droit européen de la concurrence régit les entreprises présentes sur le territoire de l'espace économique européen57(l'Union européenne, l'Islande, le Liechtenstein et la Norvège).

    En deuxième lieu, il faut ajouter une extension jurisprudentielle par le biais de la doctrine de l'effet. Selon cette théorie, les règles de concurrence nationale sont applicables aux entreprises étrangères, mais aussi aux entreprises nationales établies en dehors du territoire national, lorsque leurs comportements ou leurs opérations produisent un « effet » à l'intérieur de ce territoire.

    La nationalité des entreprises est dénuée de pertinence en termes d'application des règles en matière d'ententes, la théorie des effets vaut pour toutes les entreprises quelle que soit leur nationalité.

    La Cour de justice a appliqué cette théorie pour une entente58 au travers plus spécifiquement de l'idée de « mise en oeuvre » au sein de l'espace économique européen par les entreprises, restreignant l'applicabilité au seul « effet » au sein dudit espace. Par la suite, en ce qui concerne les

    53 Règlement (CEE) n°4087/88 de la Commission du 30 novembre 1988 concernant l'application de l'article 85 paragraphe 3 du traité à des catégories d'accords de franchise

    54 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

    55 Règlement (UE) n°33/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées.

    56 Proposal for a Regulation of the European Parliament and of the Council on addressing geo-blocking and other forms of discrimination based on customers' nationality, place of residence or place of establishment within the internal market and amending Regulation (EC) No 2006/2004 and Directive 2009/22/EC

    57 suivant l'article 3 du traité sur l'Union européenne

    58 notamment CJCE, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a. contre Commission (« Pâtes de bois »), affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129 / 85

    27

    concentrations, le Tribunal de première instance a pu user de cette théorie dans l'arrêt Gencor en

    59

    concluant que :

    « lorsqu'il est prévisible qu'une opération de concentration projetée par des entreprises établies à l'extérieur de la Communauté produise un effet immédiat et substantiel dans la Communauté, l'application du règlement n° 4064/89 [règlement sur les concentrations] est justifiée au regard du droit international public ».

    En troisième lieu, il faut ajouter la théorie de l'unité économique qui peut servir à imputer des agissements de filiales à leurs sociétés-mères établies en dehors de l'Union européenne, notamment l'arrêt du 14 juillet 1972 de la Cour de justice de la Communauté européenne (Imperial Chemical Industries Ltd. contre Commission des Communautés européennes, affaire 48-69 qui précise au point 139) :

    « Qu'à défaut d'indications contraires, il convient de penser qu'à l'occasion des hausses de 1965 et de 1967 la requérante n'a pas agi autrement dans ses rapports avec ses filiales établies dans le marché commun; Que, dans ces conditions, la séparation formelle entres ces sociétés, résultant de leur personnalité juridique distincte, ne pourrait s'opposer à l'unité de leur comportement sur le marché aux fins de l'application des règles de concurrence; Qu'ainsi, c'est bien la requérante qui a réalisé la pratique concertée à l'intérieur du marché commun; Qu'il n'y a donc lieu de déclarer que le moyen d'incompétence soulevé par la requérante n'est pas fondé; ».

    Plus spécifiquement, les articles 101, 102 du TFUE sur les ententes et abus de position dominante (cf. infra) s'appliquent aux situations « susceptibles d'affecter le commerce entre États membres ».

    60

    La notion de « commerce » n'est pas limitée aux échanges transfrontaliers traditionnels de produits et de services, mais a une portée plus large qui recouvre toute activité économique internationale, y compris l'établissement. Cette interprétation concorde avec l'objectif fondamental du traité consistant à favoriser la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux.

    La condition de l'existence d'une affectation du commerce « entre pays de l'Union européenne » suppose qu'il doit y avoir une incidence sur les activités économiques transfrontalières impliquant au moins deux pays de l'UE ; La notion « susceptible d'affecter » met en exergue que l'accord en cause doit, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre pays de l'Union européenne. De plus, il faut que cela affecte « de manière sensible » le commerce (règle de minimis61), par exemple, dans sa communication concernant les accords d'importance mineure, la Commission déclare que les accords entre petites et moyennes entreprises sont rarement en mesure d'affecter sensiblement le

    59 Tribunal de première instance (TPI), arrêt du 25 mars 1999, Gencor contre Commission, affaire n° T-102/96

    60 Communication de la Commission - Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité [Journal officiel n° C 101 du 27.4.2004].

    61 avec notamment des indications utiles comme le seuil de 40 millions de chiffre d'affaires hors taxe et du seuil de 5% de part de marché

    28

    commerce entre pays de l'Union. Le lieu d'établissement de l'entreprise ou de conclusion de l'accord est en toute état de cause irrelevant . De ces deux textes, combinés avec l'article 106 du

    62

    TFUE (pour les entreprises publiques) apparaît l'essence même du private enforcement (en dehors du droit des aides d'Etat ou des concentrations) mais reste la question de leurs articulations avec les juridictions et droits internes.

    26. Prééminence du droit européen. Comme le pointait déjà l'Avocat général Warner : « le
    droit communautaire et le droit national opèrent en combinaison, le dernier occupant le terrain lorsque le premier le quitte
    ». D'un point de vue du partage de compétence, après la réforme du

    63

    règlement 17/62 , il y a la mise en place d'un système décentralisé d'application du droit

    64

    européen ; par le biais notamment d'une zone de sécurité offerte par la mise en place d'exception légale (exemption légale). Tout de même, la compétence de la Commission reste exclusive de celle des juridictions ou autorités administratives des Etats membres nommés sous le vocable d'autorité nationale de concurrence (ANC)65, les Etats membres ont donc une compétence subsidiaire.

    Néanmoins, reste que les ANC doivent appliquer le droit de la concurrence européen si les autorités européennes ne l'appliquent pas et qu'il est applicable (traduisant la décentralisation du contentieux concurrentiel), et ceci, en sus de l'application du droit national de la concurrence (qui en tout état de cause ne peut être contraire en droit européen). Le droit européen s'impose donc comme un standard à suivre, une base minimale du droit concurrentiel qui peut même servir de grille de lecture au droit interne. Ainsi, existe une complémentarité du droit interne et du droit européen même si celle-ci n'est que le reliquat du la prééminence du droit européen.

    §2) Droit substantiel de la concurrence comme assise à l'action individuelle

    27. Entente/abus de position dominante et préjudice individuel. Concrètement en ce qui
    concerne le droit « substantiel » (en ce qu'il se distingue de la procédure), il convient de regarder les abus au droit de la concurrence au travers des abus de position dominante et les ententes.

    En effet, c'est bien ces situations qui engendrent un surcoût direct pour le consommateur et pourraient fonder son droit d'agir en justice en se fondant sur le droit européen de la concurrence. Par ces normes c'est le fondement même du droit européen de la concurrence comme norme invocable par le citoyen qui est en jeu et donc subsidiairement une possible action collective sur ce fondement. En outre, les aides d'Etat relèvent d'un contentieux propre n'incluant pas la possibilité

    62 Lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (Communication de la Commission) au considérant 100: « Les articles 81 et 82 s'appliquent aux accords et pratiques susceptibles d'affecter le commerce entre États membres, même si une ou plusieurs des parties sont établies à l'extérieur de la Communauté (78). Les articles 81 et 82 s'appliquent quel que soit le lieu d'établissement des entreprises ou le lieu de conclusion de l'accord, à condition que l'accord ou la pratique soit mis en oeuvre (79) ou ait des effets (80) à l'intérieur de la Communauté »

    63 CJCE, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, Rec. 1989, et Comet, aff. 45/76, Rec. 2043, conclusions Warner.

    64 CEE Conseil: Règlement n° 17: Premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité

    65 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

    29

    directe pour un consommateur de s'ester en justice, celui-ci n'étant pas la victime de la « rupture » d'égalité concurrentielle. En ce qui concerne le contrôle des concentrations, il s'agit d'un contrôle anticoncurrentiel a priori, en toute hypothèse le contentieux relève de l'action des ANC et de la Commission qui à défaut de notification peuvent notamment ordonner des injonctions et des amendes subséquentes. Au demeurant, de manière complémentaire, la sanction des concentrations peut a posteriori s'effectuer au travers du droit des ententes et des abus de position dominante. Ces deux hypothèses ne seront donc peu ou prou pas développées, l'étude du risque se faisant au travers du droit des pratiques comportementales de la concurrence (et non structurelles).

    En ce qui concerne, les ententes le professeur Dubouis les définit comme : « les accords ou pratiques concertés entre entreprises qui ont pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence, donc d'une manière certaine de cloisonner le marché ».

    66

    Autrement dit, il s'agit de tout partage de marché, fixation de quota de production ou accord sur les prix entre entreprises pour les maintenir artificiellement élevés. Ces différents comportements faussent le marché, au détriment des consommateurs et des autres producteurs victimes de ces pratiques, qui paient leurs biens de consommation à un prix plus élevé ou sont évincés.

    L'article 101 § 1 et § 2 TFUE (remplacement l'article 81 du Traité instituant la Communauté européenne67) dispose ainsi que :

    « 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à:

    a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction,

    b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements,

    c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement,

    d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

    e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats.

    2. Les accords ou décisions interdits en vertu du présent article sont nuls de plein droit. »

    Cet article fonde le principe de la nullité de plein droit des accords ou décisions interdites avec un effet direct. Dès lors, il appartient aux juridictions nationales de constater la nullité des dispositions concernées et d'en déterminer les effets. De plus, cette nullité a un caractère absolue, ce qui rend

    66 DUBOUIS, Louis et BLUMANN, Claude in Droit matériel de l'Union Européenne, 6ème Edition Domat droit public Montchrestien, année 2012

    67 en outre, lors de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er décembre 2009, les articles 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne sont devenus les articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne restant identiques en substance

    30

    l'accord imposable aux tiers , et a, en principe, un caractère rétroactif . Qui plus est, des sanctions

    68 69

    pécuniaires peuvent être infligées par la Commission à l'entreprise contrevenante dans le cadre du public enforcement.

    En ce qui concerne les abus de position dominante, il s'agit de la situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur un marché, en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis de ses concurrents. En outre, cette domination est appréciée in concreto. Le fait qu'elle existe n'est pas en soi sanctionnable car uniquement l'abus de position dominante est sanctionné (sans regarder son caractère intentionnel ou non d'ailleurs ).

    70

    L'article 102 TFUE dispose quant à lui que :

    « Est incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

    Ces pratiques abusives peuvent notamment consister à :

    a) imposer de façon directe ou indirecte des prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction non équitables,

    b) limiter la production, les débouchés ou le développement technique au préjudice des consommateurs,

    c) appliquer à l'égard de partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes, en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence,

    d) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

    En outre, la sanction est prévue aux articles 5 et 7 du règlement n°1/2003 prévoyant notamment que la Commission ou les autorités nationales de concurrence (ANC) peuvent imposer des sanctions pécuniaires en cas d'infraction.

    La philosophie de ces textes s'inscrit dans un logique de public enforcement ou « contentieux objectif », en effet, il s'agit ontologiquement de fournir à la Commission les moyens juridiques de

    71

    sanctionner un cloisonnement du marché mais pas de nourrir le « contentieux subjectif ».

    Cela apparaît par exemple au regard des sanctions qui sont essentiellement la nullité et des amendes permettant uniquement de rétablir l'ordre public économique.

    68 CJCE, arrêt du 25 novembre 1971, Béquelin, 22/71 Rec. 549.

    69 CJCE, arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec.77.

    70 CJCE, arrêt du 13 février 1979. Hoffmann-La Roche & Co. AG contre Commission des Communautés européennes.

    71 en ce que le préjudice causé s'apprécie de manière objective et non subjective, c'est-à-dire au regard d'un acteur en particulier

    28.

    31

    Harmonisation de la politique européenne de concurrence Le droit substantiel étudié ne
    peut être efficient que s'il est appliqué de manière homogène.

    En outre, les directives successives et règlements (notamment le règlement n°1/2003 sur la procédure) assurent une harmonie législative certaine, renforcée par les lignes directrices de la Commission qui servent de grille de lecture72 et sont utilisées tant par les juridictions européennes qu'internes. De plus, dans tous ces textes, le droit européen est fondé sur des définitions propres, des notions « autonomes » qui sont souvent différentes que celles des droits nationaux, la définition donnée soit par les textes ou lignes directrices ou par le juge européen permet une homogénéité d'interprétation ; sans oublier que la plupart des dispositions sont d'effet direct. Cette interprétation uniforme est surtout permise par les questions préjudicielles, où une juridiction nationale interroge la Cour de justice de l'Union européenne sur le droit de l'Union européenne. Qui plus est, celle-ci est aussi assurée par le Réseau européen de la concurrence (REC), structure informelle, facilitant la coordination entre les autorités chargées de la concurrence. Au demeurant, ce réseau est aussi essentiel en tant qu'outil permettant une certaine homogénéité dans l'application du droit de la concurrence européen par chaque Etat membre.

    Cette harmonisation permet une sécurité juridique. En outre, l'étude de l'analyse économique de cette norme (hard ou soft law) entre dans la nécessaire gestion par l'acteur soumis à celle-ci (l'entreprise essentiellement) du cadre analytique et de la grille de lecture à prendre en compte, au delà même d'une opportunité, il s'agit d'une nécessité. Dès lors, la stratégie ne pouvant se déployer vis-à-vis de ces institutions, au-delà d'une « stratégie de rupture », que par une communication dans la même langue, le même dialecte et la règle doit mutatis mutandis suivre une logique compréhensive, pour les sujets de droit, sur un marché unique.

    29. Rapport entre les articles 101 et 102 TFUE et le private enforcement. Malgré ces textes
    normatifs (articles 101 et 102 TFUE) prévoyant des normes concurrentielles, apparaît le constat qu'avant la directive n°2014/104 aucun texte européen n'avait prévu des modalités techniques de possibles actions collectives pour violation desdits textes. Pire encore, aucun texte ne prévoyait les modalités du private enforcement, c'est-à-dire qu'aucun texte européen ne donnait un droit à agir au consommateur lésé du fait d'une entente ou d'un abus de position dominante. Il y avait donc un vide juridique sidéral dans l'efficience même du droit antitrust européen.

    Ainsi, le préjudice des entreprises victimes et des consommateurs était laissé au seul droit interne des Etats membres de l'Union européenne. Mais comment expliquer cette incapacité à légiférer sur ce point crucial ? Ce néant juridique pouvait s'expliquer en particulier par la volonté d'établir en priorité l'efficience du marché unique par le public enforcement et les quatre piliers : libre circulation des biens, libre circulation des capitaux, libre circulation des services, libre circulation des personnes (ceci au détriment du private enforcement dont l'application est délocalisée dans les ANC).

    72 comme précisé par le Conseil Constitutionnel français (Décision n° 00-D-82 du 26 février 2001) : « règlement précité, sans être applicable à une affaire dans laquelle seul le droit national a été invoqué, peut constituer un guide d'analyse utile ».

    32

    Face à ce constat et à l'inaction du législateur européen, le juge intervient donc pour développer le contentieux subjectif . Pour cela, le juge communautaire a fait preuve d'ingéniosité pour combler

    73

    le vide juridique et a créé de manière prétorienne des droits subjectifs aux particuliers, victime d'une violation de l'ordre public économique.

    Section 2 - Un accroissement prétorien du droit d'agir des victimes limité

    30. Action prétorienne et reconnaissance de droit. Comme souvent les juges européens ont
    joué un rôle central pour combler le droit de la concurrence, ainsi ils ont cherché à étendre son application par le biais de la reconnaissance de la qualité à agir en cas de faute concurrentielle (1) mais aussi, par une analyse plus profonde du préjudice économique (2).

    §1) Extension de la qualité à agir

    31. Qualité à agir et intérêt à agir. La qualité à agir est le « titre juridique en vertu duquel on
    agit
    74», c'est donc au niveau processuel la forme que prend l'usage d'un droit substantiel.

    Par principe, la démonstration de l'intérêt à agir suffit pour agir en justice sauf si le législateur a créé des actions attitrés où une certaine qualité à agir est demandée (traduisant ainsi une certaine politique juridique).

    32. Extension prétorienne du droit à réparation. Un coup de tonnerre éclate dans le ciel du
    temple concurrentiel quand résonne le 20 septembre 2001 l'arrêt Courage qui affirme, malgré le vide textuel, que le droit à réparation75 des infractions au droit de la concurrence tire son fondement des principes du droit communautaire et qu'il s'applique dans certaines conditions à tous, du particulier à l'entreprise contrevenante. En outre, les juges pointent que le droit substantiel et son effectivité signifient pour les justiciables l'existence nécessaire d'un droit subjectif d'action. Plus précisément, celui-ci découle de l'effet direct horizontal des articles 101 et 102 TFUE qui

    73 ALBORS-LLORENS, Albertina in Courage v. Crehan: Judicial activism or consistent approach ?, Cambridge Law Journal, vol. 61 issue 1 march 2002, p. 38 : « the judgment can be construed as an endorsement from the Court of [...] the Commission's competition policy. [...] it implicitly favours the achievement of the main objective pursued by the recent proposals for the reform of the current system of enforcement of the EC competition rules, namely the fully decentralised application of article 81 EC ».

    74 VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence. Union européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse, États-Unis, p. 36.

    75 il faut noter que ce droit à réparation a une assise constitutionnelle en droit français (cf. Conseil constitutionnel, décision n°2010-2 QPC du 11 juin 2010, Mme Viviane L., considérant 11 : « Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la Déclaration de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » ; qu'il résulte de ces dispositions qu'en principe, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que la faculté d'agir en responsabilité met en oeuvre cette exigence constitutionnelle ; que, toutefois, cette dernière ne fait pas obstacle à ce que le législateur aménage, pour un motif d'intérêt général, les conditions dans lesquelles la responsabilité peut être engagée ; qu'il peut ainsi, pour un tel motif, apporter à ce principe des exclusions ou des limitations à condition qu'il n'en résulte pas une atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'actes fautifs ainsi qu'au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration de 1789 »)

    33

    « produisent des effets directs dans les relations entre les particuliers et engendrent des droits dans le chef des justiciables ».

    76

    L'arrêt se contente ici de reprendre la formule de principe utilisée par les arrêts Van Gend & Loos77, Francovitch78 ou Delimitis79, qui concernaient eux la responsabilité des Etats, selon laquelle les sujets de l'ordre juridique communautaire :

    « sont non seulement les Etats membres, mais également leurs ressortissants et que, de même qu'il crée des charges dans le chef des particuliers, le droit communautaire est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité impose d' une manière bien définie tant aux particuliers qu'aux Etats membres et aux institutions communautaires ».

    Cette qualité à agir en réparation du préjudice a une autre justification théorique qui ressort, par ailleurs de la nature même de la sanction qui est une nullité « absolue » c'est-à-dire invocable par quiconque. Comme le souligne les Conclusions de l'Avocat général M. Jean Mischo présentées le 22 mars 2001 :

    « 22. Comme la nullité de plein droit constitue, ainsi que la Commission l'a rappelé à juste titre, la sanction fondamentale prévue par l'article 81, paragraphe 2, CE en ce qui concerne les contrats interdits en vertu du paragraphe 1 du même article, tout obstacle opposé à cette sanction, en l'espèce par une interdiction pour le cocontractant de l'invoquer, priverait partiellement cette dis- position d'effet. »

    L'arrêt étonne aussi par l'extension du droit à réparation à une partie membre d'un accord anticoncurrentiel et de l'utilisation du concept d' « effet utile » pour asseoir le droit à réparation ; en effet l'arrêt dit bien que :

    « 26. La pleine efficacité de l'article 85 du traité et, en particulier, l'effet utile de l'interdiction énoncée à son paragraphe 1 seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage que lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence.

    27. Un tel droit renforce, en effet, le caractère opérationnel des règles communautaires de concurrence et est de nature à décourager les accords ou pratiques, souvent dissimulés, susceptibles de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence. Dans cette perspective, les actions en dommages-intérêts devant les juridictions nationales sont susceptibles de contribuer substantiellement au maintien d'une concurrence effective dans la Communauté. »

    76 CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, §23

    77 CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26-62, NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre Administration fiscale néerlandaise, Rec. p. 3, pt. 23

    78 CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et a. contre République italienne, Rec. p. I-5357, pt. 31

    79 CJCE, arrêt du 28 février 1991, Aff. C-234/89, Delimitis, Rec. p. I-935.

    34

    En outre, comme le pointe David Bosco : « une partie à un accord prohibé par l'article 81 CE doit pouvoir réclamer une indemnisation à son cocontractant s'il ne porte pas une responsabilité significative dans la distorsion de concurrence80».

    M. l'Avocat général Mischo argumentait sur ce sens en vertu du : « 39. [É] principe de droit selon lequel une partie ne peut profiter de sa propre turpitude ». Il aurait pu être rétorqué (suivant d'ailleurs le raisonnement de la jurisprudence anglaise sur ce point) que le contrat est la « chose des parties », le consentement mutuel est la traduction juridique d'une volonté commune d'atteindre un objectif partagé qui se traduit par le contrat. Ainsi, l'action en réparation du contractant a pour objet de profiter d'une situation juridique que le cocontractant a lui même façonné et ainsi se prévaloir de sa propre turpitude.

    De jure, le raisonnement susmentionné semble juste, mais de facto, cela serait faire fi de la réalité économique qui entoure le contrat. Le déséquilibre dans la négociation contractuelle s'impose parfois comme une condition même du contrat pour une partie faible (face à la puissance de négocier de la partie économiquement forte). C'est cette solution pragmatique que les juges européens ont choisi en demandant de rechercher la responsabilité dans la distorsion de concurrence. Ce qui demande aux juges dans leurs appréciations souveraines de regarder par exemple le contexte économique et juridique, le pouvoir de négociation de chacun pour savoir si le demandeur a été le véritable instigateur de l'entente illicite ou si celle-ci lui a plutôt été imposée par son partenaire ; l'action étant refusée si la partie demanderesse a « responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence ». Le Cour de justice pose tout de même une garde-fou qui est que la protection offerte par le droit communautaire : « n'entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants droit81 ».

    Toutefois, consciente de l'absence d'harmonisation européenne, la Cour de justice mentionne la nécessité d'avoir recours aux droits nationaux concernant les modalités procédurales capables d'assurer les droits que les justiciables tirent de l' « effet direct » du droit communautaire82.

    Elle renvoie ainsi au principe de l'autonomie procédurale des États membres. Autonomie bornée par les principes d'équivalence et d'effectivité. En outre, les modalités en question ne doivent en effet pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de nature interne, et ne doivent pas non plus rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice des droits conférés.

    Néanmoins, comme le soulève Guillaume Zambrano, en utilisant le critère de responsabilité « significative » comme critère préalable à la responsabilité de la partie adverse, la Cour de justice de manière prétorienne introduit un nouveau élément au droit substantiel de la responsabilité

    80 BOSCO, David in Note sous CJCE, 20 septembre 2001, Courage Ltd et Bernard Creham, aff. C-453/99 Droit 21, 2001, Chr., AJ 462

    81 point 30 et voir, notamment en ce sens : CJCE, arrêt du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission, 238/78, Rec. p. 2955, point 14

    82 le droit anglais, la jurisprudence italienne et le législateur allemand ont dû étendre ainsi le droit d'agir à « toute personne »

    35

    (formant un élément conditionnel substantiel d'un droit communautaire de la responsabilité concurrentielle au niveau européen), en outre :

    « la notion de responsabilité significative dans la distorsion marque la communautarisation du fait générateur de responsabilité civile en cas d'infraction au droit de la concurrence. Une communautarisation de fond et non seulement de procédure. Saisie d'une question préjudicielle en matière de procédure civile, la Cour rend en réalité un arrêt touchant à la substance même de la faute ouvrant droit à réparation en cas d'infraction au droit communautaire de la concurrence83».

    33. Arrêt Manfredi. Par la suite, cette approche pragmatique de la juridiction suprême
    européenne a pu être confirmée et précisée par l'arrêt Manfredi, dans lequel la Cour vient réaffirmer l' « effet direct horizontal » de l'article 101 TFUE, salvateur de droits subjectifs :

    « En l'absence de dispositions communautaires en ce domaine, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les critères permettant de déterminer l'étendue de la réparation du préjudice causé par une entente ou une pratique interdite par l'article 81 CE, pour autant que les principes de l'équivalence et d'effectivité soient respectés.

    Dès lors, d'une part, conformément au principe de l'équivalence, si des dommages-intérêts particuliers, tels que des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs, peuvent être alloués dans le cadre d'actions nationales semblables aux actions fondées sur les règles communautaires de concurrence, ils doivent également pouvoir l'être dans le cadre de ces dernières actions. Toutefois, le droit communautaire ne fait pas obstacle à ce que les juridictions nationales veillent à ce que la protection des droits garantis par l'ordre juridique communautaire n'entraîne pas un enrichissement sans cause des ayants droit.

    D'autre part, il résulte du principe d'effectivité et du droit du particulier de demander réparation du dommage causé par un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence que les personnes ayant subi un préjudice doivent pouvoir demander réparation non seulement du dommage réel (damnum emergens), mais également du manque à gagner (lucrum cessans) ainsi que le paiement d'intérêts. »

    34. Extension de la qualité à agir à l'Union. L'extension du droit d'agir s'est même faite à
    l'Union européenne elle-même lorsque, en tant qu'opérateur économique, elle a été victime d'une

    84

    pratique anticoncurrentielle. Le droit d'action de la Commission pour agir en réparation au nom de

    83 ZAMBRANO, Guillaume in L'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence, étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p.43

    84 CJUE, arrêt du 6 nov. 2012, Europese Gemeenschap v Otis NV and Others, aff. C-199/11

    36

    l'Union lorsqu'elle subit un dommage concurrentiel a ainsi été assis . C'est la suite logique de

    85

    l'arrêt Courage avec l'ouverture du droit à réparation à toute victime mais cela pointe aussi le rôle modèle que veut jouer la Commission dans le développement du private enforcement.

    §2) Extension du préjudice

    35. Extension de la capacité à agir et effet parapluie. La Cour de justice a par la suite

    consacré le droit à réparation du concurrent victime d'une entente en ce qu'il a été contraint d'augmenter ses prix. Ainsi, les juges ont aussi étendu la capacité à agir des victimes en reconnaissant un nouveau préjudice. En effet, la question préalable, au-delà de l'exercice de l'action, est la caractérisation de la pratique et du montant du préjudice. Un arrêt de la CJUE du 5 juin 2014 dit KONE AG est éclairant sur ce point. En effet, en ce qui concerne le préjudice, dans

    86

    une appréciation économique de la situation, les juges reconnaissent pour la première fois, le préjudice issu de l'« umbrella pricing » ou « effet parapluie » (ou encore « effet de prix de protection »). En outre, l'effet d'ombrelle sur le prix apparaît lorsque des entreprises non parties à une entente profitent du prix rehaussé du fait de celle-ci pour se mettre dans le sillon de l'entente et mettent leur propre prix à un niveau plus élevé (prix de protection) que celui résultant de conditions de concurrence non faussés. En l'espèce, les défendeurs étaient des sociétés spécialisées dans la vente, l'installation et l'entretien d'ascenseurs et d'escaliers mécaniques qui s'étaient entendu pour se répartir plus de la moitié du marché autrichien. L'autorité autrichienne de la concurrence les a par la suite condamnés et la société OBB-Infrastruktur AG, exploitante de réseau ferré vient dès lors demander réparation de son préjudice aux parties à l'entente. Préjudice du fait du supplément de prix payé aux défendeurs mais aussi pour 1.8 millions d'euros un supplément payé aux entreprises tierces à l'entente (arguant de l'effet parapluie). Deux problèmes majeurs semblaient s'opposer à la reconnaissance de ce préjudice. D'une part, d'un point de vue probatoire, il s'agit de caractériser le préjudice et sa réalité. D'autre part, il s'agit de saisir les conditions de la responsabilité civile du pays, la lex causae ; en l'espèce le lien de causalité faisant semble-t-il défaut.

    Néanmoins, l'exploitante du réseau ferré (victime) établit un surcoût direct découlant de l'effet d'ombrelle par une étude économique mais aussi des données rassemblées par l'autorité de concurrence autrichienne. La décision de la CJUE est claire et suit la logique des arrêts Courage ou Manfredi. En outre, l'effet direct du droit de l'Union ordonne, selon la Cour, le respect du principe d'équivalence (l'effet direct du droit de l'Union ne doit pas être moins favorable que les règles de recours interne) et d'effectivité (cela ne doit pas rendre l'action impossible ou excessivement difficile) que le recours fondé sur l'umbrella pricing soit possible. Néanmoins, la Cour précise bien pour la quantification qu'il faut analyser le marché en cause et voir le préjudice prévisible par les

    85 ainsi : « Le droit de l'Union doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, il ne s'oppose pas à ce que la Commission européenne représente l'Union européenne devant une juridiction nationale saisie d'une action civile en réparation du préjudice causé à l'Union par une entente ou une pratique interdites par les articles 81 CE et 101 TFUE, susceptibles d'avoir affecté certains marchés publics passés par différentes institutions et différents organes de l'Union, sans qu'il soit nécessaire que la Commission dispose d'un mandat à cet effet de la part de ces derniers. » (arrêt cité supra)

    86 CJUE, arrêt du 5 juin 2014, Kone c/ OBB- Infrastruktur, aff. C-557/12.

    37

    parties à l'entente, celui-ci étant corrélativement plus élevé si la part de marché de l'entente est importante (point 34 et conclusion de l'Avocat général). La Cour ouvre donc la voie à une analyse globale du préjudice, ajoutant comme le disait l'Avocat général Kokott : « une pierre à l'édifice ». Toutefois, la décision de la Cour interroge ; pas un mot sur le passing-on87 probable sur le consommateur, cela pourrait s'expliquer par le fait que l'arrêt est antérieur à la directive n°2014/104 (étudiée infra) prévoyant une telle analyse.

    36. Une extension intrinsèquement limitée. Les arrêts suscités sont aussi pertinents en ce

    qu'ils pointent l'évolution du droit de manière générale.

    Un mouvement de « pulvérisation du droit en droits subjectifs » traduit la nature individualiste de

    88

    la société et la patrimonialisation de ceux-ci, son essence capitaliste. La situation des individus au sein du système juridique est ainsi désormais déterminée à travers l'allocation et la mise en oeuvre de droits subjectifs. Certes, cela va de l'essence même du droit de la concurrence de nature économique, mais la reconnaissance subjective du préjudice individuel traduit qu'au delà du préjudice fait à l'intérêt général au travers de l'ordre public économique, existe un préjudice individuel propre. Ce mouvement du préjudice général au préjudice individuel montre in fine l'amélioration dans la recherche d'efficacité du droit de la concurrence européen, en effet après, dans un premier temps, la recherche de la réparation du préjudice global sanctionné par le biais d'une amende (et d'une nullité comme seule sanction civile) apparaît, dans un second temps, une recherche d'indemnisation des victimes directes (cocontractants, concurrents) et « indirects » (consommateurs). C'est ici la limite même de l'extension de droit d'agir car par la pulvérisation du préjudice apparaît aussi la limite de la capacité d'efficience du private enforcement. En outre, la reconnaissance de ce préjudice individuel ne s'accompagne pas automatiquement d'une action individuelle. Les actions en stand alone ou même en follow-on étant en toute hypothèse soumises à l'aléa de la volonté et de la capacité (au sens large) d'agir de la victime. La réussite du private enforcement est laissée à l'aléa de « la vigilance des particuliers à la sauvegarde de leurs droits » pour reprendre la formule de la Cour de justice à propos de l'effectivité du droit européen.

    89

    Ainsi, la responsabilisation du justiciable peut, à défaut d'action de celui-ci, se traduire comme un échec du private enforcement, posant la question de la délégation de ces préjudices subjectifs (essentiellement du consommateur ou même des concurrents) aux autorités concurrentielles.

    Mais une deuxième voie reste possible, c'est la collectivisation de ces préjudices individuels qui permet au moins de renforcer l'efficience et la probabilité des actions individuelles.

    87 la répercussion du surcoût c'est-à-dire le transfert économique du coût causé par le biais de la chaîne de contrat (propre au contrat de revente) au maillon postérieur de la chaîne.

    88 CARBONNIER, Jean in Droit et passion du droit sous la Vème République, Flammarion, 1996, p. 121

    89 CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26/62, Van Gend en Loos, préc. pt 25

    38

    37. Conclusion. Cette extension de la qualité à agir à « tous » et d'un préjudice propre (voir

    section 2) est nécessaire à la possibilité même de l'action individuelle et par là, à l'hypothèse même d'une action collective.

    En effet, avant même de penser une agrégation d'action individuelle faut-il encore que celle-ci existe (voir section 2§1). D'autre part, l'action individuelle ne peut prospérer sans assise, le droit de l'Union qui a vocation à régir ses situations s'est doté d'un arsenal législatif qui sert de base à l'action en qualité de droit substantiel (voir section1§2). Ce droit substantiel est donc le fondement même de l'action collective qui, elle, doit en toute état de cause être dans le champ d'application de ce même droit (voir section 1§1). C'est ce que met en exergue l'arrêt Courage, en rappelant que l'effectivité même de ce droit substantiel : « seraient mis en cause si toute personne ne pouvait demander réparation du dommage qui lui aurait causé un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ». Ainsi, en donnant un droit substantiel invocable directement par tous, le juge vient combler les lacunes textuelles sans pour autant pouvoir palier l'inefficience factuelle du private enforcement.

    Ainsi, le bilan d'un risque éthéré apparaît, car au-delà de la reconnaissance d'un droit à agir n'existe aucun fondement à une « action collective européenne » (voir infra). Bon gré mal gré, l'action individuelle dépend du droit processuel propre à chaque Etat membre (dans la limite du principe d'équivalence et d'effectivité), tout comme l'action collective qui, elle, n'est dépendante que du bon vouloir des Etats membres. Dès lors, la menace actuelle d'une action collective dérivant du droit européen est à géométrie variable en fonction du droit processuel interne de chaque Etat membre.

    Il s'incarne qu'au travers du droit interne et des modalités techniques de celui-ci dans la limite du respect en droit prospectif de la directive n°2014/104. Par conséquent, le risque actuel d'une action collective est donc par là inégal et prend place de manière hétérogène selon les systèmes juridiques internes.

    39

    Chapitre 2 - Source du risque des actions collectives découlant des droits internes

    38. Diversité et inégalité du risque. La source du risque des actions collectives est
    nécessairement hétérogène et se traduit donc par des régimes épars d'actions collectives dans les systèmes juridiques (Section 2). Néanmoins, penser ces régimes nécessite une certaine mise en perspective et permet de souligner le caractère bien souvent transnational de l'infraction. Cette extranéité généralement propre au droit de la concurrence interroge quant aux conflits de juridiction et de lois suscités (Section 2).

    Section 1 - Des régimes épars d'actions collectives dans les systèmes juridiques

    39. Diversité et efficience. Les régimes épars des actions collectives traduisent l'incapacité du
    législateur européen à créer de manière verticale un régime règlementaire d'action collective de droit européen, faute de mieux, celui-ci agit par le truchement du soft law (1). De plus, les régimes traduisent intrinsèquement une diversité d'actions collectives dans les droits des Etats membres de l'Union européenne (2).

    §1) Recommandation européenne sur les recours collectifs

    40. Risque inégal et absence d'action collective européenne. L'existence d'une multiplicité
    d'actions collectives est un aveu. C'est l'aveu d'une distorsion des droits des requérants selon la facilité d'action des droits nationaux (ou pire encore la possible inexistence en droit national d'une action collective), ce qui oblige à un constat : le législateur européen a failli à mettre en place une action collective européenne en droit de la concurrence.

    La faillite législative n'est pourtant pas faute de débat sur le sujet ainsi dans le Livre Blanc :

    90

    « la Commission estime qu'il existe un besoin évident de mécanismes permettant le regroupement des demandes d'indemnisation individuelles de victimes d'infractions aux règles de concurrence. Les consommateurs individuels, mais aussi les petites entreprises, en particulier celles qui ont subi de manière sporadique des dommages de faible valeur91 ».

    Une consultation a même été lancée le 4 février 2011 par la Commission aux autorités nationales de concurrence. Par exemple, l'Autorité de la concurrence française faisant suite à son avis du 21 septembre 2006 relatif à l'introduction de l'action de groupe en matière de pratiques anticoncurrentielles, a affirmé la nécessité d'une telle action collective et a pointé que : « l'absence

    90 certains y voyant un risque du fait de la complexité du litige concurrentiel : voir Green Paper on Consumer Collective Redress, COM(2008) 794 final (27 novembre 2008) au paragraphe 5

    91 in Livre Blanc (sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, COM(2008) 165 final (2 avril 2008) aux pages 4-5).Voir aussi George Parker et al, « Business Warns EU Against Class Action Suits », Financial Times (14 mars 2007)

    40

    de standards européens est à l'origine d'une inégalité au détriment des consommateurs et PME résidant dans les Etats qui ne disposent pas de procédures d'action collective ».

    Plus encore, de manière spéculative, une base théorique juridique existerait à une « action collective européenne », cela pourrait être l'article 6 du Traité sur l'Union européenne, qui opère un renvoi à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui garantit un recours effectif à toute personne « dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés » (article 47).

    Or depuis l'arrêt Courage le droit au recours effectif s'applique inconditionnellement aux articles 101 et 102 TFUE. Ainsi, l'absence d'un recours collectif pour les victimes des atteintes à la concurrence revient souvent à les priver de facto de leur droit à un recours effectif (du fait d'une multitude de facteurs : de leur caractère sporadique, des coûts, de la complexité du litige, de son inégalité, etc.). Face à cette argumentation juridique apparaît une réalité pratique ; c'est en outre que l'action collective n'existe pas dans tous les Etats membres et que même lorsqu'elle existe, elle s'inscrit dans un cadre différencié selon les cultures juridiques (notamment modèle de droit romain et modèle de droit anglo-saxon), empêchant l'Union d'imposer une règlementation impérative sur un terrain aussi éclaté et glissant 92.

    41. Soft law et hard law. L'incapacité à passer par le biais de la règlementation a obligé les

    autorités européennes à agir par le biais du soft law. Ainsi, après les consultations a été formulé une recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union (par ailleurs, le concept de « recours collectif » englobe bien plus que l'action de groupe ).

    93

    Au préalable, il faut rappeler qu'une recommandation aux termes de l'article 288 TFUE, alinéa 5, ne lie pas. Les recommandations sont dénuées de caractère normatif, le caractère impératif d'une règle constituant une condition de la normativité. D'ailleurs la Cour de justice leur dénie tout effet direct, les juges nationaux étant seulement tenus de les prendre « en considération94 ».

    Cette recommandation traduit l'idée qu'actuellement en hard law, l'idée d'une class action

    95

    européenne reste lettre morte. En effet, les autorités européennes ont préféré opérer par le biais d'une harmonisation horizontale au travers de la directive n°2014/104 permettant d'assurer un recours effectif des actions en dommages et intérêts sans pour autant instaurer l'obligation de

    92 NEUMANN, Karl-Alexander et WADE MAGNUSSON, Landon in Pour une action collective européenne dans le droit de la concurrence, 24.2 (2011) Revue québécoise de droit international, p. 166.

    93 ainsi dans les définitions des termes de la recommandation : « recours collectif», i) un mécanisme juridique garantissant la possibilité, pour plusieurs personnes physiques ou morales ou pour une entité ayant qualité pour agir en représentation, de demander collectivement la cessation d'un comportement illicite (recours collectif en cessation); ou ii) un mécanisme juridique garantissant la possibilité, pour plusieurs personnes physiques ou morales qui prétendent avoir subi un préjudice dans le cadre d'un préjudice de masse ou pour une entité ayant qualité pour agir en représentation, de demander collectivement réparation (recours collectif en réparation) ».

    94 CJCE, arrêt du 13 décembre 1989, Grimaldi, C-322/88, Rec. p. 4407, pt 19.

    95 Néanmoins, le point 26 de la recommandation précise que : « Dans un délai de quatre ans après la publication de la présente recommandation, la Commission devrait évaluer la nécessité d'autres mesures, y compris de mesures législatives, afin de garantir que les objectifs de la présente recommandation sont pleinement atteints ».

    96 c'est-à-dire subir un préjudice à l'origine d'une perte en raison d'une même activité illicite menée par une ou plusieurs personnes physiques ou morales.

    41

    création d'une action collective interne ou européenne (qui par ailleurs serait prise nécessairement par la voie règlementaire).

    En ce qui concerne le soft law, comme précisé au point 10 dans la recommandation suscitée :

    « L'objectif de la présente recommandation est de faciliter l'accès à la justice en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union; à cette fin, il est recommandé que tous les États membres disposent de mécanismes nationaux de recours collectif reposant sur des principes fondamentaux identiques dans toute l'Union, compte tenu des traditions juridiques propres aux États membres et de la nécessité de prévenir les abus. »

    En outre, la recommandation prévoit notamment des actions en représentation par une entité agréée à but non lucratif ou une autorité publique pour le compte et au nom de plusieurs ayant subi un préjudice dans le cadre d'un « préjudice de masse96».

    Elle préconise l'opt-in (le consentement express des personnes représentées), ce qui est contraire à la proposition faite par le Livre Blanc d'instaurer une action représentative en faveur de victimes identifiables. Il y a donc eu une inflexion sur le sujet qui pourrait s'expliquer par l'existence en fait d'une majorité de systèmes juridiques possédant un mécanisme d'opt-in (voir point 49).

    Pour adhérer à l'action, la recommandation prévoit la possible diffusion au public de l'information nécessaire. Sur le plan déontologique, le texte plaide en faveur de la condamnation au dépens de la partie perdante, de la définition d'un cadre de financement des actions collectives (conflits d'intérêts, influence exercée, etc.) et d'une limitation de la rémunération des avocats pour éviter les recours abusifs. Elle affirme la nécessité de proposer un règlement consensuel des actions collectives (avec une interruption de la prescription et une vérification de la légalité de la transaction) et interdit l'allocation de dommages et intérêts punitifs. Enfin, elle soulève l'obligation de surseoir à statuer pour le juge en cas d'action par les autorités publiques de concurrence postérieur à sa saisine pour une action collective.

    La Commission a par ailleurs donné une date « butoir » pour satisfaire à la recommandation, en outre il est précisé que :

    « (24). Les États membres devraient prendre les mesures nécessaires pour que les principes énoncés dans la présente recommandation soient mis en oeuvre deux ans au plus tard après sa publication ».

    Délai déjà dépassé et pour autant tous les Etats membres n'ont pas suivi à la lettre les doléances de la Commission, démontrant encore l'inadaptation à long terme du soft law à ce type de problème.

    Au-delà de cet échec, l'existence même de la directive n°2014/104 montre peut être, quant à elle, que cet échec n'est que provisoire puisque cette directive a mis indirectement en place un début de cadre processuel aux actions collectives. En outre, la directive s'inscrit comme une première pierre à un édifice car elle n'a de raison d'être pour le consommateur ou les PMEs qu'au travers des

    42

    actions collectives lui permettant d'enfin renforcer l'efficacité du private enforcement. Ce qui traduit peut-être la malice du législateur européen qui agit en posant discrètement les fondations d'un régime d'une class action européenne.

