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Un geste multidimensionnel


par Florent Aillaud
Université Paris VIII - Master 1  2014
  

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CHAPITRE 2 :

Du geste musicologique

Chapitre 2 Du geste musicologique

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« Le temps musical est si profondément lié au temps de la perception, et donc au temps de la
vie, que l'emprise corporelle et mentale qui en résulte peut atteindre l'envoûtement. Le corps
apparaît comme le lien entre le jeu et l'écoute : soit il produit la musique, soit il se soumet aux
emprises qui le règlent et le dérèglent. »58

Cécile Lartigau

1. L'interprète et l'oeuvre

1) De la nécessité de redéfinir le travail et les cercles de l'interprète moderne

a) L'interprète et le musicologue : un rapprochement en faveur de l'édification d'un profil d'« exécutant-herméneute »

Dans son ouvrage Les voix d'un renouveau, le musicologue états-unien Harry Heskel présente l'immédiate après Seconde Guerre Mondiale comme le point de départ d'un important rapprochement entre musicologues et musiciens.59 Loin d'être anodin dans l'histoire de la musique savante - rappelons en effet la distinction entre le musicus (le théoricien de la musique) et le cantor (l'interprète, le praticien) au Moyen-Age - ce recoupement des disciplines pratiques et théoriques est motivé principalement sinon essentiellement par la redécouverte du répertoire de musique ancienne dans les années 1920. Celui-ci engendrera la formation d'une Ecole d'interprétation à proprement parler revendiquant un historicisme musical. Signalons cependant que l'objet de notre étude n'est ni d'affirmer ni d'infirmer les positions de cette dernière ; par conséquent, nous nous refuserons ici de polémiquer sur la notion d'authenticité de l'interprétation musicale, qui ne saurait déboucher, à notre humble avis, que sur un débat sans fin. Néanmoins, mettre en évidence ce rapprochement entre musiciens et musicologues au milieu du XXe siècle a au moins le mérite de nous permettre de saisir l'évolution de posture de l'interprète moderne, lequel se doit de réaliser un travail minutieux sur et autour de l'oeuvre, d'une part dans le but d'élargir la vision qu'il peut

58 Cécile Lartigau, « Compte rendu journée avec Bernard Sève. Mercredi 27 Mars 2013. », p. 3, http://www.conservatoiredeparis.fr/fileadmin/user_upload/Voir-et-Ententre/pdf/CR-Cecile_Lartigau.pdf

59 Harry Heskel, « Le rapprochement des artistes et des chercheurs après la guerre », dans Les voix d'un renouveau, Villeneuve-D'ascq, Actes sud, 2013, pp. 253-257

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en avoir au premier abord, mais également afin de justifier d'autre part son geste musicien au travers d'une réelle conscience intellectuelle et musicale.

Ainsi, à travers l'étude du geste musicologique, il s'agit de présenter l'interprète non comme un simple « exécutant » mais comme un « praticien-chercheur », un « exécutant-herméneute »60. Cette conciliation de l'acte pratique de réaliser l'oeuvre instrumentalement et de l'acte plus analytique consistant à l'interpréter grâce à la discipline musicologique61 va de pair avec la complémentarité des deux dimensions du geste que nous développons dans ce mémoire. Et pour cause, si le travail de « chercheur » effectué par l'interprète se manifeste à travers la quête de perfection technique liée à son geste musicien (recherche de différentes sonorités, de doigtés plus appropriés afin de réaliser au mieux l'ensemble des paramètres musicaux écrits sur la partition, exprimer sa présence musicienne et son imaginaire musical au sein du monde sonore proposé à l'auditeur...), celui-ci s'exprime également via l'ensemble du travail de recherche musicologique réalisé sur l'oeuvre - c'est-à-dire l'étude de son contenu et de ses contours. En somme, la mission de l'interprète moderne peut se résumer à une volonté d'abolir la distinction - héritée de l'Antiquité et malgré cela encore usitée, comme le prouve l'acceptation actuelle du terme « musicologie »62 - entre musica pratica et musica speculativa.

b) L'interprète et le compositeur : un rapprochement en faveur d'une construction à la fois commune et multiple de l'oeuvre musicale

Notons qu'à partir du XXe siècle et encore davantage aujourd'hui, la relation entre le compositeur et l'interprète s'intensifie elle aussi considérablement - l'interprète cherchant de son côté des oeuvres nouvelles à présenter à son public quand le compositeur sera en quête, pour sa part, d'une personnalité musicale avec qui il pourra collaborer et échanger à la fois humainement et artistiquement le temps d'une ou de plusieurs créations. Nous concevons aisément qu'un dialogue entre ces deux artistes

60 Nous empruntons ici le terme d' « exécutant-herméneute » à Joël Jeuillon, lequel l'a employé durant son séminaire de Master à l'Université de Paris VIII (2nd semestre 2013-2014) intitulé « L'interprétation »

61 Précisons que nous entendons ici le terme « musicologie » au sens strict, c'est-à-dire en tant que musicologie historique et analytique.

62 « On désigne sous le nom de musicologie toute recherche scientifique effectuée sur l'art des sons, opposant ainsi la tâche du musicologue, qui pense la musique, à celle du compositeur ou de l'interprète, qui la font naître ou renaître », voir Danièle Pistone, « Musicologie », in Dictionnaire des Musiques, Paris, Universalis, p. 735

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permet de se forger une réflexion plus profonde sur l'oeuvre, tant dans sa conception originelle que dans sa réalisation instrumentale ; car même en admettant que l'oeuvre n'appartient plus véritablement à son compositeur, et ce dès l'instant où celle-ci est transmise à un interprète, connaître la pensée de son créateur fournit indéniablement au musicien une source d'information supplémentaire sur l'oeuvre - que le musicien peut prendre en compte et s'approprier, ou au contraire choisir d'ignorer.

A ce sujet, nous pouvons apprécier l'échange entre Ivan Fedele, compositeur, et Mario Caroli, flûtiste, lors d'une émission radiophonique enregistrée en 2010 et ayant justement pour thème la relation entre compositeur et interprète. Tous deux insistent sur la nécessité d'entretenir au sein de ce tandem artistique une relation humaine saine, ouverte au dialogue mais dans laquelle chacun préserve néanmoins sa place d'artiste à part entière et n'empiète pas sur l'espace de création de l'autre. Le flûtiste italien, dédicataire d'Apostrofe et de Dedica, écrites toutes deux en 2000, nous dit ainsi :

Je n'interviens jamais quand les compositeurs écrivent pour moi, à moins bien sûr qu'ils me posent une question d'ordre extrêmement technique. Mais alors je réponds toujours de manière extrêmement froide et neutre pour ne pas qu'il fasse ce que je veux. Car je pense que les artistes comme les interprètes ou les compositeurs sont les seuls êtres humains qui sont véritablement libres, et c'est cette liberté qu'il faut absolument garder.63