    §2) Hétérogénéité des actions collectives

    42. Des systèmes dissemblables. En dehors de ce cadre européen mou, il est nécessaire de
    regarder chaque droit interne, comme le dit elle-même la Commission :

    « Des procédures permettant d'engager une action collective en réparation ont été introduites dans certains États membres à des degrés divers. Toutefois, les procédures existantes pour l'introduction de recours collectifs diffèrent largement selon les États membres97 ».

    Tout d'abord, il faut relever que dans les systèmes juridiques européens ont une action aux fins de réparation du préjudice concurrentiel qui peut être engagée sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle ou quasi délictuelle98. Sur 27 pays membres de l'Union européenne, seulement 7 ne prévoit aucun « collective redresse system », i.e. un système qui prévient ou met fin à une

    99

    pratique illégale touchant une multitude de demandeurs (consommateur ou PME) et/ou la compensation du préjudice causé par de telles pratiques . Ainsi, il faut relever que certains pays

    100

    sont dotés d'un recours collectif comme notamment la Bulgarie, l'Espagne, la Finlande, la Hongrie, l'Italie, les Pays-Bas, la Roumanie ou encore la Pologne. Subséquemment, les risques sont divers et sera fait le choix partial d'étudier le système d'action collective propre à l'Allemagne, l'Espagne, la France, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni.

    43. Allemagne. Se profile trois modèles de recours : un pour les investissements financiers avec
    la loi dite KapMuG du 16 août 2005 ; un qui depuis 2008 permet d'exercer des recours individuels par le biais par des sociétés spécialisées, en leur nom propre, ayant acquis des droits litigieux moyennant une rétrocession partielle des dommages-intérêts en cas de succès de l'action ; un pour la concurrence déloyale. En outre, au regard du droit de la concurrence apparaît une « action de groupe sans action de groupe » en droit allemand, en effet, celle-ci existe de facto par le recours groupé d'actions en dommages et intérêts (même en l'absence d'instruments particuliers de recours collectifs) Cette opération se réalise par pacte de quota litis. En outre, apparaît une entreprise qui

    97 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union (2013/396/UE), point 12.

    98 RIFFAULT-SILK, J. in « Les actions privées en droit de la concurrence : obstacles de procédure et de fond », RLC, janv.-mars 2006, n°6., p. 88.

    99 Directorate-General for Internal Policies, Policy Department A, Study on legislative action in the area of Collective Redress in the field of antitrust, page 22 ; accès en ligne: http://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/etudes/join/ 2012/475120/IPOL-ECON_ET(2012)475120_EN.pdf

    100 Ibid., page 15 :« may accomplish the termination or prevention of unlawful business practices which affect a multitude of claimants (consumers and/or SMEs) or the compensation for the harm caused by such illegal practices »

    43

    rachète les créances délictuelles probables appartenant aux acheteurs directs victimes. Ici, le prix d'achat des créances en question est formé d'une part fixe versée au moment de la cession et d'une part variable aléatoire représentant une certaine fraction du montant des dommages et intérêts obtenus à l'issue du procès ou de la transaction (l'exemple typique est la société allemande Cartel Damages Claims). Ainsi, le modèle allemand d'action collective en droit de la concurrence se présente par une existence de fait mais une inexistence juridique, l'action de groupe n'étant pas intrinsèquement possible en droit de la concurrence.

    44. Royaume-Uni. Contrairement au modèle allemand, le modèle anglais prévoit lui une telle
    action collective dite « group litigation ». En effet, le champ d'application de la procédure collective en Angleterre est large, puisqu'il s'étend à toutes les actions civiles, c'est donc en principe une loi de portée générale applicable tant en matière contractuelle qu'extra-contractuelle. Néanmoins, le Consumer Rights Act (CRA) 2015 for Competition Claims a prévu une procédure spécifique au droit de la concurrence basée tant sur le droit interne qu'européen. La nouveauté essentielle est le possible passage du modèle de l'opt-in à l'opt-out101. Il faut que le demandeur représentant à l'action soit une personne demanderesse à l'action et que l'action concerne au moins deux personnes. L'action collective prend la forme d'un Collective Proceedings Order après vérification de la recevabilité de la demande par le Competition Appeal Tribunal. Ce Collective Proceedings Order choisit lui-même si le système d'adhésion prend la forme de l'opt-in ou de l'opt-out (ce qui est en contradiction apparente avec la recommandation de la Commission ), deux critères dans le

    102

    choix sont avancés : la force de la demande et l'aspect pratique d'une procédure régie par le modèle de l'opt-in. Enfin, ce nouveau régime propre au droit de la concurrence exclut les exemplary damages.

    Dans le cadre d'une consultation publique, l'autorité anglaise de concurrence (Office of Fair Trading) a calculé que les consommateurs ont profité à hauteur d'environ 965 millions d'euros des décisions rendues en matière de concurrence durant la période 2011-2012103 démontrant une attractivité du système anglais (antérieurement déjà aux réformes de 2015).

    45. Espagne. Le dispositif législatif s'article au travers de l'article 519 du Code de procédure
    civile et de la loi n°15/2007 sur la concurrence, l'action existe en droit espagnol depuis une loi du 7 janvier 2001. La loi espagnole autorise les class actions destinées à protéger les intérêts des consommateurs. En revanche, sont exclues de son champ d'application les entreprises victimes de pratiques anticoncurrentielles. Elle prend deux formes soit elle s'adresse à un groupe de

    101 L'option d'exclusion ou « opt-out » est le mécanisme par lequel l'ensemble des membres d'un groupe défini par un juge sur des critères objectifs sont considérés comme partie à l'instance tant qu'ils ne se sont pas manifestés pour se retirer de l'instance dans une période prédéterminée.

    102 la porte étant laissée ouverte, celle-ci précisant qu'une exception à l'opt-in est possible : « Toute exception à ce principe, édictée par la loi ou ordonnée par une juridiction, devrait être dûment justifiée par des motifs tenant à la bonne administration de la justice ». Ainsi, les critères retenus pourraient en effet répondre à cet impératif.

    103 Voir la consultation publique : « Private action in competition Law - A consultation on options for reform - government response », janvier 2013.

    44

    consommateurs identifiés, soit à un groupe de consommateurs « diffus ». Il n'y a pas besoin d'un

    104

    nombre minimum de personnes affectées, ni d'un nombre minimum de demande. Néanmoins, lorsque un groupe est identifié, il faut l'adhésion d'au moins 50% du reste du groupe en question (la charge de la preuve du dépassement de ce ratio est sur le groupe demandeur à l'action). D'autre part, lorsque les victimes ne sont pas identifiées, une phase de publicité permet à celles-ci d'avoir connaissance du procès et de se manifester. Les consommateurs lésés pourront se joindre à la procédure via un mécanisme d'opt-in. Par ailleurs, si la loi espagnole n'autorise pas le financement de telles actions par des tiers, la pratique de contingency fees et de pacte de quota litis est quant à elle autorisée (suite notamment à une décision du Tribunal Suprême du 4 novembre 2008 ).

    105

    Enfin, l'Espagne est en contradiction avec le droit prospectif (directive n°2014/104) et ne laisse pour le moment qu'un an au plaintif lorsqu'il est au courant du comportement fautif pour agir

    106

    (contrairement au cinq ans de principe), ce qui pourrait d'ailleurs être contraire au droit européen en rendant « pratiquement impossible » ou « excessivement difficile » l'exercice des droits conférés aux justiciables107.

    46. Italie. La class action azione di classe ») en droit italien s'étend au droit de la

    concurrence108 et au droit de la consommation. Ce régime propre d'action collective se concrétise par l'article 140 bis du Code de la consommation (créé par une loi est en vigueur depuis le 1er janvier 2010). Elle ouvre le recours aux consommateurs victimes d'une même entreprise, mais aussi aux consommateurs d'un produit, ou aux personnes lésées par des pratiques commerciales déloyales et des comportements anticoncurrentiels. Suite à une réforme de 2012, il y a une extension du champ d'application de l'action de groupe par le remplacement du critère d'identification du groupe par un préjudice à des « droits identiques » à des « droits homogènes ». Le système est quant à lui basé sur l'opt-in. Comme en Espagne ou en France, l'action peut être confiée à une association. Mais, les consommateurs peuvent aussi se regrouper en comité autonome, l'action étant dispensée de ministère d'avocat. Les personnes qui souhaitent s'associer à l'action doivent déposer, dans les 120 jours qui suivent l'ordonnance rendue sur la recevabilité de la demande de constitution du groupe, un acte d'adhésion au greffe du tribunal en précisant les éléments de fait constitutifs des droits qu'elles invoquent. L'ordonnance sur la recevabilité peut, dans les trente jours suivant sa notification, faire l'objet d'un appel non suspensif devant la cour d'appel. Le juge détermine les critères auxquels il convient de répondre pour demander à adhérer à l'action de groupe. Par ailleurs, il faut noter que si une victime ne se joint pas à l'action avant la date butoir pour opter, il ne pourra pas agir par le biais d'une autre class action mais pourra tout de même agir individuellement en justice. Par la suite, lors d'une première audience, le tribunal rejette la demande : si elle est

    104 ou plus exactement « acción para la proteción de intereses difusos »

    105 n°5837/2005

    106 Ley 3/1991, de 10 de enero, de Competencia Desleal

    107 CJCE 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com. 2002.

    108 Article 140-bis du Code de la consommation : « 2 [É] c) identical rights to payment of damages due to these consumers and users and deriving from unfair commercial practices or anti-competitive behaviour. »

    45

    manifestement infondée, s'il constate un conflit d'intérêt, si les droits individuels invoqués pour recourir à l'action de groupe ne sont pas identiques, ou si le demandeur n'est pas capable de gérer de façon adéquate l'intérêt du groupe. Enfin, la décision juridictionnelle détermine notamment le cours de la procédure dans le respect du principe du contradictoire et dans le cadre d'un procès équitable, efficace et rapide.

    Le bilan jurisprudentiel est plutôt à un constat de l'inefficience du régime des actions collectives en droit italien avec uniquement deux procédures ayant abouti en faveur du consommateur en 2016 .

    109

    Certains avancent cet échec par le fait que le financement par des tiers n'étant pas autorisé, ce sont les demandeurs qui supportent les coûts (même si c'est l'association mandatée qui a engagé la procédure ). Ainsi, apparaît une répartition prohibitive des coûts pour les demandeurs même

    110

    regroupés (un certain seuil de demandeurs devant être atteint pour une allocation d'un coût mineur).

    47. France. Déjà il y a maintenant plus de trente ans, la Commission de refonte du droit de la

    consommation, sous la direction de Jean Calay-Auloy, « propose d'instituer une action nouvelle qui pourrait être appelée action de groupe111».

    Attendue comme l'Arlésienne, la mise en place d'une action de groupe en droit français commence à être véritablement discutée en 2005 avec la proposition du Président Jacques Chirac. Par la suite, malgré le « rapport Cerutti » du 16 décembre 2005 et une proposition de loi déposée en 2006,

    112

    l'action collective reste un chantier inabouti .

    113

    Ce n'est que bien plus tard et suivant pour partie la recommandation européenne sur le sujet que la loi du 17 mars 2014 dite « loi Hamon » consacre en droit français le mécanisme de l'action de groupe. C'est bien le code de la consommation qui abrite l'ensemble du dispositif sur l'action de groupe par une sorte d'attraction du « droit du marché ».

    109 CAPONI, Remo in Italian 'Class Action' Suits in the Field of Consumer Protection: 2016 Update, Université de Florence, 16 juin 2016

    110 UTZSCHNEIDER, Yann et MUSSI, Costanza in L'action de groupe en droit de la concurrence, une intention louable à la mise en oeuvre complexe, - AJCA 2014. 222

    111

    CALAIS-AULOY, Jean [directeur] in Vers un nouveau droit de la consommation. Rapport de la commission de

    refonte du droit de la consommation, juin 1984, La Documentation française, p. 91

    112 CERUTTI, Guillaume et GUILLAUME, Marc in Rapport sur l'action de groupe, Paris, 2005 ; disponible en ligne : http://www.presse.justice.gouv.fr/art_pix/1_rappactiondegroupe.pdf

    113 Seul un mécanisme mécanisme introduit dans le Code de commerce en 1992 proposait une action qui pourrait ressembler à une action collective : l'action en représentation conjointe. Elle permet à une association d'agir au nom de plusieurs consommateurs, en réparation de leur préjudice, par le biais d'un mandat à agir. Malheureusement, ses conditions de mise en oeuvre et l'impossibilité de faire de publicité, n'ont pas permis à ce mécanisme de prospérer, son efficacité en pratique étant très limitée.

    46

    Son champ d'application reste néanmoins limité puisque seuls les dommages de nature matériels114 causés aux seuls consommateurs sont réparables et puisqu'il ne vise que les dommages de

    115

    consommation et ceux découlant de pratiques anticoncurrentielle (sans condition d'un préjudice minimum toutefois).

    Il faut noter qu'au niveau européen dans sa recommandation la Commission ne vise pas seulement les consommateurs ; or la loi Hamon vient limiter l'exercice de l'action, se trouvant ainsi en contrariété avec le droit mou de l'Union.

    Il faut ensuite relever que le projet de loi interdit à un professionnel d'inclure dans ses conditions générales de vente ou de fourniture une clause ne permettant pas à un consommateur de participer à une action de groupe .

    116

    Le mécanisme repose par principe sur l'opt-in sauf (article L. 623-14 du Code de la consommation):

    « Lorsque l'identité et le nombre des consommateurs lésés sont connus et lorsque ces consommateurs ont subi un préjudice d'un même montant, d'un montant identique par prestation rendue ou d'un montant identique par référence à une période ou à une durée, le juge, après avoir statué sur la responsabilité du professionnel, peut condamner ce dernier à les indemniser directement et individuellement, dans un délai et selon des modalités qu'il fixe. »

    Ainsi, une forme d'opt-out en demi-mesure ou plutôt d'un opt-in fermé existe, l'accord des consommateurs à se faire indemniser restant dans un deuxième temps nécessaire.

    Spécifiquement, en ce qui concerne l'action de groupe en matière anticoncurrentielle, telle que prévue par l'article L. 623-32 du Code de la consommation, elle permet l'indemnisation de préjudices subis par des consommateurs :

    « lorsque ces préjudices résultent de pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du Livre IV du Code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

    Le recours a un champ d'application extrêmement limité. En effet, seuls les recours suite à une décision définitive d'autorités en charge de l'application du droit de la concurrence est possible. L'article L.623-14 du Code de la consommation dispose ainsi que :

    « Lorsque les manquements reprochés au professionnel portent sur le respect des règles définies au titre II du livre IV du code de commerce ou des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la responsabilité du professionnel ne peut

    114 Exposé des motifs, par P. Moscovici, du projet de loi relatif à la consommation n°1015, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale, le 2 mai 2013 : « Afin de garantir l'efficacité de cette nouvelle procédure, les dommages corporels et les préjudices moraux sont exclus du champ de l'action de groupe, compte tenu de leur caractère trop personnalisé ».

    115 est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale

    116 article L. 623-32 du Code de la consommation

    47

    être prononcée dans le cadre de l'action mentionnée à l'article L.423-1 que sur le fondement d'une décision prononcée à l'encontre du professionnel par les autorités ou juridictions nationales ou de l'Union européenne compétentes, qui constate les manquements et qui n'est plus susceptible de recours pour la partie relative à l'établissement des manquements.

    Dans ces cas, les manquements du professionnel sont réputés établis de manière irréfragable pour l'application de l'article L.423-3. »

    Le choix d'un modèle de follow-on (ou d'action consécutive) traduit la peur du législateur face à un procédé processuel qu'il connaît peu et dont les dérives font peurs. Par ailleurs, apparaît un rôle de l'association de consommateurs très limité qui va essentiellement être dans l'établissement du préjudice des consommateurs.

    En ce qui concerne la procédure, celle-ci se décompose en en trois phases.

    Lors de la première phase, l'association intente l'action pour le compte du groupe de consommateurs qui se trouvent dans une situation identique ou similaire et qui subissent des préjudices individuels du fait d'un même professionnel. Alors, le Tribunal de grande instance vérifie les conditions de recevabilité de l'action et statue sur la responsabilité du professionnel.

    La deuxième phase correspond à la phase non contentieuse qui prévoit des mesures de publicité afin de porter l'existence de la décision à la connaissance des consommateurs, ainsi est déterminé un délai pour que les consommateurs adhèrent au groupe.

    La troisième phase consiste en la liquidation du préjudice.

    Le bilan de l'action de groupe « à la française » est mitigé. Son existence traduit une volonté du législateur de prendre en compte les spécificités du contentieux concurrentiel. Néanmoins, la porte reste close aux entreprises, ce qui est préjudiciable. Seules les actions en follow-on sont autorisées (et pas les actions en stand-alone) ce qui est contraire à la recommandation de la Commission qui précise uniquement que la juridiction saisie « évite de statuer en contradiction avec la décision que l'autorité publique envisage de prendre » (point 33).

    Cette impossibilité d'agir collectivement vaut également pour des décisions d'acceptation d'engagement ; or même l'acceptation si elle a un effet curateur pour le futur, ne fait pas

    117

    disparaitre le préjudice rétroactivement, laissant ainsi les victimes incapables de récupérer collectivement leurs préjudices. Le régime reste ainsi à parfaire sur certains points.

    48. Portugal. Les « actions populaires » (« acço popular ») sont permises depuis une loi de

    1995 (loi n°83/1995) complétée en 2005, et ne sont pas restreintes à certains domaines. Le droit de la concurrence est donc inclus dans ce champ d'application général.

    L'action est ouverte à tous et peut être engagée par un particulier, une association (par exemple, l'Associaço Portuguesa para a Defesa do Consumidor), une fondation ou encore les autorités publiques. Contrairement à la majorité des pays européens, le système portugais a adopté une

    117 Règlement (CE) n°1/2003, Conseil, 16 décembre 2002, article 9

    48

    procédure d'opt-out à l'action pour les consommateurs ne souhaitant pas y être assimilés. Ce qui semble contraire à la recommandation de la Commission européenne.

    La loi ne précise pas le contenu de la demande relative à l'exercice de l'action équivalente à l'action de groupe (action populaire) qui peut revêtir toutes les formes prévues par le code de procédure civile et les demandeurs étrangers peuvent très bien s'agréger à l'action en justice.

    Lorsque la demande est accueillie, aucun frais d'instance ne pèsera sur le demandeur. En revanche, si la demande n'est pas accueillie, les juges prendront en compte les raisons du rejet de la requête pour fixer le montant des frais à la charge du demandeur. Enfin, le financement par des tiers n'est pas interdit, mais les contingency fees et conditional fees sont prohibés.

    49. Régimes inégaux. Du constat des seuls droits étudiés apparaît une grande hétérogénéité des

    actions collectives tant d'abord dans l'existence d'un régime propre d'action collective au droit de la concurrence qu'au travers de ses modalités techniques.

    Déjà, il faut relever qu'une grande majorité des pays possédant un système d'action de groupe ont choisi le système de l'opt-in (sauf notamment le Portugal et le Royaume-Uni sous certaines conditions). Cette supériorité numérique de l'opt-in pourrait expliquer le choix dans la recommandation de ce système d'adhésion aux recours collectifs. En effet, tant les juges que le législateur européen font souvent référence aux traditions juridiques des Etats membres comme limite à l'harmonisation. A contrario, l'homogénéité des régimes internes apparaît donc comme un facteur d'harmonisation verticale utile, c'est d'ailleurs ce que pointe la recommandation en son point 4 :

    « [É] Le Parlement européen soulignait également la nécessité de tenir dûment compte des traditions du droit et des ordres juridiques des différents États membres et de renforcer la coordination et l'échange des bonnes pratiques entre États membres ».

    D'autres points techniques semblent posséder un régime similaire, c'est le cas dans la majorité des pays en ce qui concerne le délai de prescription de l'action majoritairement fixé à 5 ans118. En ce qui concerne le financement de l'action collective il faut remarquer que grosso modo le tiers des pays admettent des contingengy fees, au contraire le financement privé à nature commerciale n'est admis que dans une minorité de pays .

    119

    Enfin, tous les pays prévoient des « Alternative Dispute Resolution mechanisms » et la grande

    120

    majorité ordonne une tentative obligatoire de conciliation des parties.

    Quel bilan tirer au travers de la multiplicité des mécanismes prévus ? Tout d'abord, il apparaît que le risque actuel des actions collectives est inégal, il n'existe pas « une » action collective européenne mais uniquement « des » actions collectives. L'exemple allemand peut par exemple

    118 voir Directorate-General for Internal Policies, Policy Department A, Study on legislative action in the area of Collective Redress in the field of antitrust

    119

    Ibid.

    120 Ibid. défini page 7 comme : « a term used for a wide variety of mechanisms aimed at resolving conflicts without the (direct) intervention of a court. »

    p. 145

    49

    interroger, ce pays moteur au sein de l'Union européenne n'a toujours pas mis en place un système de recours collectif généralisé. La France, comme l'Angleterre, quant à elle apparaît comme décidée à intensifier ce moyen d'action et à le généraliser121.

    Enfin, un certain nombre de législations n'ouvrent pas l'action collective aux petites et moyennes entreprises (par exemple la France) se contentant du préjudice du consommateur, ainsi l'ouverture aux PME seraient aussi nécessaire et bienvenue (conformément à la recommandation).

    De l'ensemble du dispositif législatif permettant une indemnisation collective du préjudice concurrentiel apparaît avant tout une insécurité et une inégalité pour les consommateurs européens qui se trouvent selon le système juridique saisi dans des régimes procéduraux à l'efficience variable.

    50. Hétérogénéité protéiforme et uniformisation. Pourquoi l'intensification du cadre normatif

    de manière verticale sur le sujet serait nécessaire ? Tout d'abord, parce que contrairement à l'avis d'une certaine partie de la doctrine122 et l'avis même des institutions européennes, la tradition juridique des Etats membres n'empêche pas de mettre en place d'une action collective européenne. Les différences entre Common Law et tradition de droit romain sont aujourd'hui quant aux droits substantiels de la concurrence quasiment gommées et l'harmonisation par les directives et les règlements européens en droit de la consommation tendent à uniformiser le cadre législatif. L'essence même d'une action collective (ou action de groupe) au niveau européen serait possible tant dans la définition de sa substance que dans ses modalités techniques.

    Les différences dans les modalités techniques processuels pourraient en toute hypothèse être gommées par le principe d'effectivité du droit européen qui pourrait être soulevé par un justiciable lors d'un litige si les modalités procédurales n'offrent pas le standard minimum nécessaire tel qu'il serait érigé au travers d'un règlement (ou même mutatis mutandis d'une directive123).

    Alors le standard européen poserait le problème de l'adaptation du texte en contemplation des considérations culturelles, philosophiques, historiques des pays membres selon certains auteurs124. Mais que les modalités processuelles soient laissées aux Etats membres pour qu'elles l'adaptent aux formalités de leur procédure civile propre ne semble poser aucun problème ; mais penser que notamment la question de l'opt-in ou de l'opt-out, du financement des actions collectives, du risques de conflits d'intérêts et de la rémunération des acteurs devraient être laissés aux Etats

    121 Projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle, n° 796, 2015- 2016

    122

    GUINCHARD, Serge in Propos conclusifs, in Les recours collectifs : étude comparée, 2006, éd. Société de législation comparée, p. 145 et TERRÉ, François in Rapport de synthèse, in MAGNIER [dir.], L'opportunité d'une action de groupe en droit des sociétés, 2004, PUF, p. 158

    123 même s'il est vrai qu'une directive ne peut pas par elle-même créer d'obligations dans le chef d'un particulier et ne peut donc pas être invoquée en tant que telle à son encontre, cette jurisprudence ne s'applique pas dans une situation, où le non-respect par un État membre d'un article de la directive, qui constitue un vice de procédure substantiel, entraîne l'inapplicabilité de la règle technique (CJCE, arrêt du 26 septembre 2000, Unilever Italia SpA contre Central Food SpA., aff. C-443/98).

    124

    GUINCHARD, Serge in Propos conclusifs, in Les recours collectifs : étude comparée, 2006, éd. Société de législation comparée,

    50

    membres est une erreur considérable par l'inégalité de traitement engendrée pour les différents justiciables européens.

    Au demeurant, la question de l'opt-out ou de l'opt-in comme interrogation sur la tradition juridique des Etats membres tout comme la question du principe « nul ne plaide par procureur » n'a que peu de sens en réalité. La question semble plus doctrinale que factuelle. Au-delà des traditions juridiques, apparaît plutôt la nécessité d'une étude statistique et économétrique de la diversité des comportements des justiciables dans l'espace européen. La réalité ? Le consommateur ne va pas en justice , il ne plaide pas du tout, à défaut de plaider par procureur ; dans un monde capitaliste, une

    125

    PME ou le consommateur va-t-il se plaindre de l'atteinte aux valeurs fondamentales de sa tradition juridique lorsque lui sera proposé une indemnisation (d'un préjudice économique) qu'il n'aurait pu ne jamais recevoir ?

    Ainsi, un droit substantiel encadré par des modalités processuelles propres semble nécessaire pour créer une action collective européenne. Le droit substantiel n'est pas là mais la directive n°2014/104 (voir point 41) pourrait déjà servir de point d'ancrage aux aspects procéduraux des actions collectives propres au private enforcement et peut être présager la mise en place d'un véritable régime des actions de groupe au niveau européen, ce qui, au-delà d'être un bien en ce qui concerne la lisibilité du droit et la sécurité juridique des entreprises, est un risque accru face au « contentieux subjectif ».

    Section 2 - L'extranéité des litiges et l'action collective

    51. Droit international privé. Le caractère transnational des infractions aux droits de la
    concurrence interroge car il crée des conflits, tout d'abord, un conflit de compétence (1) puis ensuite, un conflit de lois (2).

    §1) Risque du forum shopping : conflits de compétence

    52. Caractère transnational de l'infraction. La tentation est grande pour le justiciable,
    notamment en droit des affaires dont le contentieux revêt souvent un caractère international, de vouloir introduire son action devant une juridiction qui applique un système juridique et des règles qui lui seront plus favorables. Ce choix potentiellement abusif, qualifié de « forum shopping »,

    126

    est limité par le fait que les juridictions internes n'admettent pas facilement la recevabilité de telles actions. Mais, la question sous-jacente du droit applicable et de la juridiction compétente est aujourd'hui renforcée par le développement du libre-échange, l'internationalisation des échanges économiques et la mondialisation, facteur de rattachement pluri-national du contentieux.

    Le caractère transnational de l'infraction en droit de la concurrence et particulièrement en private enforcement s'explique logiquement par le marché unique et la liberté de circulation qu'il entraîne

    125 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.30

    126 LEMEUR-BRAUDY, Véronique in Faut-il des règles spécifiques en matière de compétence juridictionnelle internationale ? Éloge de la simplicité, in colloque du Mans, préc., Concurrences no 2-2007.

    51

    mais surtout par le cadre économique d'échange renforcé propre à l'Europe (impliquant des échanges transfrontaliers). Par ailleurs, la taille des entreprises saisies par le droit de la concurrence explique aussi ce caractère transfrontalier de l'infraction.

    C'est d'ailleurs ce que relève la directive n°2014/104 aux motifs numéro 9 :

    « Sachant que les infractions à grande échelle au droit de la concurrence présentent souvent un élément transfrontalier, il est nécessaire de veiller à ce que les entreprises exerçant leurs activités dans le marché intérieur bénéficient de conditions plus équitables et à ce que les consommateurs puissent exercer les droits que leur confère le marché intérieur dans de meilleures conditions ».

    Dès lors, ce caractère transfrontalier introduit un élément d'extranéité dans le litige concurrentiel et par là au sein de l'action collective, qui conduit à interroger le droit international privé.

    53. Compétence juridictionnelle et contentieux subjectif. Le droit international privé en droit

    civil « est constitué par l'ensemble des principes, des usages ou des conventions qui gouvernent les relations juridiques établies entre des personnes régies par des législations d'États différents 127 ». En outre, l'existence d'un ou plusieurs éléments d'extranéité (qualité de ce qui est étranger) dans la relation de droit privé, écarte l'application des règles substantielles de droit interne au profit des règles de droit international privé. Ce droit prévoit donc la résolution des conflits de juridiction, grosso modo dans quel pays le litige doit-être jugé. C'est donc cette question qui va nous intéresser vis-à-vis des actions de groupe.

    Ainsi, le choix de la juridiction pose problème comme le relève le professeur Cadiet cela peut créer un « désordre processuel128» pour les acteurs au procès. Du côté des entreprises, cela peut être un moyen dilatoire face au risque de l'action collective mais cela peut aussi conduire à un éclatement du contentieux qui peut lui être utile dans le cadre d'un règlement consensuel notamment (« bargaining power » ou pouvoir de négociation plus important).

    Tout d'abord, il faut partir du postulat que la saisine de la juridiction avec la qualité pour agir s'applique à la juridiction en charge de l'action collective (ou avec qui l'action collective sera démarrée) et que l'agrégation de l'action individuelle à la demande collective par le système de l'opt-in peut notamment se faire par ce moyen. Ainsi, ce postulat large ne peut pas toujours rencontrer les conditions substantielles de droit interne des diverses actions collectives quant aux champs d'applications de l'action collective qui n'est toujours pas ouvert dans tous les cas aux entreprises notamment.

    Réconfortant cette analyse en ce qui concerne la compétence juridictionnelle, la Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions («Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs») précise que :

    127 BRAUDO, Serge in Dictionnaire du droit privé, 2014

    128 CADIET, Loic in Ordre concurrentiel et justice, in L'ordre concurrentiel, Mélanges en l'honneur de A.Pirovano, p. 109

    52

    « Les principes généraux de droit international privé européen exigent qu'un litige collectif comportant des éléments d'extranéité soit soumis à une juridiction compétente en vertu des règles européennes de compétence, y compris celles prévoyant un choix de juridiction, en vue d'éviter le forum shopping. Les règles relatives au droit européen de la procédure civile et au droit applicable devraient fonctionner efficacement dans la pratique afin d'assurer la bonne coordination des procédures nationales de recours collectif dans les affaires transfrontières. [É] A cet égard, la Commission considère que les actuelles dispositions du règlement (CE) n° 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (le «règlement Bruxelles I»)[40] devraient être pleinement exploitées. À la lumière de l'expérience supplémentaire acquise dans le cadre du contentieux transfrontière, la question de l'exécution effective des décisions de justice dans les actions collectives transfrontières devrait figurer dans le rapport prévu sur l'application du règlement Bruxelles J ».

    129

    Specialia generalibus derogant, il faut donc se pencher a priori sur le règlement européen n°1/2003 et ses modifications. Malheureusement, apparaît le constat que le règlement est silencieux sur la compétence des autorités de concurrence pour ce type de contentieux. Ce mutisme renvoie ainsi au règlement n°1215/2012 (ancien règlement n°44/2001) dit « Bruxelles I bis » en ce qu'il est

    130

    applicable aux actions intentées depuis le 10 janvier 2015.

    Deux autres critères tiennent à l'application de ce règlement, la pratique anticoncurrentielle présente un élément d'extranéité avec plusieurs Etats membres et le défendeur est domicilié sur le territoire de l'un d'entre eux. Le règlement s'applique en matière civile et commerciale quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s'applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l'Etat pour des actes ou omissions commis dans l'exercice de la puissance publique et le recours collectif sur le fondement des pratiques anticoncurrentielles ne rentrent dans aucune de ces hypothèses.

    La question de la nature civile et commerciale a été précisée, tout d'abord, il s'agit d' « une notion autonome » donc propre au droit européen. Qui plus est, la jurisprudence est intervenue pour en préciser le contour de manière négative, ainsi ne relève pas de la matière civile et commerciale une personne publique qui agit dans le cadre de prérogative de puissance publique131.

    Dans l'hypothèse d'une action collective contre des autorités publiques contrevenantes, une pratique anticoncurrentiel ne se rattache en principe pas à l'exercice de prérogative de puissance publique. De plus, existe le critère général du lien direct de l'action avec la procédure ou le lien de droit visé, par exemple une action en comblement de passif est en lien direct avec la procédure d'insolvabilité qui ne relève pas du règlement Bruxelles I bis. En l'espèce, pour les actions collectives en dommages et intérêts il ne semble pas y avoir de telles exceptions. Qui plus est, il est nécessaire de regarder les compétences exclusives qui « sont seules compétentes les juridictions ci-

    129 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions «Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs» /COM/2013/0401 final

    130 Règlement (UE) n°1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte)

    131 CJCE, arrêt du 4 octobre 1976, LTU Lufttransportunternehmen GmbH & Co. KG contre Eurocontrol, affaire 29-76

    53

    après d'un État membre, sans considération de domicile des parties ». En l'espèce, l'action collective ne rentre pas aussi dans ce cadre exclusif de compétence (article 24 dudit règlement). Maintenant que les conditions globales du régime du règlement Bruxelles I bis ont été posées, il faut se tourner vers les opportunités offertes aux demandeurs. En outre, ne règlement laisse aux demandeurs à l'action une multitude de choix, ce qui a conduit à parler de « forum shopping132 » en matière concurrentielle.

    54. For de le l'auteur, défendeur à l'action de groupe. C'est en effet, le premier choix pour le

    demandeur et par extension, aux demandeurs à l'action collective. Ici, le demandeur peut être une entreprise (PME notamment) ou un consommateur. Les dispositions générales de l'article 4 dudit règlement précise :

    « 1. Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »

    Ainsi, le demandeur peut agir devant les juridictions du domicile du défendeur et en respectant le principe de spécialité s'il existe quant à la gestion de l'action collective par une (ou des) juridiction(s) exclusive(s) précisément définie(s). Subséquemment, il faut analyser la notion de domicile.

    Qui est défini à l'article 62 pour les personnes physiques selon un droit interne (néanmoins lorsqu'une partie n'a pas de domicile dans l'État membre dont les juridictions sont saisies, le juge, pour déterminer si elle a un domicile dans un autre État membre, applique la loi de cet État membre).

    Qui est défini à l'article 63 pour les personnes morales, selon des critères européens alternatifs : siège social, administration centrale ou lieu d'immatriculation.

    En droit de la concurrence, par l'extension de la notion d'entreprise (notamment pour des filiales sur un même territoire), certains juges nationaux ont pu étendre le chef de leur compétence par le biais de l'article 4 comme dans l'affaire Provimi133.

    Ce choix peut être difficile pour la partie demanderesse qui pourrait saisir un for étranger alors qu'elle ne connaît pas le système juridique de celui-ci, sans compter la complexification du fait de la langue et de la distance. Néanmoins, par le biais de l'action collective ces difficultés s'estompent, l'agrégation de moyens permettant pour partie de surmonter ce type de problème.

    Pour l'entreprise, le risque est ici moindre, elle connaît son ordre juridique. Plus factuellement, le juge du défendeur s'il partage la même nationalité pourrait être plus enclin à protéger le défendeur (dans une forme de protectionnisme « politique » moderne par le biais de l'appréciation souveraine des faits par le juge notamment). Toutefois, si son for offre un système d'action collective plus

    132 DUMARÇAY, Marie in La situation de l'entreprise victime dans les procédures de sanction des pratiques anticoncurrentielles, étude des procédures française et communautaire d'application du droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles, soutenue le 11 décembre 2008, Université de Montpellier I, page 308

    133 IDIOT, Laurent in Le droit de la concurrence in Les conflits de lois et le système juridique communautaire, p. 255

    134 Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 1 mars 1982, Syndicat des Expediteurs et Exportateurs en Legumes et Pommes de Terre, Primeurs de la Région Malouine c. SIPEFEL, n° de pourvoi: 80-15834: Bull. n° 76

    54

    avantageux, le consommateur va pouvoir s'agréer à l'action de ce for augmentant ainsi le montant du coût de l'action.

    55. Compétence spéciale. C'est un choix offert aux demandeurs (entreprise ou consommateur)

    qui peut s'orienter vers des règles de compétence spéciale propre à la matière contractuelle ou délictuelle, selon le terrain choisi par le demandeur.

    En outre, l'article 7 dudit règlement précise, cette capacité d'option :

    « Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre:

    1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande; fÉ]

    2) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait

    dommageable s'est produit ou risque de se produire ».

    Au préalable, se pose la question de cette capacité à saisir le tribunal et l'existence (comme déjà soulevée supra) de juridiction spécialisée ayant une compétence exclusive en matière d'action collective. Il semble de manière logique en faisant jouer la ratio legis qu'au lieu de renvoyer à une juridiction précise, il faudrait renvoyer à la seule ou aux seules juridiction(s) compétente(s) sur le territoire de l'Etat membre en question.

    La nature de l'exercice de l'action en réparation des dommages causés par les infractions de concurrence a longtemps été source d'interrogation. Mais maintenant la réparation selon le droit commun de la responsabilité délictuelle est acquise. L'arrêt Courage affirme in fine la nature délictuelle pour violation de la loi de la réparation du dommage concurrentiel suivant par là l'arrêt antérieure Sipefel de la Cour de Cassation rendu en 1982 est fondateur sur le sujet :

    «Mais attendu que l'abrogation, par l'article 19 de la loi du 17 juillet 1977, des dispositions de l'article 45, 2° alinéa, de la loi du 27 décembre 1973, permet l'exercice, selon le droit commun, de l'action civile en réparation des dommages causés par les infractions visées à l'article 50 de l'ordonnance du 30 juin 1945, que les autorités des États membres de la communauté sont seules compétentes pour statuer sur les responsabilités civiles encourues par les entreprises qui, en infraction à l'article 85-2 du traite de Rome, pratiquent des ententes a caractère monopolistique, qu'au plan civil de la responsabilité tant l'article 50 de l'ordonnance précitée que l'article 85-2 dudit traite appellent une solution identique, étant indiffèrent a cet égard que le motif critique ait employé la conjonction "ou "; que loin de violer les textes vises au moyen, c'est à bon droit que la cour d'appel a appliqué à la cause les principes généraux de la responsabilité civile 134 ».

    135 CJUE, arrêt du 21 mai 2015, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA / Akzo Nobel NV e.a., affaire C-352/13

    55

    Par ailleurs, la Cour de justice précise dans un arrêt de 2015 qu'une personne lésée par une

    135

    entente illicite a l'option alternative d'introduire son action en réparation à l'encontre de plusieurs sociétés ayant participé à l'infraction soit devant le tribunal du lieu de la conclusion de l'entente ou d'un arrangement particulier sous-tendant cette entente, soit devant le tribunal du lieu de la matérialisation du dommage. Celui-ci doit être déterminé pour chaque victime individuelle et se trouve, en principe, au siège social de celle-ci.

    Mais un autre chef de compétence est possible, c'est le fondement contractuel avec l'action basée sur le dol. Le dol dans la conclusion d'un contrat est défini par l'article 1109 du code civil qui dispose qu'il : « [É] nÕy a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol ».

    Ainsi, l'acheteur victime d'une pratique anticoncurrentielle peut en outre demander au juge des dommages et intérêts sur le fondement du dol (i.e. une manoeuvre destinée à tromper une personne et à l'amener à conclure un contrat à des conditions désavantageuses).

    Mais encore, et sur le modèle de la jurisprudence administrative en la matière, les acheteurs directs pourraient préférer la voie contractuelle de l'action en réduction du prix pour dol, sur le fondement de l'article 1116 du Code Civil et de l'article 1137 dans l'Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations qui précise que :

    « Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manoeuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie. »

    La pratique anticoncurrentielle constitue un dol puisque l'entreprise contrevenante a trompé l'acheteur sur la réalité de la concurrence, qui a conduit l'acheteur à accepter le contrat à des conditions plus onéreuses. Il pourra donc agir en réparation contre son cocontractant pour obtenir des dommages et intérêts. Reste d'un point de vue théorique qu'ici l'action collective ne serait pas du private enforcement pur mais un dérivé subsidiaire de celui-ci.

    Le régime est identique et permet une action en réduction du prix de nature contractuelle comme affirmé plus en détail dans la thèse de Guillaume Zambrano sur l'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence (page 235 et suivantes), ce qui permet d'user de l'article 7.1.b) du règlement (« ouvrant » d'autres possibilités de saisine selon la qualification en question).

    Enfin lorsqu'il y a plusieurs défendeurs, un défendeur peut aussi être attrait devant le tribunal du domicile de l'un d'eux, à condition que les demandes soient étroitement liées et qu'il y ait ainsi intérêt à les juger en même temps pour éviter que des décisions divergentes et inconciliables ne soient rendues dans différents États membres.

    56

    56. Protection du consommateur. Enfin, si les demandeurs sont des consommateurs, il y a la

    possibilité de saisir la juridiction du for ou celle de l'autre partie. En outre, l'action intentée par un consommateur contre l'autre partie au contrat peut être portée soit devant les juridictions de l'État membre sur le territoire duquel est domiciliée cette partie, soit, quel que soit le domicile de l'autre partie, devant la juridiction du lieu où le consommateur est domicilié.

    Les cas pour entrer dans le champ d'application de cette capacité à choisir est précisé à l'article 17 du Règlement :

    « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs Article 17

    1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l'article 6 et de l'article 7, point 5):

    a) lorsqu'il s'agit d'une vente à tempérament d'objets mobiliers corporels;

    b) lorsqu'il s'agit d'un prêt à tempérament ou d'une autre opération de crédit liés au financement d'une vente de tels objets; ou

    c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce
    des activités commerciales ou professionnelles dans l'État membre sur le territoire

    duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

    2. Lorsque le cocontractant du consommateur n'est pas domicilié sur le territoire d'un État membre mais possède une succursale, une agence ou tout autre établissement dans un État membre, il est considéré pour les contestations relatives à leur exploitation comme ayant son domicile sur le territoire de cet État membre.

    3. La présente section ne s'applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

    57. Risque accru de sanction pour les entreprises. Malgré la possible utilisation malicieuse

    d'une « torpille italienne » (italian torpedo) par l'entreprise, le demandeur à l'action collective gardera en hypothèse une capacité à saisir une multitude de juridiction constitutive d'une forme accentuée de forum shopping.

    Comme le met en exergue Antonio Capobianco, analyste de l'OCDE en droit de la concurrence :

    136

    « There is a risk that a few jurisdictions will become the forum of choice for antitrust litigation (as seems to be the case of the UK) simply because they offer potential plaintiffs the most favourable substantive and procedural framework for their antitrust actions137».

    Ce risque crée un danger majeur pour les entreprises contrevenantes dans leur gestion des actions

    138

    collectives, déjà au niveau du coût procédural dupliqué par la multiplicité des actions collectives à

    136 Organisation de coopération et de développement économiques

    137 CAPOBIANCO, Antonio in Private antitrust enforcement of EC competition rules: recent developments, Competition Law Insight, 23 novembre 2004.

    138 pour un exemple du contentieux pouvant en découler : CJUE, arrêt du 21 mai 2015. Cartel Damage Claims ( CDC) Hydrogen Peroxide SA contre Akzo Nobel NV (voir le communiqué : http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/ application/pdf/2015-05/cp150058fr.pdf )

    57

    gérer, mais aussi du fait de l'efficacité probable du private enforcement permettant de limiter la faute lucrative, et encore à travers de l'efficience recherché par le coût brut du préjudice demandé qui peut grossir hypothétiquement (si la victime n'est pas apathique) du fait de l'agrégation de nouveaux préjudices dans l'action. Ce qui explique la nécessaire harmonisation des recours collectifs pour éviter que l'asymétrie d'efficacité des actions collectives dans les Etats membres avec l'attraction des victimes vers un système juridique en particulier139.