Cependant, nous comprenons aisément que cette froideur n'est qu'apparente ; en effet, chacun des deux protagonistes sait qu'il a tout à gagner dans ce partenariat artistique. Ivan Fedele concède d'ailleurs volontiers :

Personnellement, je suis très à l'écoute des interprètes comme des chefs d'orchestre, j'ai beaucoup appris et je continue à apprendre grâce à eux, parfois ce sont des détails, mais parfois

ce sont également des choses substantielles. [...] On ne naît pas compositeur, on meurt

compositeur. C'est une trajectoire, un parcours qui tend à une optimisation de notre travail. [...] Le compositeur doit considérer le moment de la création et du concert comme une étape à part entière dans l'évolution de sa pièce car la perfection, cela n'existe pas.64

Enfin, dans la mesure où cette réflexion apporte des informations, je me permettrai ici de retranscrire la note indicative que le compositeur et interprète français

63 La relation compositeur/interprète par Ivan Fedele, Mario Caroli, Centre de Documentation de la Musique Contemporaine, enregistré en 2010, disponible via : http://www.cdmc.asso.fr/fr/content/la-relation-compositeurinterprete-par-ivan-fedele-mario-caroli

64 La relation compositeur/interprète par Ivan Fedele, Mario Caroli, op. cit.

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Mathias Duplessy m'avait adressée lorsque je souhaitais travailler ses Deux Nocturnes pour guitare :

Sur ces deux pièces (et dans mon travail en général), n'hésitez pas à accentuer les nuances, j'aime quand la guitare est jouée très doucement (à peine audible) avec juste la pulpe dans les pianissimos et bien rentrer dans les cordes au moment des rares forte notés !!

Sur le Nocturne n°2 particulièrement, prenez des initiatives et des partis pris forts dans l'interprétation car elle est faite pour cela !

Si vous avez des questions, je suis là. Bon travail !

Ainsi, grâce à cette courte notice, je n'ai pas perdu mais au contraire gagné en liberté pour mon interprétation de l'oeuvre. De surcroît, recevoir des conseils du compositeur est toujours instructif, et lire cette note m'a certainement permis de mieux appréhender l'ambiance intimiste de la pièce et motivé pour apporter un soin particulier au son dans les nuances piano ainsi que dans l'attaque des cordes dans les basses.

2) Interpréter le contenu

a) Une plongée à l'intérieur du texte musical : l'analyse créatrice chez Pierre Boulez

« Voici venu le temps des Assassins »65 écrivait Rimbaud, « [v]oici venu le temps des Analystes »66 ironise aujourd'hui Molino. Afin de remettre les mots du sémiologue et anthropologue français dans leur contexte, signalons que cette comparaison pour le moins caustique fait précisément écho aux nombreuses critiques adressées au corps de musicologues spécialisés dans l'analyse musicale - dans le niveau dit neutre de l'oeuvre -, lesquels reçoivent fréquemment le reproche d'être déconnectés de la réalité musicale sous prétexte que leur champ d'étude de la musique s'éloigne d'une certaine manière du domaine du sonore. Dans notre étude focalisée sur le travail de recherche effectué par l'interprète, il s'agit non pas de considérer l'analyse comme une fin mais comme un moyen de mieux saisir l'oeuvre en appréhendant l'ensemble de ses dimensions et en appliquant directement l'interprétation du texte et de son contexte au geste instrumental à venir.

65 Arthur Rimbaud, OEuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1972, p.131

66 Jean Molino, Le singe musicien, Arles, Actes Sud, 2009, p. 205

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L'étude du contenu de l'oeuvre évoque la plongée de l'interprète à l'intérieur du texte laissé par le compositeur (ou l'arrangeur, d'ailleurs). Le contenu, quant à lui, est associé à la partition, l'ensemble des éléments musicaux, lesquels entretiennent entre eux des rapports dynamiques pour s'organiser d'abord spatialement sur la feuille de papier puis tant temporellement que spatialement dans le monde sonore qu'appelle cette partition. L'analyse concrétise, en somme, la confrontation d'un texte qui attend son interprète afin d'être reformulé, compris, assimilé et performé. Et si, comme a pu l'écrire Pierre Boulez, le texte musical ne doit pas être considéré comme « une suite logique d'opérations, mais une suite logique d'opérations illogiques »67 effectuées par son auteur, la légitimité du travail d'analyse n'en est pas pour autant altérée, bien au contraire. En effet, Boulez introduit dans Jalons une notion particulièrement intéressante : l'analyse productive (également nommée par l'intéressé analyse créatrice). C'est grâce à celle-ci que tout compositeur doit se nourrir et s'approprier les différents mécanismes liés à l'écriture musicale afin de se construire un style personnel et de produire des oeuvres à la fois uniques et qui lui ressemblent. De plus, remarquons que cette analyse se situe, selon ses dires, bien loin des carcans académiques, et n'a lieu d'être que par rapport au geste compositionnel à venir, c'est pourquoi il ajoute :

L'analyse productive est probablement, dans le cas le plus désinvolte, l'analyse fausse, trouvant dans l'oeuvre non pas une vérité générale, mais une vérité particulière, transitoire, et greffant sa propre imagination du compositeur analysé. Cette rencontre analytique, cette détonation soudaine, pour subjective qu'elle soit, n'en est pas moins la seule créatrice.68

Or si l'analyse productive chez Pierre Boulez s'applique exclusivement au métier de compositeur, il est tout à fait aisé d'effectuer un transfert sur celui d'interprète, car :

[e]n fin de compte, la démarche d'un interprète rejoint celle du compositeur ; il s'agit pour l'un comme pour l'autre, d'assurer une continuité mais, en même temps, d'assumer les aléas de la composition ou du jeu.69

Ainsi, à travers l'analyse textuelle comprise en tant qu'analyse créatrice, l'interprète consciencieux effectue en amont de son geste musicien un travail préparatoire qui nourrit son expérience musicale, développe son sens critique et stimule son imaginaire.

67 Pierre Boulez, « La partition transmise », Eclats/Boulez, Paris, Centre Georges Pompidou, 1986, p. 66

68 Pierre Boulez, Jalons (pour une décennie), Paris, Bourgeois, 1989, p. 37

69 Pierre Boulez, « La partition transmise », op. cit., p. 66

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b) En route « vers l'orient » du texte : l'analyse structurelle chez Paul Ricoeur

Dans son Essai d'herméneutique Du texte à l'action, le philosophe français Paul Ricoeur associe toute interprétation de texte à son analyse structurelle70 :

Interpréter, avons-nous dit, c'est nous approprier hic et nunc l'intention du texte. [...] Ce que veut le texte, c'est nous mettre dans son sens, c'est-à-dire - selon une autre acceptation du mot « sens » - dans la même direction. Si donc l'intention est l'intention du texte, et si cette intention est la direction qu'elle ouvre pour la pensée, il faut comprendre la sémantique profonde en un sens foncièrement dynamique ; je dirai alors ceci : expliquer, c'est dégager la structure, c'est-à-dire les relations internes de dépendance qui constituent la statique du texte ; interpréter, c'est prendre le chemin de pensée ouvert par le texte, se mettre en route vers l'orient du texte.71

Par ces mots, Ricoeur invite le lecteur - pour nous l'interprète, qui en quelque sorte lit la musique - à « dégager la structure » du texte musical avant toute chose, afin de comprendre l'intention du texte et se l'approprier. Arrêtons-nous cependant sur la notion de structure musicale, qu'il convient d'éclaircir pour continuer notre argumentation. Dans cette optique, présentons sans plus attendre les propos de Gabriel Sargent, lequel définit de façon pertinente le terme de structure :

[L]a notion de structure à long terme d'un morceau de musique peut faire référence à plusieurs objets. Elle reste cependant constituée d'une séquence d'entités que l'on désigne de manière générique par segments structurels. Ceux-ci durent en général plus de 10 secondes, et leur contenu est caractérisé par une étiquette. On peut observer l'existence de plusieurs types d'étiquettes : les étiquettes fonctionnelles [...], les étiquettes acoustiques, relatives à certaines propriétés du contenu musical, ou des étiquettes relatives à une tradition d'écriture [.]72

Par conséquent, en allant plus loin dans notre réflexion, nous sommes à présent à même de concevoir l'idée selon laquelle à travers l'analyse de la macro et de la microstructure, l'interprète s'approprie intellectuellement et sensitivement l'intention du texte musical. Il recrée ainsi un découpage, une organisation des éléments, auxquels il accole des étiquettes sémantiques qu'il s'agira de reproduire instrumentalement et de charger d'intentionnalité au moment de sa performance musicale. A titre d'exemple,

70 Ricoeur écrit à propos d'un texte littéraire, certes, mais appliquer cette notion au domaine musical est aisé grâce à la définition que celui-ci nous livre : « Appelons texte tout discours fixé par l'écriture ». Voir Paul Ricoeur, Du texte à l'action. Essais d'herméneutique II, Paris, Editions du Seuil, 1998, p. 154

71 Paul Ricoeur, op. cit., pp. 174-175

72 Gabriel Sargent, Estimation de la structure des morceaux de musique par analyse multicritère et contrainte de régularité, Thèse de doctorat en Informatique et systèmes aléatoires (mention traitement du signal), sous la direction de Frédéric Bimbot, Rennes, Université de Rennes 1, 2013, p. 12

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mentionnons la forme sonate : l'interprète qui analysera la partition et aura qui plus est en mémoire l'organisation classique de cette dernière saura mettre en relief les différents segments structurels, à savoir les deux thèmes entrecoupés du pont modulant puis la phase cadentielle dans l'exposition ; les rapports de dominante à tonique seront également mis en valeur dans les cadences conclusives et les thèmes dont les caractères seront intériorisés, assimilés, et donc d'autant plus contrastés auditivement parlant.

3) Interpréter les contours

Précisons que nous entendons ici par contours l'ensemble des éléments historiques directement ou indirectement liés à l'oeuvre musicale et que l'interprète, dans sa recherche d'informations la concernant afin de donner davantage de sens à sa performance artistique, doit saisir et s'approprier au même titre que le contenu.

Tout d'abord, notons que c'est grâce à cette recherche que l'exécutant-herméneute averti sera à même de choisir notamment l'édition de la partition qu'il jouera - soit parce que celle-ci est la plus proche de la version manuscrite, soit parce que les doigtés sont particulièrement pertinents par rapport au jeu instrumental, etc. Ce paramètre est très important à prendre en compte, et en particulier pour le répertoire de guitare classique. En effet, une grande partie de son répertoire constitué au XXe siècle a été dédicacée à l'illustre interprète espagnol Andrés Segovia, lequel n'a pas hésité à adapter - tacitement - la plupart de ces pièces à sa technique et à ses goûts (en modifiant des notes, des rythmes, parfois même des sections entières). Citons en exemple ci-après les mesures de la « Muñeira », sixième et ultime mouvement de la Suite compostelana de Federico Mompou, dans lesquelles nous pouvons remarquer - entre autres - la suppression de la voix aiguë aux mes. 125-126, la réduction de la texture sonore par la disparition des rasguados à six cordes mes. 126 à 134 et le changement d'harmonisation de la ligne mélodique mes. 137-138. Nous concevons donc aisément ici que l'étude des contours de l'oeuvre est directement liée à celle de son contenu et, par voie de conséquence, au geste instrumental et au monde sonore en devenir :

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a) Mes. 125 à 142 de la « Muñeira » extraite de la Suite Compostelana pour guitare seule de Federico Mompou, version Salabert73 (d'après la partition révisée par Segovia

b) Mes. 125 à 140 de la même oeuvre, version Berben74 (d'après le manuscrit de Mompou)

73 Federico Mompou, Suite compostelana, Paris, Editions Salabert, 1964

74 Federico Mompou, Suite compostelana, Rome, Berben, 1964

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D'autre part, et il s'agit presque d'une évidence, l'étude du contexte de composition de l'oeuvre permet de mieux comprendre l'intention de son auteur. Présentons en effet le cas du guitariste, compositeur et pédagogue Fernando Sor qui, à l'aube du XIXe siècle, refusait l'utilisation des ongles longs à la main droite pour attaquer les cordes, au profit de la pulpe seule. Le guitariste moderne qui souhaitera privilégier une esthétique historisante devra donc préconiser un jeu de main droite monopolisant le maximum de pulpe pour obtenir, même en ayant des ongles longs, un son le plus chaud possible pour jouer ses oeuvres - à part, bien sûr, lorsque des indications de timbre sont notées par le compositeur et l'incitent à modifier l'angle ou la zone d'attaque (près de la touche ou au contraire près du chevalet).

En outre, les dimensions esthétiques et esthésiques sont également importantes à prendre en compte dans l'appréhension des contours de l'oeuvre, et ce peut-être encore davantage aujourd'hui à l'heure d'Internet, qui offre à l'interprète la possibilité d'écouter d'innombrables enregistrements audio ou vidéo de la pièce qu'il étudie. Et pour cause, écouter une autre exécution de l'oeuvre, se confronter à une autre présence musicienne, alimente nécessairement l'expérience et l'imaginaire de l'interprète en lui proposant d'arpenter des versions et des visions différentes de la sienne - en terme de technique pure (doigté, articulation) et également d'esthétique.

Au terme de cette première partie de notre chapitre consacré au geste musicologique, nous sommes à présent à même de constater un changement de statut de l'interprète depuis le milieu du XXe siècle, qui demande un travail différent sur et autour de l'oeuvre que celui-ci étudie pour une performance artistique à venir. Ce véritable exécutant-herméneute, comme nous nous plaisons maintenant à l'appeler, se doit d'effectuer des recherches en profondeur sur le contenu et les contours de l'oeuvre, ceci dans le but de légitimer son geste musicien ultérieur et de se mettre « dans le sens » de cette oeuvre.