    §2) Insécurité juridique issue du conflit de loi

    58. Loi applicable et recours collectif. Sous quel régime juridique le conflit doit-il se

    dérouler ? La question interroge les règles actuelles de conflit de lois de l'Union européenne.

    En outre, il faut pointer qu'une juridiction saisie d'un litige collectif dans une affaire impliquant des demandeurs originaires de plusieurs États membres devrait parfois appliquer plusieurs lois différentes au fond.

    Au demeurant, s'agissant de la violation des règles de concurrence européenne, toutes les juridictions de l'Union se réfèrent aux articles 101 et/ou 102 TFUE afin d'établir l'existence d'une faute ouvrant droit à réparation. La faute étant démontrée, la question substantielle est ici celle des règles générales relatives à l'intérêt à agir et à la responsabilité délictuelle, dont l'application est déterminée. Dès lors, la question conformément à l'arrêt Courage et à la directive n°2014/104 relève du règlement sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II ».

    140

    Tout d'abord, la règle générale en matière délictuelle est que la loi applicable aux obligations résultant d'un fait dommageable est la loi du pays dans lequel est survenu le fait générateur du dommage, comme le précise l'article 4 du règlement « Rome II » :

    « 1. Sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent. »

    Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique. En cas de localisation du dommage dans des endroits multiples, il faut appliquer la jurisprudence Fiona Shevill de la Cour de justice, ainsi tous les lieux où les dommages sont subis peuvent servir de chef de compétence (arrêt du 7 mars 1995):

    « L' expression "lieu où le fait dommageable s' est produit", utilisée à l' article 5, point 3, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l' exécution des décisions en matière civile et commerciale, [É] doit, en cas de diffamation au moyen d' un article de presse diffusé dans plusieurs États contractants, être

    139 LECLERC, Mélanie in Les class actions, du droit américain au droit européen : Propos illustrés par le droit de la concurrence, thèse soutenue en 2011, Université de Paris-Dauphine, point 1021

    140 Règlement (CE) n°864/2007 du Parlement Européen et du Conseil du 11 juillet 2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles (Rome II)

    Le paragraphe trois pose tout d'abord le critère d'affectation du marché, critère pertinent sauf si le marché d'un pays ne suffit pas à encadrer la restriction de concurrence. Ainsi, le texte prévoit que le

    58

    interprétée en ce sens que la victime peut intenter contre l' éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l' État contractant du lieu d' établissement de l' éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l' intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l' État de la juridiction saisie. »

    Enfin, s'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre, la loi de cet autre pays s'applique. Ainsi, un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation préexistante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question (ce qui pourrait être aisément soulevé la victime ayant souvent contractée avec l'auteur de la faute au droit de la concurrence).

    59. Compétence spéciale. Face à cette compétence générale s'articule une compétence spéciale

    et en vertu de l'adage specialia generalibus derogant, ainsi sauf convention fixant la loi applicable, la réponse à la loi applicable pour la réparation du préjudice pour violation de la loi en matière de droit de la concurrence est à l'article 6, paragraphe 3 du règlement (sur la loi applicable aux obligations non contractuelles) :

    « Concurrence déloyale et actes restreignant la libre concurrence

    1. La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte de concurrence déloyale est celle du pays sur le territoire duquel les relations de concurrence ou les intérêts collectifs des consommateurs sont affectés ou susceptibles de l'être.

    2. Lorsqu'un acte de concurrence déloyale affecte exclusivement les intérêts d'un concurrent déterminé, l'article 4 est applicable.

    3.

    a) La loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un acte restreignant la concurrence est celle du pays dans lequel le marché est affecté ou susceptible de l'être.

    b) Lorsque le marché est affecté ou susceptible de l'être dans plus d'un pays, le demandeur en réparation qui intente l'action devant la juridiction du domicile du défendeur peut choisir de fonder sa demande sur la loi de la juridiction saisie, pourvu que le marché de cet État membre compte parmi ceux qui sont affectés de manière directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence dont résulte l'obligation non contractuelle sur laquelle la demande est fondée. Lorsque le demandeur, conformément aux règles applicables en matière de compétence judiciaire, cite plusieurs défendeurs devant cette juridiction, il peut uniquement choisir de fonder sa demande sur la loi de cette juridiction si l'acte restreignant la concurrence auquel se rapporte l'action intentée contre chacun de ces défendeurs affecte également de manière directe et substantielle le marché de l'État membre de cette juridiction.

    4. Il ne peut être dérogé à la loi applicable en vertu du présent article par un accord tel que mentionné à l'article 14. »

    59

    défendeur puisse choisir de fonder sa demande sur la loi de la juridiction saisie, pourvu que le marché de cet État membre compte parmi ceux qui sont affectés de manière directe et substantielle par la restriction du jeu de la concurrence dont résulte l'obligation non contractuelle sur laquelle la demande est fondée.

    Par ailleurs, le domaine de la loi déterminée par cette règle de conflit englobe également la cession de créance de droits litigieux (selon l'article 15.e du règlement qui prévoit son application à : « la transmissibilité du droit à réparation »), cession permettant comme par exemple en Allemagne (exemple de Cartel Damage Claims Hydrogen Peroxide SA) d'agréger les demandes avant d'agir en justice.

    Enfin, il peut être soutenu que les articles 101 et 102 TFUE relèvent de la catégorie des lois de police. Dès lors, ces dispositions sont applicables à toutes les situations relevant de leur champ d'application territorial. Ce qui explique en partie l'utilisation du critère d'affectation du marché et comme le pointe Laurence Idot :

    « En d'autres termes, si un cartel remplit des conditions d'applicabilité de l'article 101, § 1, TFUE, soit la localisation des effets dans l'Union européenne et l'affectation du commerce entre États membres, le droit de l'Union a vocation à s'appliquer quelle que soit la loi désignée par ailleurs par la règle de con it. L'article 6, § 3, du règlement «Rome II» n'a de sens que s'il est combiné avec l'article 16 du même règlement sur le respect des dispositions impératives141 ».

    60. Conflits de lois et difficulté pratique. Apparaît ainsi, qu'une multitude de lois sont

    applicables devant un même tribunal, à ce sujet la Communication de la Commission (intitulée « Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs ») n'y voit pas un souci majeur, en outre :

    « Cependant, la Commission n'est, jusqu'ici, pas persuadée qu'il serait opportun d'édicter une règle spéciale pour les actions collectives qui obligerait la juridiction à appliquer une loi unique à une affaire. En effet, cela pourrait faire naître des incertitudes lorsqu'il ne s'agit pas de la loi du pays de la personne réclamant des dommages et intérêts. »

    Néanmoins, l'éclatement du droit applicable peut poser des problèmes. Certes, cet éclatement se justifie par la nécessité de protéger la partie demanderesse d'une loi qu'il lui serait inconnue. Cependant, le critère du marché affecté ou susceptible de l'être par l'acte anticoncurrentiel est flou au regard de la multiplicité des dommages sur divers marchés ; le problème est aussi que l'alternative en cas de plusieurs marchés affectés n'est qu'une option ouverte au demandeur à l'action collective. Ainsi, il y a une versatilité des demandes et du contentieux découlant de l'action collective qui se dégage. Concrètement, la question du régime peut poser problème car par exemple le droit anglo-saxon n'apprécie pas de la même manière la responsabilité par la notion de « tort

    141 IDOT, Laurent in Choisir sa loi et son juge : Quelles possibilités ?, Concurrences, Colloque, 13 mai 2014, p. 19

    60

    law » que le droit civil de tradition romaine. Par exemple, les jurisprudences Albion Water et

    142

    Cardiff Bus devant le Competition Appeal Tribunal établissent que des exemplary damages sont exceptionnellement possibles lors d'action en private enforcement (notamment dans l'objectif de sanctionner : « punish and deter », ce qui ne peut jamais être le cas après une décision d'une ANC 143), ce qui est contraire au principe de réparation intégrale.

    L'exception sur ce point est toutefois en sursis, la directive n°2014/104 harmonisant cette différence.

    En toute état de cause, ce conflit de lois est facteur d'insécurité juridique pour les parties aux procès et essentiellement pour le juge et l'entreprise contrevenante. Cette insécurité juridique s'explique par l'incapacité à saisir de manière aisée la règle de droit applicable mais surtout de la complexité engendrée par l'éclatement du droit applicable, facteur de lenteur mais aussi de coût dans la procédure.

    142 Competition Appeal Tribunal, 2 Travel Group plc (in liquidation) v. Cardiff City Transport Services Ltd [2012] CAT 19 at [448]-[598], esp. [496] and concluding in [593]-[598]; Competition Appeal Tribunal, Albion Water Ltd v. Dr Cymru Cyfyngedig [2010] CAT 30.

    143 référence à la règle ne bis in idem : England and Wales High Court, Devenish Nutrition Ltd v. Sanofi-Aventis SA [2007] EWHC 2394 at [48]

    61

    61. Conclusion. L'action collective, comme risque actuel, frappe déjà par la dissymétrie « des

    actions collectives » au travers des différents régimes des Etats membres.

    Le Comité économique et social européen pointe lui que l'absence de règles nationales qui gouvernent de manière adéquate les actions en dommages et intérêts ou, d'autre part, la disparité entre les législations nationales « places not only victims, but also the perpetrators of competition law infringements in a position of inequality144 ».

    Malgré la volonté du législateur d'harmonisation, le soft law apparaît comme un outil inefficient et mal venu (voir section 1§1). Une harmonisation verticale est nécessaire pour éviter une inégalité de traitement entre les justiciables car le constat de l'hétérogénéité des actions de groupe dans l'Union européen (section1§2) a pour corollaire leur efficience à géométrie variable. Ce qui par ailleurs constitue aussi un risque ou un avantage comparatif pour les entreprises.

    Mais cet avantage comparatif s'évanouit rapidement au regard tant du forum shopping possible (section 2§1) que de l'insécurité juridique créée par le conflit de loi (section 2§2) propre au litige concurrentiel dans une société mondialisée et consumériste avec une globalisation des pratiques anticoncurrentielles.

    Ainsi, l'entreprise dans sa stratégie doit donc en prendre ce qui constitue l'état actuel du risque des actions collectives en droit de la concurrence sur le fondement du droit européen. Or, ce risque actuel est en mutation, la directive n°2014/104 établissant un standard minimal commun horizontal des actions privées en dommages et intérêts.

    144 Opinion of the European Economic and Social Committee on the Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union COM(2013) 404 final - 2013/0185 (COD) and on the Communication from the Commission on quantifying harm in actions for damages based on breaches of Article 101 or 102 of the Treaty on the Functioning of the European Union C(2013) 3440, 16 Octobre 2013, point 1.1.1

    62

    Titre 2 - Risque potentiel

    62. Entre volonté d'efficience et inefficience factuelle. La directive européenne sur les actions

    en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions européennes de droit de la concurrence est un risque potentiel. Potentiel qui existe en puissance, virtuellement. Puisque, d'une part, son effectivité n'est qu'une probabilité, le temps n'ayant pas fait son oeuvre, aucun recul sur son impact réel (statistique notamment) est possible. D'autre part, car derechef cette potentialité est liée au facteur temporel de sa transposition en droit interne qui conformément à la directive en son article 21 doit être réalisée au plus tard le 27 décembre 2016.

    Certaines entreprises contrevenantes y verront un cadeau empoisonné étant donné que cette directive assure avant tout un renforcement des droits des justiciables face au préjudice fait à leur droit du fait de l'atteinte à la concurrence sur le marché.

    D'autres se féliciteront du renforcement effectué de l'interactivité entre public et private enforcement et de la mise en place d'un cadre juridique plus homogène facteur de sécurité juridique et d'égalité dans l'espace économique européen.

    D'aucuns envisageront la réalité de ce risque potentiel qui se traduit toujours et encore par son inefficience relative au regard des actions collectives sur le terrain probatoire notamment.

    Dès lors, l'analyse de ce risque potentiel demande d'envisager, dans un premier temps, le potentiel accru des actions collectives en droit européen au travers de la directive n°2014/104 (Chapitre 1), pour dans un deuxième temps, dresser le bilan des obstacles persistants à l'efficacité de l'action en dommages et intérêts au travers des actions collectives (Chapitre 2).

    63

    Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts

    63. Renforcement intrinsèque et interaction renforcée. La directive n°2014/104 n'est pas
    tombée du ciel et est le cheminement de plusieurs années de réflexions sur le private enforcement. Elle traduit avant tout un changement de paradigme comparativement au Livre vert , le private

    145

    enforcement n'est plus regardé comme le coeur du dispositif législatif mais plutôt comme un complément. Ainsi, la directive s'articule plutôt vers les modalités d'interaction du contentieux objectif et subjectif, dont l'objectif essentiel est de ne pas nuire à l'effectivité de l'action des autorités de concurrence tout en renforçant la facilité d'agir en justice pour les victimes.

    Ce renforcement intrinsèque par la directive fait suite au dévoilement de l'ambition de la Commission sur le sujet le 11 juin 2013 avec le « paquet private enforcement ».

    Ce paquet est composé de cinq documents : une proposition de directive relative à « certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne », complétée par une communication sur la question de la quantification du préjudice et un guide pratique (au caractère

    146

    « purement informatif »). Enfin, la Commission s'intéresse à la problématique des actions

    147

    collectives par le biais d'une communication intitulée « Vers un cadre européen pour les recours collectifs » et d'une recommandation relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation.

    Ce paquet comprend donc des documents dont la valeur normative est variable mais s'inscrit clairement dans l'objectif de dépasser les principaux obstacles à l'action en réparation afin de rendre effectif l'accès à la justice des victimes de pratiques anticoncurrentielles. Ainsi, la directive oblige à regarder les modalités endogènes du renforcement du private enforcement (Section 1), pour ensuite se pencher sur la recherche d'une interaction renforcée avec le public enforcement (Section 2).

    Section 1 - Les modalités intrinsèques du private enforcement précisées

    64. Un renforcement effectif. Il convient avant de se pencher plus en profondeur sur les
    modalités techniques de rappeler en quoi cette directive est effective pour les actions collectives et les justiciables.

    En l'absence de dispositions dans le droit de l'Union, les actions en dommages et intérêts sont régies par les règles et procédures nationales des États membre.

    Comme le rappelle la jurisprudence européenne, sur le fondement de l'autonomie procédurale, il

    145 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final: Non publié au Journal officiel] ; Trouvé le 2 août 2016 : hhttp:// eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=URISERV%3Al26120

    146 Communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) 2013/C 167/07

    147 http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/quantification_guide_fr.pdf

    148 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.152

    64

    revient aux États membres de prévoir des règles procédurales effectives à sa protection tout en respectant les principes d'équivalence et d'effectivité (au paragraphe 11 de la directive n°2014/104). Le changement imposé par la directive se traduit dans un premier temps par une réduction :

    « à due concurrence, dans son domaine d'application, le principe d'autonomie procédurale des Etats membres qui détiennent, via leurs juridictions le monopole des sanctions civiles et auxquelles il appartient de fixer le régime de celles-ci tant qu'une législation européenne n'est pas intervenue148 ».

    Actant les décisions jurisprudentielles, la force de l'obligation qui pèse sur les Etats est rappelée par la directive à l'article 4 qui précise que :

    « Conformément au principe d'effectivité, les États membres veillent à ce que toutes les règles et procédures nationales ayant trait à l'exercice du droit de demander des dommages et intérêts soient conçues et appliquées de manière à ne pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l'exercice du droit, conféré par l'Union, à réparation intégrale du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence. Conformément au principe d'équivalence, les règles et procédures nationales relatives aux actions en dommages et intérêts découlant d'infractions à l'article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ne sont pas moins favorables aux parties prétendument lésées que celles régissant les actions similaires en dommages et intérêts découlant d'infractions au droit national ».

    En outre, cette introduction du droit européen dans la procédure civile des Etats membres pour les actions découlant du droit européen devraient en toute état de cause contaminer le contentieux interne de la concurrence. En effet, il n'y aurait aucune raison opportune de ne pas uniformiser le régime procédural interne et européen, ainsi le contentieux interne découlant du droit interne devrait de manière identique développer le même régime procédural.

    65. Droit à une protection juridictionnelle effective. Implicitement derrière la directive se

    cache une volonté d'européanisation du droit de la concurrence dans tous ses aspects, qui semble selon la Commission nécessaire pour en assurer l'effectivité.

    Ainsi, d'un point de vue juridique, la nécessité de moyens de recours procéduraux effectifs découle au-delà du droit à réparation du droit à une protection juridictionnelle effective prévu à l'article 19, paragraphe 1, deuxième alinéa, du traité sur l'Union européenne qui stipule que :

    « Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l'Union ».

    À ceci, il faut ajouter l'article 47, premier alinéa, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui précise :

    65

    « Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article ».

    Dès lors, le droit à une réparation intégrale étant garanti par le droit de l'Union depuis l'arrêt Courage, la directive sur les actions en dommages et intérêts peut à bon droit régir la procédure concurrentielle pour les actions en dommages et intérêts.

    66. Invocabilité du droit de l'Union. De manière subsidiaire, se pose la question de la non-

    transposition ou de la transposition non conforme à la directive. Dans quelle mesure les acteurs aux procès et à l'action collective pourront invoquer les normes érigées au travers de la directive ? Tout d'abord, la Cour de justice permet d'accorder aux particuliers, sous certaines conditions149, la possibilité d'obtenir réparation concernant les directives mal transposées ou transposées avec retard .

    150

    Ensuite, depuis l'arrêt Von Colson du 10 avril 1984, la Cour de justice a édicté que le particulier peut invoquer une directive dépourvue d'effet direct devant le juge national pour qu'il puisse interpréter le droit national à la lumière de cette directive :

    « Il appartient à la juridiction nationale de donner à la loi prise pour l'application de la directive, dans toute la mesure où une marge d'appréciation lui est accordée par son droit national, une interprétation et une application conformes aux exigences du droit communautaire ».

    151

    Ainsi, le juge européen impose à toutes les autorités des Etats membres, y compris les tribunaux, dans les matières ressortant de leur compétence, l'obligation d'adopter toutes mesures pertinentes, générales ou particulières, pour remplir leurs obligations nées du droit européen.

    Par la suite, il y a eu une extension de cette invocabilité au droit national préexistant au travers de l'arrêt Marleasing :

    149 Conformément à l'arrêt Francovich : dans le cas d'un État membre qui méconnaît l'obligation lui incombant, en vertu de l' article 189, troisième alinéa, du traité, de prendre toutes les mesures nécessaires pour atteindre le résultat prescrit par une directive, la pleine efficacité de cette norme de droit communautaire impose un droit à réparation dès lors que trois conditions sont réunies, à savoir, en premier lieu, que le résultat prescrit par la directive comporte l'attribution de droits au profit des particuliers, en second lieu, que le contenu de ces droits puisse être identifié sur la base des dispositions de la directive et, en troisième lieu, qu'il existe un lien de causalité entre la violation de l'obligation qui incombe à l'État et le dommage subi par les personnes lésées. En l'absence d'une réglementation communautaire, c'est dans le cadre du droit national de la responsabilité qu'il incombe à l'État de réparer les conséquences du préjudice causé. Néanmoins, les conditions de fond et de forme fixées par les différentes législations nationales en la matière ne sauraient être moins favorables que celles qui concernent des réclamations semblables de nature interne et ne sauraient être aménagées de manière à rendre excessivement difficile ou pratiquement impossible l' obtention de la réparation (CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, Francovich, affaires jointes C-6/90 et C-9/90).

    150 En effet, l'obligation de réparation de l'État a lieu indépendamment de l'effet direct de la directive: même si les dispositions qui confèrent des droits aux particuliers ne sont pas assez précises et inconditionnelles pour être directement invoquées, le particulier est considéré comme lésé par l'inexécution de l'État (ibid.).

    151 CJCE, arrêt du 10 avril 1984, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, affaire 14/83

    66

    « Il s'ensuit qu'en appliquant le droit national, qu'il s'agisse de dispositions antérieures ou postérieures à la directive, la juridiction nationale appelée à l'interpréter est tenue de le faire dans toute la mesure du possible à la lumière du texte et de la finalité de la directive, pour atteindre le résultat visé par celle-ci et se conformer ainsi à l'article 189, troisième alinéa, du traité.

    [É]

    Le juge national qui est saisi d' un litige dans une matière entrant dans le domaine d' application de la directive 68/151/CEE du Conseil, du 9 mars 1968, tendant à coordonner, pour les rendre équivalentes, les garanties qui sont exigées, dans les États membres, des sociétés au sens de l' article 58, deuxième alinéa, du traité CEE pour protéger les intérêts tant des associés que des tiers, est tenu d' interpréter son droit national à la lumière du texte et de la finalité de cette directive, en vue d' empêcher la déclaration de nullité d' une société anonyme pour une cause autre que celles énumérées à son article 11152».

    Enfin, dans ce mouvement vertical d'uniformisation par le haut, l'arrêt Pfeiffer de la Cour de justice est encore plus tranchant, du fait qu'il a étendu ce principe au droit national en son entier et non pas seulement aux normes adoptées pour transposer une directive :

    « Si le principe d'interprétation conforme du droit national, ainsi imposé par le droit communautaire, concerne au premier chef les dispositions internes introduites pour transposer la directive en cause, il ne se limite pas, toutefois, à l'exégèse de ces dispositions, mais requiert que la juridiction nationale prenne en considération l'ensemble du droit national pour apprécier dans quelle mesure celui-ci peut recevoir une application telle qu'il n'aboutit pas à un résultat contraire à celui visé par la directive ».

    153

    Ainsi, apparaît que l'obligation à la charge de l'Etat d'assurer un droit à réparation effectif des victimes de pratique anticoncurrentielle soit en réalité bien plus large que les simples indications de la directive à la lecture de l'arrêt Pfeiffer. Assurer une telle effectivité demande aux juridictions nationales d'analyser in concreto la réalité de l'effectivité du droit donné par la directive au travers de son exercice en droit interne. Cette obligation de conformité peut être un outil pour les acteurs aux procès que ce soit l'entreprise et le consommateur, possible demandeur et l'entreprise, défenderesse lors du recours collectif contre elle par le truchement du droit interne.

    De la sorte, les acteurs peuvent soulever des moyens de non-conformité du droit interne pour soit rechercher à rendre inefficient le recours collectif (recherche dilatoire essentiellement), soit l'améliorer au regard de la directive (son applicabilité aux recours collectifs n'étant pas discutable, voir infra).

    67. Action collective et effectivité procédurale du private enforcement. La directive est claire

    et elle précise au considérant 13 :

    152 CJCE, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing SA contre La Comercial Internacional de Alimentacion SA. - affaire C-106/89

    153 CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer Gro§handel GmbH contre Löwa Warenhandel GmbH, affaires jointes C-397/01 à C-403/01

    67

    « La présente directive ne devrait pas exiger des États membres qu'ils mettent en place des mécanismes de recours collectif aux fins de la mise en oeuvre des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

    Au premier regard, la directive ne semble pas avoir à régir les actions collectives mais cela est trompeur. En outre, l'intérêt de la directive n'existe qu'au travers des actions collectives. En effet, les modalités procédurales précisées n'ont de raison d'être au-delà du contentieux entre concurrents que pour les recours collectifs, le bilan étant à une inertie du recours individuel.

    D'autre part, l'agrégation des justiciables ne sauraient en aucune hypothèse les priver des droits comme garantis au travers de la directive, si non à méconnaître l'essence même de la directive et la jurisprudence européenne.

    Enfin et de manière définitive, l'article 2 de la directive concernant les définitions précise bien que par action en dommages et intérêts, il faut entendre :

    « une action introduite en vertu du droit national par laquelle une juridiction nationale est saisie d'une demande de dommages et intérêts par une partie prétendument lésée, par une personne agissant au nom d'une ou de plusieurs parties prétendument lésées, lorsque cette possibilité est prévue par le droit de l'Union ou par le droit national, ou par une personne physique ou morale qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande ».

    68. Facteurs endogènes d'amélioration. Dès lors se pose la question du nouveau régime de la

    directive n°2014/104 (affectant comme il a été montré le régime des actions collectives), il convient de regarder quatre facteurs d'amélioration extérieurs à une meilleure interaction avec le contentieux objectif. Il s'agira d'une part, de s'intéresser au champ d'application et à la prescription (1), à la responsabilité solidaire mise en place (2), mais aussi à la production de preuve facilitée (3) et enfin à la cession du droit d'agir et au financement des actions collectives (4).

    §1) Champ d'application et prescription

    69. Champ d'application. L'arrêt Courage visait tout justiciable. Logiquement, la directive
    offre un régime du droit à réparation reconnu à toute personne physique ou morale (article 1er). Indistinctement, que ce soit un consommateur, une entreprises ou une autorité publique, une action est possible. Et ceci indépendamment de l'existence d'une relation contractuelle directe avec l'entreprise qui a commis l'infraction, et qu'il y ait eu ou non constatation préalable d'une infraction par une autorité de concurrence. En effet, la place dans la chaine contractuelle au regard de la jurisprudence européenne semble sans importance, tout comme la possible constatation de l'infraction préalable, le droit européen donne un droit à réparation indistinct, sans limite quant au degré de relation et à la forme de celle-ci avec l'auteur de la faute.

    70. Un obstacle procédural factuel. Le socle de l'action holiste est bel et bien l'action
    individuelle. En outre, la prescription est la limitation dans le temps de la recevabilité d'une action

    68

    en justice. Dès lors, les délais de prescription ne doivent pas rendre l'exercice du droit à réparation intégrale « pratiquement impossible ou excessivement difficile ». Ainsi, le déplacement dans le temps du point de délai et/ou l'interruption de la prescription sont factuellement des limites à l'action. Les autorités européennes ont dressé ce bilan depuis le Livre Vert (page 12) et ont déjà pointé à l'époque que :

    « Le rôle de la suspension ou de la prorogation des délais de prescription est important, dans la mesure où ils permettent de garantir que les demandes d'indemnisation puissent effectivement être introduites (particulièrement dans le cas des «actions de suivi») ».

    Dès lors, la directive a vocation à régir la prescription et ses modalités. Comme précisé dans la texte, le texte européen à vocation à déterminer le moment à partir duquel le délai de prescription commence à courir, la durée de ce délai et les circonstances dans lesquelles il est interrompu ou suspendu.

    Concrètement, l'action en justice passé le délai pour agir sera irrecevable et l'entreprise contrevenante n'aura pas à rembourser le préjudice. Par exemple, le Tribunal de grande instance de Paris a ainsi pu refuser de faire droit à des demandes de réparation soulevées près de quinze ans après la découverte des faits susceptibles d'ouvrir un droit à réparation154.

    Du fait de son importance, les débats ont été intense au regard des nombreuses modifications survenues entre la proposition de directive de la Commission et la directive finale.

    71. Un minimum de cinq ans. La directive impose un minimum qui est de cinq ans. Ce qui

    rend contraire les délais dans de nombreux pays notamment en Espagne où le délai était parfois seulement d'un an ou encore au Portugal avec un délai qui était de trois ans . Ce délai standard

    155 156

    assure donc un égalité de traitement entre les justiciables des Etats membres, tout comme le point de départ des délais de prescription (article 10.2 de la directive) :

    « 2. Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l'infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :

    a) du comportement et du fait qu'il constitue une infraction au droit de la concurrence;

    b) du fait que l'infraction au droit de la concurrence lui a causé un préjudice; et

    c) de l'identité de l'auteur de l'infraction ».

    Ce triptyque de possibilité offerte avec le critère pour le demandeur de la prise de connaissance raisonnable laisse un aléa qui sera donc un enjeu préalable même du contentieux.

    Le déplacement du point de départ peut aussi poser des problèmes de transposition, notamment en droit français où l'article 2224 du Code civil prévoit que les actions personnelles ou mobilières se

    154 Tribunal de grande instance de Paris, jugement du 17 décembre 2013, n° 10-03480

    155 articles 1968 et1902 du Code civil espagnol

    156 article 498 du Code civil portugais

    69

    prescrivent par cinq ans : « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». En effet, il faudra comme le souligne le professeur Chagny157 reprendre les éléments sur la connaissance réelle ou raisonnable pour faire courir le délai ou encore sur le point de départ à la fin de l'infraction.

    72. Suspension ou interruption. Les États membres veillent à ce qu'un délai de prescription
    soit suspendu ou, selon le droit national, interrompu par tout acte d'une autorité de concurrence visant à l'instruction ou à la poursuite d'une infraction au droit de la concurrence à laquelle l'action en dommages et intérêts se rapporte.

    Le texte européen précise que cette suspension prend fin au plus tôt un an après la date à laquelle la décision constatant une infraction est devenue définitive ou à laquelle il a été mis un terme à la procédure d'une autre manière. Ainsi, il s'agit d'encourager les actions en follow-on dont l'exercice a par ailleurs été facilité quant à la preuve de l'infraction.

    §2) Responsabilité solidaire des auteurs de l'infraction

    73. Efficacité du droit à réparation intégrale. En lisant la directive apparaît clairement que le
    droit à réparation intégrale (right to full compensation) est le principe orthogonal des dispositions en matière de réparation (celui-ci est évoqué dès l'article 3 dans le premier chapitre relatif à l'objet, au champ d'application et aux définitions). De facto, par réparation intégrale, il faut entendre l'octroi de dommages-intérêt, i.e. d'un point de vue économique, la victime doit être replacée dans la situation où elle aurait été si l'infraction au droit de la concurrence n'avait pas été commise.

    Pour ce faire, la réparation intégrale couvre la réparation du dommage réel (damnum emergens) et du manque à gagner (lucrum cessans), ainsi que le paiement d'intérêts. En ce qui concerne le paiement d'intérêts, il vise à réparer les dommages subis en tenant compte de l'écoulement du temps, et il devrait être dû depuis le moment où le préjudice est survenu jusqu'à celui où les dommages et intérêts sont versés (considérant 12 de la directive).

    Plus encore, la directive règle la question de la responsabilité solidaire. La Commission relève d'ailleurs sur le sujet que : « depending on the existing legal framework in the Member States, the introduction of joint and several liability for co-infringers will entail low or no transposition costs ».

    158

    74. Responsabilité partagée. De ce fait, la question se pose en cas de pluralité d'auteurs, sur
    cette possibilité le considérant 37 précise que :

    157 Ibid., p.180

    158 Commission Staff Working Document Impact Assessment Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union (Text with EEA relevance), p. 64

    70

    « Lorsque plusieurs entreprises enfreignent conjointement les règles de concurrence, par exemple dans le cas d'une entente, il convient de prévoir que ces coauteurs de l'infraction sont tenus solidairement pour responsables de l'intégralité du préjudice causé par l'infraction ».

    Mais la réparation solidaire159 du préjudice implique en matière de responsabilité, la question du partage de celle-ci entre les auteurs de l'infraction, ainsi le même considérant ajoute que :

    « Si l'un des coauteurs de l'infraction a contribué à la réparation dans une proportion plus importante que celle qui lui incombe, il devrait être en droit d'obtenir une contribution des autres coauteurs de l'infraction. La détermination de cette part correspondant à la responsabilité relative d'un auteur donné d'une infraction, de même que la définition des critères pertinents tels que le chiffre d'affaires, la part de marché ou le rôle joué dans l'entente, relèvent du droit national applicable, dans le respect des principes d'effectivité et d'équivalence ».

    Ce raisonnement est dans la suite logique de la décision Courage avec le critère de responsabilité

    160

    « significative » comme critère préalable à la responsabilité de la partie adverse. En effet, il s'agit bien d'une appréciation de la part de responsabilité incombant à la partie demanderesse pourtant partie à l'infraction ; même si dans cette hypothèse, il s'agit plus d'une forme d'exonération partielle de responsabilité ouvrant droit à l'action. Ainsi, pour éviter toute dérive dans la réparation et pour que la victime obtienne intégralement la réparation de son préjudice, la directive prévoit son régime à l'article 11. Cet article prévoit qu'en cas de comportement conjoint les opérateurs contrevenants soient solidairement responsables du préjudice causé par l'infraction :

    « 1. Les États membres veillent à ce que les entreprises qui ont enfreint le droit de la concurrence par un comportement conjoint soient solidairement responsables du préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence; cela a pour effet que chacune de ces entreprises est tenue d'indemniser le préjudice dans son intégralité et que la partie lésée a le droit d'exiger de chacune d'elles la réparation intégrale de ce préjudice jusqu'à ce qu'elle ait été totalement indemnisée ».

    Comme rappelé dans le rapport d'étude d'impact, tant le droit anglais , allemand que le droit

    161 162

    espagnol (« solidaridad propia ») ou italien (l'article 2055, alinéa 1er du Code civil italien) prévoient une responsabilité solidaire.

    159 qui se différencie de l'obligation in solidum, qui est utilisé en droit français notamment

    160 par une lecture a contrario du dispositif qui prévoit que le : « droit communautaire ne s'oppose pas à une règle de droit national qui refuse à une partie à un contrat susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence de se fonder sur ses propres actions illicites aux fins d'obtenir des dommages et intérêts, dès lors qu'il est établi que cette partie a une responsabilité significative dans la distorsion de la concurrence ».

    161 WAGNER-VON PAPP, Florian in Implementation of the Damages Directive in England & Wales, in La transposition de la directive 2014/104/UE relative aux actions en dommages et intérêts pour violation du droit des pratiques anticoncurrentielles, Concurrences, n°2-2015, p. 33

    162 aux paragraphes 830 et 840 BGB et l'arrêt ORWI de la Cour fédérale de justice rendu en 2011

    71

    La question reste qu'en à la définition exacte de « comportement conjoint » qui devra être défini soit législativement ou jurisprudentiellement . Selon Muriel Chagny, la notion de comportement

    163

    conjoint apparaît à même de comprendre « outres les comportements collectifs stricto sensu, reposant sur une concertation, d'autres comportements, dès lors qu'ils produisent ses résultats indissociables pour leurs victimes164».

    Enfin, dès lors qu'un seul opérateur a entièrement réparé la victime, celui-ci est en droit de demander la contribution aux autres contrevenants dont le montant est proportionnel à leur participation à l'infraction. Il s'agit ici du principe des actions récursoires.

    75. Aménagement pour les PME. Un régime propre est mis en place en faveur des PME165 avec une aménagement de la responsabilité des PME (sous certaines conditions). Celui-ci joue sauf si l'entreprise a été l'instigatrice de l'infraction ou a contraint d'autres entreprises à participer à celle-ci ou si la PME a précédemment été convaincue d'infraction.

    Textuellement, l'article 11 prévoit que :

    « 2. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres veillent à ce que, sans

    préjudice du droit à réparation intégrale prévu à l'article 3, lorsque l'auteur de l'infraction est une petite ou moyenne entreprise (PME) au sens de la recommandation 2003/361/CE de la Commission166, il n'est responsable qu'à l'égard de ses propres acheteurs directs et indirects lorsque :

    167

    a) sa part de marché sur le marché concerné est inférieure à 5 % à quelque moment que ce soit de la durée de l'infraction au droit de la concurrence; et

    b) l'application des règles habituelles de la responsabilité solidaire compromettrait irrémédiablement la viabilité économique de l'entreprise concernée et ferait perdre toute valeur à ses actifs.

    3. La dérogation prévue au paragraphe 2 ne s'applique pas lorsque:

    a) la PME a été l'instigatrice de l'infraction au droit de la concurrence ou a contraint d'autres entreprises à participer à celle-ci; ou

    b) la PME a précédemment été convaincue d'infraction au droit de la concurrence. »

    Cette restriction du champ d'application de la solidarité des PME s'explique économiquement par la volonté de ne pas affecter même provisoirement le coût du préjudice (notamment d'un action collective) sur une entreprise au ressource financière limitée.

    163 CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p.279

    164 Ibid., p. 277

    165 moins de 250 personnes et son chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros ou son bilan n'excède pas 43 millions d'euros

    166 Recommandation 2003/361/CE de la Commission du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises (JO L 124 du 20.5.2003, p. 36).

    167 art. 2 de la directive n°2014/104: « acheteur indirect : une personne physique ou morale qui a acheté, non pas directement auprès de l'auteur de l'in fraction, mais auprès d'un acheteur direct ou d'un acheteur ultérieur, des produits ou services ayant fait l'objet d'une infraction au droit de la concurrence, ou des produits ou services les contenant ou dérivés de ces derniers. »

    72

    168 LAINA, Flavio in Politique de clémence et lutte contre les cartels (Forum de concurrence européen), septembre 2006, Revue Concurrences N° 3-2006, art. n° 1557, pp. 73-84

    76. Immunité et responsabilité solidaire. Lorsqu'un participant à l'entente coopère avec

    l'autorité de concurrence dans le cadre de son enquête en présentant spontanément des éléments concernant sa connaissance de l'entente et le rôle qu'il y joue, il peut jouir d'une immunité d'amendes pour sa participation à l'entente ou de la réduction du montant de l'amende.

    Il est prévu qu'un bénéficiaire d'une immunité d'amende accordée au titre d'un programme de clémence ne soit pas solidairement responsable, mais que sa contribution par rapport aux autres coauteurs de l'infraction n'excède pas le montant du préjudice causé à ses propres acheteurs directs ou indirects ou fournisseurs directs ou indirects. Néanmoins, une limite est apportée dans l'hypothèse où le justiciable ne pourrait pas recevoir une réparation intégrale de son préjudice avec un retour au régime de droit commun d'espèce. De plus, dans la mesure où l'infraction a causé un préjudice à des parties autres que les clients ou les fournisseurs des auteurs de l'infraction, sa contribution ne doit pas excéder le montant correspondant à sa responsabilité relative dans le préjudice causé par l'entente. La directive dispose ainsi que :

    « 4. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres veillent à ce que les

    bénéficiaires d'une immunité soient solidairement responsables du préjudice comme suit:

    a) à l'égard de leurs acheteurs ou fournisseurs directs ou indirects; et

    b) à l'égard d'autres parties lésées uniquement lorsqu'une réparation intégrale ne peut être obtenue auprès des autres entreprises impliquées dans la même infraction au droit de la concurrence.

    Les États membres veillent à ce que tout délai de prescription applicable aux cas visés au présent paragraphe soit raisonnable et suffisant pour permettre aux parties lésées d'introduire de telles actions.

    5. Les États membres veillent à ce que l'auteur d'une infraction puisse récupérer, auprès de tout autre auteur de l'infraction, une contribution dont le montant est déterminé eu égard à leur responsabilité relative dans le préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence. Le montant de la contribution d'un auteur d'une infraction auquel une immunité d'amendes a été accordée au titre d'un programme de clémence n'excède pas le montant du préjudice que cette infraction a causé à ses propres acheteurs ou fournisseurs directs ou indirects.

    6. Les États membres veillent à ce que, dans la mesure où l'infraction au droit de la concurrence a causé un préjudice à des parties lésées autres que les acheteurs ou fournisseurs directs ou indirects des auteurs de l'infraction, le montant de la contribution du bénéficiaire d'une immunité aux autres auteurs de l'infraction soit déterminé eu égard à sa responsabilité relative dans ce préjudice. »

    Ainsi, il s'agit au travers de régime dérogatoire de garder l'attractivité du régime de clémence actuel qui a connu un succès certain tout en assurant à la victime la possibilité effective d'être

    168

    dédommagée.

    73

    §3) Production de preuve par le défendeur ou un tiers

    77. Discovery de droit américain. Le succès au moins statistique du private enforcement aux
    Etats-Unis a conduit l'Europe à engager une réflexion sur sa raison. Le débat a pu parfois se concentrer sur la procédure de production de preuve. En effet, aux États-Unis, le législateur a mis en place une procédure, connue sous le nom de discovery, permettant d'ouvrir une phase d'enquête préalable au procès, afin de rapporter la preuve du préjudice. Selon la conception des Federal Rules of Civil Procedure le défendeur est tenu de divulguer des informations au demandeur du seul fait que des doutes existent quant à son comportement sur le marché. La discovery se distingue en ce qu'elle permet la recherche de preuves de manière très large, incluant, la recherche de preuve ayant uniquement un potentiel de pertinence pour l'affaire. Y échappe néanmoins le travail ayant été fait en préparation de l'affaire en question mais aussi de toutes les communications entre l'avocat et son client.

    En outre, la procédure de discovery est omniprésente lors d'une class action car elle présente divers avantages comme confronter la réalité des faits et allégations de son contradicteur, récolter une masse considérable d'informations ou créer un coût dissuasif pour l'adversaire. Ce coût peut être un risque pour le défendeur, car plus la partie demanderesse est puissante, plus elle sera capable de son côté de supporter le coût inhérent aux traitements des données. Ainsi, l'agrégation des moyens rendue possible par la class action permet de faire pression sur le défendeur quand le nombre de plaignants est véritablement élevé .

    169

    Le droit européen semble regarder de manière suspecte cette procédure comme attentatoire au droit de la défense et totalement déséquilibrée entre le contrôle du sérieux de la demande et les effets accordées à la procédure. À défaut de garde-fou, il y a une véritable crainte d'une judiciarisation outre limite de la vie des entreprises170. C'est ainsi que la recommandation de la Commission sur les recours collectifs pointe qu'il « convient, en règle générale, d'éviter [É] les procédures intrusives de communication de pièces préalablement au procès (Ç pre-trial discovery »)171 ».

    78. Production de preuve et asymétrie d'information. C'est dans ce cadre idéologique que
    s'inscrit la présente directive qui regarde le droit américain à la fois en modèle et en contre-modèle. Ainsi, la proposition de directive relève que la constatation d'une infraction aux règles de concurrence, la quantification des dommages et intérêts à la suite d'une entente ou d'un abus de position dominante et l'établissement d'un lien de causalité entre l'infraction et le préjudice subi, requièrent habituellement une analyse factuelle et économique très complexe. Cette complexité

    169ANDERSON, Brian et TRASK, Andrew in The Class Action Playbook, Oxford, 2010, page 116

    170 Commission Staff Working Document, Impact Assessment Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, 2013, p. 67 : « The costs imposed on citizens and businesses are proportionate to the stated objectives. A first step in this direction was already taken with the White Paper by excluding more radical measures (for instance multiple damages, opt-out class actions and wide discovery rules). »

    171 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union (2013/396/UE), point 15.

    74

    s'incarne en premier lieu pour la victime dans sa capacité à étayer sa demande (comparativement notamment aux droits américains ou anglais).

    Le bilan est que les preuves pertinentes dont un demandeur a besoin pour démontrer le bien-fondé de sa demande sont en grande partie détenues par le défendeur ou des tiers et, la plupart du temps, elles ne sont pas suffisamment connues du demandeur, qui n'y a pas accès. Cette pierre d'achoppement du fait d'une « asymétrie de l'information » est constatée de longue date par les autorités européenne, ainsi le Livre Vert de 2005 à ce titre a envisagé cinq possibilités pour remédier au problème . La proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts

    172 173

    s'intéresse donc au sujet et relève d'ailleurs qu'elle s'inspire sur le sujet de la directive relative au respect des droits de propriété intellectuelle .

    174

    Quant à la directive, elle aborde la situation au travers de son considérant 14 :

    « Les actions en dommages et intérêts pour infraction au droit de la concurrence de l'Union ou au droit national de la concurrence requièrent habituellement une analyse factuelle et économique complexe. Dans bien des cas, les preuves nécessaires pour démontrer le bien-fondé d'une demande de dommages et intérêts sont détenues exclusivement par la partie adverse ou des tiers et ne sont pas suffisamment connues du demandeur, ou celui-ci n'y a pas accès ».