2. Transcription et arrangement : le geste musicologique par excellence ?

1) Transcription et arrangement : quoi, pourquoi, pour quoi, pour qui

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a) Définitions et problématisation

Nous souhaitons à présenter nous intéresser aux cas de l'arrangement et de la transcription musicale, qui apparaissent comme des actes de recherche tout à fait intéressants à étudier dans le cadre du geste musicologique. Afin de développer au mieux notre argumentation, il convient mettre en évidence tout d'abord la distinction entre ces deux termes :

En musique, le mot « arrangement » est employé d'une manière vague pour désigner toutes les adaptations possibles d'une oeuvre. Le plus souvent, cette adaptation est destinée à faciliter l'exécution, en transcrivant l'oeuvre soit pour un nombre d'instruments plus restreint, soit pour des instruments usuels. Dans certains cas, l'arrangement aboutit à une véritable caricature du texte original sous prétexte de le rendre plus facile et plus attrayant, généralement dans un but commercial. Il n'est donc pas étonnant qu'une connotation plutôt péjorative soit attachée au mot « arrangement ». Cependant, il arrive aussi que l'oeuvre originale ne soit pas simplifiée, mais au contraire rendue plus riche et plus complexe. Il existe donc de multiples formes d'arrangement, chacune pouvant être désignée par un terme plus explicite mais plus restreint : réduction, orchestration, transcription, paraphrase, etc.75

Comprenons bien, donc, que la transcription musicale est une forme spécifique que peut prendre l'arrangement. Le transcripteur qui se présentera comme tel sera donc animé par des préoccupations d'ordres esthétiques et techniques particulières :

[L]a transcription souhaite privilégier l'esprit musical. L'objectif est de transporter la musique dans une autre formation en plaçant l'esprit de l'oeuvre au centre de la préoccupation du transcripteur. Il porte une attention première sur la matière sonore comme élément principal de son projet. De ce fait, l'instrument est considéré comme un moyen de faire de la musique.76

Quoi qu'il en soit, l'arrangement et la transcription posent un problème musicologique pertinent à étudier, en ce sens où ils ne sont pas véritablement l'oeuvre originale écrite par le compositeur, mais se présentent néanmoins comme telle. Il s'agit par conséquent d'exposer les différents enjeux pouvant expliquer en quoi l'arrangement et la transcription peuvent avoir une réelle légitimité à la fois vis-à-vis de l'arrangeur, du compositeur, de l'interprète et de l'oeuvre originale.

75 Michel Philippot, « Arrangement, musique », consultable via : http://www.universalis.fr/encyclopedie/arrangement-musique/

76 Jonathan Vinolo, La transcription : un acte volontairement musical, Mémoire de Formation à l'enseignement spécialisé de la musique (Diplôme d'Etat, spécialité saxophone), sous la direction de Gildas Harnois, Nantes, CEFEDEM Bretagne - Pays de la Loire, 2010, p. 8

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b) L'âge d'or de l'arrangement et de la transcription musicale

Notons que c'est essentiellement à partir du XIXe siècle que l'arrangement et la transcription prennent une place très importante au sein la production musicale. Nous pouvons illustrer ce point au travers de différents facteurs. Pour commencer, remarquons que cette époque s'inscrit dans un contexte particulier, marqué par une nouvelle domination sociale, économique et culturelle de la bourgeoisie, laquelle souhaite pouvoir jouer chez elle les opéras et les symphonies entendues à la salle de concert, mais dans des formations instrumentales réduites et avec des difficultés techniques bien évidemment amoindries par rapport à l'oeuvre originale. Cet intérêt accru pour l'Art et la musique va de pair avec une très forte croissance de la pratique musicale amateur (essentiellement au sein de la bourgeoisie, par ailleurs) dès le début du siècle :

Or si le public du XIXe siècle était avide d'arrangements d'opéras, de transcriptions de mélodies, de quatuors ou de symphonies, il demandait une littérature facile, sur le plan digital, et de la compréhension aisée.77

La production de nombreuses transcriptions, afin de répondre à la demande croissante de la classe sociale dominante (réductions d'orchestre pour piano ou quatuors à cordes majoritairement), tout comme les arrangements à visée pédagogique, peut donc tout à fait s'expliquer de prime abord en regard des paramètres socioculturels du XIXe siècle - ajoutons d'ailleurs que la création de la SACEM en 1851 protègera juridiquement les transcripteurs et arrangeurs, et amplifiera d'autant plus ce phénomène.

Parallèlement, l'aspect économique doit également être pris en compte, en particulier pour le programmateur, car programmer un grand ensemble est très coûteux ; c'est pourquoi présenter au public un duo piano et violon, ou appeler un pianiste soliste reconnu qui pourra jouer des réductions d'orchestre virtuoses, permettra à la salle de concert - et aux musiciens ! - de réaliser bien plus de bénéfices. D'autre part, la transcription est sans doute le moyen de diffusion de la musique le plus efficace avant l'arrivée des médias de masse tels que la radio ou le disque ; c'est pourquoi de grands interprètes (comme Franz Liszt par exemple) s'y adonneront également :

Publier les réductions de piano des grandes pièces leur promettait ainsi une plus large diffusion au sein même des foyers que ne pouvait leur [les interprètes, ndlr] offrir le concert [...]. [C'est à] cette époque [que] la production de piano s'est industrialisée.78

77 Bruno Moysan, Liszt, Paris, Editions Gisserot, 1999, p. 10

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c) La transcription musicale comme enrichissement du répertoire instrumental

Après avoir mis en évidence les facteurs socioculturels et économiques qui ont favorisé l'accroissement de la production d'arrangements et de transcriptions à partir du XIXe siècle, nous pouvons maintenant aborder un tout autre enjeu les concernant : l'enrichissement du répertoire instrumental destinataire. Quel clarinettiste n'a pas un jour exprimé le regret que Jean-Sébastien Bach n'ait rien écrit pour son instrument ? Quel guitariste ne s'est pas plaint un jour que Mozart n'ait pas contribué à l'enrichissement de son répertoire ? Avançons ainsi dès à présent l'idée que l'arrangement et la transcription fournirent et fournissent encore aujourd'hui une solution aux musiciens pour jouer des oeuvres de compositeurs qu'ils n'auraient sinon pas l'occasion de présenter à leur public. Dans la même optique, Michel Philippot étayera ainsi notre propos :

[P]arfois, des arrangements furent faits, sans aucune préoccupation économique, mais semble-t-il, seulement avec l'intention de rendre exécutables, sous un habillement acoustique différent, des oeuvres admirées.79

Nous pouvons d'ailleurs aisément appuyer cette idée en citant en exemples quelques-unes des très nombreuses adaptations de la « Chaconne » extraite de la 2nde partita pour violon de Jean-Sébastien Bach : Ferrucci Busoni pour piano, Andrés Segovia pour guitare, John Gibson pour clarinette, Hideo Saito pour orchestre ou encore Pavel Taborsky pour flûte traversière...

Ajoutons d'ailleurs que précisément dans le cas de la guitare classique, la transcription a un rôle primordial. En effet, il s'agit d'un instrument dont la majeure partie de son répertoire s'est formée à partir de la fin de XVIIIe siècle. Ainsi, afin de pouvoir présenter à l'auditeur un panorama le plus large possible de l'Histoire de la Musique depuis la Renaissance, la transcription s'avère nécessaire. Le guitariste français Gabriel Bianco, vainqueur du prestigieux concours international de la Guitar Fondation of America en 2008, confirmera d'ailleurs cette thèse lors d'une émission télévisée enregistrée en Février 2013 :

Une part de notre répertoire est formée de transcriptions. Pour guitare seule, on va transcrire des oeuvres pour piano, pour violon, pour violoncelle parfois, et notamment chez Bach puisque la guitare classique telle que nous la connaissons n'existait pas à cette époque-là.80

78 Blaise Christen, Liszt et la transcription, http://musique.barmin.ch/textes/Liszt.pdf, 2009, p. 2

79 Michel Philippot, « Arrangement », dans Dictionnaire des Musiques, op. cit., p. 116

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2) Traduire c'est trahir, transcrire, est-ce trahir ?

a) Préambule

Mais que diray-je d'aucuns, vrayement mieux dignes d'estre appellés Traditeurs, que Traducteurs ? Veu qu'ilz trahissent Ceux, qu'ils entreprennent exposer, les frustrant de leur gloire, & par mesme moyen séduysent les Lecteurs ignorans, leur montrant le blanc pour le noyr [...]81

S'il est habituel de dire, à l'instar de Du Bellay, que traduire revient d'une certaine manière à trahir le texte et son auteur, la même idée se retrouve également en musique, et ce de manière récurrente. En effet, citons en exemples les mots de Michel Philippot, qui n'hésite pas à désigner l'acte de transcription, « [...] par sa nature, [comme] une traduction-trahison de l'oeuvre originale. »82 ou encore le titre même - bien qu'étant certes sur le ton de l'ironie - d'une émission diffusée sur France Inter en septembre 2011 ayant pour thème la transcription musicale : « La transcription, c'est l'oeuvre originale mais en moins bien ! »83

Néanmoins, doit-on nécessairement considérer que la modification de certains paramètres textuels du princeps originel, due à la nécessité d'adaptation de l'oeuvre pour un autre instrument - car un jeu instrumental particulier appelle lui-même forcément une technique d'écriture spécifique - engendre une trahison ?

b) Considérations esthétiques

Concernant la traduction langagière, le traducteur Pierre Leyris nous répondra a contrario que « [t]raduire, c'est avoir l'honnêteté de s'en tenir à une imperfection allusive »84. Ce dernier, en introduisant ici la notion d'honnêteté, prend ainsi totalement à contre-pied l'idée de trahison. Et de la même façon en musique, ne pouvons-nous pas affirmer que même si la transcription, vue sous l'angle de la traduction - en admettant

80 Propos transcrits d'après l'entretien enregistré lors de l'émission télévisée « Des mots de minuit » sur France 3 en Février 2013, visionnée sur youtube via : https://www.youtube.com/watch?v=O6aArfGfQgI

81 Joachim Du Bellay, La défense, et illustration de la langue françoyse, Chapitre VI, Imprimé à Paris, 1549, texte original consultable via : http://www.bvh.univ-tours.fr/Epistemon/B751131015_X1888.pdf, p. 13

82 Michel Philippot, « Arrangement », Dictionnaire des Musiques, op. cit., p. 119

83 Voir enregistrement de l'émission radiophonique, consultable via : http://www.franceinter.fr/emission-c-est-du-classique-mais-c-est-pas-grave-la-transcription-c-est-l-oeuvre-originale-mais-en-m

84 Voir journal quotidien Le Monde, 12 juillet 1974

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la pertinence de la comparaison entre musique et langage, elle-même sujette à débat - n'est pas parfaite du point de vue du respect textuel, sa légitimité n'en est pas nécessairement altérée ? Le compositeur et arrangeur Alain Romagnoli, lors de l'entretien qu'il nous a accordé85 en vue de l'élaboration de ce mémoire de recherche, répliquera que bien au contraire, une bonne transcription enrichit l'oeuvre en lui offrant la possibilité d'être redécouverte d'une manière différente.

D'un point de vue historique, il est vrai que jusqu'au XIXe siècle, une grande partie du monde musical considère l'oeuvre comme étant quasi-intouchable - à ce propos, nous pouvons tout à fait établir un lien de causalité entre cette conception de l'oeuvre et l'idée très importante à l'époque du « génie créateur », ou, dans le cas de la musique, du « génie compositeur ». La transcription ne serait donc pas perçue comme un geste noble, pour une partie des musiciens et critiques tout du moins, et ferait même perdre à l'oeuvre la puissance expressive et la portée symbolique de la musique originale pensée par son créateur.

Avec le XXe siècle et la redécouverte de la musique baroque, la notion d'authenticité de l'oeuvre d'art est peut-être encore davantage sujette à controverse. Ce regain d'intérêt pour ces musiques du passé va de pair avec une volonté de rejouer sur instruments d'époque, ou d'essayer tout du moins de retrouver des sonorités comparables grâce à des fac-similés. La transcription, au même titre que l'interprétation musicale, est donc également un terrain de clivages, où partisans des Ecoles historisante et romantisante avancent tous deux des arguments opposés. Harnoncourt, un des représentants de la première esthétique, écrit ainsi :

La volonté du compositeur est [...] l'autorité suprême, nous voyons la musique ancienne en tant que telle, dans sa propre époque, et nous devons nous efforcer de la restituer authentiquement, non pas pour des raisons d'historicité, mais parce que cela nous paraît aujourd'hui la seule voie juste.86

Or, la transcription modifie immanquablement certains paramètres de l'oeuvre : l'instrumentation de base (par définition), les hauteurs (dans le cas d'une transposition d'une tonalité vers une autre), quelquefois l'harmonie, les textures également, etc. Et si Harnoncourt considère que la transcription n'est pas un rendu authentique de l'oeuvre originale car le texte n'est pas respecté stricto sensu, René Leibowitz, quant à lui,

85 Voir annexe n°9

86 Nikolaus Harnoncourt, Le discours musical : pour une nouvelle conception de la musique, Paris, Gallimard, 1984, p. 16

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rétorquera qu'une bonne transcription telle qu'il la conçoit a tout à fait lieu d'exister et d'être jouée, dans la mesure où cette dernière participe précisément à :

un effort de radicalisme tel qu'il transcende même l'idée de la paraphrase au sens étroit du terme [...] et qu'un pareil approfondissement de la matière traitée justifie toutes les libertés que l'on s'autorise à prendre avec elle.87

D'autres comme Webern ou Stravinsky iront même plus loin et ne se soucieront guère de la notion d'authenticité, à la faveur d'un acte de transcription comme un « acte créateur à part entière »88 ; en témoignent notamment les transcriptions de Petrouchka réalisées par Stravinsky lui-même, pour orchestre réduit ou encore pour piano seul.