    Il est en effet, assez décourageant pour les demandeurs de devoir prouver par exemple une entente horizontale à partir du moment où elle est souvent tacite et qu'il n'y a jamais de documents écrits pouvant l'établir (à la différence de sa contractualisation écrite). Ainsi, il est largement admis que les difficultés qu'éprouvent les demandeurs à obtenir tous les éléments de preuve nécessaires constituent, dans de nombreux États membres, un des principaux obstacles aux actions en dommages et intérêts dans les affaires de concurrence.

    C'est pourquoi la directive n°2014/104 distille un régime à l'article 5 qui établit les conditions que doit satisfaire le requérant pour que sa requête soit recevable, avant que la directive ne s'intéresse spécifiquement à des questions plus techniques.

    79. Recevabilité de la demande. En ce qui concerne la recevabilité de la demande, le texte

    donne des critères d'appréciation au juge pour décider si la demande de production de pièce par le défendeur ou un tiers. Tout d'abord, la preuve s'entend dans la directive (article 2) comme :

    « tous les moyens de preuve admissibles devant la juridiction nationale saisie, en particulier les documents et tous les autres éléments contenant des informations, quel qu'en soit le support. »

    172 Livre Vert, du 19 décembre 2005, intitulé : Actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante [COM(2005) 672 final, page 5

    173 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne,Strasbourg, le 11.6.2013 COM(2013) 404 final, p. 16

    174 Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157 du 30.4.2004, p. 45).

    75

    Sur le plan normatif, la preuve demandée semble allégée et se limiter à la capacité du demandeur à fournir la preuve exigée. Textuellement, il est ainsi précisé à l'article 5 que :

    « 1. Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l'Union à la requête d'un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d'enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes »

    Si les requérants n'ont pas à désigner expressément des preuves précises pour ne pas empêcher l'exercice effectif du droit à réparation :

    « Dans ces circonstances, des exigences juridiques strictes faisant obligation aux demandeurs d'exposer précisément tous les faits de l'affaire au début de l'instance et de produire des éléments de preuve bien précis à l'appui de leur demande peuvent indûment empêcher l'exercice effectif du droit à réparation garanti par le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».

    Reste qu'ils doivent motiver leur requête par « des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité » de leur demande (article 5 alinéa 1). Il y a donc un contrôle de pertinence des demandes par le juge.

    La directive prévoit aussi la possibilité d'ordonner la production de certains éléments de preuves ou de catégories pertinentes de preuves. Ces éléments ou catégories doivent être circonscrites de manière aussi précise et étroite que possible, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée. Ce qui renvoie à la question du caractère insécable ou indivisible de la chose saisie notamment, sujet d'un contentieux notamment en ce qui concerne le privilège entre l'avocat et son client.

    80. Proportionnalité et intérêt de la partie défenderesse. Ensuite, apparaît à l'alinéa 3 une

    exigence de proportionnalité qui pèse sur l'appréciation des juges lorsqu'ils examinent la demande, avec quelques points essentiels à regarder aux yeux du législateur dont notamment le caractère étayé de la demande, le coût de production des preuves, le caractère confidentiel des documents demandés ; ou plus précisément :

    « 3. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales limitent la production des preuves à ce qui est proportionné. Lorsqu'elles déterminent si une demande de production de preuves soumise par une partie est proportionnée, les juridictions nationales tiennent compte des intérêts légitimes de l'ensemble des parties et tiers concernés. En particulier, elles prennent en considération:

    76

    a) la mesure dans laquelle la demande ou la défense sont étayées par des données factuelles et des preuves disponibles justifiant la demande de production de preuves;

    b) l'étendue et le coût de la production de preuves, en particulier pour les éventuels tiers concernés, y compris afin d'éviter toute recherche non spécifique d'informations dont il est peu probable qu'elles soient pertinentes pour les parties à la procédure;

    c) la possibilité que les preuves dont on demande la production contiennent des informations confidentielles, en particulier concernant d'éventuels tiers, et les modalités existantes de protection de ces informations confidentielles. »

    À ce titre, un rapprochement peut être fait vis-à-vis de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme à propos d'une affaire concernant des visites et saisies réalisées par des enquêteurs de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans les locaux de deux sociétés. La question d'espèce était la mise en balance des intérêts relatifs, d'une part, à la recherche légitime de preuves d'infractions en matière de droit de la concurrence et, d'autre part, au respect du domicile, de la vie privée et des correspondances, et notamment de la confidentialité entre un avocat et son client. La Cour impose aussi sur ce point un contrôle concret de proportionnalité :

    175

    « À cet effet, la Cour estime qu'il appartient au juge, saisi d'allégations motivées selon lesquelles des documents précisément identifiés ont été appréhendés alors qu'ils étaient sans lien avec l'enquête ou qu'ils relevaient de la confidentialité qui s'attache aux relations entre un avocat et son client, de statuer sur leur sort au terme d'un contrôle concret de proportionnalité et d'ordonner, le cas échéant, leur restitution. Or, la Cour constate qu'en l'espèce, si les requérantes ont exercé le recours que la loi leur ménageait devant le juge des libertés et de la détention, ce dernier, tout en envisageant la présence d'une correspondance émanant d'un avocat parmi les documents retenus par les enquêteurs, s'est contenté d'apprécier la régularité du cadre formel des saisies litigieuses, sans procéder à l'examen concret qui s'imposait.

    En conséquence, la Cour juge que les saisies effectuées aux domiciles des requérantes étaient, dans les circonstances de l'espèce, disproportionnées par rapport au but visé176 ».

    Par ailleurs, il faut relever que les principes généraux du droit communautaire protègent l'intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets commerciaux ne soient pas divulgués . Ainsi,

    177

    l'injonction des juridictions est d'autant plus nécessaire pour empêcher que le défendeur se retranchent subtilement derrière le secret des affaires ou la confidentialité des informations. Toutefois, les juridictions ne peuvent agir ainsi que si elles l'estiment utile (article 5 alinéa 4) :

    175 pour un exemple en droit français : Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 9 mars 2016, n° de pourvoi: 14-85325

    176 CEDH, arrêt du 2 avril 2015, n° 63629/10 et n° 60567/10, aff. Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France

    177 SCHURMANS, Christine et TATON, Xavier in Questions actuelles de procédure en droit de la concurrence. À la recherche d'un système cohérent entre l'autorité de concurrence et l'ordre judiciaire in dans Andrée Puttemans, dir, Actualité du droit de la concurrence, Bruxelles, Bruylant, 2007, pages 79-80.

    77

    « Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées à ordonner la production de preuves contenant des informations confidentielles lorsqu'elles le jugent utile dans le cadre de l'action en dommages et intérêts. Lorsque la production de telles informations est ordonnée, les États membres veillent à ce que les juridictions nationales disposent de mesures efficaces de protection de ces informations. »

    L'alinéa 6 précise que les États membres veillent à ce que, lorsqu'elles ordonnent la production de preuves, les juridictions nationales donnent plein effet au secret professionnel applicable en vertu du droit de l'Union ou du droit national.

    L'alinéa 5 rappelle que l'intérêt qu'ont les entreprises à éviter des actions en dommages et intérêts à la suite d'infractions au droit de la concurrence n'est pas de nature à justifier une protection, c'est une évidence mais qui peut avoir son utilité car elle met fin à tout débat sur le sujet et lie les juges.

    81. Garantie minimale du défendeur et sanction. L'alinéa 7 donne une garantie procédurale

    au défendeur ce qui s'inscrit dans le nécessité du respect du droit au procès équitable. Ainsi, les États membres veillent à ce que les personnes à qui une demande de production de preuves est adressée aient la possibilité d'être entendues avant qu'une juridiction nationale n'ordonne la production d'informations en application du présent article.

    Les règles des alinéas 4 à 7 constituent un minimum de règles en faveur de la partie défenderesse à respecter. Néanmoins la directive en dehors de ces cas ne fait pas obstacle au maintien ni à l'introduction, par les États membres, de règles qui conduiraient à une production plus large de preuves. En effet, l'objectif est de garantir que tous les États membres accordent un accès effectif minimal aux éléments de preuve dont les demandeurs et/ou les défendeurs ont besoin pour démontrer le bien-fondé de leur demande de dommages et intérêts pour infraction aux règles concernant les ententes et les abus de position dominante et/ou pour étayer un moyen de défense y afférent.

    L'article 8 de la directive se penche sur les sanctions, corollaire nécessaire pour rendre la règle efficace. Ainsi, il faut mettre en place des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives. Le texte précise qu'en cas de comportement non-coopératif, le juge doit avoir la faculté de tirer des conclusions défavorables, par exemple en présumant que le fait litigieux en question est avéré ou en rejetant, en tout ou en partie, les demandes et moyens de défense, ainsi que la faculté de prononcer une condamnation aux dépens. Enfin, est prévu une liste de comportement nécessitant une sanction, c'est-à-dire : le non-respect d'une injonction de production de preuves émanant d'une juridiction nationale ou le refus de s'y conformer, la destruction de preuves pertinentes, le non-respect des obligations imposées par une injonction d'une juridiction nationale protégeant des informations confidentielles, ou le refus de s'y conformer, ou encore la violation des restrictions prévues dans la directive pour l'utilisation des preuves.

    78

    §4) Actions collectives et cession du droit à agir

    82.

    Légalité de la cession du droit d'agir. De l'aveu de l'Union européenne elle-même, les

     

    citoyens et les entreprises, en particulier les PME, ne devraient pas être « privés de l'accès à la justice, faute de ressources financières suffisantes178 ».

    Il conviendrait, dès lors, d'examiner dans quelle mesure il existe des mécanismes de financement appropriés aux fins des recours collectifs.

    Au-delà de l'action collective et de son financement intrinsèque, existe un autre moyen de rassembler les demandes ou plutôt les créances.

    Comme déjà expliqué infra au travers de la législation allemande, l'opération de collecte des actions individuelles ou précisément des créances qu'elles sous-entendent se réalise par pacte de quota litis. En outre, apparaît une entreprise qui rachète les créances délictuelles probables appartenant aux acheteurs directs victimes (l'exemple typique est la société allemande Cartel Damages Claims).

    Ce commerce du préjudice délictuel, ce marché du recyclage des indemnisations intrigue quant à sa légalité juridique179. Ainsi, se pose la question de la disposition de la créance née, ce qui signifie faire sortir un bien, un droit ou une valeur, du patrimoine de celui ou de ceux qui en sont les propriétaires, pour le transférer dans le patrimoine d'une ou plusieurs autres personnes.

    La question est donc l'aliénation de l'action individuelle découlant du préjudice du fait d'une entente ou d'un abus de position dominante. Or depuis l'arrêt Courage existe un droit subjectif d'action qui fait naître ipso facto une créance dans le patrimoine du justiciable, qui par principe doit pouvoir être cessible par son transport. La directive n'est pas insensible au sujet et prévoit au point 31 que :

    « (31) Toute personne physique ou morale qui obtient des preuves en accédant au dossier d'une autorité de concurrence devrait pouvoir utiliser ces preuves aux fins d'une action en dommages et intérêts à laquelle elle est partie. Une telle utilisation devrait également être autorisée pour toute personne physique ou morale qui lui a succédé dans ses droits et obligations, notamment par le rachat de sa demande. Lorsque les preuves ont été obtenues par une personne morale faisant partie d'un groupe d'entreprises constituant une seule entreprise aux fins de l'application des articles 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, d'autres personnes morales appartenant à la même entreprise devraient également pouvoir utiliser ces preuves. »

    Possibilité d'accès confirmée dans le texte brut à propos des limites à l'utilisation des preuves obtenues uniquement grâce à l'accès au dossier d'une autorité de concurrence :

    178 Document de travail des services de la Commission : consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4 février 2011 SEC(2011) 173 final, p. 14

    179 pour un éclairage approfondi sur le sujet voir le chapitre 5 de la thèse de Guillaume Zambrano qui relève au passage une absence générale d'interdiction (L'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence, étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p. 299 et s.).

    79

    « Article 7 : [É] 3. Les États membres veillent à ce que les preuves obtenues par une personne physique ou morale uniquement grâce à l'accès au dossier d'une autorité de concurrence et qui ne relèvent pas du paragraphe 1 ou 2 ne puissent être utilisées dans le cadre d'une action en dommages et intérêts que par cette personne ou par une personne physique ou morale qui a succédé dans les droits de cette personne, ce qui inclut la personne qui a racheté sa demande. »

    Cette incise a son importance, elle suit une logique civiliste bien connue qui est que la cession de créance transfère au cessionnaire les droits et actions appartenant au cédant attachés à la créance cédée, ou dit plus simplement accessorium sequitur principale. Application extensive du principe qui vient toucher ici la preuve. Preuve qui en droit de la concurrence est souvent difficile du fait du déséquilibre d'information et de leur détention par l'opérateur contrevenant (le Livre Blanc relevant: « l'inaccessibilité et la dissimulation fréquentes des éléments de preuve déterminants dont disposent les défendeurs180»).

    Mais la directive va bien plus loin et explicite directement la validité de la cession du droit d'agir. En outre, le texte prévoit dans sa définition d' « action en dommages et intérêts » (article 2) que cela comprend une personne physique ou morale : « qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande ».

    181

    Ensuite, la « demande de dommages et intérêts » est définie comme « demande de réparation pour le préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence ». Or, l'article 1 précise que toute

    182

    personne ayant un tel préjudice : « puisse exercer effectivement son droit de demander réparation intégrale de ce préjudice à ladite entreprise ou à ladite association [d'entreprise contrevenante] ». Cette phrase n'est donc pas anecdotique et conforte l'idée que le rachat de la demande est toléré. Il y a donc une possible cession du droit et une libre disposition de celui-ci par le justiciable victime de pratique anticoncurrentielle. Plus encore, il y a une obligation pour les Etats membres de rendre concevable la cession de créance conformément aux obligations à la charge des Etats d'effectuer une transposition fidèle en droit interne des dispositions requises par la directive.

    83.

    Risque et opportunité de ce marché du droit d'agir. Cette ouverture du commerce des

     

    créances litigieuses apparaît a priori comme un risque potentiel pour les entreprises contrevenantes, avec le risque de se voir demander en justice avec une probabilité plus accrue le préjudice causé aux acheteurs directs ou indirects.

    Risque de voir émerger des acteurs centralisateurs du contentieux qui pourront du fait de leur « institutionnalisation de fait » comme acteur central du private enforcement, devenir des contrepouvoirs, rééquilibrant l'échiquier en leur défaveur.

    180 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 2

    181 ce qui est un changement notable vis-à-vis de la proposition de directive sur les actions en dommages et intérêts. (citée supra).

    182 article 2 de la directive n°2014/104

    80

    Se dévoile aussi une probable professionnalisation du « demandeur » à l'action avec les corollaires classiques : de réduction des coûts, rentabilité augmentée, concentration et efficacité des moyens mises en oeuvre plus grande, etc.

    C'est aussi surtout à défaut d'un contrôle de leur activité, la menace de voir émerger des acteurs non-officiels183 et n'ayant démocratiquement à rendre des comptes à personne. Ainsi, les marchands de procès en tant qu'acteurs au procès peuvent assurer à défaut d'une existence ou même d'une efficience des actions collectives stricto sensu l'efficacité du droit de la concurrence en rendant l'infraction plus coûteuse (dans la limite de la rentabilité de l'opération d'achat).

    Néanmoins, ce « marché des actions en justice » est aussi une porte ouverte au marchandage pour

    184

    les entreprises auteurs d'infraction. En effet, cet ancrage dans le milieu économique de nouveaux acteurs peut être une opportunité. Une chance à saisir car ces acteurs économiques pourraient chercher à échapper à l'aléa du procès judiciaire avec tout ce qu'il implique en risque et en coût, pour se tourner vers une voie médiane comme le sont les règlements alternatifs des litiges (et notamment la transaction comme aux Etats-Unis185).

    Cette recherche de certitude peut transformer la relation frontale d'affrontement (comme cela peut être le cas lors d'une action collective gérée par une association à but non lucratif) en une relation économique ou mieux d'affaires186 (avec la prise en compte de l'aspect réputationnel de l'acteur « marchand de procès » et sa propagation dans le milieu des affaires).

    Section 2 - L'interaction renforcée entre public et private enforcement

    84. Coopération plutôt que concurrence. Le découplage contentieux objectif (public

    enforcement) et subjectif (private enforcement) n'a d'utilité que par la dialectique qu'il apporte ; en ce qu'il impose une structuration de la pensée via une méthode de raisonnement permettant d'établir un cadre intellectuel sur les modalités d'efficience du droit de la concurrence. Opposer ou mettre en concurrence ces deux modalités définies doctrinalement n'a qu'une vertu spéculative et n'apporte en rien à sa finalité qui est l'efficacité de la « concurrence » telle qu'elle est pensée par les autorités et le législateur européen.

    183 Murielle Chagny soulève la possibilité de créer des fonds publics venant racheter ces créances ou avancer les frais du procès permettant d'éviter toute dérive, avec l'exemple de la proposition de loi prévoyant la création d'un Fonds d'aide à la justice ou du système québécois sur ce point (CHAGNY, Murielle et DEFFAINS, Bruno in Réparation des dommages concurrentiels, essai, septembre 2015, p. 205)

    184 DELPECH, Xavier in La cession de créance emporte celle des actions en justice qui lui sont attachées, Recueil Dalloz, 2006, p. 365.

    185 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 98 (4ème paragraphe)

    186 Un exemple concret de ce risque (ou opportunité pour les entreprises) est développé dans la thèse de Guillaume Zambrano (citée supra) où l'entreprise Cartel Damages Claims promet une « immunité civile » aux entreprises « coopérant » avec elle, ce qui aux yeux de l'auteur : « En filigrane de ce langage lénifiant, la promesse de CDC est exactement de paralyser les poursuites civiles. La contrepartie de cette immunité civile est couverte par la confidentialité, mais on peut raisonnablement présumer de sa nature pécuniaire à défaut de son montant. Le service offert par CDC consiste à négocier - ou monnayer - collectivement l'indemnisation, par voie de transaction » (p. 316-318).

    81

    Auparavant, cette efficacité avait été pensée essentiellement au travers du Livre Blanc de 2008 autour du duo : action individuel-recours collectif. Mais la directive n°2014/104 focalise l'efficacité du contentieux subjectif par son accouplement avec le contentieux objectif. Changement de paradigme qui selon Rafael Amaro187 traduit une volonté : « l'optimisation de l'interaction sphère publique, sphère privée ». En outre, la Commission le confesse elle-même dans la proposition de directive, il s'agit de :

    « [Donner] les moyens de poursuivre une politique forte de mise en oeuvre du droit de la concurrence, tout en permettant aux victimes d'infractions au droit de le concurrence d'obtenir réparation du préjudice qu'elles ont subi 188».

    En témoigne par la suite, la directive elle-même qui précise :

    « (6) Pour garantir des actions de mise en oeuvre effective sur l'initiative de la sphère privée en vertu du droit civil et une mise en oeuvre effective par la sphère publique à travers les autorités de concurrence, il est nécessaire que ces deux outils interagissent afin d'assurer une efficacité maximale des règles de concurrence. »

    Efficacité maximale donc, qui du point de vue des économistes en dehors même de la subdivision contentieux objectif ou subjectif passe par des sanctions plus efficaces. Ainsi, la nature de ces sanctions n'est pas l'essence même du problème (que ce soit des amendes, des dommages et intérêts ou punitifs ou une peine pénale importe peu). Le coeur du sujet est dans le bilan économique négatif réel à enfreindre le droit de la concurrence. Certes, comme le pointe le vice-président de l'Autorité de la concurrence française et économiste Emmanuel Combe, il faut « punir fortement ceux qui se font prendre, mais aussi et surtout [il faut] dissuader les agents de s'engager dans des actions illicites ».

    189

    85. Interaction des deux sphères. La coopération des deux voies contentieuses formant le droit

    de la concurrence va par son efficience se renforcer. Ainsi, la directive n°2014/104 vient en préciser les modalités techniques. Trois points du dispositif législatif mis en place seront abordés : d'une part, la question de l'autorité de la chose des décisions des autorités en charge du droit de la concurrence (1), d'autre part, la production de la preuve par les autorités de concurrence (2) et enfin, la compatibilité avec le programme de clémence et la transaction (3).

    187 AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, avant-propos G. Canivet, préf. M. Béhar-Touchais, Bruylant, 2014

    188 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit interne pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne,Strasbourg, le 11.6.2013 COM(2013) 404 final, p. 4

    189 COMBE, Emmanuel in A la recherche de la sanction optimale, Concurrences, 2006, n° 4, p. 10 et s.

    82

    §1) Autorité des décisions des autorités de concurrence

    86. Constat de jure d'une autorité relative. La question de la reconnaissance dans le

    contentieux privés ou subjectifs des décisions des autorités de concurrence se pose substantiellement dans le cadre d'action en follow-on.

    Cette question d'harmonisation des décisions est prégnante aux contentieux concurrentiels du private enforcement, ainsi rien d'étonnant que cette question soit partiellement abordée en ce qui concerne, entre autres, les actions collectives dans la recommandation de la Commission :

    « 32. Les États membres devraient veiller à ce que, lorsque, dans une matière juridique, une autorité publique est habilitée à arrêter une décision constatant une violation du droit de l'Union, les recours collectifs ne soient, en règle générale, introduits par des personnes privées qu'après que l'autorité publique a définitivement clos la procédure qu'elle avait préalablement engagée. Si la procédure est engagée par l'autorité publique après l'introduction d'un recours collectif, la juridiction saisie du recours devrait éviter de statuer en contradiction avec la décision que l'autorité publique envisage de prendre. À cette fin, la juridiction devrait pouvoir surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité publique clôture la procédure190 ».

    Spécifiquement, il faut se pencher sur l'autorité de la chose jugée qui se définit comme l'« ensemble des effets attachés à la décision juridictionnelle, telle la force de vérité légale191» (même si le terme « jugée » n'est pas approprié, une autorité nationale de concurrence pouvant ne pas être une juridiction).

    En ce qui concerne les décisions définitives , insusceptible de recours, la Commission

    192

    européenne, fait déjà peser une présomption irréfragable de faute dans le contentieux privé pour infraction aux règles de concurrence, en vertu d'une application extensive de l'article 16 du règlement n°1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 . Qui plus est, cette autorité de chose jugée/

    193

    décidée s'étend aussi aux motifs . En ce qui concerne les droits internes apparaît des régimes plus

    194

    ou moins contraignants.

    190 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013 relative à des principes communs applicables aux mécanismes de recours collectif en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation de droits conférés par le droit de l'Union (2013/396/UE), point 32-33.

    191 CORNU, Gérard [directeur] in Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant des amis de la culture juridique française

    192 la directive définissant une « décision définitive constatant une infraction » comme une décision constatant une infraction qui ne peut pas ou ne peut plus faire l'objet d'un recours par les voies ordinaires

    193 CJCE, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods Ltd c. HB Ice Cream Ltd, aff. C- 344/98

    194 Ibid. considérant 34 : « L'effet de la constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l'infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu'elle a été déterminée par l'autorité de la concurrence ou l'instance de recours dans l'exercice de sa compétence ».

    83

    En outre, si en Allemagne ou en Angleterre , par exemple, a pu être reconnue une autorité de

    195 196

    chose « décidée » aux décisions définitives des autorités nationales de concurrence, il n'en est pas ainsi pour tous les États membres, dont l'Italie197 ou encore la France.

    Par exemple, la Cour de cassation française a pu dire que :

    « Mais attendu, en premier lieu, qu'il appartient à celui qui se prévaut de l'existence de pratiques discriminatoires d'en établir la preuve ; qu'ayant retenu, par une appréciation des éléments de preuve versés aux débats y compris de la décision invoquée du Conseil de la concurrence laquelle, [É], ne lie pas le juge198 ».

    Toutefois, pour la France, il faut nuancer le propos car il existe une « présomption irréfragable » du manquement, suite à une décision des autorités ou juridictions nationales ou de l'Union européenne compétentes, à l'article L623-24 alinéa 2 du Code de la consommation mais uniquement pour les seules actions de groupe engagées par les associations de consommateurs.

    87. Autorité de facto. Derrière cette asymétrie selon les systèmes juridiques de la valeur

    probatoire des décisions des autorités en charge de la concurrence au niveau interne se cache un effet contraignant dans la pratique décisionnelle des juridictions.

    Cette autorité morale a autant de force probatoire que l'autorité strictement juridique de la chose jugée ou décidée. Ainsi, au regard du droit français, Marie Dumarcay relève que :

    « les juridictions nationales ne sont nullement liées par les décisions rendues par l'autorité française de concurrence, si bien qu'il existe un risque de contradiction des décisions. Ce hiatus - avéré ou auguré - ne doit cependant pas être exagéré, les décisions de l'autorité de concurrence bénéficie de l'autorité morale inhérente à l'expertise du sachant 199».

    Cet effet contraignant est appuyé d'un point de vue empirique200. Logiquement, c'est bien l'autorité morale des ANC qui entre en oeuvre, autorité de la parole de l'expert face au juge civil. Par ailleurs, cette homogénéité semble répondre subsidiairement à la préoccupation d'éviter les incohérences que pourrait ressentir le requérant en cas de décision contradictoire.

    195 Paragraphe 33 al. 4, GWB, Act against Restraints of Competition : « (4) Where damages are claimed for an infringement of a provision of this Act or of Articles 101 or 102 of the Treaty on the Functioning of the European Union, the court shall be bound by a finding that an infringement has occurred, to the extent that such a finding was made in a final and non-appealable decision by the competition authority, the European Commission, or the competition authority Ð or court acting as such Ð in another Member State of the European Union. The same applies to such findings in final and non-appealable judgments on appeals against decisions pursuant to sentence 1 ».

    196 Competition Act 1998 s. 58A, introduced by Enterprise Act 2002 s. 20; Competition Act 1998 s. 47A(9)

    197 Cour de cassation italienne, arrêt du 27 mars 2014, Fondiaria - SAI c/ Nicola Perrini

    198 Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 17 juillet 2001, n° de pourvoi: 99-17251

    199 DUMARÇAY, Marie in La situation de l'entreprise victime dans les procédures de sanction des pratiques anticoncurrentielles. Etude des procédures française et communautaire d'application du droit communautaire des pratiques anticoncurrentielles, [Doctorat : Droit : Montpellier-I : 2008], 9 n°4

    200 voir thèse citée supra Guillaume Zambrano, p. 99

    88.

    84

    Droit prospectif. La directive vient renforcer l'autorité de la chose décidée des décisions
    des autorités en charge de la concurrence. En son article 9, elle le fait avec une dualité de régime selon la qualité de l'émetteur de la décision :

    « 1. Les États membres veillent à ce qu'une infraction au droit de la concurrence constatée par une décision définitive d'une autorité nationale de concurrence ou par une instance de recours soit considérée comme établie de manière irréfragable aux fins d'une action en dommages et intérêts introduite devant leurs juridictions nationales au titre de l'article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou du droit national de la concurrence.

    2. Les États membres veillent à ce que, lorsqu'une décision définitive visée au paragraphe 1 est prise dans un autre État membre, cette décision finale puisse, conformément au droit national, être présentée devant leurs juridictions nationales au moins en tant que preuve prima facie du fait qu'une infraction au droit de la concurrence a été commise et, comme il convient, puisse être examinée avec les autres éléments de preuve apportés par les parties. »

    Ainsi, les décisions définitives d'une autorité nationale de concurrence ou d'une instance de recours constituent une preuve irréfragable de l'infraction. Par contre, si une décision définitive est précise dans un autre Etat membre celle-ci ne constitue qu'une preuve prima facie . C'est-à-dire une

    201

    preuve qui, à moins d'être réfutée, suffirait à prouver une proposition précise ou un fait (en l'espèce, une infraction).

    89. Faute civile et faute concurrentielle. Si les juridictions nationales saisies sont liées par les
    constatations d'une autorité nationale de concurrence, elles doivent cependant décider si la violation du droit de la concurrence constitue une faute civile. Se pose ici la question de l'équivalence des fautes de la même manière que pour la faute pénale et la faute civile. Ainsi, doit-il y avoir une assimilation ou une disjonction de la faute dans ces deux domaines ? Existe-t-il une « unicité de la faute » civile et concurrentielle ?

    202

    Au niveau européen, la Cour de justice a considéré que si la Commission constatait une violation au droit de la concurrence de l'Union européenne, la juridiction nationale saisie ne devait pas rechercher le fait dommageable, mais seulement le dommage et le lien de causalité203.

    Comme souvent, le Livre Blanc204 remarque une dissonance de régime au sein des Etats membres. Dans certains d'entre eux, l'existence d'une faute n'est pas une condition de la réparation des

    201 ce qui constitue un changement par rapport à la proposition de directive qui avait adopté le point de vue allemand qui donnait un effet liant aux décisions étrangères

    202 FASQUELLE, Daniel et MESË, Rodolphe in Livre vert de la Commission sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et abus de position dominante, Concurrences, 2006, p. 33-37

    203 CJUE, arrêt du 6 novembre 2012, Europese Gemeenschap c./ Otis NV et autres, aff. C- 199/11, paragraphes 65-66 : « l'existence d'un préjudice et d'un lien de causalité directe entre ce préjudice et l'entente ou la pratique en cause reste, en revanche, soumise à l'appréciation du juge national »

    204 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 7

    85

    dommages subis du fait d'une infraction aux règles de concurrence, où la faute est présumée de

    205

    manière irréfragable (une fois que l'infraction a été prouvée). Selon la Commission, il n'y a pas de raison de principe de s'opposer à une telle approche, néanmoins il n'y a aucune raison de décharger les auteurs d'infractions de leur responsabilité au motif qu'ils n'ont pas commis de « faute », excepté dans le cas où l'auteur de l'infraction a commis une « erreur excusable ». Dans le même Livre Blanc, une erreur est considérée comme excusable dans le cas où une « personne raisonnable » appliquant un « degré élevé de diligence ne pouvait pas avoir connaissance » du fait que le « comportement en cause restreignait la concurrence ».

    La limite de l'unicité de la faute civile et concurrentielle est posée au considérant 34 de la directive laissant une marge d'interprétation souveraine aux juges du fond :

    206

    « L'effet de la constatation ne devrait toutefois porter que sur la nature de l'infraction ainsi que sur sa portée matérielle, personnelle, temporelle et territoriale telle qu'elle a été déterminée par l'autorité de concurrence ou l'instance de recours dans l'exercice de sa compétence. Lorsqu'une décision a conclu à une infraction aux dispositions du droit national de la concurrence dans les cas où le droit de la concurrence de l'Union et le droit national de la concurrence s'appliquent en parallèle à la même affaire, ladite infraction devrait également être considérée comme établie de manière irréfragable. »

    En toute hypothèse, la reconnaissance de l'effet liant dans la reconnaissance de la faute améliore la situation des victimes et augmente le risque de sanction pour les entreprises fautives. D'un point de vue pratique, cela permet notamment de faciliter l'octroi de provision207 ce qui améliore la situation financière des demandeurs victimes à l'action collective.

    §2) Production de preuve figurant dans le dossier d'une autorité de concurrence

    90. Accès aux preuves et coordination des politiques d'enforcement. L'accès au dossier des

    autorités nationales de concurrence soulève de importantes interrogations et renvoie à la coopération entre les autorités de concurrence et les juridictions nationales. Quoi qu'il en soit, une

    telle demande doit être proportionnée et ne pas nuire à l'instruction du dossier par une autorité de la concurrence208.

    205 VOGEL, Louis in Les actions civiles de concurrence : Union européenne, France, Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Suisse, États-Unis, p. 54

    206 ce qui semble encore flou tant la marge d'interprétation de la notion de causalité étant dépendante selon les Etats membre (pour une critique, voir LIANOS, Ioannis in Causal Uncertainty and Damages Claims for Infringement of Competition Law in Europe (January 24, 2015). CLES Working Paper No. 2/2015)

    207 DUPUIS-TOUBOL, Frédérique in La Réparation du préjudice causé par une pratique anticoncurrentielle en France et à l'étranger : Bilan et perspectives, 17 octobre 2005

    208 considérant 23 de la directive n°2014/104

    86

    Tout d'abord, la directive apparaît comme un complément au règlement sur l'accès du public aux

    209

    documents des institutions européennes. Dans la directive, le régime est décomposé au travers de deux articles : l'article 6 et l'article 7.

    Specialia generalibus derogant, ainsi le texte précise que les règles matérielles de l'article 5 n'ont pas vocation à s'appliquer lorsque les règles de l'article 6 ont vocation à s'appliquer. Ainsi, en ce qui concerne la proportionnalité de la demande (voir supra au point 80), il est prévu un cadre spécifique à l'injonction qui doit tenir en compte notamment :

    «a) la question de savoir si la demande a été formulée de façon spécifique quant à la nature, à l'objet ou au contenu des documents soumis à une autorité de concurrence ou détenus dans le dossier de celle-ci, ou s'il s'agit d'une demande non spécifique concernant des documents soumis à une autorité de concurrence;

    b) la question de savoir si la partie qui demande la production d'informations le fait dans le cadre d'une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction nationale; et

    c) pour ce qui concerne les paragraphes 5 et 10, ou à la demande d'une autorité de concurrence en application du paragraphe 11, la nécessité de préserver l'efficacité de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la sphère publique210. »

    Dans la même logique, le paragraphe 10 prévoit que la production de preuves contenues dans le dossier d'une ANC n'est possible que lorsqu'aucune des parties ou aucun tiers ne peut raisonnablement fournir lesdites preuves. Enfin, le texte prévoit que si une autorité de concurrence souhaite donner son avis sur la proportionnalité de demandes de production de preuves, elle peut, de sa propre initiative, présenter ses observations à la juridiction nationale devant laquelle la production de preuves est demandée (article 6.11).

    91. Protection des procédures devant les ANC. Par ailleurs, dans certaines hypothèses

    précisées, les juridictions ne peuvent ordonner la production de preuves que lorsque l'autorité nationale de concurrence a soit rendu sa décision, soit clos la procédure (article 6.5) :

    « a) les informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d'une procédure engagée par une autorité de concurrence;

    b) les informations établies par l'autorité de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure; et

    c) les propositions de transaction qui ont été retirées. »

    De surcroît, la directive exclut totalement la production des documents internes des autorités nationales de concurrence et leur correspondance (article 6.3).

    Le paragraphe 6 traite de la clémence et de la transaction qui sera étudiée infra et qui bénéficie d'une quasi immunité vis-à-vis de la procédure d'injonction de production de preuve. Néanmoins, il faut noter que si seulement une des parties de preuves demandées sont couvertes par le

    209 Règlement (CE) n°1049/2001 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2001 relatif à l'accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission

    210 article 6.4 de la directive n°2014/104

    87

    paragraphe 6, les autres parties de celles-ci, en fonction de la catégorie dont elles relèvent, peuvent être produites.

    A contrario des régimes exclusifs de production de preuve, peut être ordonnée à tout moment la production de preuves provenant du dossier d'une ANC, qui ne relèvent d'aucune des catégories énumérées au sein de l'article 6 de la directive.

    92. Sanction. Toute preuve ainsi recueillie et mobilisée devant une juridiction nationale sans
    avoir respecté ces conditions ne saurait être recevable (article 7). Quant aux modalités des sanctions, le régime est identique à la production de preuve comme expliqué supra (point 82).

    §3) Clémence et transaction

    93. Prime à la coopération. Comme le soulevait il y a déjà plus de dix ans le Livre Vert à
    propos du public et private enforcement :

    « une coordination optimale de ces deux éléments est particulièrement importante pour la coordination des demandes de clémence et des demandes d'indemnisation. Les programmes de clémence et la responsabilité civile contribuent, de par leurs effets, à la réalisation du même objectif: dissuader plus efficacement les entreprises de constituer des ententes. »

    211

    Trois ans plus tard, dans le Livre Blanc, la Commission donne le même son de cloche et précise les modalités techniques pour garder un programme de clémence attrayant :

    « Il est important, pour l'application du droit de la concurrence tant dans la sphère publique que dans la sphère privée, de garantir l'attractivité des programmes de clémence.

    Il convient d'assurer une protection adéquate aux déclarations effectuées par une entreprise dans le cadre d'une demande de clémence contre la divulgation de ces déclarations dans des actions privées en dommages et intérêts, afin d'éviter de placer l'entreprise à l'origine de cette demande dans une situation moins favorable que celle des co-auteurs de l'infraction. Dans le cas contraire, la crainte de voir ses aveux divulgués pourrait avoir une influence négative sur la qualité des informations communiquées par l'entreprise demandant à bénéficier des mesures de clémence, voire même dissuader les auteurs d'infraction de solliciter de telles mesures ».

    212

    En outre, le « programme de clémence » est un programme concernant l'application de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ou d'une disposition correspondante du droit national. En outre, un participant à une entente secrète, indépendamment des autres entreprises participant à l'entente, coopère avec l'autorité de concurrence dans le cadre de son enquête en présentant spontanément des éléments concernant sa connaissance de l'entente et le rôle qu'il y joue,

    211 Livre Vert, du 19 décembre 2005, page 10

    212 Commission Européenne, Livre Blanc sur les actions en dommages et intérêts pour infraction aux règles communautaires sur les ententes et les abus de position dominante, 2 avril 2008, COM(2008) 165 final. p. 11

    88

    en échange de quoi ce participant bénéficie, en vertu d'une décision ou du fait de l'arrêt de la procédure, d'une immunité d'amendes pour sa participation à l'entente ou de la réduction de leur montant. Cette crainte d'être dénoncé et cette prime à divulguer l'infraction, n'est pas sans rappeler la « théorie des jeux » qui s'intéresse à des situations où des « joueurs » ou « agents » prennent des décisions, chacun prenant en compte que les gains dépendent tant de sa propre décision que de celle des autres « joueurs ». Plus précisément, ici il conviendrait de parler de théorie des jeux « non coopératifs » s'inscrivant dans une modélisation des interactions stratégiques entre différents joueurs qui ne cherchent pas à se coordonner, en l'espèce cela correspondrait au bien connu modèle du « dilemme du prisonnier ». En l'absence de coordination , il y a donc une prime à la délation

    213 214

    ou à la coopération selon le point de vue, prime plus ou moins grande selon l'apport fait à la procédure des autorités de concurrence. Dès lors, les programmes de clémence facilitent la détection des infractions aux règles de la concurrence par les autorités compétente .

    215

    D'autre part, la coopération peut aussi se faire a posteriori par le biais d'une « proposition de transaction». Qui correspond en la présentation spontanée par une entreprise, ou en son nom, à une autorité de concurrence d'une déclaration reconnaissant sa participation à une infraction au droit de la concurrence et sa responsabilité, ou renonçant à contester une telle participation et la responsabilité qui en découle, établie spécifiquement pour permettre à l'autorité de concurrence d'appliquer une procédure simplifiée ou accélérée de condamnation.

    La question subséquente est notamment sa coordination avec le droit à indemnisation des justiciables découlant de l'arrêt Courage et aujourd'hui textuellement affirmé au travers de la directive n°2014/104. Comment peut s'imbriquer l'objectif d'encourager les parties à s'auto-incriminer et l'objectif d'indemniser les préjudiciables du fait de pratique anticoncurrentielle ? L'auto-incrimination étant a priori une situation de mise en danger, de risque pour l'auteur s'il en découle une responsabilité accrue au travers du private enforcement et pire encore dans le cadre du recouvrement du préjudice globalisé par une action de groupe ?

    94. Arrêt Pfleiderer et Donau Chemie. La question est prégnante surtout au travers de la

    question de l'accès au dossier des autorités de concurrence lors d'une action en follow-on qui en cas d'auto-incrimination s'apparente plus à une exécution sommaire qu'à un véritable procès.

    Tout d'abord, avant la directive, la Cour de justice a reconnu l'utilité et l'efficacité de la clémence dans son arrêt Pfleiderer jugeant que les programmes de clémence contribuent à l'application

    216

    effective des articles 101 et 102 du TFUE dès lors qu'ils permettent de mettre fin à des violations des règles de la concurrence. La juridiction européenne a porté un regard bienveillant les programmes de clémence :

    213 TUCKER, Albert W et KUHN, Harold W.(eds.) in Contributions to the theory of games, Annals of Mathematical Studies, 1950

    214 en l'absence de communication entre les deux joueurs, chacun choisira de trahir l'autre si le jeu n'est joué qu'une fois. Statistiquement la raison est que si l'un coopère et que l'autre trahit, le coopérateur est fortement pénalisé.

    215 MELIN, François in Les programmes de clémence en droit de la concurrence, Paris, Joly, 2010 aux pp 29-34.

    216 CJUE, arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09, AJDA 2011

    89

    « L'efficacité de ces programmes pourrait, toutefois, être affectée par la communication des documents relatifs à une procédure de clémence aux personnes désirant intenter une action en dommages et intérêts, même si les autorités nationales de concurrence accordent au demandeur de clémence une exonération totale ou partielle de l'amende qu'elles auraient pu imposer. »

    Ainsi, la Cour relève de manière réaliste :

    « il paraît raisonnable de considérer qu'une personne impliquée dans une violation du droit de la concurrence, face à l'éventualité d'une telle communication, serait dissuadée d'utiliser la possibilité offerte par de tels programmes de clémence, notamment vu que les informations volontairement fournies par cette personne peuvent faire l'objet d'échanges entre la Commission et les autorités nationales de concurrence ».

    Ce qui s'explique plus juridiquement par une jurisprudence classique en droit européen, qui reconnaît le droit d'une personne à ne pas contribuer à sa propre incrimination . Toutefois, les

    217

    programmes de clémence ne protègent en rien l'entreprise qui s'est auto-incriminée contre les actions en dommages et intérêts des victimes ou concurrents du fait de sa participation à une entente:

    « Conformément à la pratique de la Commission, le fait qu'une entreprise a coopéré avec elle pendant la procédure administrative sera indiqué dans toute décision, afin d'expliquer la raison de l'immunité d'amende ou la réduction de son montant. Le fait qu'une entreprise bénéficie d'une immunité d'amende ou d'une réduction de son montant ne la protège pas des conséquences en droit civil de sa participation à une infraction à l'article 81 du traité CE218 ».

    Dès lors, la Cour constate à l'époque que le droit de l'Union ne prévoit pas de règles communes quant au droit d'accès aux documents relatifs à une procédure de clémence volontairement communiqués à une autorité nationale de concurrence, en application d'un programme national de clémence. Il appartient donc aux Etats membres d'établir et d'appliquer les règles nationales quant à ce droit d'accès. Plus particulièrement, il appartient aux juridictions de ces Etats membres de déterminer, sur la base de leur droit national, les conditions dans lesquelles un tel accès doit être autorisé ou refusé en respectant un certain équilibre entre les intérêts en présence :

    « [É] il est nécessaire de veiller à ce que les règles nationales applicables ne soient pas moins favorables que celles qui concernent les réclamations semblables de nature interne et ne soient pas aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l'obtention d'une telle réparation (voir, en ce sens, arrêt Courage et Crehan, précité, point 29) et de mettre en balance les intérêts justifiant la communication des informations et la protection de celles-ci fournies volontairement par le demandeur de clémence. »

    217 CJCE , arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe c/ Commission, aff. C-155/79

    218 Communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), (2006/C 298/11), point 39

    90

    Deux ans plus tard, dans l'arrêt Donau Chemie, la Cour de justice applique son raisonnement mais cette fois-ci de manière positive :

    « Le droit de l'Union, en particulier le principe d'effectivité, s'oppose à une disposition du droit national en vertu de laquelle l'accès aux documents figurant dans le dossier afférent à une procédure nationale relative à l'application de l'article 101 TFUE, y compris aux documents communiqués dans le cadre d'un programme de clémence, de tiers n'étant pas parties à cette procédure et envisageant d'engager des recours en dommages et intérêts à l'encontre de participants à une entente est subordonné au seul consentement de toutes les parties à ladite procédure, sans qu'aucune possibilité d'effectuer une mise en balance des intérêts en présence soit laissée aux juridictions nationales219 ».

    Apparaît que la Cour de justice reste dans l'incapacité de proposer un régime procédural harmonisé pour les ANC et le Commission Staff Working Document a conscience de ce problème et pointe :

    219 CJUE, arrêt du 6 Juin 2013, C-536/11 Donau Chemie

    95. Droit prospectif et uniformisation du régime. Dans le Livre Vert , le législateur avait

    224

    même été jusqu'à envisager de limiter la responsabilité civile des entreprises qui ont permis de déceler le comportement anticoncurrentiel grâce à leur collaboration. Finalement, le législateur n'est pas allé aussi loin. En outre, la directive vient remplir le vide juridique et prévoit un régime juridique spécifique au travers de l'article 6 :

    « [É] persisting risk of diverging or inconsistent court practice between different Member States or even within the same Member State with regard to disclosability of leniency related documents from the file of competition authorities [É] whereas in Germany the first instance court protected in Pfleiderer all leniency documents from disclosure , the Düsseldorf Appeal Court , in a different case, was not ready to protect

    220 221

    the information contained in leniency documents [É] In the UK, the High Court222 in the National Grid case found that partial disclosure of certain documents (such as a reply to the Statement of Objections and replies to Requests for Information) is justified and some parts of the confidential versions of the Commission decision are to be disclosed, whereas documents specifically prepared for the purpose of the Commission's leniency programme should not be disclosed223 ».

    220Amtsgericht Bonn (Local Court Bonn), decision of 18-January-2012, case No 51 Gs 53/09 (Pfleiderer).

    221 Oberlandesgericht Düsseldorf (Düsseldorf Appeal Court), decision of 22 August 2012, case No B-4 Kart 5/11 (OWi)

    222 High Court of Justice (UK first instance court), judgment of 04 April 2012, case No HC08C03243

    223 Commission Staff Working Document Impact Assessment Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union (Text with EEA relevance), p. 14

    224 Livre Vert, préc., pt 2.8. p.10

    91

    « 6. Les États membres veillent à ce que, pour les besoins d'une action en dommages et intérêts, les juridictions nationales ne puissent à aucun moment enjoindre à une partie ou à un tiers de produire les preuves relevant des catégories suivantes:

    a) les déclarations effectuées en vue d'obtenir la clémence; et

    b) les propositions de transaction.

    7. Un demandeur peut présenter une demande motivée visant à ce qu'une juridiction nationale accède aux éléments de preuve visés au paragraphe 6, point a) ou b), aux seules fins de s'assurer que leur contenu correspond aux définitions données à l'article 2, points 16) et 18). Lors de cette évaluation, les juridictions nationales ne peuvent demander l'aide que de l'autorité de concurrence compétente. Les auteurs des éléments de preuve en question peuvent également être entendus. La juridiction nationale ne peut en aucun cas autoriser l'accès à ces éléments de preuve à d'autres parties ou à des tiers. »

    Ainsi, la directive assure une protection maximale tant en procédure de transaction que de clémence. Une porte reste néanmoins ouverte au paragraphe 7 qui prévoit un contrôle par l'autorité judiciaire de la réalité du rattachement des documents « attribués » aux procédures de clémence et de transaction. Pour terminer, la directive prévoit une sanction effective, proportionnée et dissuasive en droit interne en cas de violation des restrictions prévues pour l'utilisation des preuves (article 8 de la directive).

    92

    96. Conclusion. La mise une place de la directive 2014/104 est le résultat du « paquet private

    enforcement » et d'un changement de paradigme par rapport au proposition précédente avec la recherche d'une coordination entre contentieux objectif et subjectif.

    Malgré le mutisme du législateur, le texte a vocation à régir les actions collectives, outil indispensable au private enforcement au-delà du contentieux indemnitaire entre concurrents.

    Par conséquent, par-delà le texte brut, en filigrane apparaît peut être une pierre posée dans la construction du régime des actions collectives (malgré l'échec relatif de la recommandation sur les recours collectifs). En tout état de cause, le renforcement des modalités d'action du contentieux subjectif est utile car il uniformise le droit applicable pour permettre une égalité de traitement nécessaire. Traitement égal tant sur la prescription (section 1§1), que le régime de la responsabilité (section 1§2) ou encore sur la production de preuve (section 1§3).

    Ainsi, le droit européen tisse un régime européen propre et cherche à échapper aux critiques qu'a pu recevoir le modèle américain de private enforcement (section 1§3). En outre, il répond de manière utile à des enjeux pratiques et procéduraux majeurs, notamment par la mise en place d'injonction à produire des preuves (section 1§3 et section 2§2) ou encore sur l'autorité des décisions de concurrence (section 2§1). Tant de questions à harmoniser pour éviter que les opérateurs profitent d'un forum shopping, mais surtout propice à limiter les inégalités de traitements entre opérateurs. Renforcement de la sécurité juridique aussi, par le biais d'éclaircissements (section 2§3) concernant le droit à obtenir une réparation intégrale du contentieux subjectif vis-à-vis de la clémence et la transaction (propre au contentieux objectif).

    Enfin, la consécration de la cession de créance avec le droit d'agir peut a priori être un instrument commode pour le private enforcement (à défaut d'action collective), il n'en reste pas moins qu'à défaut de législation sur le sujet, cette cession peut devenir un outil dangereux si ce n'est nocif (section 1§4).

    93

    Chapitre 2 - Obstacles pratiques à l'efficacité des actions collectives

    97. Pierres d'achoppement. L'efficacité du duo private-public enforcement comme présenté
    dans la directive pourrait connaître quelques contretemps. En effet, malgré les propositions, recommandations, études d'impact, consultation publique sur le sujet des recours collectif (comprenant notamment les actions collectives) aucun texte normatif contraignant n'a réussi à sortir des institutions européennes. Tout au plus, la montagne a accouché d'une souris, la directive sur le private enforcement abordant de manière indirecte le sujet. Pourtant, l'action collective face au préjudice de masse créé par les atteintes à la concurrence dans la société de consommation est un outil centralisateur utile. Malgré le caractère épars des régimes européens, apparaît tout de même des questions sur ses modalités d'actions qui pourraient être des difficultés factuelles à son efficacité.

    D'un point de vue économique, il faut s'interroger sur l'intérêt pour l'entreprise à être contrevenante au droit de la concurrence, questionnement sur la « faute lucrative » malgré le renforcement prospectif offert par la directive n°2014/104 (Section 1). Enfin se pose la question, au travers même de la directive, de la mise en jeu responsabilité des entreprises tant au travers des difficultés liés au financement des actions à leur encontre, que des conditions de mise en jeu de leur responsabilité au travers de la question du surcoût (Section 2).

    Section 1 - Une prime économique à la faute toujours présente

    98. Modalité d'action et comportement passif du consommateur. Se profile des barrières
    intrinsèques à l'efficience du private enforcement qu'il faudra en outre regarder par le filtre de l'action collective. Les obstacles sont psychologiques en ce qu'ils touchent à la nature même du comportement des acteurs économiques à l'action individuelle et interroge les modalités techniques à mettre en place (1). Comportements des acteurs économiques qui apparaissent pour les entreprises comme autant de facteur à prendre en compte dans leur analyse du risque. Ce risque prend place dans un univers capitaliste au-delà de l'aspect immoral à enfreindre la loi, dans une analyse coût-avantage. La question est donc de l'analyse économique du risque pour savoir si la faute peut devenir lucrative pour l'entreprise contrevenante (2).

    §1) Apathie rationnelle de la victime et opt-in

    99. Bilan claudicant. Alors que les associations de consommateurs avaient déjà montré leur
    satisfaction au moment du Livre Blanc en constatant que les consommateurs étaient enfin « les vrais bénéficiaires de la politique communautaire de concurrence ». Apparaît néanmoins que, si

    225

    les consommateurs restent des bénéficiaires de la politique européenne sur le sujet, il se pourrait que cet enthousiasme passé ne soit plus autant partagé à l'heure actuelle. En effet, le Livre Blanc de

    225 Bureau européen des unions des consommateurs, BEUC

    94

    2008 peignait un tableau édifiant, auquel il proposait, en outre, comme solution le recours aux actions de groupe (point 2.1, page 4) :

    « Les consommateurs individuels, mais aussi les petites entreprises, en particulier celles qui ont subi de manière sporadique des dommages de faible valeur, sont souvent dissuadés d'engager des actions individuelles en dommages et intérêts en raison des coûts, des délais, des incertitudes, des risques et des contraintes que cela suppose. Il en résulte qu'à l'heure actuelle, nombreuses sont les victimes qui ne sont pas indemnisées. Dans les rares cas où une multitude d'actions individuelles sont engagées pour une même infraction, il en résulte des inefficacités procédurales, que ce soit pour les requérants, pour les défendeurs ou pour le système judiciaire lui-même.226 »

    Par conséquent, le recours à l'action collective se présentait comme la solution adéquate pour permettre aux victimes au préjudice moindre d'agir en justice. Néanmoins, aucun texte à l'heure actuelle tant en droit positif que prospectif ne consacre pas un cadre uniformisé et liant en ce qui concerne les actions collectives.

    100. Risque contraventionnel. Peu importe, le risque reste pour l'entreprise d'un recours collectif au travers des droits internes (ou encore par le truchement de la cession de créance, qui elle a été autorisée par la directive). La diversité des régimes des droits des Etats membres et la forum shopping possible font que le risque peut être grand. Risque concret de remboursement du consommateur qui peut être montré au travers de l'exemple du « dieselgate » (en droit de la consommation essentiellement). En outre, la fraude Volkswagen sur la capacité polluante de ses véhicules a donné lieu à un accord transactionnel du l'autre côté de l'Atlantique. Celui-ci a été soumis à l'homologation du juge californien Charles R. Breyer et a été négocié entre les avocats des victimes et de Volkswagen (il a été rendu public le 28 juin 2016). Cet accord transactionnel fait peser un coût total de 14,7 milliards de dollars sur l'entreprise allemande. En tout, 10.033 milliards de dollars seront destinés aux diverses indemnisations, et 4,7 milliards à la protection de l'environnement. Mais au-delà des chiffres, cet accord servira avant-tout de référence aux class-actions européennes qui s'organiseront contre le constructeur. Ainsi, le « risque contraventionnel » explique pour partie la soumission des acteurs aux règles édictées par le législateur. Mais au-delà des règles reste la réalité du comportement effectif des victimes, car la loi n'existe factuellement que par l'exercice des droits, devoirs et prérogatives qu'elle ordonne.

    101. Apathie du consommateur. Il faut donc se pencher sur les facteurs de ce qui est qualifié d'apathie rationnelle du consommateur. En outre, l'apathie désigne un état de fatigue et de mollesse, accompagné d'une indifférence ou d'une absence d'émotions et de désirs. Cet état est ici rationnel en ce qu'il s'explique par un choix conforme à une logique. Logique apathique du fait de ce qu'il convient de qualifier d'obstacles objectifs. Sans pouvoir donner une liste exhaustive, plusieurs facteurs vont empêcher la victime d'aller en justice que ce soit le consommateur ou l'entreprise.

    226 Livre Vert, préc., pt 2.1. p. 4

    95

    En outre, essentiellement le « préjudice sporadique » que la victime subit en ce qui concerne le surcoût payé . Mais aussi, comme le pointe Pierre-Claude Lafond : les frais de justice avec la

    227 228

    question des dépens, les honoraires des avocats, les coûts des expertises qui sont plus que nécessaire en droit économique, les déboursés, les coûts indirects (pertes de salaires subies avec les frais de transport, d'hébergement, de repas, temps préparé à la préparation de la cause), la lenteur de la justice.

    Existe aussi une barrière psychologique s'incarnant dans la peur du litige , le caractère intimidant

    229

    de la justice, l'anxiété, l'angoisse du prétoire. D'autres critères plus implicites apparaissent derrière ce simple obstacle pointe le professeur Lafond, comme le langage, l'insuffisance d'information, le déséquilibre des forces en présence par le fait que les entreprises puissent être habituées aux contentieux (théorie des « repeat player ») ou encore l'absence de propension au litige des

    230

    victimes. Autant d'obstacles qui expliquent l'inaction de la victime dans le contentieux subjectif en droit de la concurrence, en sus de ceux-ci le contentieux concurrentiel à ses barrières propres, comme pointé dans le Commission Staff Working Document à propos des actions en dommages et intérêts (page 18) :

    « 45. [É] the fact that antitrust cases, by nature, often require an unusually high level of very costly factual and economic analysis and present specific difficulties for claimants regarding access to crucial pieces of evidence that are often kept secret in the hands of the defendants, deter many victims from bringing actions as they consider the risk/reward balance to be negative23 1 »

    Ainsi, apparaît le bilan nécessaire d'une apathie rationnelle de la victime à moins que le préjudice subi (dépassant ainsi un certain seuil pécuniaire) soit tel qu'il contrebalance tous les effets susmentionnés justifiant l'inaction de la victime. Cette inaction est un gain pour l'entreprise, en effet, à défaut d'action, il n'y a pas de sortie du patrimoine de l'entreprise contrevenante du surcoût engendré pour la victime.

    102. Opt-in et inaction. Question lancinante pour le législateur tant interne qu'européen, les modalités procédurales d'agrégation des victimes sont en lien direct avec l'effectivité des actions

    227 Un exemple classique est celui d'un cartel de prix qui suscite un préjudice de masse comme dans l'affaire de la téléphonie mobile à la suite de l'action de l'association UFC Que Choisir. Alors qu'il y avait en France plus de vingt millions de détenteurs de téléphone portable, seulement 0,08 % des victimes avaient agi.

    228 LAFOND, Pierre-Claude in Le recours collectif comme voie d'accès à la justice pour les consommateurs, thèse soutenue le 5 mai 1995, Université de Montpellier I, p. 286 et s.

    229 MOULTON, Beatrice in The Persecution and Intimidation of the Low-Income Litigant as Performed by the Small Claims Court in California, 21 Stan. L. Review 1657

    230 GALANTER, Marc in Why the «Haves» Come out Ahead: Speculations on the Limits of Legal Change, 9 L. & SOC'Y REV. 95, 124 (1994).

    231 Voir : the external Impact Study of 21 December 2007, 'Making antitrust damages actions more effective in the EU: welfare impact and potential scenarios' ('the Impact Study', disponible à : http://ec.europa.eu/comm/competition/ antitrust/actionsdamages/files_white_paper/impact_study.pdf)

    96

    collectives de droit interne. Comme il a été vu supra le système de l'opt-out, c'est-à-dire l'option d'exclusion, est le mécanisme par lequel l'ensemble des membres d'un groupe défini par un juge sur des critères objectifs sont considérés comme partie à l'instance tant qu'ils ne se sont pas manifestés pour se retirer de l'instance dans une période prédéterminée. C'est la différence essentielle à l'opt-in, qui lui demande le consentement exprès des personnes représentées à l'action. Au travers des divers textes et débats, apparaît que le Parlement européen et la Commission européenne pensent que le mécanisme opt-in (choisi par la majorité des Etats membres232) est l'outil procédural le plus adéquat aux actions collectives en ce qu'il permet d'éviter les actions abusives, mais aussi d'être en accord avec de nombreuses constitutions européennes qui interdisent les

    233

    actions collectives pour le compte de victimes inconnues .

    234

    Ainsi, il n'est pas étonnant dans la recommandation sur les recours collectifs du 11 juin 2013 que le principe de constitution s'effectue selon le principe du consentement exprès (point 21) :

    « Il convient que la partie demanderesse se constitue en tant que telle sur la base du consentement exprès des personnes physiques ou morales qui prétendent avoir subi un préjudice (Ç opt-in »). Toute exception à ce principe, édictée par la loi ou ordonnée par une juridiction, devrait être dûment justifiée par des motifs tenant à la bonne administration de la justice. »

    Le problème est que malgré le recours à l'action collective, la stratégie du recours au consentement exprès a ses limites. Limites plurielles qui prennent pied dans les facteurs d'apathie du consommateur. Apathie certes affaiblie par les facilités qu'offre l'action collective mais qui reste, du fait de l'inaction du consommateur dans certaines hypothèses où le bénéfice qu'il pourrait tirer de son consentement reste minime (quelques euros par exemple). Sans oublier a posteriori le problème probatoire des victimes à prouver leur propre préjudice par le biais notamment d'une facture ou d'un ticket de caisse (souvent jetés s'il n'y a pas un courant d'affaire entre les parties). De plus, l'information du consommateur est une conséquence inévitable du choix de l'opt-in, pas de consentement sans proposition préalable. La recommandation suscitée prévoit une telle information aux points 10 et 11 tout en cherchant à la concilier avec le respect de certains droits garantis:

    « 10. Les États membres devraient veiller à ce qu'il soit possible, pour l'entité représentative ou pour le groupe de demandeurs, de diffuser des informations sur une violation alléguée de droits conférés par le droit de l'Union et leur intention d'en

    232 comme vu supra (dans la partie 1, titre 1, chapitre 2, section 1) sauf notamment le Portugal ou l'Angleterre (qui a un régime mixte).

    233 à ce sujet une décision intéressante du Conseil constitutionnel français (décision du 25 juillet 1989, n° 89-257 DC, considérant 24) : « Considérant ainsi que, s'il est loisible au législateur de permettre à des organisations syndicales représentatives d'introduire une action en justice à l'effet non seulement d'intervenir spontanément dans la défense d'un salarié mais aussi de promouvoir à travers un cas individuel, une action collective, c'est à la condition que l'intéressé ait été mis à même de donner son assentiment en pleine connaissance de cause et qu'il puisse conserver la liberté de conduire personnellement la défense de ses intérêts et de mettre un terme à cette action ; »

    234 aussi au regard du principe de l'égalité des armes découlant du droit au procès équitable prévu par la Convention européenne des droits de l'homme : rupture d'égalité par le fait que le défendeur ne connaîtra pas tous les demandeurs, alors que le représentant de l'action collective connaîtra en tout état de cause le défendeur

    97

    demander la cessation, ou sur un cas de préjudice de masse et leur intention d'engager une action en dommages et intérêts sous la forme d'un recours collectif. L'entité représentative, l'entité agréée au cas par cas, l'autorité publique ou le groupe de demandeurs devraient jouir des mêmes possibilités d'information en ce qui concerne les actions en réparation pendantes.

    11. Les méthodes de diffusion de l'information devraient prendre en considération les circonstances propres au préjudice de masse en cause, la liberté d'expression, le droit à l'information et le droit à la protection de la réputation ou de la valeur d'entreprise de la partie défenderesse avant que sa responsabilité pour la violation ou le préjudice

    allégués ne soit établie par un jugement définitif. »

    Malgré l'information, il faut un acte positif du consommateur ce qui sous-entend une « culture de la concurrence ». Se dévoile ainsi le constat que les freins à une application optimale du private

    235

    enforcement par le biais de l'opt-in puisse l'emporter du fait d'une apathie persistante du consommateur. Ainsi, le risque que le préjudice économique ne soit pas intégralement réparé reste élevé.

    §2) Modèle contrefactuel et faute lucrative

    103. Apathie et faute lucrative. Le rapport entre faute lucrative au droit de la concurrence et apathie du consommateur est simple, si le consommateur n'agit pas il se pourrait bien que la faute malgré le public enforcement reste bénéfique économiquement. Car selon l'économiste Gary Becker, tout contrevenant potentiel fait une analyse coût-bénéfice pour ses actions prenant en compte non seulement le coût des sanctions mais aussi la possibilité d'être découvert . À partir de

    236

    ce constat, Vincent Rebeyrol relève le concept de faute lucrative qui consiste :

    « pour un acteur économique, à méconnaître sciemment la règle de droit en faisant le calcul qu'il en retirera un profit supérieur à celui qu'il dégagerait en appliquant cette règle (par ex., en méconnaissant des obligations contractuelles dont la violation n'a qu'une implication financière très faible pour chaque consommateur, lequel n'exercera aucune action, dissuadé par la lourdeur, la longueur et le coût d'une procédure solitaire, alors que, pour l'industriel, les profits cumulés seront colossaux) » .

    237

    Dès lors, la faute lucrative est présentée par le professeur Geneviève Viney comme une catégorie de « faute délibérée » qui « exige une motivation spéciale238 », il s'agit en effet d'une faute, d'une défaillance délibérée qui permet un profit (lucre). Se pose dès lors, la question du calcul du coût pour l'entreprise qui va prendre place : au travers de l'amende du public enforcement et de l'indemnisation à verser aux victimes (private enforcement).

    235 voir sur le sujet LASSERRE, Bruno in La culture de la concurrence : La démonstration par la preuve, disponible en ligne : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/aquoi_sert_concurrence.pdf

    236 BECKER, Gary in Crime and Punishment : An Economic Approach, 1968, 76 Journal of Political Economy 169 pp 180-85.

    237 REBEYROL, Vincent in La nouvelle action de groupe, D. 2014.

    238 VINEY, Geneviève in De la responsabilité civile, article 1340 à 1386, exposé des motifs. Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, préc., p. 148.

    98

    Ce sont généralement les tribunaux nationaux qui statuent sur les actions en réparation intentées au civil. Dans la mesure où il n'existe aucune réglementation de l'Union en la matière, il appartient à l'ordre juridique interne de chaque État membre de définir des règles précises concernant l'exercice du droit à réparation garanti. L'analyse contrefactuelle (but-for analysis) permet d'établir ce préjudice avec des critères objectifs et une analyse économétrique donnant une certaine sécurité juridique et une valeur probante devant les tribunaux aux allégations des parties.

    104. Modèle contrefactuel. Dès lors, le calcul de la sanction et de la réparation doivent être objectivés par la construction des scénarios contrefactuels (counterfactual scenario), à savoir une reconstruction hypothétique de l'état du marché si les pratiques anticoncurrentielles n'avaient pas eu lieu (malgré l'incapacité à arriver à un niveau de précision proche de la certitude239) ; au demeurant reste aussi la possible comparaison de l'évolution des prix sur des marchés non-affectés par une infraction, similaires au marché pertinent affecté (géographiquement et au regard de la substituabilité du produit). Quoiqu'il en soit, il convient alors d'appréhender la différence de prix entre le marché étalon et le marché considéré, la différence étant alors imputable à la pratique anticoncurrentielle. Du côté de l'entreprise contrevenante, ce scénario est intéressant car il permet de connaître l'intérêt qu'il a à enfreindre la loi et profiter d'une faute lucrative. En outre, le comportement d'un agent économique procède d'un arbitrage rationnel entre gain lié à l'infraction et montant de la sanction. Si l'amende est égale au gain, elle est confiscatoire. Dans cette hypothèse, il est rationnel de commettre l'infraction, la faute pouvant être lucrative.

    Lorsque l'amende est supérieure, elle est punitive ou dissuasive, l'opérateur n'a pas intérêt à commettre l'infraction. La question est donc la probabilité d'être sanctionné (qui correspond aux probabilités d'être découvert et condamné). Face à ce constat de possible faute lucrative des entreprises se pose la question du calcul de l'amende. Or, une communication sur la question de

    240

    la quantification du préjudice et un guide pratique (au caractère « purement informatif ») ont été

    241

    publiés par les autorités européennes en 2013. Tout d'abord, le guide pratique (au paragraphe 17) relève que la quantification du préjudice dans les affaires de concurrence est, par nature, soumise à :

    « d'importantes limites quant au degré de certitude et de précision que l'on peut en attendre. Il ne peut être question de déterminer une seule « vraie » valeur du préjudice subi, mais uniquement de produire des estimations les plus précises possibles sur la base d'hypothèses et d'estimations ».

    239 Rapport Oxera et al., Quantifying antitrust damages. Towards non-binding guidance for courts Study prepared for the European Commission, December 2009, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2010 (dirigé par Assimakis Komninos)

    240 Communication de la commission relative à la quantification du préjudice dans les actions en dommages et intérêts fondées sur des infractions à l'article 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) 2013/C 167/07

    241 http://ec.europa.eu/competition/antitrust/actionsdamages/quantification_guide_fr.pdf

    99

    Néanmoins, dans le cadre du private enforcement l'analyse du préjudice subi par le consommateur au travers du surcoût payé lors de l'opération d'achat par exemple peut être difficile d'autant plus qu'il n'y a pas une harmonisation procédurale européenne sur ce point.

    Cette apathie du consommateur conjuguée à la difficulté d'établir le préjudice interroge sur l'efficacité du private enforcement sachant que celui à vocation uniquement à la réparation intégrale du préjudice, en effet, la directive limite le montant à payer pour l'entreprise contrevenante :

    « La réparation intégrale du préjudice consiste à replacer une personne ayant subi un tel préjudice dans la situation où elle aurait été si l'infraction au droit de la concurrence n'avait pas été commise. Elle couvre dès lors le droit à une réparation du dommage réel et du manque à gagner, ainsi que le paiement d'intérêts. [É] La réparation intégrale au sens de la présente directive n'entraîne pas de réparation excessive, que ce soit au moyen de dommages et intérêts punitifs ou multiples ou d'autres types de dommages et intérêts. »

    Ce paradigme de réparation intégrale est une limite à l'efficacité du private enforcement car il faut sanctionner et réparer pleinement le dommage pour rendre les infractions non rentables. L'action collective a ici un rôle à jouer. En outre, l'action collective abaisse le seuil où il devient profitable d'agir en justice, elle permet la quiétude relative du consommateur qui n'a pas à prendre en charge la gestion de l'affaire. Mais aussi, il y a un changement de rapport de force avec l'amélioration la situation de la victime par rapport à la question de l'inégalité de représentation en justice (du fait des enjeux supérieurs pour l'entreprise contrevenante). C'est aussi ici que la question de l'opt-in ou de l'opt-out est essentielle car selon le modèle choisi le risque de paiement pour l'entreprise est plus important. Il semble que le mécanisme de l'opt-out bénéficie de plusieurs avantages. Tout d'abord et non des moindres, son fort effet dissuasif, car il contraint l'opérateur économique à indemniser toutes les personnes ayant subi un dommage en lien avec sa pratique anticoncurrentielle. Par ailleurs, le mécanisme opt-out évite les difficultés de gestion pour le demandeur et pour le tribunal en garantissant, comme le relève le Comité économique et social européen, un réel accès des intéressés à la justice ainsi qu'une réparation juste et effective .

    242

    Dès lors, le problème de l'apathie rationnelle disparaît permettant de limiter le caractère lucratif de la faute, mais cela n'est pas pour le moment le choix politique du législateur européen qui penchent vers un plus grand respect du principe du consentement que de l'efficacité du contentieux subjectif. Le bilan contemporain est qu'à défaut d'une capacité à créer un système punitif ou dissuasif : « cartel recidivism is still inevitable because cartelization is a crime that pays ».

    243

    105. Treble damages. Une porte de sortie existe face au refus des autorités européennes d'un système de représentation fondé sur l'opt-out. C'est les treble damages. Exemple tiré du système

    242 CE, Avis du Comité économique et social européen sur la « Définition du rôle et du régime des actions de groupe dans le domaine du droit communautaire de la consommation », [2008] JO, C 162/01 à la p 11, para 6.5 [Avis du Comité économique et social]. p 14.

    243 CONNOR, John M. in The Great Global Vitamins Conspiracy : Sanctions and Deterrence, 2006

    100

    américain selon lequel la victime peut obtenir des dommages et intérêts triples (treble damages)

    244

    qui correspondent au triple du montant du préjudice subi (ce qui est punitif). La règle répond ainsi au double objectif du droit de la concurrence américain : réparer le préjudice de la victime et dissuader les potentiels auteurs de pratiques anticoncurrentielles. Des réticences restent au sein de l'Europe à admettre de tels dommages qui sont contraires aux principes de réparation intégrale du préjudice (ni plus, ni moins). Le document de travail des services de la Commission (« Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs ») remarque que :

    « De nombreuses parties prenantes ont exprimé le souhait d'éviter certains abus qui ont été constatés aux États-Unis avec le système des «class actions» (actions de groupe). À cause de ses fortes incitations économiques, ce système encourage en effet les parties à saisir la justice même si le recours n'est pas nécessairement bien fondé. Ces incitations sont le fruit d'une combinaison de facteurs, notamment l'existence de dommages-intérêts punitifs ».

    245

    Certains parlent même de transformation néfaste du système judiciaire. Les personnes privées devenant d'une certaine manière des « procureurs privés », la victime se substituant à l'autorité publique pour réguler l'ordre public économique , devenant ainsi un auxiliaire de la justice en vue de réprimer les agissements illicites des opérateurs sur le marché. Enfin, il faut noter que si l'action fondée sur l'opt-out assurerait un effet plus dissuasif sur les entreprises contrevenantes, ce modèle d'action ne répond pas à la question de la redistribution de l'indemnisation reçue.

    106. Amende civile. A priori malgré le principe de réparation intégrale, l'avant-projet français de réforme de la responsabilité civile souhaite instituer une amende civile (forme de dommages et intérêts punitifs) à l'article 1266 :

    « Lorsque l'auteur du dommage a délibérément commis une faute lourde, notamment lorsque celle-ci a généré un gain ou une économie pour son auteur, le juge peut le condamner, par une décision spécialement motivée, au paiement d'une amende civile. Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l'auteur ou aux profits qu'il en aura retirés.

    L'amende ne peut être supérieure à 2 millions d'euros. Toutefois, elle peut atteindre le décuple du montant du profit ou de l'économie réalisés.

    Si le responsable est une personne morale, l'amende peut être portée à 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.

    Cette amende est affectée au financement d'un fonds d'indemnisation en lien avec la nature du dommage subi ou, à défaut, au Trésor public. ».

    246

    244 section 4 du Clayton Act :« Any person who shall be injured in his business or property by reason of anything forbidden in the antitrust laws may sue [É] and shall recover threefold the damages by him sustained, and the cost of suit, including a reasonable attorney's fee ».

    245 Document de travail des services de la Commission : consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4 février 2011 SEC(2011) 173 final, point 21, p. 11

    246 Avant-Projet de loi sur la réforme de la responsabilité civile, lancement de la consultation sur l'avant-projet de loi par le garde des Sceaux, le vendredi 29 avril 2016, Direction des Affaires Civiles et du Sceau

    247 Document de travail des services de la Commission, sus-cité, point 27, page 11

    101

    Néanmoins, cette innovation d'une fonction punitive officielle cherchant à dissuader des comportements grave avec une forme de rattachement de la « faute lourde » à la faute lucrative, ne semble pas heurter le principe édicté par la directive n°2014/104, celle-ci édictant que :

    « La réparation intégrale au sens de la présente directive n'entraîne pas de réparation excessive, que ce soit au moyen de dommages et intérêts punitifs ou multiples ou d'autres types de dommages et intérêts. »

    Le critère serait donc le caractère excessif de la réparation qui pourrait se concilier avec l'amende civile telle que définie dans le projet qui pose des plafonds à l'amende. Mais surtout, il ne s'agira pas de donner le triple du dommage créé aux victimes mais d'affecter l'amende à un fonds d'indemnisation (rappelant les Cy pres fund de droit américain) ce qui n'est pas contraire au principe de réparation intégrale des victimes, qui percevront tout le préjudice, rien que le préjudice. Ce mécanisme pourrait donc être un moyen de sanctionner des opérateurs contrevenants et ainsi de dépasser le caractère uniquement confiscatoire du concept de réparation intégrale du préjudice (tel que dégagé dans la directive), rendant au regard du private enforcement la sanction punitive.

    Section 2 - Une mise en jeu de la responsabilité ardue

    107. Un chemin semé d'embûches. Pour obtenir réparation de son préjudice, la route que doit suivre la victime s'apparente parfois à un long chemin de croix tant des embûches peuvent se présenter à elle. Dès le début de l'instance avec la question du financement de l'action collective (§1) mais aussi, lors même du contentieux avec la question de la quantification du préjudice et du surcoût (§2).

    109. Manque de moyens. Le constat est que les consommateurs et les PME peuvent ne pas avoir les moyens de se permettre un contentieux concurrentiel qui par sa complexité à un coût dissuasif et à défaut de pouvoir se payer un procès, le préjudice reste dans les mains de l'entreprise contrevenante. La Commission le dit de ses propres mots :

    « Les citoyens et les entreprises, en particulier les PME, ne devraient pas être privés de l'accès à la justice, faute de ressources financières suffisantes. Il conviendrait, dès lors, d'examiner dans quelle mesure il existe des mécanismes de financement appropriés aux fins des recours collectifs. Les mécanismes de financement des recours collectifs devraient permettre de financer les recours fondés, sans encourager l'introduction de recours non fondés247. »

    §1) Financement des actions collectives

    102

    109. Financement par un tiers. Face à ce problème de moyens, la question du financement s'est posée. Phénomène récent de développement du financement du procès par un tiers qui date des années 1980 avec notamment l'Australie (finalement consacré par la Cour suprême d'Australie en 2006 ). Ce phénomène s'est ensuite étendu à l'Angleterre, aux Etats-Unis mais aussi à la

    248

    France .

    249

    David Bosco pointe qu'en ce qui concerne le financement plusieurs modes alternatifs sont envisageables :

    La cession de créance comme moyen d'action au procès ne sera pas abordée, celle-ci ayant fait lieu de développement antérieur (il faudra juste relever que la cession ne fait que décaler le problème du financement du cédant vers le cessionnaire). A défaut d'un cadre européen normatif sur le sujet, la recommandation sur les recours collectifs s'est intéressée de manière approfondie au problème et pose quelques limites à celui-ci, dont notamment un contrôle dès l'introduction de l'instance de la légalité du financement :

    En effet, en matière de recours collectif, les coûts habituellement supportés par les parties engagées dans un contentieux civil pourraient être relativement élevés, notamment lorsque les demandeurs sont nombreux.

    « Le premier consiste à avoir recours au système de l'assurance. Un autre consiste à convenir avec un avocat qu'il supportera la charge des frais de justice, quitte à partager ensuite le bénéfice obtenu en cas de succès.Enfin, dans le dernier modèle qui fait l'objet de cette contribution, c'est un tiers qui finance le procès directement. L'expression third party founding s'est imposée dans le langage juridique.250 »

    « 14. La partie demanderesse devrait être invitée à indiquer, dès l'ouverture de la procédure, à la juridiction saisie l'origine des fonds qu'elle compte utiliser pour financer l'action en justice.

    15. La juridiction saisie devrait être autorisée à surseoir à statuer si, en cas d'utilisation de ressources financières fournies par une tierce partie,

    a) il existe un conflit d'intérêts entre la tierce partie et la partie demanderesse et ses membres;

    b) la tierce partie ne dispose pas des ressources suffisantes pour satisfaire à ses engagements financiers vis-à-vis de la partie demanderesse à la procédure de recours collectif;

    c) la partie demanderesse ne dispose pas des ressources suffisantes pour supporter les dépens de la partie adverse en cas d'échec de la procédure de recours collectif. »

    248 High Court of Australia, Campbells Cash and Carry Pty Ltd v. Fostif Pty Ltd, [2006] HCA 41

    249 avec notamment les sociétés AM International Claims Collection et Alter Litigation

    250 BOSCO, David in Le financement par les tiers de l'action collective : l'exemple de l'Union européenne, bulletin de droit économique, Université de Laval, page 3

    103

    Un cadre est prévu pour restreindre la logique commerciale et les risques y afférents introduit par l'incorporation d'un tiers spéculateur sur le devenir de l'action, notamment à propos de la question des conflit d'intérêts dans les relations entre le financier (le bailleur de fonds) et le bénéficiaire :

    « 16. Les États membres devraient veiller à ce que, lorsque le financement du recours collectif provient d'une tierce partie privée, il soit interdit au bailleur de fonds:

    a) d'exercer une influence sur les décisions de procédure, y compris en matière de transactions, prises par la partie demanderesse;

    b) de financer une action collective dans le cadre de laquelle la partie défenderesse est un concurrent du bailleur de fonds ou tient ce dernier en dépendance;

    c) de percevoir des intérêts excessifs sur les fonds mis à disposition. »

    Il s'agit bien de cloisonner le risque et limiter les abus ; dans le même sens à propos des intérêts perçus par le bailleur de fonds :

    « Les États membres devraient veiller à ce que, outre le respect des principes généraux de financement, dans le cas du financement d'un recours collectif en réparation par une tierce partie privée, il soit interdit de calculer la rémunération accordée au bailleur de fonds ou les intérêts que celui-ci percevra sur le montant atteint dans le cadre de la transaction ou sur la réparation accordée, à moins que cet arrangement financier ne soit réglementé par une autorité publique, afin de protéger les intérêts des parties251 ».

    110. Financement par l'avocat. Ce qui n'est pas sans rappeler le problème des pactes quota litis plus ou moins règlementés dans les Etats membres (voir à ce sujet : partie 1, titre 1, chapitre 2, section 1, §2) ou encore, les contingency fees de droit américain (avances des frais judiciaires contre rémunération de la prise de risque) qui sont regardés comme une dérive à éviter . À ce sujet, la

    252

    recommandation prévoit que les États membres devraient veiller à ce que la rémunération des avocats et son mode de calcul ne créent aucune incitation à engager des procédures judiciaires qui ne soient pas nécessaires dans l'intérêt des parties. En outre, il faut éviter le versement d'honoraires de résultat qui risquent de créer une telle incitation. Les États qui autorisent des honoraires de résultat devraient prendre en compte le droit des demandeurs d'obtenir une réparation intégrale.

    110. Soft law et régulation interne. Comme déjà dit la recommandation reste du droit mou, les Etats ne sont en rien liés et le cadre prévu n'est en rien normatif. Dès lors, toujours et encore une asymétrie selon les systèmes juridiques se profile, asymétrie d'autant plus grave qu'ici se joue des questions graves de conflits d'intérêts et de connivence. Plus encore, les modalités de rémunération des acteurs tiers au procès peuvent priver les victimes de leur droit à indemnisation et la recherche d'une rentabilité économique peut entrainer des pressions sur les parties dans un sens contraire à leurs intérêts, autant de risque qu'il faudrait limiter par du droit « dur ».

    251 Recommandation de la Commission en date du 11 juin 2013, (2013/396/UE), sus-citée, point 32.

    252 voir point 21 page 11 du Document de travail des services de la Commission : Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, suscité

    253 COMBE, Emmanuel in Les cartels restent un cancer pour l'économie, tribune parue dans Le Figaro du 2 mars 2010

    104

    §2) Préjudice : caractérisation et répercussion du surcoût

    112. Caractérisation du préjudice et du lien causal. L'évaluation du préjudice est une tâche extrêmement complexe car cela demande d'évaluer un préjudice hypothétique sur la base de modèle contrefactuel. En outre, il aurait été plus facile de déterminer le montant du dommage en se référent au prix avant l'accord anticoncurrentiel, mais c'est oublier que les ententes ont une durée de vie entre 5 à 7 ans253.

    Malgré les guides pratiques récents, face aux allégations opposées des parties sur un terrain complexe et qui peut être inconnu des juges, les juges font appel fréquemment à des experts, notamment des économistes afin de se faire assister sur le montant des dommages à allouer.

    De plus, la démonstration du lien causal entre la pratique anticoncurrentielle et le préjudice constitue un tracas pour le demandeur. Le défendeur à l'action peut par exemple invoquer l'argument selon lequel la hausse des prix ou la perte de clientèle subie par le demandeur est le résultat logique du marché et non d'une possible faute de celui-ci (argument d'autant plus recevable face à une action en stand-alone).

    Dès lors, la directive vient aider les victimes et pose des présomptions d'existence de lien de causalité entre la faute et le préjudice (article 17) :

    « Les États membres veillent à ce que ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rendent l'exercice du droit à des dommages et intérêts pratiquement impossible ou excessivement difficile. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées, conformément aux procédures nationales, à estimer le montant du préjudice, s'il est établi qu'un demandeur a subi un préjudice, mais qu'il est pratiquement impossible ou excessivement difficile de quantifier avec précision le préjudice subi sur la base des éléments de preuve disponibles.

    2. Il est présumé que les infractions commises dans le cadre d'une entente causent un préjudice. L'auteur de l'infraction a le droit de renverser cette présomption. »

    De plus, pour aider les juges dans leur recherche de quantification, la directive prévoit que les États membres veillent à ce qu'une autorité nationale de concurrence puisse, à la demande d'une juridiction nationale, aider ladite juridiction nationale en ce qui concerne la quantification du montant des dommages et intérêt.

    113. Répercussion du surcoût. Le surcoût (créé par le comportement anticoncurrentiel) est la différence entre le prix effectivement payé et celui qui aurait prévalu en l'absence d'infraction au droit de la concurrence

    Il est supporté par l'acheteur direct de l'auteur de l'infraction. Toutefois, il est tout à fait possible, s'il est un maillon intermédiaire de la chaîne économique (producteur ou distributeur), qu'il répercute ce surcoût sur ses propres clients, c'est ce qui est dénommé la « répercussion du surcoût » ou le « passing-on ». Si le client direct de l'auteur d'une infraction a répercuté, en tout ou en partie, les surcoûts illégaux sur ses propres clients (les acheteurs indirects), se dévoile des questions

    105

    juridiques : si l'auteur de l'infraction invoque la répercussion des surcoûts comme moyen de défense contre un requérant ayant engagé une action en dommages et intérêts, en faisant valoir que ce dernier n'a pas subi de perte puisqu'il a répercuté l'augmentation des prix sur ses clients.

    Il y a aussi le passing-on offensif, c'est-à-dire la demande de réparation de la répercussion formulée par l'acheteur indirect contre l'auteur.

    Dans le Livre Vert, il y avait un exclusion catégorique du moyen de défense tiré de la répercussion du surcoût (dans les trois options envisagées). Puis par la suite, il y a eu admission par le Livre Blanc de cette défense où : « les acheteurs indirects puissent se fonder sur la présomption réfragable que le surcoût illégal a été répercuté sur eux dans sa totalité »

    254

    Outre-Atlantique, ce moyen de défense n'est pas reconnu par la Cour suprême américaine au niveau fédéral. Par exemple dans les affaires Illinois Brick et Hanover Shoe , les juges suprêmes ont

    255 256

    refusé de reconnaître aux acheteurs indirects la qualité pour agir notamment au motif de l'égalité entre le défendeur et le demandeur : l'argument de la répercussion des surcoûts ne pouvant être reçu en droit américain par le défendeur, le demandeur ne doit pas pouvoir l'invoquer non plus.