Par conséquent, même si le respect de la partition originale semble assurément primordial afin de transcrire au mieux une oeuvre musicale, il ne s'agit pas de l'unique paramètre permettant d'évaluer la qualité de cette transcription. Ferrucci Busoni, auteur d'une fameuse transcription pour piano de la célèbre de la « Chaconne » de Bach déjà citée plus avant, ira également en ce sens en soutenant, très justement d'ailleurs, que la notation musicale elle-même « est déjà transcription d'une idée abstraite. »89 Mais alors, sinon de la proximité textuelle avec l'oeuvre originale, à quoi tient une bonne transcription ? Alain Romagnoli, dans sa transcription personnelle du thème du « Cygne » extrait du Carnaval des animaux de Camille Saint-Saëns, adaptera l'oeuvre exclusivement en tremolo afin de donner l'illusion d'un son tenu - non réalisable à la guitare - et qui pourtant n'apparaît pas dans la partition originale. Pour lui, une bonne transcription ne réside donc pas dans sa proximité avec le texte originel ; elle sera avant tout la mieux adaptée à la technique instrumentale de l'instrument destinataire.

Ainsi, il serait plus judicieux, plutôt que de parler de « trahison » de l'oeuvre originale, d'employer les termes d' « adaptation » ou d' « ajustement », à la faveur d'une redécouverte de l'oeuvre pour l'auditeur, servant également la musique en général, en enrichissant le répertoire de l'instrument destinataire.

87 René Leibowitz, op. cit., pp. 122-123

88 Harry Heskel, op. cit., p. 141

89 Ferruccio Busoni, « Valore della trascrizione », dans Lo sguardo lieto, Editions Fedele d'Amico, Milan, 1957, p. 87

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3) Etude de cas : réalisation d'une transcription de la Sonate en ré majeur K.178 de Domenico Scarlatti

a) Comparaison des transcriptions de Leo Brouwer, Claudio Giuliani et David Russell

Dans ce point de ce chapitre, consacré à l'arrangement et à la transcription comme gestes musicologiques, il s'agit maintenant d'éprouver l'hypothèse selon laquelle cet acte technique et esthétique sert éminemment l'interprète dans le cas où lui-même le réalise en vue d'une performance instrumentale ultérieure. Pour ce faire, nous avons réalisé nous-même une transcription pour guitare classique de la Sonate en ré majeur K. 178 de Domenico Scarlatti, originellement écrite pour clavecin.90

Nous nous sommes tout d'abord attelés à un travail préparatoire, consistant à comparer le texte original et trois transcriptions préexistantes pour guitare seule, effectuées respectivement par le compositeur et guitariste cubain Leo Brouwer, le guitariste italien Claudio Giuliani et l'interprète écossais David Russell. Cette comparaison a pour objectif de noter toutes les différences entre la partition originale et les diverses transcriptions qui sont toutes trois fréquemment jouées par les concertistes. Grâce à ce travail, nous pouvons observer en outre les priorités esthétiques et techniques de ces trois musiciens. Seront ainsi notées ci-après les modifications effectuées par les trois arrangeurs en prenant en exemple - par souci de concision - les mesures 14 à 24 de ladite sonate.

90 Voir annexe n°10

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Partition comparée des transcriptions de Brouwer, Giuliani et Russell avec la partition originale pour clavecin. Mesures 14 à 24.

Chez Leo Brouwer91, tout d'abord, la volonté d'arranger l'oeuvre de Domenico Scarlatti en l'adaptant le plus possible à la technique instrumentale de la guitare classique est clairement affichée. La transcription se veut guitaristique et il semble évident que pour celui-ci, la qualité de la transcription ne dépend pas en premier lieu du respect pur et simple de la partition originale. Pour cette raison, c'est dans cette transcription que nous noterons le plus de différences et de modifications :

Ajout

- Liés mes. 15-16-17, qui plus est sur la partie faible du temps ou de la

mesure (déséquilibrant ostensiblement la dynamique rythmique lors de l'interprétation)

- Piqués mes. 18

Suppression

- Les sauts d'octaves mes. 15-16-17 deviennent un grave fixe. A noter

cependant que les trois sauts d'octaves au clavecin ne sont pas réalisables organologiquement à la guitare.

Modification /
Simplification

- Simplification de la partie de basse mes. 14 (suppression de l'ornement

sur le sol ainsi que du contrechant par mouvements contraires)

91 Voir Leo Brouwer, « Sonata in D major L. 162 / K. 178 », dans D. Scarlatti. 12 Sonatas transcribed for guitar. Tokyo, Gendaï guitar, 1983

- Rythme de la basse mes. 18, originalement une noire suivie d'un demi-soupir, qui devient ici une noire pointée (et qui va donc vraisemblablement sonner au-delà de la mesure 18).

- Modification importante de l'écriture à partir de la mesure 20 : la pédale de mi à la basse (degré V de V en ré majeur) reste, mais les autres voix sont fortement remaniées, avec la perte du contrepoint effectuée par la voix d'alto ou encore des renversements d'accords et des sauts d'octaves pour rendre ce passage plus aisé à réaliser par l'interprète.

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A contrario, nous pouvons observer une volonté chez Claudio Giuliani92 de rester le plus fidèle possible vis-à-vis de la partition originale pour clavecin, en reléguant au second plan la qualité d'adaptation à la technique guitaristique. Signalons quelques points intéressants :

 

- Une autre solution pour effectuer les sauts d'octave à la basse mes. 15-

 

16-17 est trouvée ici. Deux sauts d'octave sur trois sont ainsi effectués.

Modification

- Modification (ou oubli ?) du demi-soupir à la basse mes. 18,

transformant là aussi le rythme de noire en celui d'une noire pointée qui résonnera vraisemblablement encore mesure 19.

Sauvegarde

- Mordant sur la basse sol mes. 14, très difficile voire impossible à réaliser

malaisée

instrumentalement suivant le tempo pris par l'interprète guitariste.

Enfin, nous pouvons remarquer que David Russell93 réalise une transcription assez proche de celle de Claudio Giuliani, manifestant une volonté de rester au plus près de l'oeuvre pour clavecin, avec deux différences importantes à signaler néanmoins :

Suppression

La suppression de l'ornement sur le sol à la basse mes. 14, davantage guitaristique sans doute.

Modification /
Simplification

La modification surprenante de l'harmonie mes. 23 : l'accord de 9e mineure et 7e diminuée devient un accord de 7e diminué.

92 Claudio Giuliani, « Sonata K 178 L 162 in D major », dans Domenico Scarlatti. 82 Sonate, vol. 1, Roma, Berben

93 David Russell, « Sonate K 178 L 162 », dans Domenico Scarlatti. Six sonatas, Saint-Nicolas, Doberman

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b) La transcription de la sonate de Scarlatti : une oeuvre guitaristique ? Une oeuvre musicale ?