    114. Admission du passing-on. En Europe, conformément au principe de réparation intégrale, si la perte subie et le manque à gagner font l'objet d'une réparation, les potentielles pertes répercutées par la victime sur ses propres clients ne sauraient être prises en compte. Dès lors, la directive dans son chapitre IV admet le passing-on :

    « Afin de garantir la pleine efficacité du droit à réparation intégrale prévu à l'article 3, les États membres veillent à ce que, conformément aux règles prévues dans le présent chapitre, il soit possible à toute personne de demander réparation du préjudice subi, que celle-ci soit ou non un acheteur direct ou indirect d'un auteur de l'infraction, et à ce que soient évitées toute réparation d'un préjudice qui serait supérieure au préjudice causé au demandeur par l'infraction au droit de la concurrence, ainsi que l'absence de responsabilité de l'auteur de l'infraction. »

    Le régime est distillé par la suite de manière logique :

    « 2. Afin d'éviter toute réparation excessive, les États membres élaborent des règles procédurales appropriées pour garantir que la réparation du dommage réel à tout niveau de la chaîne de distribution n'excède pas le préjudice du surcoût subi à ce niveau.

    3. Le présent chapitre s'entend sans préjudice du droit d'une partie lésée à demander et à obtenir réparation pour manque à gagner en raison de la répercussion partielle ou totale du surcoût.

    4. Les États membres veillent à ce que les règles établies au présent chapitre s'appliquent en conséquence lorsque l'infraction au droit de la concurrence porte sur la fourniture de biens ou de services à l'auteur de l'infraction.

    254 Livre Blanc, sus-cité, 2.6, page 9

    255 Illinois Brick CO. c/ Illinois, 431 US 720 (1977)

    256 Hanover Shoe, 392 US 481 (1968)

    257 L'article 16 de la directive prévoit à ce sujet que la « Commission délivre à l'intention des juridictions nationales des orientations sur la façon d'estimer la part du surcoût qui a été répercutée sur les acheteurs indirects. »

    106

    5. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées à estimer, conformément aux procédures nationales, la part de tout surcoût qui a été répercutée. »

    En outre, les acheteurs indirects sont définis à l'article 2 qui précise que ce sont les personnes physiques ou morales qui ont acheté, non pas directement auprès de l'auteur de l'infraction, mais auprès d'un acheteur direct ou d'un acheteur ultérieur, des produits ou services ayant fait l'objet d'une infraction au droit de la concurrence, ou des produits ou services les contenant ou dérivés de ces derniers.

    Au niveau de la charge de la preuve, ils profitent d'un régime allégé avec une « possible » présomption légale. En effet, l'acheteur indirect est réputé avoir apporté la preuve d'une répercussion à son encontre lorsqu'il démontre que (article 14) :

    « a) le défendeur a commis une infraction au droit de la concurrence;

    b) l'infraction au droit de la concurrence a entraîné un surcoût pour l'acheteur direct du défendeur; et

    c) l'acheteur indirect a acheté les biens ou services concernés par l'infraction au droit de la concurrence, ou acheté des biens ou services dérivés de ces derniers ou les contenant. »

    Néanmoins, le texte européen prévoit un moyen de défense pour le défendeur :

    « Le présent paragraphe ne s'applique pas lorsque le défendeur peut démontrer de façon crédible, à la satisfaction de la juridiction, que le surcoût n'a pas été répercuté sur l'acheteur indirect, ou qu'il ne l'a pas été entièrement. »

    Le régime de droit commun part du postulat que les augmentations de prix sont répercutées en bas de la chaîne de distribution et que dès lors, la charge de la preuve repose sur le demandeur :

    « 1. Les États membres veillent à ce que, lorsque, dans le cadre d'une action en dommages et intérêts, l'existence d'une demande de dommages et intérêts ou le montant de la réparation à accorder sont fonction de la répercussion ou non du surcoût sur le demandeur ou de l'ampleur de cette répercussion257, compte tenu de la pratique commerciale selon laquelle les augmentations de prix sont répercutées en aval de la chaîne de distribution, la charge de la preuve concernant l'existence et l'ampleur de cette répercussion incombe au demandeur, qui peut raisonnablement exiger la production d'informations par le défendeur ou par des tiers. »

    115. Multiplicité d'actions et réparation intégrale. De plus, il est prévu que les juridictions internes prennent en compte (dans la mesure du possible) les actions entamées par différents opérateurs d'une même chaîne de distribution afin d'éviter que les actions en réparation ne donnent lieu à une responsabilité multiple ou une absence de responsabilité de l'auteur de l'infraction (article 15) :

    107

    « 1. Pour éviter que des actions en dommages et intérêts intentées par des demandeurs situés à différents niveaux de la chaîne de distribution ne donnent lieu à une responsabilité multiple ou à une absence de responsabilité de l'auteur de l'infraction, les États membres veillent à ce que, lorsqu'elles évaluent s'il a été satisfait à la charge de la preuve résultant de l'application des articles 13 et 14, les juridictions nationales saisies d'une action en dommages et intérêts puissent, en recourant aux moyens disponibles en droit de l'Union ou en droit national, tenir dûment compte de l'un quelconque des éléments suivants:

    a) les actions en dommages et intérêts portant sur la même infraction au droit de la concurrence, mais intentées par des demandeurs situés à d'autres niveaux de la chaîne de distribution;

    b) les décisions de justice prises à la suite d'actions en dommages et intérêts visées au point a);

    c) les informations pertinentes relevant du domaine public qui découlent de la mise en oeuvre du droit de la concurrence par la sphère publique.

    2. Le présent article ne porte pas atteinte aux droits et obligations des juridictions nationales découlant de l'article 30 du règlement (UE) n° 1215/2012 [Bruxelles I bis]. »

    116. Passing-on défensif. Enfin, reste le moyen de défense de la répercussion du surcoût qui apparaît comme une cause d'exonération de responsabilité pour le défendeur à l'action. L'article 13 de la directive précise ainsi :

    « Les États membres veillent à ce que le défendeur dans une action en dommages et intérêts puisse invoquer, comme moyen de défense contre une demande de dommages et intérêts, le fait que le demandeur a répercuté, en tout ou en partie, le surcoût résultant de l'infraction au droit de la concurrence. La charge de la preuve de la répercussion du surcoût incombe au défendeur, qui peut raisonnablement exiger la production d'informations par le demandeur ou par des tiers. »

    La preuve étant ardue, il y a un renforcement de la capacité de production de preuve, le défendeur peut exiger la production d'informations par le demandeur ou par des tiers pour démontrer la répercussion du surcoût par la victime.

    108

    117. Conclusion. L'action collective s'inscrit dans le contentieux subjectif, elle constitue un risque pour les entreprises contrevenantes qui voient leurs chances d'être sanctionnées augmenter. Face à l'apathie rationnelle de la victime, la solution de l'opt-in apparaît comme une demi-mesure (section 1§1) empêchant une récupération optimale du surplus gagné par l'entreprise. Toute au plus, à moins d'amendes des autorités publiques fortes et efficaces ou de changement de paradigme dans les modalités techniques des actions collectives (opt-out, treble damages, amende civile), la faute concurrentielle peut devenir une faute lucrative pour les entreprises (section 1§2).

    Le financement des actions collectives s'il apparaît comme une nécessité face à l'incapacité d'agir des victimes peut poser des problèmes à défaut d'une régulation européenne sur le sujet, notamment par rapport aux intérêts des victimes (section 2§1).

    Enfin, les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité des acteurs économiques ont été fort heureusement simplifiés par la directive. Tant au regard du lien de causalité que de la question de la répercussion du surcoût, la directive prévoit un régime allégé pour les consommateurs, notamment en cas d'action en follow-on (section 2§2).

    Ainsi, le risque potentiel des actions collectives est en demi-teinte, la directive apporte des outils procéduraux essentiels à son exercice effectif, toutefois, le caractère diffus des règlementations est facteur d'une insécurité juridique pour les acteurs au procès privé.

    109

    « Et pourtant le droit gnomique enferme en ses replis bien plus de possibilités qu'on n'en soupçonnerait en se contentant du De minimisÉ habituel. Car, malgré les apparences, il ne s'est jamais résigné sans remords à abandonner les menus litiges aux ténèbres extérieurs, et il a frayé les chemins sentimentaux ou idéologiques par où les petits peuvent faire écouter leurs plaintes, voire combiner leurs attaque »

    CARBONNIER, Jean in De minimis non curat praetor, in Mélanges dédiés à Jean Vincent, Dalloz, 1981, p. 29-37

    110

    PARTIE 2 - GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU RÈGLEMENT
    EXTRA-JUDICIAIRE

    118. Opportunité des modes de règlement consensuel et stratégie. Après avoir étudié le risque actuel mais aussi potentiel des actions collectives en droit européen de la concurrence, il convient de traiter celui-ci de manière à en faire une opportunité pour les entreprises. Face au risque, la stratégie ici, c'est-à-dire l'ensemble d'actions coordonnées, d'opérations habiles, de manoeuvres en vue d'atteindre un but précis, s'incarne par la recherche de la réduction de la sanction économique. Malgré l'efficacité relative des actions collectives du fait de leur hétérogénéité, le législateur européen souhaite ouvrir une deuxième voie à leur traitement, la voie extrajudiciaire.

    En effet, la directive n°2014/104 offre (suivant un mouvement ancien des autorités européennes) une place toute particulière au « règlement consensuel des litiges » (au sein d'un chapitre dédié à cet effet). Cette porte ouverte vers la résolution en dehors des tribunaux du contentieux concurrentiel peut étonner. A priori le droit de la concurrence relève de l'ordre public économique, mais cela serait préjuger du caractère indemnitaire du private enforcement. De plus, cette résolution offre de nombreux avantages et une efficience en partie renforcée de ce même ordre public, ce qui explique le regard bienveillant du législateur européen sur le sujet.

    Dès lors, l'analyse de l'intérêt du règlement consensuel des litiges au regard des actions collectives nécessite de regarder, en premier lieu, l'opportunité des différents modes de règlements (Titre 1) , pour en second lieu, se pencher sur la stratégie à mettre en place regard des actions collectives (Titre 2).

    111

    Titre 1 - Opportunité des modes de règlements consensuels

    119. Droit unique et règlements multiples. L'examen de l'opportunité invite à questionner la justesse de l'adaptation à la situation du moment. En outre, « la situation du moment » en l'espèce c'est le risque d'une action collective pour l'entreprise contrevenante. À ce titre, l'adaptation face à ce risque s'incarne par la recherche d'un règlement consensuel favorable comparativement au règlement judiciaire, ce qui d'un point de vue pratique se traduit par une amoindrissement du coût économique.

    Néanmoins, l'analyse de l'utilité des règlements consensuels pose déjà la question liminaire de quel règlement consensuel ? En effet, se dégage une diversité de modes règlements consensuels qu'il faudra regarder (Chapitre 1). Puis, il faut s'interroger sur les modalités concrètes de mise en application de ces modes de règlements consensuels (Chapitre 2).

    112

    Chapitre 1 - Les différents modes de règlements consensuels

    120. Définition lacunaire. D'après la directive du 26 novembre 2014, le règlement consensuel des litiges se définit comme (article 2) : « tout mécanisme permettant aux parties de parvenir à un règlement extrajudiciaire d'un litige relatif à une demande de dommages et intérêts ». Elle définit également le « règlement » consensuel comme : « un accord obtenu grâce à une procédure de règlement consensuel du litige » (ce qui exclu ipso facto l'arbitrage258).

    Néanmoins, les définitions données par la directive paraissent insuffisantes. Il faut se référer plutôt à la recommandation de la Commission du 30 mars 1998 avec une définition plus précise: « un règlement du litige par l'intervention active d'une tierce personne qui propose ou impose une solution ». De ces définitions ressort l'idée que le règlement consensuel des litiges est avant-tout

    259

    un règlement alternatif, complémentaire aux procédures judiciaires débouchant à un accord entre les parties au litige qui est proposé ou imposé par une tierce personne. Cependant, un des modes alternatifs de règlement des litiges ne fait pas intervenir de tierce personne c'est le cas des transactions faisant intervenir simplement les parties concernées au litige. Certains parlent alors de procédures « de substitution ».

    260

    Au-delà des définitions qu'offrent les autorités supra-nationales apparaît un engouement grandissant pour ces modes de résolution en dehors des prétoires. En effet, la volonté du législateur de promouvoir ces modes alternatifs de règlement des conflits est à l'origine de l'essor considérable qu'ils connaissent actuellement (Section 1). Un panel attractif et diversifié de ces modes de règlement des litiges a été développé permettant aux parties de choisir la modalité la plus adaptée à leur situation (Section 2).

    Section 1 - La volonté du législateur de promouvoir les modes de règlements alternatifs des conflits

    121. Volonté et attractivité. Au travers de la directive du 26 novembre 2014, la volonté du législateur de promouvoir les modes de règlement alternatif des litiges est prégnante. Un chapitre IV est entièrement consacré au règlement consensuel des litiges. Cependant, cet objectif d'encourager le recours au règlement extrajudiciaire des litiges ne date pas d'aujourd'hui (1). En

    258 l'arbitrage ne résultant pas d'un accord mais d'une décision imposée, néanmoins son étude est nécessaire car dans son considérant 48 la directive dit bien que : « Dès lors, les auteurs de l'infraction et les parties lésées devraient être encouragés à se mettre d'accord sur la réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence au moyen de mécanismes de règlement consensuel des litiges, tels que les règlements amiables (notamment ceux que le juge peut déclarer contraignants), l'arbitrage, la médiation ou la conciliation. Ce règlement consensuel des litiges devrait concerner le plus grand nombre de parties lésées et d'auteurs d'infractions possible d'un point de vue juridique. Les dispositions de la présente directive ayant trait au règlement consensuel des litiges visent dès lors à faciliter le recours à de tels mécanismes et à accroître leur efficacité. »

    259 98/257/CE: Recommandation de la Commission du 30 mars 1998 concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE), considérant 9

    260 Conseil européen de Tampere de 1999

    113

    outre, l'attractivité de ces procédures est due à des caractéristiques particulières procurant des avantages considérables aux parties au litige (2).

    §1) Une volonté ancienne du législateur

    121. Un long processus. La volonté du législateur de promouvoir ces modes de règlements des conflits n'est pas un mouvement nouveau. En effet, ils connaissent un développement accéléré depuis quelques années et entraînent une attention croissante du fait de la multiplication des initiatives sur ce terrain.

    Certaines sont anciennes, telle est le cas de la création en 1994 d'un réseau appelé « Réseau Européen d'Arbitrage et de Médiation » (ou « European Network for Dispute Resolution »), sous forme de groupement d'intérêt économique, regroupant des centres d'arbitrage et de médiation commerciale établis en Italie, au Royaume Uni, en France et en Espagne. Ce réseau a bénéficié d'un soutien financier de la part de la Commission européenne démontrant son engouement pour de telles initiatives. En outre, cette volonté du législateur a été surtout marquée au sein du droit de la consommation avant de s'étendre à la matière civile et commerciale, pour enfin s'intéresser au droit de la concurrence par la directive du 26 novembre 2014.

    122. Plan d'action et mise en place. Tout d'abord, le 14 février 1996, la Commission a mis en place un plan d'action sur l'accès des consommateurs à la justice. Dans ce dernier, elle prônait le

    261

    développement des procédures extra-judiciaire afin de garantir l'effectivité de l'accès à la justice pour les consommateurs et les entreprises. Ce plan d'action fait ressortir la nécessité et l'urgence d'une action communautaire dans ce domaine.

    Par la suite, le 25 novembre 1996, les conclusions du Conseil européen, approuvées par le Conseil de « Consommateur », ont indiqué que :

    « le souci de renforcer la confiance des consommateurs dans le fonctionnement du marché intérieur et leur capacité à tirer pleinement parti de possibilités que ce dernier leur offre englobe la possibilité pour les consommateurs de régler leurs litiges de manière efficace et adéquate par la voie de procédure extrajudiciaires ».

    262

    « Efficace » pour sa rapidité et son moindre coût et « adéquat » en remédiant à la disproportion entre l'enjeu économique de l'affaire et le coût de son règlement judiciaire.

    Postérieurement, dans une communication de la Commission du 30 mars 1998 est soulevé le problème de l'accès des consommateurs individuels à la justice. Trois solutions sont données : la

    261 Plan d'action sur l'accès des consommateurs à la justice et le règlement des litiges de consommation dans le marché intérieur, COM(96) 13 final du 14.02.1996

    262 Recommandation de la Commission du 30 mars 1998 : concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, 98/257/CE, 1er considérant

    114

    simplification et l'amélioration des procédures judiciaires, l'amélioration de la communication entre les consommateurs et les professionnels et la mise en place de procédures extrajudiciaires .

    263

    Au travers de cette communication, la Commission prône le règlement amiable des conflits de consommation, dans une phase initiale c'est à dire avant tout litige, afin d'éviter les désagréments causés par l'ouverture d'une procédure. Pour cela, la Commission propose une solution : la mise en place d'un formulaire européen de réclamation pour le consommateur visant à améliorer le dialogue entre consommateurs et professionnels avant tout litige. Concomitamment, une recommandation de la Commission datant du même jour relative à la résolution extrajudiciaire des conflits de consommation exige l'établissement au niveau européen de principes essentiels tel que l'indépendance, la transparence, le contradictoire, l'efficacité, la légalité et la liberté de représentation. La Commission constate de l'expérience acquise par plusieurs États membres que le règlement extrajudiciaire des litiges peut avoir un effet positif pourvu que certains principes essentiels soit respectés.

    123. Tampere. En toute hypothèse, la clef de voûte de ce processus de promulgation a été le Conseil européen de Tampere, du 15 et 16 octobre 1999 qui reprend l'idée tirée des initiatives de la Commission concernant l'accès à la justice. Ainsi, il souhaite faire de l'Union Européenne un espace « de liberté, de sécurité et de justice ». Pour y parvenir il est demandé au Conseil de l'Europe sur les propositions de la Commission d'établir des règles de procédures spéciales communes à l'ensemble des États membres, afin de « simplifier et d'accélérer le règlement des litiges transfrontaliers » tant en matière civile que commerciale. Dans le même temps, il est conseillé aux États membres de mettre en place des procédures de substitution extrajudiciaires. Au demeurant, lorsque le Conseil européen invite les États à adopter ces procédures, il ne vise pas simplement la mise en place de ces dernières en droit de la consommation mais en matière civile et commerciale (ce qui est bien plus large).

    Suite à cela, une recommandation de la Commission, le 4 avril 2001, relative aux principes applicables aux organes extrajudiciaires chargés de la résolution consensuelle des litiges de consommation, est intervenue. Au sein de cette dernière sont tautologiquement repris les principes applicables aux organes chargés de la résolution extrajudiciaire des litiges cités auparavant au sein de la recommandation de 1998. Cependant, il est indiqué :

    « Les principes fixés dans la présente recommandation ne portent pas atteinte à ceux établis dans la recommandation 98/257/CE de la Commission qui devraient être respectés par les procédures extrajudiciaires264 ».

    La Commission vient reprendre et renforcer les principes préalablement établis par la résolution de 1998 (ci-dessus citées).

    263 Communication de la Commission sur la résolution extrajudiciaire des conflits de consommation, Com. 198 (198) final : JO L 115 du 17 avril 1998, p. 31

    264 Recommandation de la Commission du 4 avril 2001 relatives aux principes applicables aux organes extrajudiciaires chargés de la résolution consensuelle des litiges de consommation. (2001/310:CE), point 9.

    115

    124. Livre Vert. En date du 19 avril 2002, la Commission a élaboré un Livre Vert sur les

    265

    modes alternatifs de règlement des conflits relevant du droit civil et commercial. La Commission invite à débattre sur la base de proposition qu'elle émet266 sur les « conflits relevant du droit civil et commercial ». Dès lors, le règlement consensuel des conflits dépasse la sphère du droit de la consommation pour s'étendre à un domaine beaucoup plus large, le phénomène prend donc de l'ampleur. Dans sa synthèse la Commission donne trois raisons à cette thématique abordée : l'accès à la justice des citoyens s'en trouve « améliorer », les États apportent beaucoup d'importance aux ADR ce qui se traduit par des travaux d'ordre législatif et enfin les « ADR représentent une priorité politique ». La Commission montre l'importance grandissante que prennent les modes alternatifs de règlement des litiges (RAL), et son souhait de promouvoir ces méthodes en les harmonisant au niveau européen pour garantir leur efficacité. Elle estime que pour réglementer ces procédures de substitution au niveau européen, il faut prendre « appui sur les travaux déjà engagés dans les Etats membres » mais également, au niveau de l'Union Européenne sur « les initiatives dans le domaine du droit de la consommation ».

    Au demeurant, se pose la question de savoir si le droit de la concurrence entre dans le champ d'application du Livre vert de la Commission européenne, car celui-ci exclue :

    « les questions liées aux droits dont les titulaires n'ont pas la libre disposition et qui intéressent l'ordre public, tels un certain nombre de dispositions du droit des personnes et de la famille, du droit de la concurrence, du droit de la consommation, lesquelles ne peuvent en effet pas faire l'objet d'un ADR267».

    Pour savoir si le droit de la concurrence entre dans le champ du Livre Vert, il convient de se demander si la créance indemnitaire contre l'auteur de l'infraction qui contient le droit d'agir, l'action individuelle peut être aliénée librement. Ainsi, il faut s'interroger sur la disposition de l'action individuelle découlant du préjudice du fait d'une entente ou d'un abus de position dominante. La vente d'un droit incorporel peut avoir pour objet soit une créance, soit un droit ou une action en justice contre un tiers. La directive prévoit dans sa définition d'action en dommages et intérêts (article 2) que cela comprend une personne physique ou morale « qui a succédé dans les droits de la partie prétendument lésée, y compris la personne qui a racheté la demande ». Le rachat de la demande est donc possible et ceci avec cession du droit et une libre disposition de celui-ci par le justiciable victime de pratique anticoncurrentielle. Ce qui n'est pas cessible et ne donne pas droit à un RAL c'est la faute même de la partie contrevenante (pour plus de détails voir : partie 1, titre 1, section 1, §4).

    Le Livre Vert et le Conseil de Tampere ont abouti à la directive du 21 mai 2008 relative à certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale. Le Parlement européen et le Conseil

    265 Livre vert de la Commission européenne relatif aux modes alternatifs de résolution des conflits en matière civile et commerciale. COM(2002) 196 final

    266 en effet, un Livre Vert est un document publié par la Commission européenne dans le but de stimuler au niveau européen une réflexion sur un sujet déterminé

    267 Livre Vert du 19 avril 2002 sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, page 6

    116

    veulent mettre en place des services de médiations et encourager le recours à ce mode de règlement des conflits tant en matière civile que commerciale, le champ d'application de cette directive n'étant pas restreint simplement au droit de la consommation. Pour cela, ils élaborent un « cadre juridique prévisible » de la médiation concernant les litiges transfrontaliers, ce cadre juridique pouvant être appliqué par les États en droit interne. La directive dispose :

    « La médiation ne devrait pas être considérée comme une solution secondaire par rapport aux procédures judiciaires au motif que le respect des accords issus de la médiation dépendrait de la bonne volonté des parties. Les États membres devraient donc veiller à ce que les parties à un accord écrit issu de la médiation puissent obtenir que son contenu soit rendu exécutoire ».

    268

    Le Parlement et le Conseil cherche à rendre la médiation plus attractive en l'encadrant et en lui donnant un effet exécutoire pour plus de sécurité et de stabilité juridique. Ils vont même jusqu'à dire qu'elle ne doit pas être considérée comme une solution secondaire.

    125. Document de travail de 2011. Un document de travail sur les recours collectif sort en 2011 et apparaît comme un plaidoyer en faveur de règlement extra-judiciaire des actions collectives :

    « Les mécanismes de résolution consensuelle collective des litiges complètent utilement les voies de recours judiciaires et peuvent, bien souvent, permettre aux victimes de régler plus rapidement et à un moindre coût leur litige. Les parties doivent dès lors avoir la possibilité de résoudre leur litige collectif par un mécanisme extrajudiciaire, soit en faisant intervenir un tiers (par exemple, au moyen d'un mécanisme de règlement alternatif des litiges, tel que l'arbitrage ou la médiation), soit sans une telle intervention (par exemple, règlement entre les parties concernées). Il y aurait lieu d'explorer les moyens de faciliter le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges en cas de plaintes multiples. Il conviendrait également de se demander dans quelle mesure et dans quels domaines un recours judiciaire collectif pourrait être subordonné à une tentative préalable de résolution consensuelle collective du litige. »

    269

    126. Communication et recommandation de 2013. En 2013, La communication de la Commission intitulée « Vers un cadre horizontal européen pour les recours collectifs » pose des recommandations à l'attention des États membres notamment en ce qui concerne le « règlement consensuel collectif des litiges » (au point 2.1). La Commission met tout d'abord l'accent sur les avantages de ces modes alternatifs de règlement qui peuvent fournir aux parties un moyen rapide, peu onéreux et simple de résoudre les litiges.

    Elle affirme la possibilité « d'une résolution consensuelle collective des litiges », autrement dit, la possibilité pour les parties à une action collective de choisir un règlement amiable des litiges plutôt qu'un recours contentieux. Enfin, elle recommande aux États membres de ne pas rendre la

    268 Directive n°2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, OJ L 136, 24.5.2008, point 19

    269 Document de travail des services de la Commission : consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4 février 2011 SEC(2011) 173 final, point 19

    117

    résolution collective consensuelle des conflits comme une première étape obligatoire préalable à l'action en justice (caractérisant selon elle une atteinte au droit d'accès à la justice). Néanmoins, un contrôle de la légalité de la solution a posteriori est prôné (justifié par un rééquilibrage du procès, en effet toute les parties au recours collectif n'auront peut être pas la possibilité de participer au choix de la solution amiable). De plus, elle recommande de se prononcer sur le caractère exécutoire de la solution qui revêt une importance primordiale.

    Enfin, la recommandation de 2013 sur les recours collectifs précise au point 16 :

    « Les modes alternatifs de règlement des conflits peuvent constituer un moyen efficace d'obtenir gain de cause dans des cas de préjudice de masse. Ils devraient toujours être prévus en parallèle ou comme complément facultatif au recours collectif judiciaire. »

    Au travers de ces textes, la Commission montre bien son penchant pour les procédures alternatives de règlement de conflit et ce même dans le cadre des actions collectives s'inspirant par là du modèle américain où ce type de règlement représente 90% du traitement du private enforcement.

    270

    127. Directive n°2014/104. Le 26 novembre 2014, la directive relative aux actions en réparation pour les infractions au droit de la concurrence, tant attendu en droit de la concurrence, a été publié au journal officiel. Cette directive tend à harmoniser les législations des différents États membres pour plus d'efficience et de sécurité juridique dans l'accès à l'indemnisation pour les victimes d'infractions en droit de la concurrence. Elle consacre un chapitre entier au « règlement consensuel des litiges », où elle y aborde essentiellement son effet sur les procédures judiciaires et son articulation. Au travers de cette articulation, l'Union européenne entend encourager le recours à ces procédures. Dans ce but, elle prévoit un possible allégement de la sanction et une suspension de la durée de prescription pendant toute la durée de la procédure de règlement consensuel . Elle

    271

    envisage également le fait que l'auteur d'une infraction partie à un règlement consensuel qui a été condamné à payer des dommages et intérêts, soit déchargé de toute solidarité dans la responsabilité de l'intégralité du préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence si une action en justice ultérieure a lieu. Autrement dit, la Commission estime que l'auteur d'une infraction partie à un règlement consensuel ne peut pas se retrouver dans une situation plus désavantageuse du fait du recours à ce mode alternatif de règlement des litiges (article 19).

    Au travers de ces différentes initiatives, l'Union Européenne s'efforce à promouvoir les modes alternatifs de règlement des litiges et encourage les États membres à développer et à perfectionner ces procédures dites de substitution afin de poser un cadre juridique stable et créer « un espace de liberté de sécurité et de justice ». Plusieurs raisons à cela, tout d'abord, les difficultés d'accès à la justice qui s'expliquent par des litiges qui se multiplient et des procédures qui s'allongent entraînant un engorgement des tribunaux. De plus, la complexité des textes législatifs et leur quantité rendent

    270 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 98

    271 article 18 de la directive

    272 KROES, Neelie in Making consumers' right to damages a reality: the case for collective redress mechanisms in antitrust claims, 2007. Disponible en ligne : http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-07-698_en.htm?locale=fr

    118

    l'accès à la justice plus difficile. Enfin, les coûts de procédure sont élevés ce qui dissuade les acteurs d'ester en justice.

    Pour faire face à ces insuffisances, le législateur a trouvé une solution : les modes de règlements consensuels des litiges qui peuvent si certains principes sont respectés combler les lacunes de la procédure judiciaire et/ou venir en complément de cette dernière.

    §2) Les caractéristiques essentielles des modes alternatifs de règlement des litiges

    128. Directive n°2014/14 et vide juridique. La directive du 26 novembre 2014 vient combler un vide juridique relatif aux modes alternatifs de règlement des litiges au niveau européen pour les actions collectives et individuelles en droit de la concurrence (malgré la recommandation qui reste du soft law). Ainsi, au sein de son chapitre IV, consacré à ces procédures dites de « substitution », elle relate simplement leurs effets, leurs impacts sur les procédures judiciaires. Qui plus est, ces procédures de règlement alternatif des litiges ont des caractéristiques marquées qui les différencient des procédures judiciaires.

    129. Complément aux procédures judiciaires. Les procédures consensuelles viennent compléter l'insuffisance des procédures judiciaires dans un objectif de simplification et d'amélioration de l'accès à la justice. Elles jouent en effet un rôle complémentaire et sont parfois plus adaptées à la nature des litiges. Les procédures judiciaires sont complexes et notamment en droit de la concurrence où les litiges sont souvent transfrontaliers. En effet, la langue des parties, les règles de procédures difficilement accessibles, la détermination du juge compétent et de la loi applicable constituent des obstacles auxquels les parties sont souvent confrontées. En outre, le coût d'une instance judiciaire est élevé, or les procédures dites de « substitutions » peuvent aboutir dans de très courts délais, et l'accès à l'indemnisation y est assuré encore plus facilement en cas d'actions collectives.

    La menace contentieuse, le risque d'une sanction pour l'auteur du préjudice subit par l'infraction aux règles du droit de la concurrence va accroître le recours au règlement consensuel des litiges. Ces procédures ne peuvent donc véritablement fonctionner que si elles sont associées à une procédure judiciaire et que la menace d'une sanction importante pèse sur l'auteur de l'infraction. Comme le

    272

    pointe la commissaire à la concurrence Neelie Kroes : « out-of-court settlement can only really work if they are coupled with a realistic chance of effective court action », ainsi le règlement consensuel apparaît uniquement comme une gestion alternative d'un risque effectif.

    130. Consensualisme et flexibilité. La volonté des parties est le préalable nécessaire à l'efficacité des modes alternatifs de règlement des litiges. Aucune obligation ne pèse sur les parties au litige, elles sont libres ou non de recourir au règlement consensuel. Par conséquent, pour trouver un accord amiable, il faut une volonté commune qui implique souvent des concessions réciproques.

    119

    C'est dans la volonté des parties que les modes alternatifs de règlement puisent leurs légitimités. En effet, le tiers sera investi de son pouvoir juridictionnel par la volonté des parties. Ce qui peut être défini comme une forme de « consensualisme judiciaire ». Consensualisme judiciaire, car les parties vont s'entendre sur une procédure à engager et choisiront la plus adaptée à leur situation. Mais comme exposé précédemment il faut que les parties soient stimulées par un gain, un enjeu important, c'est-à-dire que la menace d'une sanction pèse sur l'auteur de l'infraction mais également qu'il y ait un manque à gagner important pour la victime. En effet, si le préjudice de la partie lésée ne présente pas une somme importante pour l'auteur de l'infraction au droit de la concurrence, celle-ci étant souvent une entreprise à l'échelle internationale, cette dernière ne verra pas l'intérêt d'engager une procédure amiable et d'aboutir à un accord. Qui plus est, les modes alternatifs de règlement des conflits présentent une certaine flexibilité. En effet, il existe un panel de modes de règlement consensuel des litiges : la conciliation, la médiation, l'arbitrage ou encore la transaction. Autant de modes pouvant s'adapter à des situations concrètes. Les parties sont donc libres de choisir le mode de règlement le plus adapté à leur situation en fonction des relations qu'elles entretiennent entre elles. Elles sont libres de déterminer la procédure à suivre, quel tiers sera en charge du processus, de se faire représenter ou préférer la participation personnelle à la procédure. En outre, c'est elles qui vont déterminer l'issue de la procédure. Les parties vont donc avoir un rôle actif dans le déroulement du règlement consensuel des litiges contrairement aux procédures judiciaires, c'est de leur volonté dont dépendra l'issue de la procédure. En effet, les propositions faites et les concessions réciproques détermineront l'accord amiable.

    131. Confidentialité. La discrétion des modes alternatifs de règlement des litiges s'avère cruciale en droit de la concurrence. Elle apparaît comme un gage de succès de ces procédures dites de « substitution ». En effet, l'entreprise défenderesse a tout intérêt à préserver sa réputation, son image de marque pour ne pas perdre la fidélité de ses clients ou de clients potentiels. Une décision de justice allant à l'encontre d'une entreprise peut entacher l'image de marque de l'entreprise et faire perdre la confiance que ses clients avaient placé en elle. Comme disait Montesquieu :

    « Pour acquérir la réputation il ne faut qu'un grand jour, et le hasard peut donner ce jour. Mais pour la conserver, il faut payer de sa personne presque à tous les instants273 ».

    Pour préserver sa réputation, l'entreprise a tout intérêt à ce que les litiges avec des partenaires restent confidentiels. Le règlement consensuel des litiges permet de conserver un équilibre entre droit de la défense et confidentialité. Du côté du demandeur (ou des demandeurs en cas d'action collective) il est probable qu'il ne veuille pas entacher ses relations commerciales avec l'autre partie au litige (le constat étant que le private enforcement est souvent un contentieux entre concurrents ou anciens partenaires commerciaux) mais surtout avec ses autres partenaires commerciaux. Qui plus est, la diffusion de l'information est un risque de propagation du contentieux par d'autres acteurs. C'est pour cela que dans la plupart des cas, les parties veulent que les informations échangées et

    273 MONTESQUIEU, Charles in Discours académiques, prononcé le 24 janvier 1728

    120

    même l'issue de la procédure demeurent confidentielles (la rédaction d'une clause de confidentialité doublée d'une clause pénale en cas de règlement extrajudiciaire d'une action de groupe peut donc être une nécessité). Confidentialité qui s'impose aux parties mais également au tiers en charge de la procédure. Cette caractéristique favorise la sincérité des déclarations faites. De plus, les informations échangées au cours de la procédure de règlement consensuel des litiges ne devraient pas formées un moyen de preuve recevable si une procédure judiciaire ultérieure est engagée. Ces procédures permettent donc un équilibre entre les droits de la défense et la confidentialité.

    Comme déjà dit, il existe deux types d'actions en private enforcement : les actions en follow-on qui elles font suite à une décision de l'autorité publique et les actions en stand alone où la victime de l'infraction va agir de sa propre initiative. Dans les premières, lorsque les parties décident de passer par un mode alternatif de règlement des conflits, l'intérêt de la confidentialité a été en partie mise à mal, car en principe une décision de l'autorité publique a été rendue et donc publiée.

    132. Un instrument au service de la paix sociale. Ces procédures dites de substitutions permettent un dialogue entre les parties au litige qui n'auraient, sans cela, pu être possible. Le Livre Vert de la Commission du 14 avril 2002 parle même d' « instrument au service de la paix sociale ». Un instrument de « paix sociale » car ces procédures engagent un processus de rapprochement des parties plutôt qu'un affrontement. Elles instaurent un dialogue qui sans cela leur aurait été difficilement possible. Lors de ce dialogue, les parties vont pouvoir choisir le processus le mieux adapté et essayer de trouver une solution au litige qui les oppose. Les parties jouent donc un rôle actif dans la recherche d'une solution alors que dans une procédure judiciaire elles exposent leurs observations mais jouent un rôle passif quant à la résolution du litige. Typiquement, ce processus de rapprochement va permettre par exemple de préserver le lien commercial que les parties avaient avant le contentieux.

    Section 2 - Les différentes opportunités de règlements consensuels

    133. Palais de justice à portes multiples. Le système de règlement extrajudiciaire des litiges se caractérise par une grande diversité quant aux modes alternatifs proposés, à leur fonctionnement et à leur structure. Ce qui offre aux parties une grande liberté de choix, elles vont pouvoir adopter la procédure la plus adaptée au litige qui les oppose. Cette diversité contribue à créer « espace de liberté, de sécurité et de justice » et améliore l'efficacité de la justice au sein de l'Union Européenne. Certains auteurs parlent même de « multi-door Courthouse » c'est-à-dire de « palais de justice à

    274

    portes multiples ». Cependant pour trouver la solution la plus adéquate, il faut différencier ces procédures.

    274 « Qu'est-ce que la justice du XIXième siècle », site du Ministère de la justice ( http://www.justice.gouv.fr/la-justice-du-21e-siecle-12563/quest-ce-que-la-justice-du-21e-siecle-12580/). Parmi les propositions, le gouvernement souhaite : « renforcer la médiation et la conciliation sur l'ensemble du territoire ».

    121

    La Commission européenne classe ces modes alternatifs de règlement des litiges dans différentes catégories . Les règlements consensuels dans le cadre de procédure judiciaire quand ils sont

    275

    assurés par le juge ou confiés par le juge à un tiers et les MARC conventionnels, lorsque les parties y ont recours en dehors de toute procédure judiciaire. Au sein des MARC conventionnels, la commission admet une sous-distinction : lorsque le tiers « impose » une solution aux parties et lorsque le tiers « propose » une solution que les parties sont en droit ou non de suivre. Cependant, il semblerait judicieux d'établir une autre distinction : entre ceux faisant intervenir une tierce personne et les modes de règlement faisant intervenir simplement les parties au litige. Par exemple, dans la transaction, l'intervention d'une tierce personne n'est pas envisagée. La conciliation également peut ou non faire intervenir une tierce personne.

    Subséquemment, afin d'étudier cette diversité de modes alternatifs de règlement des litiges, il semble judicieux d'établir une distinction entre les règlements extra-judiciaires entraînant une solution proposée (1) et ceux entraînant une solution imposée (2).

    §1) Une solution proposée

    134. Recommandation. Trois modes alternatifs de règlement des litiges entraînent une solution proposée, autrement dit une recommandation à l'égard des parties afin de résoudre le litige : la conciliation, la médiation et la transaction. Une recommandation n'a pas force exécutoire par elle-même c'est-à-dire que les parties sont libres de l'appliquer. Cependant dans certains MARC il est possible de rendre exécutoire cet accord en le faisant homologuer a posteriori par le juge.

    135. Conciliation. Au niveau européen aucune définition de la conciliation n'est donnée, le droit européen s'intéresse seulement à la médiation. Le fait qu'il n'y ait aucune définition donnée à la conciliation s'explique par le fait que c'est un mode consensuel de règlement des litiges qui repose sur la volonté des parties. Cela entraînant une grande liberté aux parties dans l'élaboration de la procédure et l'issue de cette dernière. Il est donc judicieux de se référer aux différentes définitions données au sein des différents droits internes.

    En France, dans le langage courant la conciliation est définie comme le fait de rapprocher des personnes que leur opinion et leur intérêt divisent. En droit français, la conciliation peut être définie de deux manières : c'est l'accord par lequel deux personnes mettent fin au litige qui les oppose, mais c'est également « la phase de la procédure au cours de laquelle il est tenté de parvenir à un accord276 ». Dans ce mode de règlement des litiges, les parties peuvent parvenir à un accord par l'intervention d'une tierce personne appelée conciliateur ou directement. Le rôle de conciliateur est normalement assuré par le juge, c'est alors une conciliation judiciaire, ou par un tiers ce sera la conciliation extrajudiciaire ou conventionnelle. Ce qui relève du domaine des modes alternatifs de règlement du litige est la conciliation conventionnelle.

    275 Livre Vert du 19 avril 2002 sur les modes alternatifs de résolution des conflits relevant du droit civil et commercial, point trois page 6.

    276 CORNU, Gérard in Vocabulaire juridique, 9ème édition, PUF, 2011

    122

    En droit français la conciliation est une procédure confidentielle et l'accord auquel elle donne lieu peut faire l'objet a posteriori d'une homologation du juge afin de le rendre exécutoire. Suite au décret du 20 janvier 2012 relatif à la résolution amiable des différends, l'article 1530 du Code de procédure civile, précise que la médiation et la conciliation conventionnelles :

    « s'entendent, de tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l'aide d'un tiers choisi par elles qui accomplit sa mission avec impartialité, compétence et diligence ».

    Cette définition fait apparaître une assimilation des deux procédés, la distinction entre les deux procédés est donc floue.

    En droit anglais, la conciliation a la même définition qu'en France :

    « The process of adjusting or settling disputes in a friendly manner through extra judicial means. Conciliation means bringing two opposing sides together to reach a compromise in an attempt to avoid taking a case to trial

    La distinction entre médiation et conciliation paraît ardue en droit anglais.

    En droit espagnol , la définition est toujours la même qu'en France et en Angleterre, avec la même

    277

    distinction : conciliation judiciaire ou conciliation conventionnelle. Les Etats membres sont donc en général harmonisés sur leur définition de la conciliation.

    136. Médiation. Elle est définie, au niveau européen, par la directive du 21 mai 2008 relative à certains aspects de la médiation comme un :

    « processus dans lesquels deux parties ou plus à un litige transfrontalier tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord à l'amiable sur la résolution de leur litige avec l'aide d'un médiateur ».

    Cette directive s'applique aux matières civiles et commerciales, sans pouvoir néanmoins s'appliquer aux droits et obligations dont les parties ne peuvent disposer par elles-mêmes en vertu de la législation pertinente applicable. Donc comme développé préalablement pour le Livre Vert de 2002, cette directive est applicable aux actions collectives en droit de la concurrence.

    Qui plus est, la recommandation de la commission en date du 11 janvier 2013 relative à « des principes applicables aux mécanismes de recours collectifs en cessation et en réparation dans les États membres en cas de violation des droits conférés par l'Union européenne » (2013/396/UE) affirme que :

    « Les États membres devraient veiller à ce que les parties à un litige dans le cadre d'un préjudice de masse soient incitées à régler le conflit relatif à la réparation de façon consensuelle ou extrajudiciaire, tant au cours de la phase précontentieuse que durant le

    277 Loi espagnole du 2 juillet 2015, article 139

    123

    procès civil, en tenant également compte des exigences de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en

    matière civile et commerciale ».

    Cela démontre bien que la directive de 2008 a vocation à s'appliquer aux préjudices de masse et donc aux actions collectives qui les traitent.

    En son sein, la directive distingue médiation et pourparlers contractuels, arbitrage et procédures quasi judiciaires « telles que certaines procédures judiciaires de conciliation ». Or, la directive

    278

    vise ici la conciliation judiciaire et non la conciliation conventionnelle.

    Au demeurant, elle pose les contours de la procédure de médiation qui se caractérise par la confidentialité. C'est ce qui pourrait entraîner son essor en droit de la concurrence car souvent l'entreprise auteur de l'infraction souhaitera préserver sa réputation afin de ne pas compromettre son image de marque et conserver ses clients.

    De plus, elle aborde le sujet du caractère exécutoire des accords issus de la médiation. L'accord qui résulte de cette procédure n'est pas exécutoire de plein droit, en effet, les parties sont libres de l'appliquer ou non c'est une simple recommandation qui est faite par le tiers médiateur comme pour la conciliation. En revanche, pour plus d'efficacité, si les parties veulent rendre exécutoire leur décision, elles peuvent, ou l'une d'entre elles avec le consentement exprès de l'autre, demander à la juridiction ou une autorité compétente de rendre un jugement, une décision ou un acte authentique a posteriori qui validerait et donnerait force exécutoire à ce simple accord. Enfin, la directive veille à ce que le fait pour les parties d'avoir recours à la médiation ne les pénalisent pas sur le plan judiciaire. En effet, elle sous-entend qu'elle souhaiterait que les États membres instaurent une suspension du délai de prescription de l'action durant la procédure de médiation, ce qui a été fait au travers de la directive de 2014.

    137. Confusion entre conciliation et médiation. La frontière entre conciliation et médiation n'est pas claire et pratiquement dans tous les ouvrages ces MARC sont traités parallèlement. La législation de l'Union européenne n'apporte rien à ce propos. En effet, elle ne donne aucune définition de la conciliation mais en plus de cela elle donne une définition très extensive de la notion de médiation :

    « un processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l'aide d'un médiateur ».

    Il ressort ici que la médiation engloberait tous les procédés de résolution amiable « quelle que soit leur dénomination ». Il semblerait que pour l'Union européenne la conciliation et la médiation sont un seul et même mode de règlement alternatif. En France par exemple, plusieurs procédures correspondent à cette définition : la conciliation par conciliateur de justice, la médiation proposée par le juge, la conciliation en amont du procès, la médiation proposée par le juge et la médiation

    278 Directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008, point 11.

    124

    initiée par les parties en dehors du procès. Cependant, l'article 11 limite le champ d'application de cette définition :

    « la présente directive ne devrait pas s'appliquer aux pourparlers précontractuels ni aux processus quasi judiciaires tels que certaines procédures judiciaires de conciliation ».

    Il apparaît donc que les phases de conciliation obligatoire menées par le juge avant une instance ne rentre pas dans cette définition. Mais le point 13 vient encore élargir cette définition :

    « La médiation prévue par la présente directive devrait être un processus volontaire en ce sens que les parties elles-mêmes sont responsables du processus et peuvent l'organiser comme elles l'entendent et y mettre un terme à tout moment ».

    Donc la médiation concerne tout processus volontaire et organisé par les parties. Cette définition se réfère autant à la médiation qu'elle soit conventionnelle ou judiciaire qu'à la conciliation conventionnelle. Certains auteurs estiment que la différence entre médiation et conciliation réside dans l'attitude du tiers à résoudre le conflit, ils pensent que le tiers est plus actif en conciliation qu'en médiation. Mais cette distinction est très subtile. La question qui se pose réellement est : est-ce qu'une distinction réelle existe entre ces modes alternatifs de règlement des conflits ? Aucune réponse n'a encore été donnée en droit de l'Union européenne. C'est ce qui explique que lors de l'étude de la mise en oeuvre des modes de règlement alternatif des conflits, la médiation et la conciliation seront traités communément pour mettre en perspective leurs différences et leurs points communs.

    138. Transaction. La transaction est un troisième type de mode alternatif des conflits qui entraîne une solution proposée. La procédure de transaction ne connaît pas de définition au sein de l'Union européenne. Cependant il existe une procédure de transaction devant la Commission européenne en cas d'entente anticoncurrentielle afin de diminuer l'amende infligée à l'entreprise auteur de l'infraction.

    Tout d'abord, il serait intéressant d'observer les différentes définitions de la transaction conventionnelle dans les pays de l'Union européenne avant de se focaliser sur la procédure de transaction devant la Commission européenne. En effet, comme précisé ci-dessus, l'Union européenne ne donne pas de définition de la transaction conventionnelle rapprochant deux parties, certainement car c'est un mode consensuel de règlement des conflits et que ce qui fait sa force est la volonté des parties. Cela démontre la liberté des parties dans ces procédures.

    En France, la transaction est définie à l'article 2044 du Code civil comme étant : « un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ». Il en ressort qu'une transaction peut intervenir pendant une instance juridictionnelle ou avant tout litige. Elle entend des concessions réciproques de la part des deux parties, les parties au litige doivent donc être dans une relation d'obligations réciproques qui permettent à chacune de faire des concessions. Le Code civil confère à l'accord l'autorité de la chose jugée en dernier ressors, autrement dit, le litige est définitivement réglé du fait de la transaction et il n'est plus possible de

    125

    venir le contester devant un tribunal. De plus, il est possible de donner force exécutoire à cet accord a posteriori en homologuant cette dernière par le Président du Tribunal de grande instance. La transaction est réglementée dans plusieurs pays comme le droit belge279, mais également en droit anglo-saxon et dans les pays du common law où la technique du « settlement » dépend également du droit civil.

    L'Union européenne connaît, cependant, la procédure de transaction dans le cadre du public enforcement. Cette procédure a été créée en juin 2008, elle permet à la Commission de conclure une transaction avec des sociétés impliquées dans des affaires d'entente selon une procédure simplifiée. Lorsque la commission ouvre une enquête à l'encontre de deux entreprises soupçonnées d'une entente anticoncurrentielle, les parties qui ont pris connaissance des éléments de preuve figurant dans le dossier de la Commission peuvent décider de reconnaître leur participation à cette entente. En effet, la Commission va avoir accès aux éléments de preuve qui constate l'entente et entendre les observations des parties. Les parties par la suite peuvent choisir de reconnaître ou non l'entente. En échange de cette reconnaissance, la Commission pourra faire bénéficier les parties d'une réduction de 10% du montant de l'amende infligée280. Par la mise en place de cette procédure, la Commission vise à réduire l'ampleur des procédures judiciaires dans le domaine des ententes, ce qui désengorgerait les tribunaux et permettrait à la Commission de se consacrer à d'autres affaires. À la différence de la transaction conventionnelle de droit privé, la procédure de transaction devant la Commission impose une solution aux parties malgré la réduction de l'amende.

    Il existe tout de même des points communs entre ces deux procédure, tout d'abord, le consensualisme car pour que cette procédure soit efficace il faut que l'entreprise ait la volonté de coopérer avec la Commission. Il ressort de cette procédure des concessions réciproques de la part des deux parties : la Commission accorde une réduction de l'amende et l'entreprise en contrepartie se dénonce et s'engage à payer l'amende versée au titre de l'entente. Mais cette procédure de transaction de la Commission ne peut pas être considérée comme une procédure de règlement consensuel des actions collectives en droit privé. En effet, elle fait intervenir une autorité publique et relève du public enforcement donc de l'ordre public.

    139. Distinction transaction/médiation. Il ressort des définitions sus-citées que la différence entre transaction et médiation est aisée. La transaction est un contrat et doit être souvent constatée par un écrit, notamment en droit français. De plus, il entraîne des concessions réciproques et a autorité de la chose jugée en dernier ressort. Donc la transaction est assimilée directement à l'accord qui résulte d'un processus de règlement amiable et non pas au processus préalable à l'accord. La médiation, elle, est un processus de recherche d'un accord.

    140. Distinction conciliation/transaction. La conciliation se réfère aussi bien au processus préalable à l'accord qu'à l'accord lui-même. La distinction est que dans la transaction il faut

    279 article 2044 du Code civil

    280 Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l'adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d'entente (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) (2008/C 167/01)

    126

    obligatoirement des concessions réciproques des deux parties alors qu'au terme d'une procédure de conciliation une partie peut renoncer à son droit sans forcément y trouver une contrepartie.

    Il ressort de cette étude des MARC, que les actions collectives disposent d'un panel diversifié de modes de règlement consensuels des litiges. Cependant la différence entre ces modes de règlement est très subtile et parfois difficile à cerner. En droit de la concurrence, le moyen le plus utilisé est la transaction qui est l'outil le plus adapté du fait du caractère indemnitaire du contentieux. Il représente aux Etats-Unis 90%281 des modes de règlement extrajudiciaire en private enforcement. L'Union européenne ne connaît pas de définition harmonisée au niveau européen des notions de conciliation et de transaction car ce sont des modes de règlement alternatif des conflit reposant uniquement sur la volonté des parties, toutefois cette distinction juridique ne pose concrètement pas de problème pratique (il s'agit intrinsèquement de rechercher un accord).

    En plus de ces modes de règlement alternatif des conflits proposant des solutions aux parties, il existe un autre mode de règlement des conflits faisant intervenir une tierce personne : l'arbitrage.

    §2) Une solution imposée

    141. Arbitrage. À côté des modes alternatifs de règlement des litiges aux solutions proposées, c'est-à-dire que les parties sont libres ou non de suivre, il existe un mode de règlement consensuel des litiges débouchant sur une solution imposée : l'arbitrage.

    142. Définition. L'arbitrage est un processus par lequel les parties d'un commun accord soumettent leur litige à des personnes qu'elles choisissent et auxquelles elles donnent pour mission de rendre une décision appelée sentence arbitrale. Sentence qui s'impose aux parties, l'application de cette sentence est totalement déconnectée de l'acceptation des parties. Il va de soi que cette différence a de grandes répercussions pratiques : l'arbitrage apparaît comme plus effectif. L'arbitrage est l'exercice par une personne privée du pouvoir de juger.

    143. Nature. L'arbitrage fait partie des modes alternatifs de règlement des conflits. Cependant, il a une nature qu'on peut qualifier d'« hybride »: mi-juridictionnelle car les décisions de l'arbitre s'imposent aux parties et mi-contractuelle car les parties choisissent, non seulement de recourir à l'arbitrage mais également, le ou les arbitres et la loi applicable. La question qui se pose est de savoir si l'arbitrage est réellement un mode alternatif de règlement des conflits. En effet, les ouvrages font souvent la distinction entre MARC et arbitrage. Cependant tout est une question de terminologie, si le mot « alternatif » s'entend comme alternatif à une procédure juridictionnelle, dans ce cas ce n'est pas un MARC (car la procédure est similaire aux procédures juridictionnelles et la sentence s'impose aux parties). Par contre, si les MARC sont dits alternatifs par rapport aux modes de règlement des conflits étatiques, l'arbitrage est une mode alternatif.

    281 statistique provenant de MAGUIRE, Kathleen in Antitrust cases filed in U.S. District Courts, by type of case 1975-2010 in Sourcebook of Criminal Justice Statistics. University at Albany, Hindelang Criminal Justice Research Center, (Table 5.41.2010). En ligne: http://www.albany.edu/sourcebook/pdf/t5412010.pdf.

    127

    144. Différents types d'arbitrage. Il existe deux types d'arbitrage : l'arbitrage dit « ad hoc » et l'arbitrage dit « institutionnel ». Le premier est entièrement organisé par les parties, aucune aide

    282

    n'est reçue par les parties de la part d'une structure externe. Ce qui a pour conséquence une plus grande liberté d'organisation pour les parties (pas de soumission à un règlement institutionnel). Dans le second, les parties peuvent choisir une juridiction d'arbitrage qui peut être nationale, régionale ou internationale, spécialisée ou généralisée comme par exemple la Chambre de commerce internationale, la London Court of International Arbitration, la Commission interaméricaine d'arbitrage commercial, l'American Arbitration Association avec l'International Centre for Dispute Resolution (ICDR) qui a même un règlement pour l'arbitrage des actions collectives (Supplementary Rules for class arbitration).

    145. Sources de l'arbitrage. L'arbitrage trouve ses sources en droit international au travers des conventions internationales qui ont surtout pour objet de résoudre la question de l'efficacité des sentences rendues par les arbitres, mais également en droit interne. Tout d'abord, la Convention de New York du 10 juin 1958 a pour objet le régime et la reconnaissance des sentences arbitrales étrangères283, mais pas seulement, elle pose aussi des règles matérielles relatives à la convention d'arbitrage. En effet, elle demande que les États reconnaissent la licéité des conventions d'arbitrage, aussi bien du compromis que de la clause compromissoire. De plus, elle affirme que la validité des conventions d'arbitrages soit soumise à un écrit (sauf application d'un droit plus favorable). En droit interne, chaque pays a sa propre législation concernant l'arbitrage interne et international, mais également, ses propres critères de distinction. En France par exemple : le première critère d'origine doctrinal est issu de la doctrine Matter, elle qualifie le contrat « d'international » lorsqu'il existe

    284

    des flux et des reflux au-delà des frontières. Cependant ce critère s'est vite révélé insuffisant et le législateur est intervenu et utilise le concept de la : « la mise en cause des intérêts du commerce international285». Critère extrêmement flou, mais la jurisprudence est peu exigeante, ainsi le doute profite à l'internationalité selon une formule récurrente dans les arrêts : « il suffit qu'elle ne se dénoue pas économiquement dans un seul État ». Par opposition, le droit Suisse, lui, plus précis a

    286

    choisi le critère du domicile.

    Pour savoir quelles règles l'arbitre devra suivre afin de résoudre le litige, il faudra suivre les règles du pays du siège de l'arbitrage qui est désigné par les parties. Soit ces règles imposent une liberté totale à l'arbitre, soit il va devoir suivre le droit interne pour régler le litige.

    146. Arbitrage et droit de la concurrence. Le litige relevant du droit de la concurrence peut-il être tranché par la voie de l'arbitrage ? En général, l'arbitrabilité du litige dépend de la matière sur

    282 KENFACK, Hugues in Mémento Dalloz, Droit du commerce international, 2015

    283 L'exequatur des sentences arbitrales n'est pas régie par le Règlement Bruxelles I bis

    284 doctrine Matter avec le critère du flux et du reflux qui a été élaboré par l'Avocat général P. Matter par référence au problème de la nature du paiement international dans ses conclusions sous l'arrêt Pelissier du Besset du 17 mai 1927.

    285 article 1492 du Code de procédure civile français

    286 Cour de cassation, 1ère chambre civile, arrêt n° 71 du 26 janvier 2011, n°09-10.198

    128

    laquelle il porte. En droit français par exemple, le litige ne peut relever de l'arbitrage que s'il porte sur des droits dont les parties ont la libre disposition. En droit de la concurrence, la Cour suprême des États-Unis, dans un arrêt Mitsubishi le 2 juillet 1985, a reconnu l'arbitrabilité des litiges de droit antitrust. En droit français, la Cour d'appel de Paris a rendu un arrêt en date du 19 mai 1993, arrêt Labinal287, où elle décide de l'arbitrabilité des litiges de droit communautaire de la concurrence. L'arbitre ne peut cependant pas prononcer de sanctions comme des amendes ou des injonctions mais il peut :

    « tirer les conséquences civiles d'un comportement jugé illicite au regard des règles d'ordre public pouvant être directement appliqué aux relations des parties en cause ».

    En droit comparé, le droit américain conçoit l'idée de mettre un consommateur devant un tribunal arbitral (inconcevable en arbitrage interne français par exemple, la clause compromissoire étant abusive ; mais pas en arbitrage international). Le juge américain est même allé plus loin en combinant la class action avec l'arbitrage pour créer la « class wide arbitration288 ». Procédure dans laquelle un ou plusieurs requérants ayant subis de la part du même défendeur un préjudice dont l'origine est commune exercent au nom d'une catégorie de personnes un arbitrage (toutefois, en droit américain, il faut « expressément » consentir à l'arbitrage289). Enfin, la clause compromissoire (ou le compromis) doit permettre un tel arbitrage, le principe de compétence-compétence impose au tribunal arbitral d'en décider (décision de « clause construction award » qui peut en principe être

    290

    contestée ).

    291

    Face à ce risque existe un traitement ex-ante dans les contrats avec des clauses interdisant un recours collectif dit « class action waiver », moyen de défense contre l'arbitrage collectif (consacré par la Cour Suprême américaine dans American Express v. Italian Colors, 130 S. Ct. 2401, 2013 ).

    292

    La question reste au regard du droit européen mais il semble que si la victime est un consommateur et que l'arbitrage est interne ou international mais se déroule dans un pays membre de l'Union

    287 Cour d'appel de Paris, 19 mai 1993, affaire Société Labinal/Sociétés Mors et Westland Aerospac

    288 mouvement qui commence par une décision de la California Supreme Court : Keating v. Superior Court, 645 P. 2d 1192 (Cal. 1982)

    289 U.S. Supreme Court, 27 avril 2010, 130 S. Ct. 1758 (2010) Stolt Nielsen S.A et v. Animalfeeds International Corp.

    290 U.S. Supreme Court, arrêt Mitsubishi Motors Corp. v. Soler Chrysler-Plymouth, Inc., 473 U.S. 614, 624-28 (1985)

    291 tout dépend du droit applicable ou du règlement institutionnel applicable (ici au regard du American Arbitration Association).

    292 Cour suprême estime que le Federal Arbitration Act permet aux parties de prévoir une renonciation à tout arbitrage collectif, ne laissant à celles-ci qu'un recours individuel, quand bien même celui-ci implique de débourser des frais plus élevés que les dommages et intérêts prévus par la loi fédérale si la sentence arbitrale est en leur faveur.

    129

    européenne, il y a un risque que la clause soit en toute état de cause déclarée abusive notamment au regard de la directive européenne sur les clauses abusives (article 3.3).

    293

    Pour conclure, l'arbitrage apparaît comme un outil utile du fait de sa discrétion, néanmoins il n'est pas aussi rapide que la transaction. D'autre part, l'utilité de l'arbitrage suite à une action collective en follow-on peut paraître faible au regard des présomptions posées par la directive sur les actions en dommages et intérêts ; la véritable question étant plus sur le montant que sur la responsabilité de l'auteur (la « simulation » d'un procès perd ainsi de son intérêt). Toutefois, le fait que l'arbitrage organise ce « procès » arbitral permet une représentation juridique des arguments (plutôt que factuelle) qui peut aller en faveur de l'entreprise contrevenante au regard de la complexité du contentieux concurrentiel. De plus, elle permet par hypothèse à des arbitres reconnus et qualifiés en économie et droit de la concurrence de juger ce qui est indéniablement un plus quant à la qualité de la sentence.

    293 Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs précisant que peut être abusive une clause : « q) de supprimer ou d'entraver l'exercice d'actions en justice ou des voies de recours par le consommateur, notamment en obligeant le consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat » (rappelant la théorie de l'unconscionablity).

    130

    147. Conclusion. Les différents modes de règlement consensuel des litiges offrent une multiplicité de possibilité de résolution amiable aux parties au contentieux. Le législateur est favorable depuis très longtemps (section 1§1) à ce type de résolution extrajudiciaire. Ce qui s'explique par ses qualités intrinsèques qui sont essentiellement : la flexibilité, la confidentialité et la complémentarité aux procédures judiciaires (section 1§2). Autant de qualités qui poussent les entreprises à se tourner vers ce type de résolution. Deux voies s'offrent à elle, une solution proposée qui s'apparente à une négociation plus ou moins formalisée entre les parties (section 2§1), ou une solution imposée lors d'un arbitrage (section 2§2).

    131

    Chapitre 2 - Les modalités concrètes d'utilisation des règlements consensuels

    148. Modalité concrète. La question de l'utilisation d'un mode de règlement amiable doit pouvoir se faire sans que cela soit rédhibitoire aux parties, de ce fait la directive n°2014/104 a prévu d'harmoniser la question de le la prescription au regard des règlements amiables (Section 1). Qui plus est, il est opportun de se focaliser sur un processus de règlement amiable en particulier : la transaction qui semble la plus adéquate face aux recours collectifs (Section 2).

    Section 1 - La nécessaire suspension de la prescription

    149. Uniformisation. La directive n°2014/104 prévoit un avantage processuel considérable à la mise en oeuvre des MARC : la suspension du délai de prescription pendant toute la durée de la procédure (article 18). Les États membres ont des règles différentes par rapport à la prescription de l'action lors de la mise en oeuvre des règlements alternatifs des conflits (1) que la directive va harmoniser lors de sa transposition en droit interne294(2).

    Il est à noter que l'article 18 point 2 de la directive 2014/104 dispose que :

    « Sans préjudice des dispositions du droit national en matière d'arbitrage, les États membres veillent à ce que les juridictions nationales saisies d'une action en dommages et intérêts puissent suspendre leur procédure pendant une période allant jusqu'à deux ans lorsque les parties à celle-ci participent à une procédure de règlement consensuel du litige concernant la demande couverte par l'action en dommages et intérêts ».

    Cela signifie que la directive s'applique concernant la suspension du délai de prescription à défaut de disposition relevant du droit interne des États membres en matière d'arbitrage contraire. Le droit européen n'a pas vocation à s'appliquer à l'arbitrage, cependant il ne faut pas que le droit interne soit contraire à l'ordre public européen. Il faudra donc que les États prennent en compte cette directive en matière d'arbitrage pour se conformer à l'ordre public européen.

    §1) Une diversité de régimes

    150. Suspension et interruption. L'Union européenne est marquée par une diversité de pays ayant chacun leurs propres droits internes marqués par des règles différentes. La directive met en place une suspension du délai de prescription lors d'une procédure de règlement alternatif des litiges. Il faut étudier les différents droits internes avant la nécessaire transposition de la directive concernant les délais de prescription en général (article 10 de la directive) et au regard de l'article 18 de la directive de 2014. L'article 18 de la directive utilise le mot « suspension » qui doit être différenciée de l' « interruption ». La suspension arrête temporairement le délai de prescription sans effacer le délai déjà couru. L'interruption met un terme au délai de prescription qui reprendra de

    294 avec comme date limite le 27 décembre 2016

    132

    zéro après la survenance d'un certain événement. Ainsi, l'article 18 prévoit une suspension du délai de prescription qui reprendra lors de la fin de la procédure de règlement consensuel des litiges.

    151. Allemagne. En droit allemand, quelques modifications devront être nécessaires notamment concernant la durée du délai de prescription. Le paragraphe 199 du Code civil allemand dispose que le délai de prescription d'une action en dommage et intérêt est de 3 ans. Ce délai de prescription va devoir être porté à 5 ans pour que le droit allemand soit conforme à la directive. Le point de départ de ce délai est le même que celui précisé au sein de la directive. Le droit allemand paraît même plus libéral car le délai commence à partir du moment où le demandeur ignorant son droit à réparation devrait en avoir eu connaissance sans « négligence grossière ». Contrairement à la directive, il laisse courir le délai de prescription à partie de la connaissance du droit alors que la directive le fait courir à partir du moment où l'infraction au droit de la concurrence a cessé.

    Ensuite, par rapport à l'article 18 de la directive n°2014/104, une suspension du délai de prescription en cas de négociation menées par les parties concernant le droit à réparation existe déjà ( 203 BGB). Le droit allemand institue même un délai de réflexion à l'issue de la négociation de trois mois, durant lesquels le délai de prescription sera toujours suspendu et recommencera à courir à l'issue de ces trois mois.

    152. Italie. En droit italien, la transposition de la directive aura un impact car le droit italien prévoit une prescription quinquennale sans suspension de la prescription. La Cour de cassation italienne dans un arrêt du 2 février 2007 affirme le principe selon lequel le point de départ du délai de prescription commence à courir à compter du jour de l'extériorisation du dommage et non du jour où la conduite dommageable cesse. Le point de départ du délai de prescription va donc dans le même sens que celui de la directive mais nécessitera des précisions pour être conforme.

    153. France. En droit français, le délai de prescription de l'action en dommage et intérêt est de 5 ans :

    295

    « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».

    Donc le point du départ du délai commence à courir à compter du moment où la victime a eu connaissance de l'infraction ou aurait du en avoir connaissance. Aucun changement substantiel du fond du droit applicable ne sera nécessaire (mais uniquement des précisions textuelles).

    Concernant l'article 18 et la suspension du délai de prescription en cas d'utilisation de règlement alternatif des litiges et notamment de médiation ou de conciliation, le droit français par son article 2238 du code civil instaure une suspension du délai de prescription pendant tout le temps de la procédure de règlement amiable.

    295 article 2224 du Code civil

    133

    154. Panorama. Les divers États membres de l'Union européenne ont des règlementations différentes en droit interne concernant les délais de prescription des actions en dommage et intérêt, le point de départ de ces délai et l'impact des procédures de règlement alternatif des litiges sur ces délais.

    §2) Une harmonisation européenne

    155. Prescription et suspension. La directive met en avant les modes consensuels de règlement des différents et pour les rendre plus attractifs elle leur attribue un avantage processuel non-négligeable dans son article 18 : la suspension du délai de prescription. Avant cela au sein de son article 10 elle tend à harmoniser les délais de prescription concernant les actions en dommages et intérêts dans les différents États, sans cela son article 18 n'aurait pas de sens. En effet, si chaque États avaient des délais de prescription différents mais transposaient tous l'article 18 concernant la suspension, certains régimes internes seraient donc plus intéressants que d'autres et lors de litiges transfrontaliers on se retrouveraient avec deux délais différents se confrontant.

    156. Article 10 et 18. L'article 10.4 de la directive dispose que : « Les États membres veillent à ce que les délais de prescription applicables aux actions en dommages et intérêts soient de cinq ans au minimum ».

    La directive commence tout d'abord par harmoniser les délais de prescription des actions en dommages et intérêts avec un délai de 5 ans ; ce qui engendrera comme vu précédemment une modification des délais de prescription pour ces actions en Italie et en Allemagne notamment. Ensuite, la directive pose la règle concernant le point de départ du délai de prescription :

    «Les délais de prescription ne commencent pas à courir avant que l'infraction au droit de la concurrence ait cessé et que le demandeur ait pris connaissance ou puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance :

    a) du comportement et du fait qu'il constitue une infraction au droit de la concurrence;

    b) du fait que l'infraction au droit de la concurrence lui a causé un préjudice; et

    c) de l'identité de l'auteur de l'infraction.»

    La directive commence tout d'abord par une définition négative du point de départ du délai de prescription. Le point de départ de ce délai commence à courir une fois que l'infraction au droit de la concurrence à cesser et non avant (ce qui est intéressant pour les victimes en cas d'infraction continue). Elle énumère ensuite trois faits qui font démarrer le délai de prescription, la connaissance soit du comportement entraînant une infraction au droit de la concurrence, du fait que cette infraction lui ait causé un préjudice et de l'identité de l'auteur de l'infraction. La directive précise « puisse raisonnablement être considéré comme ayant connaissance » ce qui permet de sanctionner tout de même une négligence excessive de la part de la victime de l'infraction.

    L'article 18 de la directive dispose que :

    134

    « Les États membres veillent à ce que le délai de prescription fixé pour intenter une action en dommages et intérêts soit suspendu pendant la durée de toute procédure de règlement consensuel du litige. Cette suspension ne s'applique qu'à l'égard des parties qui participent ou ont participé à ladite procédure ou y ont été représentées »

    La directive par cette disposition instaure une suspension du délai de prescription durant la procédure de règlement amiable en droit de la concurrence, ce qui est un nécessaire pour un bon déroulement de ces procédures, renforçant ainsi son attractivité. En effet, il ne faudrait pas que les parties ayant recours à un mode consensuel de règlement des litiges soient pénalisées si elles n'arrivent pas à trouver un terrain d'entente. En cas de non aboutissement de la procédure consensuelle, il faut que la voie judiciaire puisse rester ouverte. Et c'est dans ce but que la directive a mis en place une suspension du délai de prescription pour permettre une efficacité de la justice et préserver le droit à indemnisation de la victime d'une infraction au droit de la concurrence.

    Section 2 - Focus sur la transaction

    157. Contre-modèle américain. Par ailleurs penser l'opportunité des règlements consensuels découlant des droits internes européens demande, malgré le caractère paradoxal de la chose, d'étudier le droit américain des actions collectives.

    En effet, ce choix s'explique car le droit européen des actions collectives s'est construit sur le modèle américain ou du moins en « contre-modèle ». En effet aux États-Unis ont une tradition

    296

    juridique ancienne sur le sujet, les premières class actions furent consacrées en 1942, date à laquelle la Cour américaine promulgua les règles fédérales d'équité (aujourd'hui codifiée à l'article 23 des Règles fédérales de procédure civile). Cette tradition ancienne par la multiplicité des décisions et l'affinement de son analyse par la doctrine, permet de donner de la « matière » à une analyse de celui-ci, comparativement aux balbutiements des class actions en Europe. Contre-modèle aussi, car il inspire des critiques vives du fait de ses dérives et permet au législateur d'imaginer des solutions à ses imperfections. Le sujet est ici d'autant plus probant que comme déjà expliqué 90% du contentieux privé se termine en transaction. Par conséquent, il conviendra donc d'étudier en quoi la transaction est le mode de règlement consensuel le plus adéquat (1) mais aussi les risques inhérents à ce type de résolution amiable (2).

    §1) La transaction : un outil adéquat

    158. Exemple américain. Le contentieux privé aux Etats-Unis se résout quasiment tout le temps par des transactions. Comment expliquer cette statistique ? Comme le relève le Livre Blanc à la page 10 :

    296 Néanmoins, il faudra rappeler que la class action a une origine anglaise et non américaine. En effet, les juges anglais statuant en équité ont créé la procédure du Bill of Peace au XVIIème siècle. Celle-ci permet à de nombreux demandeurs ou défendeurs de faire juger une question commune au cours d'une même instance (cf. YEAZELL, Stephen C. in From Medieval Group litigation to the Modern Class Action, 1987).

    135

    « Il convient d'accorder une attention particulière aux mécanismes favorisant un règlement rapide des litiges, tels que les accords transactionnels. Ce type de mécanisme pourrait réduire sensiblement voire supprimer les frais liés au contentieux pour les parties ainsi que les coûts supportés par le système judiciaire. »

    159. Avantage de la transaction. Comme un concurrent victime qui sera apte à saisir la juridiction « à même de lui accorder une réparation satisfaisante », les consommateurs ou les PME regroupés dans une action collective pourront eux aussi prendre la voie judiciaire ou rechercher une indemnisation par le biais de transactions .

    298

    Le succès de la transaction tient dans ses avantages et le fait qu'elle correspond parfaitement aux demandes du contentieux indemnitaire dans la plupart des hypothèses (notamment dans le cadre du contentieux en follow-on). En effet, la transaction permet un traitement amiable qui permet de limiter la durée et les coûts liés à la procédure. Elle répond surtout à l'essence même du contentieux si l'action collective est en follow-on, en effet dans ce contexte, si la décision de condamnation est définitive, apparaît par les articles de la directive que la défense devienne très difficile. La question n'est plus de savoir si l'entreprise est responsable mais dans quelle mesure ? Mesure de la responsabilité qui peut prendre place autour d'un débat économique sur l'importance de l'infraction et sa répartition entre les coauteurs. Mesure qui va surtout se transformer en une question de montant : combien ? Face à cette question, l'arbitrage n'a peu ou prou pas d'intérêt car il s'apparente plus au procès civile alors que la transaction, elle répond directement par les concessions réciproques. Il s'agit d'abandonner un montant réparant l'infraction en échange d'une renonciation à l'action.

    L'accord transactionnel a donc la faveur du législateur européen qui doit en partie s'inspirer de l'efficacité relative du private enforcement aux Etats-Unis297.

    160. Jeu. Renonciation qui prend la forme d'une transaction donc, dont le véritable enjeu sera sur la négociation du montant qui, elle, devra se faire en appuyant sur la menace contentieuse. L'entreprise contrevenante peut ainsi par exemple pointer sa capacité à retarder l'issue du litige, arguer du partage de responsabilité avec des coauteurs ou encore jouer par le biais de rapport d'expert. En rendant la décision plus aléatoire que prévue elle fait ainsi baisser le montant à payer aux parties à la transaction. Il s'agit d'un jeu de pressions réciproques des parties qui vont toute à la fois faire jouer la menace contentieuse toute en cherchant un accord extra-judiciaire pour chacune optimiser leur chance de « gain ». Ainsi, apparaît l'utilité des transactions qui connaissent un essor difficilement mesurable mais sensible299.

    297 l'efficacité du private enforcement pouvant s'expliquer aussi par un public enforcement efficace mais statistiquement moins important (du fait des actions en follow-on).

    298 PRIETO, Catherine et BOSCO, David in Droit européen de la concurrence. Ententes et abus de position dominante, 2013, p. 1423.

    299 RODGER, B. J. in Private Enforcement of Competition Law, The Hidden Story : Competition Litigation Settlements in the United Kingdom, 2000-2005 : ECLR, 2008, 29(2), p. 96 et s.

    136

    §2) La transaction : un outil dangereux

    161. Transaction et équité. En droit américain il y a un contrôle par le juge a posteriori de l'accord transactionnel : « the judge must review and approve any settlement as fair, reasonable, and adequate with respect to the class ». Cela s'explique comme le fait remarquer Adolf Wach :

    « There must be norms ruling what parties are allowed to do and what they aren't, as well

    as norms ruling what they aren't allowed to do, although they are mutually ready to allow it300 ».

    Cette vision du risque inhérent aux transactions apparaît aussi en droit européen, ou du moins en droit mou, au travers de la recommandation de 2013 sur les recours collectif qui précise que :

    « 28. Il convient que la légalité des solutions contraignantes issues de transactions collectives soit vérifiée par une juridiction, compte tenu de la protection qu'il est opportun d'accorder aux intérêts et aux droits de toutes les parties concernées. »

    162. Principal-agent et contingency fees. Pourquoi une telle défiance au regard d'un accord consensuel ? Tout d'abord, existe le risque de recours abusifs et infondés par des avocats peu scrupuleux dans l'unique but de soutirer de l'argent par le biais d'une transaction à des entreprises solvables ayant une certaine réputation et qui craignent une mauvaise publicité du fait d'une class action même infondée (technique dite de l'ambulance chasing). Spécifiquement dans les actions

    301

    collectives, c'est aussi le problème connu de la relation entre un principal et son préposé (dit « principal-agent »). En outre, plus les membres d'un groupe sont nombreux, plus ils sont limités dans leur aptitude à contrôler la conduite de leur représentant, décalage qui peut exister entre les motivations des membres d'un groupe et celles de l'avocat qui les représente.

    Quel intérêt pour l'avocat ? L'intérêt c'est des honoraires de résultat, ce qui laisse supposer qu'ils pourraient prendre leurs décisions non pas dans l'intérêt de leur client mais dans leur propre intérêt302. Face à ce risque des honoraires de résultat qui viendrait priver les victimes d'une représentation en justice efficace, la recommandation sur les recours collectifs prévoit de les limiter ou de les contrôler :

    « 29. Les États membres devraient veiller à ce que la rémunération des avocats et son mode de calcul ne créent aucune incitation à engager des procédures judiciaires qui ne soient pas nécessaires dans l'intérêt des parties.

    30. Les États membres ne devraient pas permettre le versement d'honoraires de résultat qui risquent de créer une telle incitation. Les États membres qui, à titre exceptionnel,

    300 WACH, Adolf in Vorträge über die Reichs-Civilprocessordnung. Gehalten vor prakt. Juristen im Frühjahr 1879 (1896), p. 53

    301 dérive comportementale qui peut être sanctionnée, par exemple en droit américain sous la Rule 7.3 du American Bar Association Model Rules of Professional Conduct.

    302 GILLES, Myriam et FRIEDMAN, Gary B. in Exploding the Class Action Agency Costs Myth : The Social Utility of Entrepreneurial Lawyers, (2007) 155 U Pa L Rev 103, p. 104

    137

    autorisent des honoraires de résultat devraient prévoir une réglementation nationale appropriée de ces honoraires en cas de recours collectif, compte tenu notamment du droit des membres d'un groupe constituant la partie demanderesse à obtenir une réparation intégrale. »

    163. Coupon. Les coupon settlements sont logiquement un enjeu au regard des transactions. Ainsi, lors d'une action collective et son règlement transactionnel au lieu de recevoir un chèque, les victimes reçoivent un bon de réduction chez le défendeur (entreprise contrevenante) tandis que les avocats obtiennent des millions de dollars en honoraires :

    « Par exemple, après que le Department of Justice avait terminé sa poursuite contre la société Microsoft pour des infractions aux règles de la concurrence en 2001, plusieurs avocats ont commencé une action privée dans la Californie au nom et pour le compte des consommateurs californiens. La société Microsoft et ses avocats ont négocié un accord à l'amiable évalué d'un montant de $1,1 milliards. Selon le règlement, tous ceux qui avaient acheté des produits Microsoft entre les années 1995 et 2001 pouvaient réclamer à cette société un bon d'achat en remplissant un formulaire. La majorité de ces bons ne valaient pas plus de $20. En revanche, l'avocat qui avait mené l'action a demandé la somme de $97 millions pour services rendus et $197 millions supplémentaires ont été demandés par les trente-quatre autres avocats ayant travaillé sur ce dossier. Ces honoraires ne dépassaient pas vingt-sept pour cent de la somme accordée aux consommateurs, mais puisque la totalité d'une telle transaction est rarement distribuée, ce pourcentage était probablement plus grand303 ».

    Pour l'entreprise, l'avantage est triple : elle paye une amende moindre, va a posteriori recevoir une partie de ce qu'elle a payé et voit revenir ses anciens clients chez elle (baisse du coût réputationnel).

    303 NEUMANN, Karl-Alexander et WADE MAGNUSSON, Landon in Pour une action collective européenne dans le droit de la concurrence, 24.2 (2011) Revue québécoise de droit international, page 160

    138

    164. Conclusion. Les modalités concrètes de la mise en place de mode de règlement consensuel se font au travers d'une suspension du délai de prescription nécessaire pour éviter que ces modes de règlement ne soient trop désavantageux (section 1§2) ; cela permet de corriger le régime antérieur où l'hétérogénéité des régimes pouvaient être cause d'inégalité de traitement dans le cadre de cette deuxième voie alternative aux tribunaux (section 1§1).

    Le cadre procédural étant posé, il est opportun de se pencher sur la transaction qui est le mode de règlement le plus adéquat aux actions collectives (section 2§1). Ce mode de règlement très développé dans le cadre du private enforcement aux Etats-Unis n'est pas sans questionner certains abus qui en découlent (section 2§2), comme les coupon settlement ou les contingency fees.

    139

    Titre 2 - Stratégie des modes de règlements consensuels face aux actions

    collectives

    165. Stratégie et économie. Comme il a été dit précédemment les actions collectives et leurs règlements consensuels forment un couple qui semble indissociable tant les avantages sont nombreux pour les deux parties aux litiges, notamment en coût et en temps.

    L'entreprise contrevenante voit surtout par le biais extra-judiciaire le meilleur moyen de négocier le montant de l'indemnisation. Cela s'explique par le fait que le contentieux des actions en private enforcement est surtout focalisé par les actions en follow-on, en effet en matière : « d'actions indépendantes, les succès sont ponctuels et peu significatifs. Au contraire, s'agissant des actions de suivi, une étude empirique sur la période 1999-2012 révèle une meilleure efficacité304 ».

    Qui plus est, la directive n°2014/104 donne un régime très favorable aux victimes que ce soit les consommateurs et les PME en cas de recours en indemnisation par notamment des jeux de présomptions. Ainsi, face à ce risque accru de condamnation, le règlement extra-judiciaire peut être une moyen d'action intéressant pour les entreprises.

    Quoiqu'il en soit, face à ce risque apparaît pour l'entreprise deux modalités de gestion du contentieux collectif : une gestion opportune lors du contentieux (Chapitre 1), une gestion intensive pré-contentieux par l'entreprise (Chapitre 2).

    304 ZAMBRANO, Guillaume in L'inefficacité de l'action civile en réparation des infractions en droit de la concurrence, étude du contentieux français devant le Tribunal de Commerce de Paris (2000-2012), thèse de l'Université de Montpellier, 2012, p. 91

    140

    Chapitre 1 - Gestion opportune de l'action collective par le règlement extrajudiciaire

    166. Coût et stratégie. Le contentieux étant né, la stratégie peut prendre place autour d'un seul objectif la baisse du coût de « l'amende » au sens large c'est-à-dire comme sanction imposée par l'Etat. L'entreprise contrevenante veut baisser le risque économique qui pèse sur elle.

    Pour se faire apparaît que l'entreprise devrait rechercher une réduction des multiples facettes du coût et du risque infractionnel (Section 1), mais aussi de se dépêcher de trouver un règlement consensuel : la directive mettant en place une forme de course aux règlements consensuels qui n'est pas sans rappeler le programme de clémence (Section 2)

    Section 1 - La quête de la réduction du coût infractionnel

    167. Consensualisme et coût de la faute. Le règlement consensuel apparaît comme l'outil le plus adapté au litige concurrentiel essentiellement économique car il permet de mettre fin à un contentieux uniquement pécuniaire. L'entreprise contrevenante est dans deux situations : soit l'action en dommages et intérêts fait suite à une condamnation des autorités de concurrence ou de la Commission, soit elle se trouve face à une action en stand-alone. Dans la première hypothèse, le règlement consensuel est la voie la plus adaptée, la faute étant en réalité démontrée et la question du passing-on comme moyen de défense est difficile au regard de la charge de la preuve renversée. Il s'agirait tout au plus de diminuer sa responsabilité par une répartition partielle du surcoût avec l'acheteur direct. Dans la seconde hypothèse, à moins d'action collective abusive, le jeu des présomptions va vers un retour à l'égalité des armes entre les parties au procès concurrentiel. Néanmoins si la faute concurrentielle est prouvée, il vaut mieux encore recourir à un règlement amiable. En effet, le règlement amiable permet de sauver la réputation de l'entreprise et de garder secret cette faute aux yeux des tiers (notamment les cocontractants et/ou les autorités en charge de la concurrence). Le consensualisme par sa flexibilité est donc un outil utile pour les parties.

    À ce titre, le règlement amiable est un outil indispensable en ce qu'il permet d'enterrer le risque (§1) mais aussi en ce qu'il assure une diminution du coût de l'infraction (§2).

    §1) Enterrement du risque

    168. Aléa et jeu. C'est bien la théorie des jeux qui entre en compte pour l'entreprise contrevenante. C'est l'aléa de l'issue du procès qui implique la prise en compte d'un risque composite dès lors qu'un seul des événements dont dépend la solution est incertaine. L'aléa judiciaire s'explique par le fait que l'issue de tout procès est par sa nature même aléatoire. En outre, cet aléa désigne l'incertitude qui entoure l'activité juridictionnelle. Dans quel sens le juge tranchera-t-il ce litige ? La justice n'étant pas l'application « automatique » d'une règle, aller ou se défendre en justice implique toujours le risque de perdre son procès. Dans ce domaine, plus peut-être que tout autre, la vérité légale est difficile à mettre à jour. Aussi, ce qui apparaît comme évident sur le plan

    308 JOHNSTON,Chris in VW more than doubles emissions bill to €16.2bn, 17 mai 2016, disponible en ligne : http:// www.bbc.com/news/business-36112333

    141

    humain ne l'est pas forcément sur le plan juridique faute d'une traduction de la réalité humaine en réalité juridique (notamment en droit de la concurrence du fait de la difficulté probatoire propre à la matière305). Ainsi, dans le Tiers Livre de Rabelais, le juge Bridoye utilise le tirage au sort afin de rendre les décisions306. L'accord consensuel permet de mettre fin à ce doute, ce risque qui est un coût réputationnel, économique (à travers l'amende) mais aussi comptable au travers des provisions à faire307 .

    169. Accord consensuel et conflits. Il a été vu que l'action collective entraine un forme de forum shopping l'accord consensuel permet d'une part de mettre fin à toute question de conflit de loi ou de juridiction (sauf en ce qui concerne l'homologation de l'accord si la loi le prévoit). Cette fin aux questions de droit international privé permet une économie de moyens quant aux frais juridiques afférents aux procès et au risque de forum shopping des demandeurs à l'action collective.