Suite à ce travail préparatoire, il a été intéressant de se renseigner sur le contexte de composition des sonates de Scarlatti et le rapport entre le compositeur et la guitare en Espagne au XVIIIe siècle. Ainsi, même s'il n'y a pas de trace écrite de sa rencontre avec l'instrument, il semble aujourd'hui évident que le compositeur italien a été fréquemment en contact avec la guitare pendant son long séjour espagnol, d'abord en 1729 à Séville, berceau du flamenco, puis à Madrid. En effet, la guitare est présente en Espagne depuis le Xe siècle tout comme de nombreux instruments de la même famille tels que la guiterne, le luth ou encore le oud.

D'autre part, notons que la tessiture utilisée par Scarlatti est - à de rares exceptions près - similaire à celle de la guitare. Des passages en arpèges font également penser à des techniques d'écriture tout à fait guitaristiques même si l'ajout de liés peut être pertinent afin de pouvoir exécuter cette sonate dans un tempo vif.

Notons également que la réalisation de notre transcription personnelle s'est faite non pas directement et uniquement sur papier mais avec la guitare à portée de main, afin de bien saisir ce qui était réalisable ou non (par exemple, certains ornements, conservés pourtant par Claudio Giuliani, semblent irréalisables à la guitare suivant le tempo pris par l'interprète), mais également pour adapter la transcription aux différents doigtés possibles et de relier ainsi intimement l'acte transcripteur à l'acte pratique, instrumental.

Nous sommes à présent tout à fait en mesure de confirmer que l'acte de transcription sert éminemment à la fois le geste musicien et le geste musicologique pour l'interprète qui aura lui-même cherché ses doigtés directement à partir de l'oeuvre originale, laquelle aura pu être analysée, irons-nous même jusqu'à dire « disséquée ». Celle-ci aura été à la fois adaptée à son instrument, mais également à sa propre technique digitale et à sa conscience musicale. L'appropriation de la sonate de Scarlatti aura donc déjà commencé avant même qu'on la travaille instrumentalement.

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3. L'association geste musicologique - geste musicien : dans la conscience imageante de l'interprète

1) La conscience imageante, de Sartre à Leibowitz

Dans Le compositeur et son double, René Leibowitz base une partie de sa théorie de l'interprétation sur le concept de conscience imageante, qu'il emprunte à Jean-Paul Sartre dans son Imaginaire publié quarante ans plus tôt. Nous souhaitons à présent nous intéresser à cette notion, déterminante pour lier les deux dimensions du geste que nous mettons en exergue au sein de ce mémoire de recherche. Par conséquent, il s'agit tout d'abord de présenter la conscience imageante sartrienne avant d'aborder son application dans le domaine musical chez Leibowitz. C'est ainsi que nous serons en mesure, à terme, de mettre en évidence l'existence d'un véritable trait d'union entre geste musicien et geste musicologique.

a) La conscience imageante sartrienne

Avant toute chose, il convient d'expliciter le terme d' « image ». Etymologiquement, ce dernier provient du latin imago, qui désigne « le trait de ressemblance qui marque une représentation et le relie à son modèle (imago a la même racine qu'imitor) »94. Dans L'imaginaire, le philosophe français Jean-Paul Sartre définit la notion d'image de la manière suivante :

Le mot image ne saurait donc désigner que le rapport de la conscience à l'objet ; autrement dit, c'est une certaine façon qu'a l'objet de paraître à la conscience, ou, si l'on préfère, une certaine façon qu'a la conscience de se donner un objet.95

L'image désigne donc une fonction de la pensée, une action de la conscience pour se représenter une chose, un concept. Elle n'est pas l'objet réel mais une représentation, nécessairement subjective de cet objet ; c'est une quasi-observation, car « [a]voir conscience d'une image, c'est avoir conscience d'une image vague. »96

94 Voir « Image, une notion à revisiter », consultable via : http://www.inrp.fr/Tecne/histimage/SoTeintro.htm

95 Jean-Paul Sartre, L'imaginaire, Paris, Gallimard, 1940, p. 17

96 Jean-Paul Sartre, op.cit., p. 28

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Nous en arrivons donc à présent au concept de conscience imageante, que Sartre expose en ces termes :

Cette conscience imageante peut être dite représentative en ce sens qu'elle va chercher son objet sur le terrain de la perception et qu'elle vise les éléments sensibles qui le constituent. En même temps, elle s'oriente par rapport à lui comme la conscience perceptive par rapport à l'objet perçu. D'autre part, elle est spontanée et créatrice ; elle soutient, maintient par une création continuée les qualités sensibles de son objet. Dans la perception, l'élément proprement représentatif correspond à une passivité de la conscience. Dans l'image, cet élément, en ce qu'il a de premier et d'incommunicable, est le produit d'une activité consciente, est traversé de part en part d'un courant de volonté créatrice. Il s'ensuit nécessairement que l'objet en image n'est jamais rien de plus que la conscience qu'on en a.97

Plusieurs points au coeur de ce texte semblent intéressants à étudier. Tout d'abord, Sartre distingue clairement conscience perceptive et conscience imageante. Cette dernière est qualifiée de créatrice, et fait donc appel à un imaginaire. Pour autant, il ne s'agit pas d'une imagination reproductive et statique, mais bel et bien d'une imagination créatrice et chargée d'une volonté, d'une intentionnalité que le penseur français juge incommunicable - dirons-nous plutôt non verbalisable. D'autre part, Sartre insiste sur le fait que l'image n'est aucunement l'objet lui-même mais uniquement la conscience que l'individu en a. Celui-ci aura ainsi conscientisé l'« image vague » d'un objet dont il n'aura retenu que les caractéristiques qui auront simulé son intellect et son imaginaire, c'est pourquoi un même objet acceptera autant de consciences imageantes que d'observateurs.

b) Réflexions autour de la conscience imageante appliquée à la musique chez Leibowitz

René Leibowitz, quant à lui, réutilise le concept de conscience imageante et l'applique au domaine musical afin de discuter de la notion d'authenticité en matière d'interprétation :

L'oeuvre est un imaginaire : si je dois l'interpréter, ma prise de contact avec elle, le fait que je la saisis, l'appréhende, la comprends, tout cela ne peut se réaliser qu'au travers de ma conscience imageante. Cela signifie-t-il que l'oeuvre est ce que j'imagine ? Oui et non. Elle ne l'est pas pour autant qu'il ne m'est permis d'imaginer n'importe quoi, puisqu'elle possède sa forme, sa

97 Jean-Paul Sartre, Idem, p. 27

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structure, ses nuances, sa durée, ses indications de tempo, etc. [...] Mais elle est tout de même ce que j'imagine en tant qu'elle est l'objet visé intentionnellement par ma conscience imageante.98

Remarquons que le musicologue français met ici sur le même plan l'oeuvre et l'imaginaire qu'elle suscite dans l'esprit de l'interprète : sa proposition sonore ultérieure sera à la fois l'une et l'autre. Mieux encore, celle-ci délivre à l'auditeur un sens possible de l'oeuvre autant qu'elle « révèle simultanément l'interprète lui-même »99, son expérience musicale et artistique, ses convictions esthétiques et ses goûts. Le non-respect du texte et la prise de libertés ne sera pas, selon lui, une trahison de l'oeuvre et de son compositeur, mais offrira seulement une vision de la pièce non authentique.

D'autre part, arrêtons-nous un instant sur les caractéristiques que Leibowitz accole à l'oeuvre musicale et qui selon lui empêchent d'une certaine manière l'interprète d'imaginer « n'importe quoi », à savoir la forme, la structure, les nuances, la durée, le tempo. Permettons-nous de nuancer ici ses propos, car un tempo, qu'il soit noté qualitativement (ex. Allegro moderato, Andante cantabile, etc.) ou quantitativement (ex. 126 à la noire), ne sera (oserons-nous le dire) jamais respecté stricto sensu. Ce sera davantage le caractère, vif ou allant, le souvenir - vague - du tempo pris généralement lors de l'exécution de la première phrase musicale avant de débuter la performance qui dominera, dans l'esprit du musicien, tout du moins, l'indication écrite par le compositeur. En témoigne la différence significative de tempo prise par Paco de Lucia100 et Pepe Romero101 dans leurs interprétations respectives de l' « Adagio » du Concerto d'Aranjuez de Joaquin Rodrigo : si le compositeur a bel et bien noté sur la partition l'indication « Adagio (? = 44) », le premier musicien est proche d'un tempo à

35-36 et le second de 50. Cette hétérogénéité manifeste ainsi une dissemblance dans la conscience imageante du chef d'orchestre et des deux solistes et n'empêche pourtant aucunement l'oeuvre de livrer une expressivité indéniable. De la même manière, les nuances, qu'elles soient notées ou non sur la partition, sont tout autant sujettes à être conscientisées de façons très diverses selon l'interprète, le type d'instrument, la sonorisation de la salle, etc. Et quand bien même nous saurions à combien de décibels équivalent un mezzo forte, faudrait-il s'efforcer de s'en approcher pour viser une quelconque idée d'authenticité ? Enfin, admettons également que dans un grand nombre d'oeuvres musicales, la structure et la forme - certes davantage à partir du XXe siècle -

98 René Leibowitz, Le compositeur et son double, op. cit., p. 27

99 René Leibowitz, Le compositeur et son double, op. cit., p. 28

100 Consultable via : https://www.youtube.com/watch?v=e9RS4biqyAc

101 Consultable via : https://www.youtube.com/watch?v=ye-FvKCZp3s

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sont également interprétables de différentes manières, de même que les étiquettes structurelles stimuleront la conscience imageante de l'interprète de diverses manières.

Pour terminer, reprenons les mots de Jean-Paul Sartre, lequel jugeait la conscience imageante « incommunicable » - nous avions alors préféré le terme non verbalisable. Et pour cause, le transfert du concept de conscience imageante dans le domaine musical par René Leibowitz nous permet de conclure en ces termes : la conscience imageante représente, dans l'esprit de l'interprète, une image, une vision éminemment subjective et nécessairement restreinte de l'oeuvre. Ajoutons qu'il existe autant de consciences imageantes possibles - et légitimes - de cette oeuvre qu'il existe d'interprètes, et que si cette conscientisation n'est pas verbalisable de manière claire et aboutie, elle trouve néanmoins un moyen d'être extériorisée, précisément à travers le monde sonore résultant de la performance instrumentale (ou vocale) offerte à l'auditeur par le musicien.

2) La conscience imageante, trait d'union entre geste musicologique et geste musicien ?

Après avoir explicité le concept de conscience imageante et l'avoir appliqué au domaine de l'interprétation musicale, il convient à présent de nous interroger sur la relation entre geste musicologique et geste musicien.

Rappelons qu'au cours du premier axe de notre mémoire de recherche, nous avions caractérisé le geste musicien comme étant l'acte conscientisé, à la fois intellectuel et physique, de l'interprète, lequel réalise l'ensemble des mouvements corporels et digitaux nécessaires à la réalisation instrumentale de l'oeuvre. Dans ce contexte, la conscience imageante peut être présentée comme le lien, le trait d'union entre geste musicologique et geste musicien en ce qu'elle concilie l'acte technique à l'acte intellectuel et sensitif. Le geste musicien se veut le plus perfectionné possible afin de donner au geste musicologique le meilleur transport possible à sa présence musicienne immiscée dans l'oeuvre musicale. C'est peut-être en ce sens, d'ailleurs, que nous devons prendre les mots du philosophe français Henri Wallon : « toute perception tend à se réaliser sur le plan moteur. »102 Le geste musicien apparaît donc comme une dimension du geste inhérente aux perceptions psychologiques et cognitives que l'interprète a assimilées au cours de sa recherche de sens à donner à l'oeuvre musicale.

102 Henri Wallon, De l'acte à la pensée, Paris, Flammarion, 1942, réed. 1970, p. 154

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Enfin, arrêtons-nous sur les propos de Michel Imberty, qui met en évidence l'importance de la proto-narrativité dans l'interprétation musicale, qu'il définit « comme une temporalité orientée qui organise les états émotionnels et cognitifs, et la musique peut alors apparaître comme la forme privilégiée de cette mise en temps des « éprouver » rapportés à la conscience-noyau de soi. »103 Selon Imberty, la capacité qu'a l'interprète à orienter son discours musical en gestes corporels chargés d'intention et de sens, ayant un commencement et une fin, est intimement liée à cette proto-narrativité, temporalité perçue intérieurement et garantissant au musicien une conscience de soi pendant l'acte de la performance artistique et créatrice.

En somme, nous pouvons maintenant tout à fait lier geste musicologique et geste musicien autour de la conscience imageante de l'interprète. Cette dernière lui permet de charger son jeu instrumental à la fois de son expérience, du savoir qu'il a accumulé sur et autour de l'oeuvre et enfin de ses convictions artistiques et esthétiques.

3) Synthèse : définition du geste musicologique

Au terme de ce second axe de recherche, nous pouvons considérer le geste musicologique comme étant une dimension à part entière de la gestique (dans son sens à la fois concret et métaphorique) de l'interprète musical. Il désigne le travail de recherche sur et autour de l'oeuvre qu'il souhaite présenter à terme à l'auditeur, au cours duquel il réunit un ensemble d'informations qu'il doit trier, assimiler et s'approprier afin de conscientiser cette oeuvre et se former une image subjective de cette dernière, qui représente à la fois l'oeuvre elle-même et la vision qu'il en a. La conscience imageante qui résulte de cette opération intellectuelle et sensitive devient alors son passeport pour présenter à l'auditeur un objet musical véritablement unique. Le geste musicologique est intimement lié au geste musicien puisque ce dernier est le moyen d'extérioriser sa conscience imageante de l'oeuvre ; plus il sera perfectionné et précis, plus son geste musicologique sera fidèlement retransmis lors de la performance musicale.

103 Michel Imberty, « Introduction : du geste temporel au sens », dans Temps, geste et musicalité, dir. M. Imberty et M. Gratier, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 30

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