    170. Réputation de l'entreprise. Comment ne pas penser à l'industrie du tabac, à Wal-Mart ou encore aujourd'hui Volkswagen autant d'entreprises qui ont subi un préjudice d'image important suite à une class-action. Le préjudice réputationnel ne se limite pas à l'aura de l'entreprise, il prend la forme d'une dévaluation boursière des actifs de la société, cette dévaluation correspond le mieux au préjudice d'image car elle est directement reliée au marché financier et à l'évaluation du devenir de l'entreprise. Qui plus est, cette dévaluation peut au-delà de l'image, prendre en compte par exemple la perte de confiance du consommateur, la baisse des ventes, la baisse du crédit donné à l'entreprise, la méfiance des investisseurs ou même encore la baisse de la capacité à recruter des salariés qualifiés. Les conséquences sont incalculables d'autant plus qu'à l'heure actuelle l'information dans une économie globalisée circule à grande vitesse. L'accord consensuel permet face à l'action collective soit ex-ante d'éviter cette publicité néfaste (négociation avant la saisine du juge), soit en cours de procès dans limiter l'impact.

    171. Provision. L'impact est aussi comptable pour les entreprises, l'aléa judiciaire existe bien dans le bilan comptable d'une entreprise. C'est la provision pour litige destinée à couvrir les risques pécuniaires encourus par l'entreprise à propos de litiges qui l'opposent à des tiers. Le montant de la provision est égal à la somme que l'entreprise risque de devoir payer à l'issue du litige. Une évaluation des indemnités, intérêts, dommages et intérêts, frais de justice, etc. qui risquent d'être dus est dès lors à effectuer. Par exemple, les comptes 2015 de Volkswagen ont intégré une charge de 16,2 milliards d'euros308 pour tenir compte du scandale du logiciel truqueur installé dans 11 millions de ses moteurs Diesel. Les dirigeants du constructeur allemand et les commissaires aux comptes se

    305 MASMI-DAZI, Fayrouze in Le quantum du préjudice deviendra - t - il le centre de gravité des actions en réparation de dommages concurrentiels ? , RLC 2710, p. 104.

    306 RABELAIS, Francois in Tiers livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel : composés par M. François Rabelais, Docteur en Médecine, et Calloier des Iles d'Hyeres, paru en 1546

    307AMARO, Rafael in Le contentieux privé des pratiques anticoncurrentielles, 2014, point 284

    309 WILMAN, Folkert in Private Enforcement of EU Law Before National Courts: The EU Legislative Framework, 2015, page 244

    142

    sont accordés sur ce montant et ont publié les comptes 2015. Cette somme prend en compte : « les modifications techniques et les mesures en lien avec les clients aussi bien que les risques légaux » estimés par le groupe. Or, avec une telle provision, les comptes de Volkswagen établissent une perte nette de 1,58 milliard d'euros pour 2015, après un bénéfice de 10,48 milliards en 2014. Le risque infractionnel a donc un impact direct sur la comptabilité économique de l'entreprise.

    172. Enterrer l'aléa. Ainsi, le règlement consensuel apparaît comme un outil utile face à l'aléa judiciaire, il permet de connaître le montant final du coût de l'infraction et met fin aux doutes qui sont dans le monde financier causent d'une dévaluation certaine de l'entreprise. La directive sur les actions en dommages et intérêts n°2014/104 le pointe elle-même au considérant 48 :

    « Il est souhaitable de parvenir à un règlement « une fois pour toutes » pour les défendeurs, afin de réduire l'incertitude pour les auteurs de l'infraction et les parties lésées. Dès lors, les auteurs de l'infraction et les parties lésées devraient être encouragés à se mettre d'accord sur la réparation du préjudice causé par une infraction au droit de la concurrence au moyen de mécanismes de règlement consensuel des litiges, tels que les règlements amiables (notamment ceux que le juge peut déclarer contraignants), l'arbitrage, la médiation ou la conciliation. »

    Ainsi, il semble que la faveur du législateur pour les règlements consensuels et l'enterrement de l'aléa est l'aveu même de l'incapacité des victimes à récupérer de manière optimale leur préjudice, sinon pourquoi permettre aux entreprises de profiter d'une diminution de le sanction, si ce n'est pour leur permettre de profiter d'une faute lucrative (à moins d'une politique de public enforcement réellement punitive).

    §2) Diminution du coût de l'infraction

    173. Faveur au règlement consensuel. La directive pointe ensuite qu'une autorité de concurrence (article 18, paragraphe 3) :

    « peut considérer la réparation versée à la suite d'un règlement consensuel et avant qu'elle n'ait adopté sa décision d'imposer une amende comme une circonstance atténuante. »

    Il faut noter que cette mesure n'était pas prévue dans la proposition de directive de la Commission et a été ajoutée à la demande du Parlement européen . Le texte est une faveur faite au règlement

    309

    consensuel qui tout en respectant le principe d'autonomie procédurale en la matière oblige les Etats membres de prévoir la possibilité pour le juge de prendre en compte les règlements consensuels comme une circonstance atténuante.

    Malgré, le respect de la marge d'appréciation dont dispose les ANC, il semble que l'aspect liant de la directive oblige au moins les ANC à prévoir cette modulation indemnitaire ne serait ce que

    143

    textuellement dans une communication où à travers de la motivation de leurs décisions. Quant au montant de la modulation de l'amende, la question reste en suspens pour le moment. Enfin, il apparaît une forme de défiance face à cette nouvelle disposition, ainsi pour certains cette disposition s'inscrit :

    « néanmoins dans un mouvement inverse de celui exposé tout au long de cette contribution, en ce sens qu'ici et pour la première fois, l'aboutissement d'un litige privé est susceptible d'avoir une incidence sur l'appréciation portée par l'autorité de concurrence au titre de la mise en oeuvre de l'action « publique ». Aussi, plusieurs garde-fous sont nécessaires, parmi lesquels le fait de circonscrire cette prise en compte aux hypothèses de règlement consensuel et de ne pas en faire une obligation nouvelle dans le chef des autorités de concurrence. »

    310

    Au demeurant, il semble logique qu'une entreprise qui a accepté d'indemniser dans un contentieux privé une victime de comportement concurrentiel soit enclin à reconnaître sa faute dans le contentieux public (d'autant plus que la collaboration avec les autorités de concurrence est un autre critère de réduction de l'amende). Ce dispositif pourrait donc se cumuler avec la transaction ou la non-contestation des griefs permettant une meilleure limitation du coût de l'amende.

    174. Clémence et règlement consensuel. Quitte à chercher l'exonération autant cumuler les modalités de réduction d'amende. Faut-il rappeler que la politique de clémence récompense les entreprises qui dénoncent des ententes auxquelles elles ont participé en leur accordant une immunité totale ou une réduction des amendes qui leur auraient autrement été infligées. La réduction du fait du règlement consensuel s'inscrit uniquement pour l'entreprise qui ne peut prétendre à une immunité totale (avec le problème sous-jacent du système de marqueur). En effet, celle-ci peut néanmoins demander à bénéficier d'une réduction d'amende dans la mesure où elle fournit des éléments de preuve qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport à ceux déjà en possession de la Commission. La communication de la Commission sur le sujet précise que sont

    311

    considérés comme ayant une valeur ajoutée significative les éléments de preuve qui renforcent, par leur nature et/ou leur degré de précision, la capacité de la Commission à établir l'existence de l'entente.

    Ainsi, en droit prospectif, il faudra prendre en compte cette possible réduction de l'amende comme un argument en faveur du règlement consensuel, néanmoins celle-ci semble pour le moment trop incertaine quant à sa définition pour pouvoir véritablement en quantifier l'opportunité. Peut-être il serait possible de regarder la pratique espagnole sur le sujet qui prévoit une réduction de l'amende en cas d'accord amiable (néanmoins, il semble que cela soit très rarement utilisé ).

    312

    310 Autorité de la concurrence, La relation entre action publique et action privée en droit de la concurrence, 11 juin 2015. Disponible en ligne : http://www.autoritedelaconcurrence.fr/doc/actionpub_pri.pdf

    311 Communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes [Journal officiel C 298 du 08.12.2006]

    312 HITCHINGS, Paul et LORAS, Luis et ANGEL MALO, Miguel in Considerations concerning the implementation of the EU competition law damages directive in Spain, Concurrences n°2-2015, page 28

    144

    Section 2 - La course au règlement consensuel

    175. Attraction renforcée. Le directive prévoit un régime propre pour les règlements consensuels et les actions en dommages et intérêts postérieurs. En outre, l'article 19 tout en respectant le droit à réparation intégrale intègre de facto une dérogation au régime de droit commun de partage de la responsabilité (1), créant ainsi une course forcée vers le règlement consensuel (2).

    §1) Reliquat de la demande et règlement consensuel antérieur

    176. Combinaison. L'article 18 prévoyant une possible réduction de l'amende du fait d'un règlement consensuel peut se combiner parfaitement avec l'article 19 de la directive n°2014/104 qui vient organiser la répartition du surcoût entre des parties à une infraction lorsqu'une partie a déjà régler de manière consensuelle un litige.

    Il s'agit en effet de mettre l'entreprise dans une stratégie passive de collaboration intensive avec les autorités, cette stratégie peut être intéressante même en cas de clémence l'article 19 ayant attrait uniquement au préjudice du au regard du private enforcement. En outre, l'article 19 de la directive prévoit que :

    « 1. Les États membres veillent à ce que, à la suite d'un règlement consensuel, le montant de la demande de la partie lésée partie à ce règlement soit diminué de la part du préjudice causé à la partie lésée par l'infraction au droit de la concurrence qui est imputable au coauteur de l'infraction partie à ce règlement. »

    Ainsi, suite à un règlement consensuel, le montant de la demande de la victime partie à ce règlement est diminué de la part du préjudice imputable au coauteur de la violation du droit de la concurrence partie à ce règlement. Ainsi, une entreprise contrevenante partie à un règlement consensuel n'est pas dans une situation plus désavantageuse qu'elle ne l'aurait été en l'absence de règlement consensuel (en particulier si elle devait rester, même après le règlement consensuel, solidairement responsable de l'intégralité du préjudice causé par la violation).

    177. La faveur du reliquat. Le deuxième paragraphe prévoit alors une véritable faveur à la partie ayant déjà réalisée un règlement amiable (par rapport à des actions postérieures) :

    « 2. Tout reliquat de la demande de la partie lésée partie au règlement consensuel ne peut être réclamé qu'à l'encontre des coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement. Les coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement ne sont pas autorisés à exiger du coauteur de l'infraction partie à ce règlement une contribution au reliquat de la demande. »

    145

    Ainsi, tout reliquat (différence entre ce qui a été payé et ce qui correspond au préjudice intégral) de la demande de la victime partie au règlement consensuel ne peut être réclamé qu'à l'encontre des coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties à ce règlement. L'auteur d'une violation partie à un règlement consensuel est alors en principe libéré de l'obligation de payer une contribution aux coauteurs de la violation ne participant pas à ladite procédure (lorsque ces derniers ont indemnisés la partie lésée avec laquelle l'auteur de la violation premier cité avait déjà trouvé un accord au moyen d'un règlement consensuel).

    Concrètement, toute action récursoire contre le coauteur partie au règlement est donc exclue. C'est donc une règle protectrice des entreprises qui versent des dommages et intérêts à leurs victimes dans le cadre d'un règlement consensuel des litiges. Le paragraphe 3 assure en toute hypothèse le droit à réparation intégrale pour la victime :

    « 3. Les États membres veillent à ce que, par dérogation au paragraphe 2, lorsque les coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties au règlement consensuel ne peuvent payer les dommages et intérêts correspondant au reliquat de la demande de la partie lésée partie à ce règlement, la partie lésée en question puisse réclamer le reliquat de la demande à l'encontre du coauteur partie à ce règlement.

    La dérogation visée au premier alinéa peut être exclue expressément par les termes du règlement consensuel. »

    Ainsi, par dérogation au paragraphe 2 et sauf clause contraire dans l'accord visant le recours à un règlement consensuel des litiges, lorsque les coauteurs de l'infraction qui ne sont pas parties règlement consensuel ne peuvent payer les dommages et intérêts correspondant au reliquat de la demande de la victime partie à ce règlement, la victime peut le réclamer au coauteur partie à ce règlement. Enfin, l'alinéa 4 prévoit la prise en compte dans la répartition de la dette des règlements consensuels au regard de l'infraction :

    « 4. Pour déterminer le montant de la contribution qu'un coauteur peut récupérer auprès de tout autre coauteur en fonction de leur responsabilité relative pour le préjudice causé par l'infraction au droit de la concurrence, les juridictions nationales tiennent dûment compte de tous les dommages et intérêts versés dans le cadre d'un règlement consensuel antérieur associant le coauteur concerné de l'infraction. »

    La directive prévoit ainsi les modalités techniques de la charge de la dette entre co-auteur (responsabilité à différencier : « du point de vue matériel, temporel ou géographique313 ») et l'effet du règlement consensuel sur cette répartition du préjudice.

    §2) Réduction du coût et course au règlement consensuel

    178. Rapidité et transaction. « La promptitude est l'essence même de la guerre. Tirez parti du manque de préparation de l'ennemi ; empruntez des itinéraires imprévus et frappez-le là où il ne

    313 directive n°2014/104, considérant 52

    146

    s'est pas prémuni » disait Sun Tzu dans L'Art de la guerre. Or, comme le pointe Nicole Coutrelis,

    314

    l'article 19 combiné avec l'article 18 paragraphe 3 de la directive risque de créer une course au règlement consensuel lorsqu'il y a des coauteurs à une pratique anticoncurrentielle. En effet, la partie qui sera la première parvenue à un règlement consensuel n'aura pas à supporter en principe (sauf incapacité des autres parties à l'infraction) la charge du reliquat (qui est la somme à percevoir ou à payer en vertu du principe de réparation intégral du préjudice tel qu'édicté par la directive).

    En effet, l'article 19 libère l'entreprise qui a transigé (ou utilisé un autre moyen de règlement amiable) la première de tout reliquat d'indemnisation qui pourrait par la suite être demandé à d'autres coauteurs. Il faut bien remarquer qu'existe du fait des concessions réciproques une différence entre ce qui est donné à la victime par le biais d'une transaction et le montant du préjudice que la personne qui a transigé aurait du payée en vertu du principe de réparation intégrale. Le reliquat reste ici à la charge des coauteurs à l'infraction qui sont donc pénalisés par rapport à la personne qui a su régler amiablement le litige.

    179. Stratégie et reliquat. Il faut donc pour les parties coauteurs d'une pratique anticoncurrentielle qui cherchent stratégiquement à en diminuer le coût (dans une logique passive de coopération) :

    « concevoir, aussi vite que possible, une véritable stratégie contentieuse et/ou consensuelle à l'échelle de l'Europe ou même au-delà dans l'hypothèse où la pratique en cause a revêtu une dimension transfrontalière. Chaque entreprise contrevenante aux articles 101 et 102 du TFUE pourra ainsi tout mettre en oeuvre pour trouver individuellement un accord global avec les victimes et tenter de minimiser l'indemnisation due pour échapper aux risques de jugements plus sévères à son encontre. L'éventuel différentiel entre les deux sommes sera alors mis à la charge des autres coauteurs de l'infraction [sauf exception du paragraphe 3 de l'article 19]. Un tel cas est d'autant plus susceptible de se produire si, à ce stade du processus, la victime dispose de peu d'information et ne peut donc pas pleinement mesurer ses chances de former un recours devant le juge ni même d'obtenir réparation, et ne peut pas non plus s'appuyer sur une décision préalable d'une autorité de concurrence.315»

    Cette diminution du préjudice est d'autant plus forte en cas d'action collective du fait de l'agrégation des préjudices individuels, le reliquat devenant potentiellement plus important. Ceci incite véritablement à chercher à transiger rapidement, le gain potentiel étant par ailleurs plus visible en cas d'une multiplicité d'action collective (la reliquat de l'une pouvant hypothétiquement se loger dans l'autre).

    314 TZU, Sun in L'art de la guerre, chapitre 11, page 230

    315 COUTRELIS, Nicole et ZIVY, Fabien in Davantage d'avantages pour le règlement consensuel des litiges ou la négociation plutôt que la confrontation, Lamyline, numéro 44, juillet-septembre 2015, p. 102

    147

    180. Conclusion. La stratégie à prendre face au risque d'action collective peut être efficacement la voie extrajudiciaire. En effet, l'aléa judiciaire a un coût pour l'entreprise, face à celui-ci le règlement consensuel en mettant fin « une fois pour toute316» au contentieux est un outil utile (section 1§1). La diminution du coût de l'amende est une possibilité offerte aux autorités par la directive mais en réalité, elle s'inscrit dans une stratégie plus globale de coopération avec les autorités en charge de la concurrence pour être vraiment optimale (section 1§2).

    De plus, en cas d'infraction impliquant plusieurs auteurs, il semble que la directive est organisée un régime favorable aux entreprises qui règlent hors des tribunaux leurs litiges notamment au regard de la question du reliquat restant dû suite à un accord (section 2§1). Cette question du reliquat pourrait devenir la raison d'une forme de course entre les entreprises contrevenantes vers le règlement consensuel (section 2§2). La Commission met ainsi en place un cadre textuel favorable au règlement consensuel, elle le dit elle-même : « it's about compensation, not litigation ».

    317

    316 considérant 48 de la directive n°2014/104

    317 Competition Policy Brief : The Damages Directive -Towards more effective enforcement of the EU competition rules, Issue 2015-1 | January 2015, page 3

    318 The Commission, Compliance matters - What companies can do better to respect EU competition rules, nov. 2011, < http://ec.europa.eu/competition/antitrust/compliance/compliance_matters_en.pdf>

    148

    Chapitre 2 - Gestion intensive par l'entreprise de l'action collective et de son règlement consensuel

    181. Gestion intensive. La gestion est ici intensive car elle se fait avec des moyens importants de manière à donner des résultats plus sensibles. En effet, la gestion opportune s'apparente uniquement à un comportement quasi passif de l'entreprise contrevenante car elle ne s'intéresse qu'à rechercher rapidement la baisse du coût probable de l'infraction au droit de la concurrence au regard de l'action collective.

    La gestion intensive demande donc un traitement thérapeutique pour prévenir et même gérer plus opportunément l'action collective. Ce traitement peut prendre place au travers de deux modèles : la compliance, définie en l'espèce comme la prévention du risque juridique (Section 1) et l'usage de certaines failles du cadre légal actuel (Section 2).

    Section 1 - Le traitement ex-ante : la compliance

    182. Prévention. Les expériences les plus anciennes des programmes de conformité au droit de la concurrence remontent aux années 80 et se retrouvent aux États-Unis et au Canada.

    La compliance peut être définie comme une action proactive qui vise à organiser et mettre en oeuvre les procédures et moyens nécessaire au respect de la réglementation par l'entreprise. Le rapport entre compliance et action collective peut sembler distendu mais l'action collective reste l'agrégation d'actions individuelles auxquelles il faut répondre au regard du droit de la concurrence. Elle fait disparaitre le risque même d'une faute et par là d'une action collective (1). Elle peut aussi en cas de contentieux judiciaire ou extra-judiciaire permettre de s'aménager « intelligemment » un possible contentieux (2), avec par exemple des preuves qui serviront à anéantir les prétentions des demandeurs à l'action collective.

    §1) L'affaissement du risque

    183. Risque et existence d'une faute. Les programmes de conformité (ou compliance) sont des programmes par lesquels des entreprises ou des organismes expriment leur attachement à certaines règles et prennent un ensemble d'initiatives concrètes destinées à leur permettre d'assurer le respect de ces règles, de détecter de possibles manquements et de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin (pour en tirer les conséquences et pour en prévenir la réitération). L'Europe regarde d'un bon oeil ce type de procédure . Pour les ANC, ces programmes sont l'illustration « tangible de

    318

    stratégies volontaristes », par lesquelles les acteurs économiques expriment leur « détermination non seulement à assurer la conformité de leur comportement avec les règles de droit, qui

    149

    s'imposent en tout état de cause à eux, mais aussi à prévenir les risques » auxquels ils peuvent

    319

    être exposés en cas de non-respect de ces règles et, dans le cas où ils découvrent une infraction qui n'a pas pu être évitée, à y faire face sans attendre. Il y a donc une forme de bienveillance des autorités envers ce type d'initiative. L'Autorité de la concurrence française à ce sujet pointe que :

    « La création et l'entretien d'une culture de respect des règles constitue une composante fondamentale des programmes de conformité, sur laquelle la pratique décisionnelle de l'Autorité a insisté de manière constante et apporté de nombreux éclairages. Cet élément n'en doit pas moins être complété par un ensemble de mesures concrètes320 ».

    Il faut donc créer au sein de l'entreprise des modalités techniques pour empêcher les fautes constitutives de coût pour l'entreprise par le biais d'une culture de la concurrence qui passe

    321

    nécessairement par une information sur l'état du droit.

    184. Information et compliance. Cette information et formation a un intérêt pour les grandes entreprises dont les prises de décisions sont délocalisées et décentralisées car elle permet d'éviter un risque majeur : la faute qui peut se concrétiser par un mail d'un directeur des ventes à un autre directeur des ventes d'une autre entreprise pour s'accorder sur les prix. Il est nécessaire pour éviter cela de notamment prévoir un document cadre sur le sujet avec des brochures, des dispositifs d'alerte ou encore une formation continue. Il faut noter que les procédures de production de preuve garanties par la directive renforcent par ailleurs le risque à ce sujet.

    Il faut donc au mieux expliquer et former les salariés et cadres pour éviter le risque de faute au regard du droit de la concurrence.

    185. Coût. Il y a certes une économie potentielle énorme, même si elle n'est jamais palpable directement (peut être statistiquement), en évitant des comportements fautifs mais il y a aussi un coût qui se profile. Ce coût s'est bien souvent la prestation de service à payer aux entreprises proposant des services de compliance (notamment les cabinets d'avocat ), de plus les modalités

    322

    techniques peuvent être couteuses au niveau organisationnel de l'entreprise (avec par exemple la mise en place d'une personne en charge de la compliance : le compliance officer). Dès lors, il faut déjà que le risque soit suffisant (entreprise d'une certaine taille) pour que la compliance soit une modalité de gestion du risque intéressante.

    319 Autorité de la concurrence : projet : Document-cadre du [
    ·] sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, page 3

    320 Ibid., page 4

    321 KOEHLER DE MONTBLANC, Marie in Exigence de conformité, Lamyline, 2012

    322 voir par exemple : http://consultantitrust.eu/fr/index.php

    150

    §2) La gestion pré-contentieux du contentieux

    186. Preuves. La compliance permet aussi avant tout litige de gérer avant le contentieux le contentieux lui-même. Tout d'abord, la culture de la compliance c'est aussi justifier les actions de l'entreprise de manière intelligente et ainsi « créer des preuves utiles » qui pourraient dans certaine hypothèse servir d'alibi pour l'entreprise contrevenante (cette solution reste néanmoins dangereuse si la mauvaise foi est découverte). En tout état de cause, les programmes de conformité offre la possibilité aux entreprises de donner des lignes de conduite à ses employés qui pourront par ailleurs témoigner de la culture « pro-concurrentielle » de l'entreprise devant les tribunaux. Enfin, le risque de contrôle par les autorités en charge du public enforcement peut être moins grand, du fait de la réputation de l'entreprise, ce qui est un facteur statistique d'abaissement du risque de contentieux (au regard du contentieux subjectif en follow-on).

    187. Amende. La gestion par la compliance permet aussi bien souvent de pouvoir bénéficier d'une réduction d'amende, celle-ci étant relevée comme une circonstance atténuante par les autorités nationales de la concurrence323. En effet, la compliance apparaît comme un acte positif de l'entreprise dans le sens d'une culture de la concurrence, par exemple aux Etats-Unis, le U.S. Department of Justice prend en compte la pratique des entreprises , tout comme les tribunaux .

    324 325

    Section 2 - L'utilisation de l'inefficience du droit positif

    188. Disparité de régime. Le constat est qu'il existe un risque de forum shopping pour les victimes, risque accru lors d'une action collective au regard des enjeux du litige. La gestion intensive demande donc pour l'entreprise contrevenante de penser de manière stratégique sa gestion du contentieux. Cette gestion peut profiter des asymétries entre les régimes juridiques, notamment le manque de législation sur les conflits d'intérêt (1) et d'un point de vue économique, d'une optimisation fiscale possible par le biais des prix de transfert (2).

    §1) La désintégration de l'effet holiste de l'action collective

    189. Désintégration. L'entreprise peut racheter les créances, cela permet d'éviter le contrôle de légalité des transactions (dans un premier temps, cf. infra) tel que prévu dans les droits nationaux et par la recommandation sur les recours collectifs ou :

    323 LEDOUX, Valérie et RODA, Jean-Christophe in Les "compliance programs" en droit de la concurrence, Dalloz actualité 14 janvier 2008

    324 Mémorandums : US Departement of Justice - Office of the Deputy Attorney General, Memorandum, Subject : Principles of Federal Prosecution of Business Organisations

    325 US Sentencing Guidelines (Disponible à : www.usse.gov/Guidelines/2011_Guidelines/Manual_PDF/Chapter_8.pdf)

    151

    « Il convient que la légalité des solutions contraignantes issues de transactions collectives soit vérifiée par une juridiction, compte tenu de la protection qu'il est opportun d'accorder aux intérêts et aux droits de toutes les parties concernées. »

    L'action collective a un effet holiste, le rassemblement des créances par une seule partie change les données, le risque pour l'entreprise contrevenante. Le pouvoir de négociation (« bargaining power ») est plus grand au niveau de la transaction pour la partie qui a collecté des préjudices. L'objectif pour l'entreprise pourrait être de désagréger les demandes.

    190. Filiale et rachat. Pour désagréger les demandes et payer un montant moindre aux victimes. Il pourrait être utile de créer une filiale dans un Etat membre qui n'a pas de législation renforcée sur les conflits d'intérêts ou dont l'application des textes légaux laissent à désirer (forum shopping). Etant donné que la directive prévoit la possibilité de cession de la créance indemnitaire, la filiale créée pourra racheter les créances. Pourquoi une filiale ? Parce que cela évite déjà au cocontractant de connaitre l'identité de l'auteur de l'infraction et que cela permet facilement de délocaliser le risque de nullité de la société par son objet (même si cela paraît peu probable le législateur ayant expressément autorisé la cession de créance).

    Ainsi, par le rachat d'un maximum de créance par la filiale, qui va profiter de l'asymétrie d'information qu'elle possède sur le cédant dans la négociation du prix, se crée une économie de « coût ». La filiale pourra au passage profiter du data et autres fichiers clients de la mère pour connaître et identifier facilement les victimes.

    Le rachat fait, les parties n'auront plus qu'à transiger (si la fille ne faisait que garder les créances, à défaut de caractère lucratif un risque de nullité pourrait en toute hypothèse peser sur elle), la transaction devrait elle aussi bénéficier du forum shopping pour qu'un contrôle léger (ou aucun contrôle) ne soit effectué par le juge sur le caractère équitable de celle-ci.

    Ainsi, en sus de payer à moindre coût les victimes, cette technique fait baisser l'effet holiste d'autres demandes postérieures en dommages et intérêts en réduisant l'assiette des victimes.

    §2) L'optimisation fiscale

    191. Optimisme fiscal. Il est possible d'envisager un traitement fiscal du risque des actions collectives. Celui-ci passerait par l'utilisation des prix de transfert. En outre, selon la définition de l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE), les prix de transfert sont : « les prix auxquels une entreprise transfère des biens corporels, des actifs incorporels, ou rend des services à des entreprises associées ». Ils se concrétisent par le prix des transactions entre sociétés d'un même groupe et résidentes d'États différents et supposent ainsi des transactions intra-groupes avec le passage d'une frontière. Il s'agit finalement d'une opération d'import-export au sein d'un même groupe, ce qui exclut toute transaction à l'international avec des sociétés indépendantes ainsi que toute transaction intragroupe sans passage de frontière. Les entreprises sont concernées non seulement pour les ventes de biens et de marchandises, mais également pour toutes les prestations de services intra-groupes : partage de certains frais communs entre plusieurs entreprises

    152

    du groupe (frais d'administration générale ou de siège), mise à disposition de personnes ou de biens, redevances de concession de brevets ou de marques, relations financières ou services rendus par une entreprise du groupe aux autres entreprises. Les prix de transfert permettent donc le déplacement de valeur vers d'autres pays.

    192. Fiscalité réduite et transfert. Ce déplacement de valeur pour être d'un point de vue fiscal optimal doit se faire vers un pays à fiscalité réduite (Irlande par exemple). L'objectif est de créer une charge dans un pays à forte fiscalité et un produit dans un pays à fiscalité réduite. Ici, il est possible que la compliance puisse être un outil de ce type de transfert d'un pays vers un autre. Il faudrait ainsi qu'une filiale dans un pays à fiscalité réduite s'occupe de la gestion de la compliance pour le groupe. Celle-ci pourra facturer une multitude de services correspondants et ainsi faire baisser l'assiette fiscale de la société mère. La limite étant la réalité de la prestation fournie, il faut que celle-ci est de la substance. Cette optimisation par le biais d'un tax shopping est donc le prolongement fiscal de la gestion du risque concurrentiel notamment au regard des actions collectives.

    153

    193. Conclusion. Le traitement intensif du risque peut être à la fois curatif et bénéfique dans la gestion du risque des actions collectives. La compliance en sus d'être une modalité permettant d'éviter la faute vis-à-vis des normes en droit de la concurrence (section 1§1) permet aussi a posteriori de gérer le contentieux de manière favorable (section 1§2) tant sur le terrain probatoire qu'au niveau de la sanction (qui pourrait être minorée).

    Mais d'autres modalités éthiquement critiquables sont possibles, cela peut passer discrètement par le rachat par l'acteur fautif des créances indemnitaires à bas prix (section 2§1) ou encore par l'optimisation fiscale de la compliance par le biais des prix de transfert (section 2§2).

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    Opinion of the European Economic and Social Committee on the Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union COM(2013) 404 final - 2013/0185 (COD) and on the Communication from the Commission on quantifying harm in actions for damages based on breaches of Article 101 or 102 of the Treaty on the Functioning of the European Union C(2013) 3440, 16 Octobre 2013

    · Directorate-General for Internal Policies, Policy Department A, Study on legislative action in the area of Collective Redress in the field of antitrust

    · Projet de loi relatif à la consommation n°1015, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale, le 2 mai 2013

    · Rapport Oxera et al., Quantifying antitrust damages. Towards non-binding guidance for courts Study prepared for the European Commission, December 2009, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2010

    · 98/257/CE: Recommandation de la Commission du 30 mars 1998 concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation

    · Plan d'action sur l'accès des consommateurs à la justice et le règlement des litiges de consommation dans le marché intérieur, COM(96) 13 final du 14.02.1996

    · Recommandation de la Commission du 30 mars 1998 : concernant les principes applicables aux organes responsables pour la résolution extrajudiciaire des litiges de consommation, 98/257/CE, 1er considérant

    · Communication de la Commission sur la résolution extrajudiciaire des conflits de consommation, Com. 198 (198) final : JO L 115 du 17 avril 1998.

    · Recommandation de la Commission du 4 avril 2001 relatives aux principes applicables aux organes extrajudiciaires chargés de la résolution consensuelle des litiges de consommation. (2001/310:CE)

    · Document de travail des services de la Commission : consultation publique : Renforcer la cohérence de l'approche européenne en matière de recours collectifs, Bruxelles, 4 février 2011 SEC(2011) 173 final

    · Communication de la Commission relative aux procédures de transaction engagées en vue de l'adoption de décisions en vertu des articles 7 et 23 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil dans les affaires d'entente (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE) (2008/C 167/01)

    · Autorité de la concurrence, La relation entre action publique et action privée en droit de la concurrence, 11 juin 2015

    · Communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes [Journal officiel C 298 du 08.12.2006]

    · Competition Policy Brief : The Damages Directive -Towards more effective enforcement of the EU competition rules, Issue 2015-1 | January 2015

    · Autorité de la concurrence : projet : Document-cadre du [
    ·] sur les programmes de conformité aux règles de concurrence

    · Commission Staff Working Document Impact Assessment Report : Damages actions for breach of the EU antitrust rules, Accompanying the proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council on certain rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union (Text with EEA relevance)

    · US Sentencing Guidelines

    · Mémorandums : US Departement of Justice - Office of the Deputy Attorney General, Memorandum, Subject : Principles of Federal Prosecution of Business Organisations

    161

    Jurisprudences

    · Conseil Constitutionnel français (Décision n° 00-D-82 du 26 février 2001, décision n°2010-2 QPC du 11 juin 2010

    · CJCE, arrêt du 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com. 2002. 398

    · Engle c/ R.J. Reynolds Tobacco Co., arrêt du 6 Novembre 2000, No. 94:08273 CA:22, 2000 WL 33534572 (Fla. Cir. Ct. Nov. 6, 2000)

    · CJCE, arrêt du 13 juillet 2006, n° C-295/04, Manfredi, RTD eur. 2008. 313

    · CJCE, arrêt du 27 septembre 1988, Ahlström Osakeyhtiö e.a. contre Commission, affaires jointes 89, 104, 114, 116, 117 et 125 à 129 / 85

    · Tribunal de première instance (TPI), arrêt du 25 mars 1999, Gencor contre Commission, affaire n° T-102/96.

    · CJCE, arrêt du 16 décembre 1976, Rewe, aff. 33/76, Rec. 1989, et Comet, aff. 45/76, Rec. 2043, conclusions Warner

    · CJCE, arrêt du 25 novembre 1971, Béquelin, 22/71 Rec. 549.

    · CJCE, arrêt du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec.77

    · CJCE, arrêt du 13 février 1979. Hoffmann-La Roche & Co. AG contre Commission des Communautés européennes

    · CJCE, arrêt du 20 septembre 2001, aff. C-453/99, Courage Ltd c. Bernard Crehan, §2

    · CJCE, arrêt du 4 octobre 1976, LTU Lufttransportunternehmen GmbH & Co. KG contre Eurocontrol, affaire 29-76

    · CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26-62, NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre Administration fiscale néerlandaise, Rec. p. 3, pt. 23

    · CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, aff. C-6/90 et C-9/90, Andrea Francovich et Danila Bonifaci et a. contre République italienne, Rec. p. I-5357, pt. 31

    · CJCE, arrêt du 28 février 1991, Aff. C-234/89, Delimitis, Rec. p. I-935

    · CJCE, arrêt du 4 octobre 1979, Ireks-Arkady/Conseil et Commission, 238/78, Rec. p. 2955

    · CJUE, arrêt du 6 nov. 2012, Europese Gemeenschap v Otis NV and Others, aff. C-199/11

    · CJUE, arrêt du 5 juin 2014, Kone c/ OBB- Infrastruktur, aff. C-557/12

    · CJCE, arrêt du 5 février 1963, aff. 26/62, Van Gend en Loos, préc. pt 25

    · CJCE, arrêt du 13 décembre 1989, Grimaldi, C-322/88, Rec. p. 4407

    · CJCE 20 sept. 2001, n° C-453/99, Courage Ltd, RTD com. 2002

    · Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 1 mars 1982, Syndicat des Expéditeurs et Exportateurs en Légumes et Pommes de Terre, Primeurs de la Région Malouine c. SIPEFEL, n° de pourvoi: 80-15834: Bull. n° 76

    · CJUE, arrêt du 21 mai 2015, Cartel Damage Claims (CDC) Hydrogen Peroxide SA / Akzo Nobel NV e.a., affaire C-352/13

    · CJCE, arrêt du 19 novembre 1991, Francovich, affaires jointes C-6/90 et C-9/90

    · CJCE, arrêt du 10 avril 1984, Sabine von Colson et Elisabeth Kamann contre Land Nordrhein-Westfalen, affaire 14/83

    · CJCE, arrêt du 13 novembre 1990, Marleasing SA contre La Comercial Internacional de Alimentacion SA. - affaire C-106/89

    · CJCE, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer Gro§handel GmbH contre Löwa Warenhandel GmbH, affaires jointes C-397/01 à C-403/01

    · High Court of Australia, Campbells Cash and Carry Pty Ltd v. Fostif Pty Ltd, [2006], HCA 41

    · Tribunal de grande instance de Paris, jugement du 17 décembre 2013, n° 10-03480

    ·

    162

    Arrêt ORWI de la Cour fédérale de justice rendu en 2011

    · Cour de cassation, chambre criminelle, arrêt du 9 mars 2016, n° de pourvoi: 14-85325

    · CEDH, arrêt du 2 avril 2015, n° 63629/10 et n° 60567/10, aff. Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France

    · CJCE, arrêt du 14 décembre 2000, Masterfoods Ltd c. HB Ice Cream Ltd, aff. C- 344

    · Cour de cassation italienne, arrêt du 27 mars 2014, Fondiaria - SAI c/ Nicola Perrini

    · Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 17 juillet 2001, n° de pourvoi: 99-17251

    · CJUE, arrêt du 14 juin 2011, Pfleiderer, aff. C-360/09, AJDA 2011

    · CJCE , arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe c/ Commission, aff. C-155/79CJUE, arrêt du 6 novembre 2012, Europese Gemeenschap c./ Otis NV et autres, aff. C- 199/11,

    · CJUE, arrêt du 6 Juin 2013, C-536/11 Donau Chemie

    · Amtsgericht Bonn (Local Court Bonn), decision of 18-January-2012, case No 51 Gs 53/09 (Pfleiderer)

    · California Supreme Court, Keating v. Superior Court, 645 P. 2d 1192 (Cal. 1982)

    · Oberlandesgericht Düsseldorf (Düsseldorf Appeal Court), decision of 22 August 2012, case No B-4 Kart 5/11 (OWi)

    · High Court of Justice (UK first instance court), judgment of 04 April 2012, case No HC08C03243

    · U.S. Supreme Court, arrêt Mitsubishi Motors Corp. v. Soler Chrysler-Plymouth, Inc., 473 U.S. 614, 624-28 (1985)

    · U.S. Supreme Court, 27 avril 2010, 130 S. Ct. 1758 (2010) Stolt Nielsen S.A et al. v. Animalfeeds International Corp

    · Conseil constitutionnel français (décision du 25 juillet 1989, n° 89-257 DC, considérant 24

    · England and Wales High Court, Devenish Nutrition Ltd v. Sanofi-Aventis SA [2007] EWHC 2394 at [48]

    · Competition Appeal Tribunal, 2 Travel Group plc (in liquidation) v. Cardiff City Transport Services Ltd [2012] CAT 19 at [448]-[598], esp. [496] and concluding in [593][598]

    · Competition Appeal Tribunal, Albion Water Ltd v. Dr Cymru Cyfyngedig [2010] CAT 30

    163

    4

    5

    6

    7

    8

    TABLES DES MATIÈRES

    RÉSUMÉ

    .

    REMERCIEMENTS SOMMAIRE ABREVIATIONS

    .

    INTRODUCTION

    23

    24

    25

    25

    PARTIE 1 - RISQUE DES ACTIONS COLLECTIVES EN DROIT DE LA CONCURRENCE

    Titre 1 - Risque actuel

    Chapitre 1: Risque éthéré des actions collectives découlant du droit européen

    Section 1 - Une vocation limitée du droit européen à promouvoir les actions collectives.......

    §1) Champ d'application matériel du droit européen concurrentiel

    §2)

    32

    Droit substantiel de la concurrence comme assise à l'action individuelle Section 2 - Un accroissement prétorien de la capacité d'agir des victimes limité............

    §1) Extension du droit d'agir

    §2) Extension du préjudice

    39

    39

    Chapitre 2: Risque inégal des actions collectives découlant des droits internes

    Section 1 - Des régimes épars d'actions collectives dans les systèmes juridiques.................

    §1) Recommandation européenne sur les actions collectives

    §2) Hétérogénéité des actions collectives

    50

    Section 2 - L'extranéité des litiges et l'action collective..................................................

    §1) Risque du forum shopping : conflit de compétence

    §2) Insécurité juridique issue du conflit de loi

    62

    Titre 2 - Risque potentiel

    63

    63

    Chapitre 1 - Potentiel accru des actions collectives au travers de la directive sur les actions en dommages et intérêts

    Section 1 - Les modalités intrinsèques du private enforcement précisées............................

    §1) Champ d'application et prescription

    §2) Responsabilité solidaire des auteurs de l'infraction

    §3) Production de preuve par le défendeur ou un tiers

    §4) Actions collectives et cession du droit à agir

    80

    Section 2 - L'interaction renforcée entre public et private enforcement..............................

    §1) Autorité des décisions des autorités de concurrence

    §2) Production de preuve figurant dans le dossier d'une autorité de concurrence

    §3) Clémence et transaction

    93

    93

    Chapitre 2 - Obstacles pratiques à l'efficacité des actions collectives.........................

    Section 1 - Une prime économique à la faute toujours présente........................................

    §1) Apathie rationnelle de la victime et opt-in

    §2) Modèle contrefactuel et faute lucrative

    Section 2 - Une mise en jeu de la responsabilité ardue....................................................

    §1) Financement des actions collectives

    §2) Préjudice : caractérisation et répartition du surcoût

    PARTIE 2 - GESTION DU RISQUE PAR LE BIAIS DU RÈGLEMENT EXTRA-JUDICIAIRE

    Titre 1 - Opportunité des modes de règlements

    consensuels

    Chapitre 1 - Les différents modes de règlement consensuel

    Section 1 - La volonté du législateur de promouvoir les modes de règlements alternatifs des

    conflits

    §1) Une volonté ancienne du législateur

    §2) Les caractéristiques essentielles des modes alternatifs de règlement des litiges Section 2 - Les différentes opportunités de règlements consensuels.................................

    §1) Une solution proposée

    §2) Une solution imposée

    Chapitre 2 - Les modalités concrètes d'utilisation des règlements consensuels

    Section 1 - La nécessaire suspension de la prescription

    §1) Une diversité de régimes

    §2) Une harmonisation européenne

    Section 2 - Focus sur la transaction

    §1) La transaction : un outil adéquat

    §2) La transaction : un outil dangereux

    Titre 2 - Stratégie des modes de règlements consensuels face aux actions collectives....

    Chapitre 1 - Gestion opportune de l'action collective par le règlement extra-

    judiciaire

    Section 1 - La quête de la réduction du coût infractionnelÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉÉ

    §1) Enterrement du risque

    §2) Diminution du coût de l'infraction

    Section 2 - La course au règlement consensuel

    §1) Reliquat de la demande et règlement consensuel antérieur

    §2) Réduction du coût et course au règlement consensuel

    Chapitre 2 - Gestion intensive par l'entreprise de l'action collective et de son règlement

    consensuel

    Section 1 - Le traitement ex-ante : la compliance......................................................

    §1) L'affaissement du risque

    §2) La gestion pré-contentieux du contentieux

    Section 2 -L'utilisation de l'inefficience du droit positif.............................................

    §1) La désintégration de l'effet holiste de l'action collective

    §2) L'optimisation fiscale

    101

    110

    120

    134

    139

    144

    150

    164

    111

    112

    112

    131

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    140

    140

    148

    148

    165

    BIBLIOGRAPHIE .

    Ouvrages et notes

    Textes normatifs

    Rapports et documents officiels

    Jurisprudences

    154 154 157 159 161

    TABLES DES MATIÈRES 163

    166

    « Mon maître n'a pas d'entrailles et ce maître, c'est la nature des choses » Napoléon Bonaparte à Joséphine le 3 décembre 1806 à Posen






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo