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Dynamiques citoyennes et acteurs de développement en Afrique. L’exemple de la société civile ivoirienne.


par Hervé Rabet
Université Bordeaux Montaigne - Master II études interdisciplinaires des dynamiques africaines 2020
  

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Figure 19: Carte des principaux acteurs de la vie politique ivoirienne depuis 1960 (RABET,2020)

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La période que nous allons maintenant aborder va de 1990 à 2011. Celle-ci, qui concerne principalement la succession de Houphouët-Boigny, demeure le théâtre d'une construction identitaire et citoyenne gangrénée par la violence dont les principaux acteurs sont Henri Konan Bédié, Robert Gueï, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et les citoyens ivoiriens eux-mêmes.

Fin de règne

Les travaux de Claudine Vidal nous permettent de supposer que Houphouët-Boigny, sachant surement que son état de plus en plus délétère ne lui permettra pas d'achever son ultime mandat, prend un ensemble de décisions censées garantir sa paisible succession. La modification de l'article 11 de la Constitution en 1990, donne la possibilité à Henri Konan Bédié, alors président de l'assemblée nationale, d'achever le mandat présidentiel en cas de disparition du président. Une autre disposition, à savoir la nomination inédite d'Alassane Ouattara au poste de premier ministre est simultanément mise en oeuvre. Celui-ci dont la tâche principale est le redressement économique, est également garant de l'ordre public lors des nombreuses absences curatives du président (Vidal,2003).

Christian Bouquet ne manque pas de nous mentionner qu'hostile envers la modification de l'article 11 de la constitution, le Front Populaire Ivoirien (FPI) de l'opposant historique Laurent Gbagbo propose le 27 novembre 1993 la création d'une assemblée constituante et d'un gouvernement de transition dont la mission pendant 12 mois serait de réécrire la constitution et de concevoir un nouveau code électoral plus en adéquation avec les aspirations démocratiques du pays. (Bouquet,2005).

En vertu de l'application de l'article 11 de la constitution, Henri Konan Bédié succède à feu Félix Houphouët-Boigny le 7 décembre 1993. Deux mois de deuil national sont décrétés, durant lesquels les Ivoiriens contribuent à un immense rituel funéraire collectif. Le 7 février 1994, des chefs d'État et délégations du monde entier se rendent à la basilique de Yamoussoukro pour assister à la messe funéraire du père de l'indépendance ivoirienne. Ces funérailles extraordinaires, qui font l'unanimité, suscitent une conscience d'unité nationale. Cette unité au-delà de la symbolique, est également opérationnelle comme en témoigne les nombreuses mobilisations de toutes les catégories sociales et

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professionnelles sur l'ensemble du territoire. L'adieu au père de l'indépendance est pour la Côte d'Ivoire l'unique moment de son Histoire où le sentiment de fierté et d'appartenance des ivoiriens à la « nation ivoirienne » sont éveillés.

Les premières pratiques brutales qui transgressèrent les normes de la paix civile, revendiquée par le régime houphouëtiste comme son emblème, furent bien du fait de Houphouët-Boigny lui-même via l'action de son gouvernement. Que ce soit au travers d'assassinats de personnalités supposées trop en savoir sur la corruption gouvernementale par de mystérieux escadrons de la mort, de rumeurs de coups d'État commandités par l'opposition, de violences (tabassages, viols) à l'encontre des étudiants en mai 1991 et l'interdiction de leur nouveau syndicat ainsi que l'emprisonnement de leurs leaders ou encore de l'enrôlement de nervis (les « loubards ») par le pouvoir afin de maitriser les rues. L'arrestation, en février 1992, des organisateurs d'une marche de protestation parmi lesquels Laurent Gbagbo et le président de la Ligue ivoirienne des droits de l'homme (LIDHO), marque l'avènement de la loi anticasseur. Si elle ne le revendique pas dans le texte, cette loi induit par sa mise en oeuvre l'interdiction des citoyens de manifester. Paradoxalement, l'avènement du multipartisme, la libéralisation syndicale ainsi que celle de la presse a pour conséquence une rupture de l'équilibre fragile de la « paix civile » ivoirienne.

Le « dialogue à l'ivoirienne », qui permis à Houphouët-Boigny de parfaire sa stature de Sage et à la Côte d'ivoire d'être en « paix », s'est essentiellement reposé sur la capacité de Houphouët-Boigny à se montrer homme de modération, conciliateur, réconciliateur et parfois oppresseur. La ligne de conduite adoptée depuis la fin de la période de faux complot par Houphouët-Boigny fut pacifique. Cependant, à partir de 1990, il ouvre une ère de brutalisation de la vie politique et met en péril, ce qui aurait pu constituer l'essentiel de son héritage, à savoir l'évitement de la violence. Loin d'être perçues comme des épisodes passagers, les violences d'État commises lors des années 1991 et 1992 sont un basculement dans la pratique politique et citoyenne ivoirienne dans la mesure où elles ancrent définitivement la violence comme moyen d'expression politique acceptable (Vidal,2003).

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Succession politique

La nomination de Henri Konan Bédié à la tête du pays, n'est dans un premier temps pas reconnue par Alassane Ouattara qui se ravise très vite face à la réticence des militaires menés par le Général Robert Gueï à embrasser sa cause. Laurent Gbagbo, quant à lui réaffirme sa volonté du 27 novembre 1993, à savoir la constitution d'un gouvernement de transition dont la tâche principale serait la réécriture de la constitution ainsi que ses revendications de 1990 relatives au droit exclusif des autochtones à la propriété foncière et la suppression du droit de vote des étrangers favorables selon lui au maintien de l'hégémonie politique du PDCI-RDA.

Henri Konan Bédié, à partir de 1994, tente de s'inscrire dans la continuité de la politique d'ouverture de son prédécesseur en proposant un projet de loi accordant le droit de vote aux citoyens non-nationaux ressortissants de la Communauté Economique des Etats d'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), en application du protocole portant citoyenneté de la communauté et inscrits sur la liste électorale. Ce projet de loi rencontre une vive opposition menée par le FPI, qui obtient gain de cause le 8 décembre 1994 avec l'adoption d'un nouveau code électoral retirant le droit de vote aux étrangers. Les articles 49 et 77 du nouveau code électoral vont encore plus loin, en posant des conditions d'éligibilité présidentielle et législative nationalistes. Dès lors, il fallait disposer d'une ascendance ivoirienne remontant à au moins 2 générations, n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne et être résident de la Côte d'Ivoire pendant les 5 années précédent le scrutin en question sauf en cas de mandat international.

Alassane Ouattara, créateur du Rassemblement des Républicains (RDR) apparait comme victime principale de cette réforme électorale. L'ex premier ministre, né dans le nord de la Côte d'Ivoire de parents originaires de la Haute Côte Ivoire devenue Burkina Faso a occupé des fonctions au FMI avec la nationalité burkinabè. Malgré l'exclusion législative de Alassane Ouattara et le refus de la création d'une commission nationale électorale indépendante souhaitée par Laurent Gbagbo, la guerre de succession tant redoutée n'a finalement pas lieu mais il apparaît clair qu'aucun des trois principaux prétendants au pouvoir présidentiel, Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara ne désarmerait et que chacun se réserve pour l'échéance électoral de 1995.

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Les principales inquiétudes liées à l'élection présidentielle de 1995 relèvent des doutes populaires sur la capacité des 3 principaux prétendants à l'investiture suprême à respecter les modalités démocratiques. Le climat de grande peur, induit par l'annonce du décès d'Houphouët-Boigny, aurait pu devenir de plus en plus oppressant, jusqu'à susciter de dangereuses méfiances entre personnes et entre groupes supposés prêts à l'offensive. Là encore, rien de tel ne se passa et la peur se dissipa. Non parce que Henri Konan Bédié était devenu Président de manière pacifique mais parce que la Côte d'Ivoire toute entière s'est consacrée aux funérailles d'Houphouët-Boigny

L'élection présidentielle se tient le 23 octobre 1995. Elle est, pour l'opposition, essentiellement constituée par le Rassemblement des Républicains (RDR) d'Alassane Ouattara et du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, l'occasion d'user de la violence comme levier politique. Ce recours à la violence constitut une rupture essentielle des modalités de la confrontation politique qui avaient jusqu'alors existés. Bien que la gouvernance du Parti démocratique de Côte d'ivoire (PDCI) ne soit pas immaculée de violence, il en avait cependant l'exclusivité et usait de celle-ci en premier lieu à l'encontre des opposants politiques déclarés, des étudiants et des journalistes. Cette violence mobilisait ainsi des corps spécialisés : forces de l'ordre, personnel judiciaire, et plus rarement hommes de main.

Le président Henri Konan Bédié, durant les vingt-trois mois de sa présidence, ne se prive pas d'utiliser les moyens de coercition disponibles malgré sa volonté supposée de parvenir à une « démocratie apaisée ». Il faut dire que le PDCI-RDA, essentiellement composé des vieux éléphants zélés du parti, guère préparé au multipartisme, vient d'imploser : une partie de ses membres a rejoint le RDR de Alassane Ouattara, allié de circonstances du FPI au sein d'un front Républicain d'opposition

Cependant, Henri Konan Bédié, qui ne lâche rien ou presque rien, notamment en matière de transparence des élections, bénéficie d'un effet heureux de la dévaluation du franc CFA et tient pour l'occasion un long discours favorablement reçu par la population. Bien des signes montraient qu'il serait le vainqueur des élections présidentielles. En 1995, l'initiative de la violence est du fait des adversaires du pouvoir en place qui déclenchent, en octobre, un « boycott actif » des élections présidentielles. Ils engagent leurs militants dans le combat de rue, provoquant ainsi destructions de biens, pillages et morts. Le slogan

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du boycott actif lancé par le Front républicain tient en une formule : « empêcher la tenue des élections par tous les moyens possibles » (Vidal,2003).

Les répercussions les plus graves se produisent dans l'Ouest du pays où les communautés baoulés « allogènes » sont victimes d'exactions de la part des « autochtones ». Dans certains quartiers d'Abidjan, les manifestants se livrent à toutes sortes de brutalités et terrorisent ceux qui souhaitent voter. Cet épisode violent est rapidement contenu et l'ordre public très vite rétabli. Cependant, pour la première fois, depuis l'établissement du multipartisme, des organisations politiques ont volontairement provoqué un climat d'émeute qui aurait pu dégénérer en affrontements beaucoup plus meurtriers. Cet épisode a été favorable à l'émergence de deux formes de violence : les affrontements ouverts entre communautés rurales « autochtones » et « allochtones » et celle engendrée par la mobilisation des jeunesses urbaines défavorisées qui estiment qu'elles ont plus à gagner qu'à perdre dans ces désordres. De fait, les dirigeants politiques du front républicain ont pris une décision qui n'eut peut-être pas, sur le coup, des conséquences tragiques pour l'ensemble de la nation, mais qui rendit concevable en tant que moyen politique le recours à la violence de leurs partisans.

Devenu, malgré les tensions, président de la république ivoirienne par la voie des urnes, Henri Konan Bédié, doit faire face aux premières conséquences de la dévaluation du Franc CFA de 1994 qui transforme la récession, en crise économique. Pour la population, cela se traduit par une baisse des revenus liés aux produits d'exportation, notamment du cacao, première source de revenus du pays et premier secteur d'emploi (25% de la population) ainsi que par une hausse des prix des produits de consommation de base.

Le mécontentement populaire prend rapidement une dimension de conflit interethnique. Dans le cas du conflit opposant les bétés, ethnie de Laurent Gbagbo et les baoulés, ethnie d'Henri Konan Bédié, il semble que la rivalité ne concerne non plus seulement l'accession foncière mais traduit bien de la volonté des bétés de mettre fin à l'hégémonie socio-politique baoulé. Dans ce contexte, le Général Robert Gueï, refuse d'engager ses troupes dans les opérations de maintien de l'ordre de l'Etat, lors des violentes manifestations de septembre et d'octobre 1995. Il est condamné pour cela à de la prison mais bénéficie d'une grâce présidentielle ainsi que d'une retraite anticipée dans

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son village natal situé non loin de Man, dans l'ouest du pays. Il ne reviendra sur le devant de la scène qu'en 1999 (Bouquet,2005).

L'étranger dans la société ivoirienne

Dans le but d'apaiser les tensions sociales liées aux enjeux de nationalité, de propriété foncière et d'éligibilité politique, Henri Konan Bédié par l'intermédiaire de la Cellule Universitaire de recherche et de diffusions des idées des actions politiques de Henri Konan Bédié (CURDIPHE) tente de redéfinir le contrat social ivoirien en 1994 (Bouquet,2005).

Figure 20: Carte de la migration ouest africaine en Côte d'ivoire (TOBBI,2020)

Selon Alfred Babo, la période coloniale fut vectrice d'une immigration massive de pays voisins pour dynamiser l'économie de la colonie ivoirienne. La politique d'ouverture d'Houphouët-Boigny s'est inscrite dans la continuité de la politique d'intégration des

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étrangers menée par l'administration coloniale. C'est alors qu'en 1998, la Côte d'Ivoire compte 15 366 672 habitants dont 4 000 047 de non nationaux, soit 26 % de la population totale (Babo,2012).

La Côte d'Ivoire se présente donc comme une terre d'accueil pour les étrangers, principalement originaires d'Afrique de l'Ouest. Ces derniers, totalement intégrés à la société ivoirienne, bénéficient de conditions favorables d'accès à la terre, à l'emploi et au droit de vote. Si l'on considère l'intégration comme un processus qui mène au fait qu'une population dans un milieu donné ne pose plus de problème ni à elle-même ni à son environnement, alors à partir des années 1990 l'importante population d'origine étrangère en provenance d'Afrique de l'Ouest, a recommencée, comme en 1958, à poser un problème à la société ivoirienne. La politique de l'ivoirité, mis en oeuvre à partir de 1994 par le président Henri Konan Bédié, a fortement accentué si ce n'est influencé le regard nouveau porté par les Ivoiriens sur les étrangers et précipité la fracture sociale. (Babo,2012).

Au-delà de la définition de l'étranger comme un individu ne bénéficiant pas de la nationalité du pays dont il est résident, il convient de rappeler que la notion d'étranger est l'une des plus discutées dans la sociologie. Cela démontre que cette notion est évolutive, construite et déconstruite selon les paradigmes dominant de l'époque dans laquelle elle s'inscrit.

Nous pouvons légitimement nous interroger sur l'influence politique exercée par l'administration où celle du discours populaire dans le processus de construction de la représentation de l'étranger au sein d'une société. Sur la base de la dialectique de l'intériorité et de l'extériorité, l'idéal-type de l'étranger, est défini comme celui « d'une personne arrivée aujourd'hui et qui restera demain » et dont l'obligation ou le désir de rester dans le pays d'accueil provoque, inéluctablement la naissance de relations entre l'immigré et ce pays (Simmel,1908).

S'inspirant de l'analyse simmélienne, Otthein Rammstedt définit l'étranger comme le symbole des relations entre hommes, mais souligne surtout que l'objet sociologique de l'étranger pose l'unité entre le détachement d'un point spatial et la fixation à ce même point. Si la notion d'étranger s'est construite chez Simmel avec l'idée d'espace et de

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mobilité, on peut noter que les nouvelles formes de mobilité et le lien disparate des immigrés avec leurs pays d'origine permettent de repenser cette notion (Babo,2012).

Mahamadou Zongo montre comment en l'absence de relations avec le territoire d'origine, des enfants de parents burkinabés, nés en Côte d'Ivoire, sont doublement étrangers. Considérés comme des étrangers en Côte d'Ivoire, ils le sont également au Burkina Faso où la majeure partie d'entre eux d'entre eux ont été contraints de rentrer par la force à l'occasion du conflit foncier de Tabou en 1999 et de la crise militaro-politique débuté en 2002.

Finalement, ces « diaspos », ont eu le sentiment d'être des étrangers chez eux, comme en témoigne un émigrant en 1945 : « Le pays étranger n'est pas devenu notre patrie, mais notre patrie est devenue un pays étranger ». Si cela est vrai pour les premiers émigrants, c'est encore plus vrai pour leurs descendants qui ne disposent d'aucunes attaches au lieu de provenance de leurs parents. Toutefois, contrairement à ce qu'affirmait cet émigrant en 1945, le pays étranger est devenu bien leur patrie. Ainsi, dans le cas des jeunes burkinabè, beaucoup d'entre eux sont retournés en Côte d'Ivoire où ils se sentent membres à part entière de la société d'accueil. Si nous nous inscrivons dans la perspective de Georg Simmel, ces reflux montrent que l'étranger ne demeure pas en dehors de la société d'accueil. Bien au contraire, « l'étranger est membre du groupe et la cohésion du groupe est déterminée par le rapport particulier qu'il entretient avec cet élément » (Zongo,2003).

Mais ce que ne révèle pas G. Simmel, c'est le fait que les rapports sociaux dans la construction ou la déconstruction de la notion d'étranger changent sous l'effet de facteurs sociaux, économiques et politiques. Ainsi l'intégration de l'étranger fait parfois place à son rejet. Historiquement, l'appel, voire la course à l'étranger, considéré comme principale richesse dans le cadre de la frontière interne, fut à la base de l'établissement de communautés plus larges et plus développées dans les sociétés précoloniales ouest africaines (Babo,2012).

Plus récemment, en Côte d'Ivoire, comme dans plusieurs pays africains, le tutorat a été le principe des relations à la fois sociales, affectives et sacrées qui se sont nouées entre les membres des communautés locales et « leurs étrangers ». Cependant, la crise du tutorat lui-même ainsi que les mutations subséquentes dans ces relations dues aux

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revendications et aux émancipations des «étrangers» sont à la base d'une nouvelle citoyenneté.

En Europe comme en Afrique, les «étrangers» qui sont installés revendiquent désormais des droits sociaux et politiques dans un monde où paradoxalement les instruments qui ont contribué à son ouverture sont également sources de craintes et de repli sur soi. L'inscription sur les listes électorales est le premier rapport entre un individu issu de l'immigration et l'accession à la citoyenneté (Césari, 1993). Mais on ne saurait limiter la citoyenneté aux droits politiques, car chez Pierre Milza, ou encore Dominique Schnapper, l'acquisition de droits sociaux est une des premières voies pour accéder à la citoyenneté. Cette nouvelle citoyenneté ne serait plus « purement représentative » mais « participative et collective », liée à « une implication effective dans la vie locale » En effet, l'individu étranger ne souhaite plus être assimilé à la notion d'immigré rattaché à une considération de l'étranger comme un individu « assisté et objet de la politique », mais bien à celle de citoyen à part entière ayant des droits et des devoirs. Il veut ainsi établir de nouveaux rapports non plus d'assistance ou d'entraide, mais d'égalité au sein de la communauté de citoyens qui l'accueil.

L'accès à la citoyenneté marque de nouveaux rapports d'égal à égal avec autrui, effaçant ainsi toutes différences, en particulier dans la vie civique (Withol de Wenden,1996). Cette transformation à la fois mentale et administrative révèle un paradoxe de l'intégration ivoirienne, provoquant un sentiment de répulsion de l'étranger croissant à l'origine d'une idéologie telle que l'ivoirité (Babo,2012).

L'ivoirité

C'est à travers l'expérience social de l'ensemble de ses individus qu'une société définit sa représentation de l'étranger qu'elle exprime à travers sa culture (Baxandall,1981). L'expérience sociale en Côte d'Ivoire, au début des années 1990, a été marquée par une crise d'identité à travers l'ivoirité (Babo,2012).

Tentative de Konan Bédié de conciliation d'un chauvinisme structurel des peuples ivoiriens et de l'écriture de sa propre légende au coeur d'un nouveau contrat social ivoirien, l'ivoirité s'appuie aussi sur une autre composante, qui va précisément à

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l'encontre des principes qui en font un instrument utile et sain d'unité nationale et de clarification de la citoyenneté ivoirienne.

Dans la mesure où, par son signifiant, elle implique une définition essentialiste du peuple ivoirien, l'ivoirité est conçue comme l'idéologie d'un pouvoir instrumentalisé par l'Etat qui se doit d'être dirigé par un Homme fort pour atteindre son plein potentiel (Vidal,2003). Nous retrouvons ici les derniers vestiges des apprentissages idéologiques communistes d'Houphouët-Boigny.

La légitimité prétendue de Henri Konan Bédié repose sur plusieurs considérations ethnico-politiques. La première, est que son occupation de la plus haute fonction de l'Etat démontre de sa force et de son exemplarité. La seconde, est que son origine baoulé lui assure une légitimité sociale à gouverner le pays. Henri Konan Bédié ainsi que bon nombre de représentants éminents de l'appareil d'État et du PDCI-RDA de l'époque, sont baoulés, ethnie du pays akan implanté dans les parties orientales et centrales du Sud ivoirien.

Henri Konan Bédié s'inscrit à la fois dans la continuité du culte de la personnalité instauré par Houphouët-Boigny mais également dans la rupture en tentant d'étendre celui-ci à un culte de l'univers akan. Ce culte, reflet d'une vision ethnocentrée de ceux qui exerçaient jusqu'alors le pouvoir et au travers duquel l'ivoirité, par un pur jeu autoréférentiel, pouvait prendre sa pleine dimension d'idéologie nationale (Vidal,2003).

Soutenue par un appareil d'intellectuels et d'écrivains rassemblés au sein de la Cellule Universitaire de Recherche et de Diffusion des Idées du Président Henri Konan Bédié (CURDIPHE), la justification de la légitimité de l'ivoirité repose sur deux arguments principaux. Le premier ethnocentré, admet que les traditions, les systèmes de pensées et d'organisations akans sont les plus à même de servir de moteur à la modernisation du pays. Henri Konan Bédié prend inspiration sur les « Dragons d'Asie » dont la croissance spectaculaire à partir des années 1990 s'est appuyée sur un profond enracinement culturel permettant l'émergence de régimes forts encadrant les sociétés dans leurs processus de développement. Henri Konan Bédié considère également que l'organisation sociale baoulé bénéficie d'un harmonieux équilibre entre une « aristocratie » qui exerce le pouvoir et une « plèbe », travaillant la terre et prédisposée à l'obéissance au pouvoir

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(Bédié, 1999). De filiation royale tribale, Henri Konan Bédié s'estime ainsi être le légitime leader de la nation ivoirienne.

Autrement dit, l'entreprise de Henri Konan Bédié est une tentative de conciliation de l'héritage de Houphouët-Boigny et de son propre legs, s'appuyant sur l'expérience historique ivoirienne par laquelle le monde baoulé n'a cessé de jouer au sein d'une Côte d'Ivoire où se conjuguaient croissance économique et stabilité politique, tout à la fois le rôle des gens de la terre et des gens du pouvoir, et de figurer ainsi au premier plan de la vie nationale.

Cependant, malgré cet héritage essentiel, deux choses distinguent l'ivoirité de Henri Konan Bédié de la politique ethnocentrée d'Houphouët-Boigny. Contrairement à cette dernière elle n'est pas compensée par les subtils rééquilibrages ethnico-régionaux dans l'accès à l'appareil d'État qu'Houphouët a pu d'autant mieux se permettre que, durant la période du « miracle ivoirien », l'État fut un remarquable fournisseur d'emplois et redistributeur de deniers publics, donnant au contraire à l'ivoirisation des emplois publics, notamment des hautes fonctions politico-administratives, une tonalité nettement baoulé, assimilant plus que jamais l'exercice du pouvoir à l'ethnocratie baoulé.

Mais l'ivoirité se distingue encore plus nettement par le fait d'utiliser la « baoulisation » comme un modèle de défense d'intérêts plus étroitement nationaux, c'est-à-dire en rompant effectivement avec cette autre dimension de la politique « houphouëtienne » qui a permis à quantité d'étrangers de travailler en Côte d'Ivoire et de s'y assimiler. Autrement dit l'ivoirité en faisant du monde baoulé, et plus largement akan, son fer de lance exclusif, attise le sentiment d'exclusion des régions du nord méprisées depuis l'indépendance et des krous, leurs principaux rivaux ethnique et politique. (Babo,2012)

La tentative de redéfinition du contrat social ivoirien par Konan Bédié est désavouée dans un contexte où plus du tiers de la population issue de l'immigration est exclu de la communauté ivoirienne, dès le début des débats sur l'ivoirité. Sur une considération ethno-politique, les individus présents dans le nord du pays commencent à être considérés comme des citoyens de « seconde catégorie » par les populations présentes dans le sud du pays qui s'estiment être « les véritables ivoiriens ». Au sein des espaces urbains tel que celui du district d'Abidjan, l'essentiel de l'activité économique informelle

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est réalisé par des immigrés. Cela a pour effet d'accentuer la stigmatisation des populations du nord du pays amalgamées à la figure de l'étranger spoliant le travail des ivoiriens (Babo,2012).

La rivalité politique qui oppose le Parti Démocratique de Côte d'ivoire -Rassemblement Démocratique Africain (PDCI-RDA) de Henri Konan Bédié, le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Rassemblement des Républicains (RDR) d'Alassane Ouattara a pour conséquence l'instrumentalisation de la quête d'identité populaire, transformant celle-ci en une lutte intercommunautaire plus en plus violente, contribuant à la brutalisation la société urbaine. L'élection présidentielle de 1995 boycottée par l'opposition est un moment clef de la légitimation politique de la violence et d'un enrôlement inédit des jeunes sous des bannière politique et partisane.

Dans les régions rurales de l'Ouest, les revendications foncières autochtones font particulièrement échos auprès des jeunes déscolarisés et sans emploi, rentrés dans leurs villages en quête d'un lopin de terre, qui en viennent à s'organiser de façon martiale et autonome pour défendre ce qu'ils considèrent être « leur territoire » et à en chasser toute personne considérée comme étrangère.

Dans la seconde moitié des années 1990, bien avant le surgissement de la violence armée, on voit ainsi se multiplier dans les villages et les petites localités du Sud-Ouest ivoirien, des mouvements d'autodéfense et des milices plus ou moins ethniques dirigées contre les allogènes. En réaction, les allogènes s'organisent en structures analogues. L'institution sociale du « barrage » se développe ce moment-là, avec ses règles et ses acteurs, et la violence milicienne devient maître dans certaines régions, prenant parfois la forme de pogroms comme à Tabou, près de la frontière libérienne, en novembre 1999 (Vidal, 2003).

Quelques années plus tard, on retrouvera pendant la guerre, certains « barragistes » dans des groupes d'autodéfense villageois, reproduisant leur savoir-faire du road-block dans la lutte patriotique contre les « assaillants » rebelles, ou le réaffecte à d'autres fonctions miliciennes.

C'est dans ce contexte de contingence des luttes sociales et politiques que s'amorce la transition militaire, qui accélére malgré elle, la militarisation et la « milicianisation » du champ politique ivoirien. Cependant considérer le putsch de 1999 comme le basculement

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de la société ivoirienne dans la violence est une erreur manifeste. La violence était déjà considérée, par l'essentiel de la population, comme partie intégrante du système, comme indiquent les nombreux témoignages des victimes des faux complots d'Houphouët-Boigny ou de la coercition importante du régime Bédié. La chasse aux étrangers de 1958 menée par les partisans de la LOCI qui a mené à la création de la JRDACI est également témoin de cet usage antérieur de la violence comme levier de décision politique.

Hormis les épisodes précités des années 1990, l'usage de la violence politique, toutefois, n'était pas ostentatoire comme dans certains pays ; elle était plus subtile et ciblée. La stabilité du régime était plus assurée par le clientélisme institutionnalisé que par la terreur. Certes, l'armée occupait une place importante dans le système, notamment au sein de l'administration (douanes, corps préfectoral) et des entreprises publiques, où les officiers étaient nombreux. Mais, sur le plan symbolique, Houphouët-Boigny a toujours veillé à déconnecter l'appareil militaire du processus de légitimation politique. Le « Président-planteur » tirait son aura d'autres registres que celui du fusil. Se méfiant de sa propre armée, il la choyait financièrement et toléra la pratique de la corruption de la part de ces derniers. Il s'est tout du long de son règne reposé quasi exclusivement sur la « vieille amie » française pour assurer la sécurité de son pays et faisait en sorte que les FANCI (Forces armées nationales de Côte d'Ivoire) demeurent une armée fantoche, composée d'officiers fidèles, cantonnés à des taches de maintien de l'ordre (Vidal,2003).

L'incapacité des héritiers d'Houphouët-Boigny à fédérer la nation et à proposer un avenir prospère au pays, a sans doute effrité l'allégeance de l'armée dont le principal leader Robert Gueï se trouvait exilé dans son village natal pour insubordination depuis quelques années.

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B. Résistance patriotique et rébellion : brutalisation de la pratique citoyenne ivoirienne Transition militaire et exclusion politique

D'après les travaux de Christian Bouquet nous pouvons estimer qu'en 1999, après 6 années de gouvernance de Henri Konan Bédié, la situation du pays est alarmante. La Côte d'Ivoire fait face, à l'escalade de la violence interethnique entretenue par la rivalité entre le Front Populaire Ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et le Rassemblement Des Républicains (RDR) d'Alassane Ouattara, une crise économique, une corruption généralisée, un népotisme ostentatoire et surtout un désengagement des bailleurs de fonds internationaux.

Si le coup d'Etat du 24 décembre n'est pas du fait d'une mobilisation sociale mais bien d'une initiative militaire, il ne souffre d'aucune hostilité populaire. Dans ses premiers discours, le « Général-Président » Gueï fait l'unanimité populaire par son appel à la paix, la réconciliation nationale et la tolérance. Sa ligne politique est celle du renouveau et de l'assainissement des organes de gouvernance du pays. En outre il déclare ne pas aspirer au pouvoir et s'engage à se retirer une fois les conditions d'un suffrage universel sain établies.

Adepte du multipartisme, il consulte dès le 27 décembre 1999, 48 formations politiques sur 112 recensées pour la composition de son gouvernement de transition. Si celui-ci eut pour vocation de faire redescendre les tensions interethniques, il ne fera hélas que les attiser. Sa composition jugée « trop nordique », pousse le FPI à décliner sa participation. Il obtiendra 2 postes supplémentaires pour revenir sur sa décision. Il faut dire que le spectre d'Alassane Ouattara, président du RDR alors en exil politique, cristallise l'action du FPI et la vie politique ivoirienne (Bouquet, 2005).

Le putsch de 1999 créer inexorablement une rupture entre la Côte d'Ivoire et le reste monde. La nature putschiste du régime de Robert Gueï est inacceptable pour la communauté internationale dans la mesure où celui-ci vient se substituer à un président élu démocratiquement. En interne, la situation de conflit s'accentue avec de nombreux affrontements observés dans l'ouest du pays. Accusé de complaisance à l'égard des étrangers par le FPI, le Général-Président Robert Gueï, dont les velléités de durée

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politique se sont finalement révélées, s'aligne au fil de sa régence sur la ligne politique du FPI et du PDCI-RDA. Il déclare ainsi le 28 février 2000 que l'ivoirité est un « bon concept ».

En adéquation avec le discours démocratique du Général-président Gueï, le Comité National de Salut Public (CNSP) propose en janvier 2000, un calendrier électoral comprenant un référendum sur la constitution en juillet, une élection présidentielle en septembre et une élection législative en décembre. Ce référendum est l'occasion d'un arbitrage citoyen relatif aux conditions d'éligibilités des candidats à l'élection présidentielle, présentes dans l'article 35 de la nouvelle constitution ivoirienne. Le débat public s'articule essentiellement autour du conflit politico-ethnique opposant le FPI de Laurent Gbagbo et le RDR de Alassane Ouattara sur l'éligibilité de ce dernier (Bouquet, 2005).

Marc le pape met en exergue qu'au coeur de ce conflit, se trouve un antagonisme entre deux thèses irréconciliables. D'un côté, les preuves de la nationalité d'Alassane Ouattara sont fausses et en outre il s'est prévalu d'une autre nationalité de ce fait il ne peut donc être candidat. La déclaration de Henri Konan Bédié en 1999, qui qualifie Ouattara de « burkinabè qui n'a pas à se mêler de nos affaires de succession » démontre du ressentiment du sud ivoirien à l'égard du président du RDR. De l'autre, l'identité ivoirienne d'Alassane Ouattara est affirmée, démontrée, et sa négation est vécue comme un acte insultant, humiliant pour ceux dont le nom, l'origine et la carte d'identité rapprochent de lui (Le pape, 2003).

A de fréquentes reprises, l'ancien Premier ministre doit présenter, lors de ses discours, la généalogie témoignant de ses origines ivoiriennes (Le Pape,2003). C'est ainsi, qu'en août 1999, à l'occasion du congrès de son parti il se déclare candidat à la présidentielle malgré les conditions requises en matière de nationalité, de filiation et de résidence qui sont censées l'en empêcher. Il se justifie à travers les propos suivants : " Ma mère Hadja Nabintou Cissé, originaire de Gbéléban au nord-ouest de la Côte d'Ivoire, vit à Cocody, et tout le monde la connaît. Mon père, El Hadj Dramane Ouattara, originaire de Kong au nord-est de la Côte d'Ivoire, installé naguère à Dimbokro, y était bien connu, notamment par le président Félix Houphouët Boigny, et notre cour familiale est toujours là, habitée par mon frère Sinaly Ouattara. Je suis né à Dimbokro et tout le monde le sait".

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Pour comprendre l'intensité des passions suscitées par ce problème de nationalité, il est nécessaire de rappeler qu'elles ne sont que la conséquence de l'usage de l'ivoirité dans la vie publique et politique. L'ivoirité ne recouvre rien de précis, c'est ce qui fait sa force. Malgré des conditions hostiles, Alassane Ouattara se présente malgré tout à l'élection présidentielle (Le pape,2003).

L'avant-projet de constitution présenté le 28 février par la Commission consultative constitutionnelle et électorale (CCCE), va dans le sens d'un durcissement des conditions d'éligibilité. Ainsi l'article 35 stipule que : « le président de la République doit être ivoirien d'origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Il doit n'avoir jamais renoncé à la nationalité ivoirienne et ne s'être jamais prévalu d'une autre nationalité. En outre il doit avoir résidé sur le territoire ivoirien les 5 années précédent le scrutin duquel il est candidat ».

Si les conditions de présence sur le territoire et la non prévalence d'une autre nationalité sont clairement des critères qui vise à l'éviction politique de Ouattara, la procédure de justification de l'ascendance nécessaire à l'éligibilité politique et à l'accès à la citoyenneté ivoirienne est perçue comme une exclusion par la population présente dans le nord du pays, issue pour la majorité de la tradition d'immigration ivoirienne (Bouquet,2005).

Le changement de vocable des opposants à la candidature de Ouattara transformant « l'ivoirité » en « identité ivoirienne » ne parvient pas à masquer la dimension xénophobe de l'application politique de celle-ci. D'autant plus que le RDR est alors accusé par son opposition et la Ligue ivoirienne des droits de l'homme (LIDHO), d'entretenir une vaste fraude à la carte d'identité depuis la nomination de Ouattara au poste de premier ministre en 1990. En conséquence de cette accusation, la LIDHO exige une révision des titres d'identité remis entre 1990 et 2000. Il n'est pas aberrant de penser que dans le contexte de corruption généralisée et structurelle de la Côte d'Ivoire, des fraudes à la carte d'identité aient bien eu lieu, mais l'accusation ouverte et ciblée de la LIDHO démontre du manque de recul et maturité politique des citoyens et organisations présentes en Côte d'ivoire à ce moment-là. En réponse à la création de la LIDHO, jugée trop complaisante du pouvoir et vectrice de la xénophobie sudiste, le Mouvement ivoirien des droits de l'homme (MIDH) est créé. Celui-ci opère en premier lieu dans la clandestinité et se fait porte-parole des populations du nord, dont la stigmatisation attise la colère.

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Les sorties médiatiques de la première dame ivoirienne de l'époque, Rose Doudou Gueï, précipitent un peu plus le schisme entre un nord considéré alors par les populations du sud comme acquis aux étrangers et un sud, lui-même considéré comme envahi par ces mêmes étrangers, marquant par ailleurs la fin de l'état de grâce de Robert Gueï, qui ne parvient plus à se défaire de l'étiquette du fascisme.

Dans le souci d'apaiser les populations du nord, il propose le 27 avril 2000 une révision des conditions d'éligibilité politique et d'accès à la citoyenneté. Si désormais tout prétendant à l'investiture doit être né de père « ou » de mère ivoirien d'origine, Alassane Ouattara demeure exclu des prétentions présidentielles dans la mesure où il s'est prévalu d'une autre nationalité politique. Cette clause retirée par la Commission consultative constitutionnelle et électorale (CCCE) précédemment est alors réintroduite par Robert Gueï.

La montée des tensions consécutives à cette décision pousse Robert Gueï à dissoudre son gouvernement. Ce remaniement est l'occasion, d'évincer le RDR du gouvernement. Si à partir de ce 27 avril 2000, l'essentiel de la préoccupation de Robert Gueï est de soigner sa stature présidentielle, il doit néanmoins faire face aux conséquences de la « milicianisation » de l'armée initiée par son putsch. La mutinerie provoquée par les militaires le 4 juillet 2000, qui réclame un « trésor de guerre » de 6 millions de francs CFA par homme, soit dans les environs de 9000€ par tête démontre de cela (Bouquet,2005). Si elle fut maitrisée par la répression, cette mutinerie témoigne également du désengagement du corps militaire de sa vocation première à servir et protéger les citoyens.

L'allégeance militaire ivoirienne au politique dépend dès lors de 3 facteurs : la capacité du meneur à répondre aux exigences économiques de ses troupes, sa provenance ethnique et de sa volonté et capacité à intégrer les nouvelles recrues à l'appareil politico-militaire.

Six jours avant le référendum, le « Général-président » Gueï modifie à nouveau l'article 35 de la constitution qui est soumise au vote. Ainsi il fallait bien être né de père « ET » de mère eux-mêmes ivoiriens d'origine. Cet acte se présente comme un contre-pied à l'appel d'Alassane Ouattara à voter en faveur de la constitution le 26 mai 2000. En dépit de la

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période de tension, la constitution est massivement adoptée par 86,3% des suffrages exprimés avec un taux de participation de 65,05% (Bouquet,2005).

Le reste de la campagne est marquée par l'éviction définitive du RDR de l'élection ainsi que du PDCI-RDA. Les deux candidats principaux à la présidence du 22 octobre 2000 sont alors Robert Gueï et Laurent Gbagbo. Si le premier ne fait pas réellement campagne, le second certainement sur de sa victoire profite de sa campagne pour mettre en garde le président sortant sur la nécessité d'accepter pacifiquement les résultats du 22 octobre.

L'élection du 22 octobre 2000 marque le retour des « conflits ouverts » sur le territoire ivoirien. Le FPI de Laurent Gbagbo met en oeuvre un dispositif d'observation reposant sur l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication ainsi que sur la mobilisation de la force armée pour bénéficier de la lecture des résultats en temps réel. Ceci n'est pas du goût du président sortant qui fait alors intervenir la « Brigade rouge », une des milices qui lui est fidèle, à la Commission Nationale Electorale, pour faire pression sur cette dernière. Le ministère de l'intérieur annonce la dissolution de celle-ci après qu'elle ait proclamée la victoire du Général Gueï à 52,72% des votes exprimés.

La contestation de Laurent Gbagbo est suivie d'une mobilisation de « patriotes », invités à descendre dans la rue pour faire barrage à l'imposture du résultat. Si dans un premier temps les affrontements entre les pro « Gueï » et les « patriotes » de Laurent Gbagbo gangrènent les rues et l'armée, causant 9 morts, la nature des heurts change rapidement. A la proclamation des résultats définitifs faisant de Laurent Gbagbo le nouveau président ivoirien, les « patriotes » composés de civils et de militaires pour la plupart armées, prennent alors pour cible les militants du RDR qui ont profités de l'incertitude des résultats pour manifester en faveur de la tenue d'une nouvelle élection. Les rues d'Abidjan prennent ainsi des airs de 1958 quand une véritable « chasse aux dioulas » ethnie assimilée à Alassane Ouattara, est menée nous rappelant les agissements de la Ligue des Originaires de Côte d'ivoire (LOCI). Le bilan est de 155 morts, 316 blessés et 50 disparus. En outre, le premier charnier, pratique qui se démocratisera pendant la rébellion nordiste est découvert dans le quartier de Yopougon (Bouquet, 2005).

Le climat de violence ne s'efface pas fin avec la proclamation définitive de Laurent Gbagbo à la tête de la Côte d'Ivoire, dans la mesure où les élections législatives de décembre 2000

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s'inscrivent dans la continuité des présidentielles, et ne donne qu'une victoire politique au FPI, qui en au printemps 2001 préempte l'ensemble des sphères législatives et exécutives ivoiriennes.

Longtemps considérée comme un modèle de paix et de stabilité en Afrique de l'Ouest, la Côte d'Ivoire, poumon économique de la sous-région, bascule à la fin des années 1990 dans un cycle de crise militaro-politique, qui met fin à l'hégémonie du PDCI-RDA, le 24 décembre 1999.

Mené par le général Guei, surnommé pour ce fait le « père Noel en treillis », le putsch de 1999 selon Richard Banégas constitue un séisme dans la trajectoire somme toute assez tranquille de la « révolution passive » ivoirienne, une rupture dans les mécanismes de dérégulation sociopolitique jusqu'alors en vigueur qui s'exprimaient dans une idéologie politique de la paix et de la cohésion sociale.

Mais, comme nous avons pu voir, ce putsch fait suite à une montée des tensions qui s'amorce dès le début des années 1990, sous le règne d'Houphouët-Boigny, avec la répression féroce du mouvement démocratique qui est mené par le Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et un syndicat étudiant qui allait devenir très puissant, à savoir la Fédération estudiantine de Côte d'Ivoire (FESCI). Ces violences d'Etat, qui ciblent les dirigeants des partis d'opposition et les leaders étudiants, ont un important effet de crantage, dans la mesure où elles légitiment en retour l'usage de la force et de la rue contre un régime dont la forte répression est considérée comme illégitime par la majorité de la population. Elles constituent aussi un des premiers moments de la « milicianisation » des luttes politiques ivoiriennes, le pouvoir n'hésitant pas à louer les services de loubards surnommés « vagabonds salariés » et plus communément nommés « VS » dans les quartiers où ils sévissent, pour casser les grèves et réprimer tout forme d'oppositions au régime.

Les enquêtes menées par Richard Banégas montrent que certains épisodes de cette période demeurent des références importantes de la grande gente milicienne d'après-guerre : ceux qui ont été les victimes directes ou indirectes de cette coercition déléguée aux nervis du régime y font souvent référence dans les justifications de leur engagement, notamment les membres de la FESCI.

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Le putsch de décembre 1999 rompt également avec la trajectoire historique de cantonnement politique de l'armée. Il inaugure un cycle de violence marqué par la multiplication de tentatives de coups d'Etat et la radicalisation de la répression politique. On peut retenir 3 effets majeurs de cette séquence. Elle contribue d'abord à légitimer l'usage de la violence armée comme moyen d'arbitrage politique. Dès lors les militaires en rupture de ban et les jeunes miliciens deviennent les faiseurs de rois et les juges de paix de la compétition politique. Bien entendu ils ne détiennent pas le monopole de la légitimité politique mais la classe politique et plus particulièrement les héritiers de l'houphouëtisme ne peuvent plus gouverner sans eux. Le second effet majeur de la transition militaire est l'accélération du double processus de « milicianisation » de l'armée et de la société qui s'était engagée dans la décennie précédente.

Dès le début de la junte militaire, on peut observer une désagrégation immédiate de l'appareil de sécurité dont la gendarmerie, jusque-là réputée pour sa discipline, qui se divise en de multiples factions, qui obéissent souvent moins à la chaine de commandement officiel qu'à des hiérarchies informelles et à des clans personnels. En vérité, ce processus débute pendant la gouvernance de Henri Konan Bédié, qui n'est pas parvenu à garantir la cohésion des Forces armées nationales de Côte d'ivoire (FANCI) comme son prédécesseur. Les sous-officiers originaires de l'Ouest et surtout du Nord, très nombreux dans l'armée et souvent d'extraction modeste, ont mal vécu la dégradation de leurs conditions sous la présidence Bédié.

Ce sont ces officiers qui mettent fin au régime de Henri Konan Bédié en décembre 1999, confiant ensuite les rênes du pays au général Robert Gueï. Dans le sillage de ces jeunes mutins de décembre 1999, on voit alors se constituer des factions militaires plus ou moins autonomes au sein de l'armée et des structures parallèles qui deviennent très vite des milices urbaines, plus ou moins affiliées à un « leader » politique mais qui n'obéissent en vérité qu'à leurs petits chefs militaires, dont le lieutenant Boka Yapi et le sergent-chef Ibrahim Coulibaly dit « IB » que l'on retrouvera à la tête de la rébellion de 2002. Leurs dénominations que l'on peut qualifier de mafieuses tel que « Camorra », « Cosa Nostra », « Brigades rouges » ou « Mafia » traduisent des dérives criminelles de ce régime de transition se livrant à toutes formes de violences et de pillages.

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La veine tentative du général Guei de restitution de l'ordre dans ces structures durant l'été 2000 par le démantèlent du « PC Crise » et l'exil de « IB » démontre de la grande inquiétude du « Général-Président » relative à sa capacité à les contrôler. Au vu de l'Histoire, il apparait clair que le mal était déjà fait. Robert Gueï est rapidement dépassé par les velléités de ses partisans militaires comme civils qui l'ont fait roi et qui se considèrent dès lors au-dessus des lois. De fait, le troisième effet notable de cette transition militaire a été de contribuer à une diffusion rapide de la violence dans l'espace public et, surtout, de renforcer le sentiment d'impunité de ceux qui l'utilisaient pour accumuler richesses et pouvoir (Banégas,2010).

Rébellion et démocratisation des milices en Côte d'Ivoire

Figure 21: La crise ivoirienne entre 2002 et 2007 (PARMENTIER, 2007)

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La notion de milice, qui, de façon générale, prête déjà à confusion, définit ici plusieurs types de regroupements et modes d'action. On peut en distinguer trois : les forces paramilitaires de l'Ouest, les groupes d'autodéfense villageois et les milices urbaines constituées pour l'essentiel des « jeunes patriotes » de Laurent Gbagbo. Toutes ces structures n'ont pas forcement pris une part active aux combats, certaines se spécialisant plutôt dans l'action de rue, l'intimidation et la mobilisation de masse comme les Jeunes patriotes d'Abidjan ou la FESCI.

Précisons d'ailleurs que la situation de conflit ouvert est très brève entre septembre 2002 et l'été 2003, avec quelques épisodes de violences sporadiques par la suite. Bien que ces affrontements donnent lieu à des violences extrêmes dans certaines zones, il faut souligner que les anciens combattants ont, en comparaison d'autres situations, pas beaucoup ou pas longtemps combattu. La typologie milicienne présentée plus haut est purement analytique et non exhaustive car, d'une part, on constate que les frontières entre ces divers mouvements sont très poreuses sur le terrain et, d'autre part, on sait que ces mouvements participent d'une même nébuleuse de forces parallèles qui ont été organisées et financées en haut lieu par les premiers cercles du pouvoir présidentiel (Banégas,2010).

Quoique non homogènes et pas toujours coordonnées, ces diverses forces parallèles s'inscrivent dans un continuum de privatisation de la violence et de para-militarisation du pouvoir dont l'exercice, durant la guerre, s'est informalisé. Ces structures sont très actives aux débuts du conflit ; ce sont elles qui permettent au régime de se maintenir. Leurs activités par la suite, varient en fonction des évènements ; certaines disparaissent, d'autres font évoluer leurs fonctions et leurs raisons sociales, mais la plupart se maintiennent et posent le défi majeur de l'après-guerre. De par sa signification sociale et politique, le phénomène milicien et son devenir s'est rapidement révélé un facteur à considérer dans l'appréciation du processus réconciliation post-conflit (Banégas,2010).

Les racines de la guerre civile ivoirienne débutée en 2002 sont rendues complexes par une pluralité de causes allant de la crise économique et du chômage des jeunes à la question de la citoyenneté en passant par la politique foncière. Par conséquent, les acteurs que cette guerre civile implique sont motivés par des logiques et des représentations différentes rendant compte des dynamiques les impactant au début du conflit.

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L'approche des perceptions du conflit permet ainsi de comprendre certaines logiques, souvent sous-jacentes, qui motivent les jeunes combattants ivoiriens. Leurs représentations et leurs compréhensions de la guerre diffèrent dans la majorité des cas de celles de leurs hiérarchies politiques et militaires, essentiellement communautaires. Mais ils trouvent cependant des justifications de leur enrôlement dans les expériences de frustrations identitaires.

L'évocation d'une lutte pour la liberté dans laquelle les jeunes ivoiriens perçoivent des valeurs telles que le sacrifice, l'abnégation ou encore le courage est à mettre en rapport avec leurs volontés d'être partie prenante du processus de transformation sociale, politique et économique du pays. La violence des jeunes ivoiriens au plus fort de la crise repose sur un socle social et communautaire qui fournit au conflit son ancrage local. Aussi, on peut observer parmi les déterminants de leur enrôlement, l'implication de ceux-ci à divers niveaux de l'instance familiale et communautaire. L'enrôlement au sein d'une milice constituant le gage d'une sécurité familiale et communautaire.

Michel Galy note par ailleurs, que la légitimation du recours à la force armée tire ses arguments des événements de l'histoire politique de la Côte d'Ivoire. Cette approche nous permet d'explorer les différentes significations que prend le conflit dans les représentations collectives. Ainsi, il a été mis en évidence le lien entre les perceptions de la nature du conflit et un processus social de légitimation de l'enrôlement des jeunes. Cependant, ces derniers s'opposent à l'idée d'une sécession ou d'irrédentisme tout en définissant l'idée de la patrie sur la base d'une idéologie valorisée dans leur aire culturelle exclusive (Galy,2010).

En somme, selon Moussa Fofana le conflit ivoirien s'établit sur la base d'ancrages locaux et d'une accumulation de frustrations antérieures, terreau fertile dans lequel chacun a trouvé les justifications de son engagement. On ne peut occulter la prédominance d'une idéologie victimaire dans la mobilisation des combattants. La question identitaire posée au départ du conflit est devenue une entrée possible pour attirer l'attention sur les perceptions variées de la citoyenneté et les insuffisances des mécanismes de régulation politiques, sociales et mêmes économiques de la société ivoirienne (Fofana,2011).

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Si les rebellions locales ont tout intérêt, pour asseoir leur légitimité, à se poser dans un contexte national et à nier les influences ou alliances extérieures, un comparatisme rapide dévoile au contraire bon nombre de liens étonnants, au-delà des discours. Si des chercheurs comme Stephen Ellis et surtout Paul Ritchards ont mis l'accent sur les catégories d'âge et d'ethnicité de rébellions socialement et politiquement dominées, nous pouvons mettre en avant le caractère spatialement périphérique, dans une double acceptation spatiale et sociale de ces mouvements dans la crise ivoirienne.

Au regard de la période de conquête coloniale, procédant des côtes vers l'intérieur, le caractère politique des périphéries ivoiriennes dominées et délaissées prend alors une dimension structurelle. Des chercheurs comme Claude Raffestin, comparant les modes de construction de l'Etat, n'ont pas hésité à généraliser ce phénomène : quand l'Etat se montre fort et juste en son centre, il est au contraire plus distant et coercitif au sein de ses territoires constituant ses marges. Pour autant, nous nous abstiendrons de tout déterminisme dans la mesure où un guérillero ne naît pas tout armé à chaque frontière. Il faut pour cela des circonstances particulières, une histoire propice, des financements, une organisation, etc. Les mouvements rebelles d'Afrique de l'ouest ont souvent été appréhendé au regard d'autres Etats africains, la plupart d'entre eux patrimoniaux. Ainsi, l'économiste Paul Collier prête aux « War Lords » des mentalités exclusivement entrepreneuriales et des moeurs seulement capitalistiques.

Le discours structurant des rébellions peut avoir une certaine consistance idéologique bien que leurs pratiques en diffèrent sensiblement. Qu'il s'agit du discours anti-corruption et anti-Krio (créole) du Front Révolutionnaire Uni (RUF) de Sierra Leone, des revendications libératrices du Front national patriotique du Libéria (NPLF) de Charles Taylor contre la dictature de Samuel Doe au Libéria, ou encore des revendications pro-Rassemblement des Républicains (RDR) illustrant des revendications nordistes contre l'ivoirité défendu par le Mouvement Patriotique de Côte d'ivoire en Côte d'Ivoire (MPCI). Autant de registres évocateurs de revendications politiques, même s'ils heurtent l'idéal marxiste des guérillas anciennes. A travers ces idéologies mobilisatrices se dessinent les failles et les faillites des Etats concernés.

Fonction tribunitienne des guérillas devant la corruption du système électoral, elles se heurtent cependant aux structures sociales. Nous pensons ici à l'émancipation brutale

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d'une jeunesse, dont la démographie galopante, conduit à sa subordination structurelle. Elles ne proposent au mieux qu'une alternance de prédation basée sur une certaine logique autochtone du pouvoir : « à chacun son tour... de bouffer ! ».

L'imaginaire populaire ivoirien de la rébellion, s'appuie essentiellement sur une logique complotiste qui considère que l'instigateur véritable de celle-ci demeure caché, attendant patiemment son heure. Selon cette considération, bon nombre d'ivoiriens considèrent encore les mouvements insurrectionnels, dans sa seule dimension de bras armé du RDR et de ses alliés, nonobstant les terribles sévices subit par la population du nord de la part de rebelles devenus très rapidement incontrôlables au fil de la rébellion. Cette représentation comporte l'avantage provisoire de rendre compte de l'autonomisation partielle de la rébellion et de son ancrage territorial, l'un expliquant partiellement l'autre sans toutefois en épuiser le sens.

Le mystère des origines de la rébellion qui n'est pas sans rappeler celui des sociétés secrètes, attire de nouveaux combattants, aventuriers des temps modernes de toute la région, qui ont trouvé dans le nomadisme guerrier une situation pérenne. Pour le camp présidentiel, dont les patriotes et l'armée loyaliste constituent les forces, les rebelles sont à la fois des militaires putschistes assoiffés de pur pouvoir, terroristes islamistes, bataillon détaché burkinabé, ou encore mercenaires déployés par les occidentaux en général, français en particulier. Parfaitement contradictoires, ces considérations ont le mérite de s'appuyer, tour à tour sur d'indéniables indices tirés de la chronologie du mouvement rebelle (Galy,2007)

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Figure 22: Les principales factions de la rébellion ivoirienne (BOUQUET, Pau-Martinez, 2016)

Bien que la croissance rapide des effectifs rebelles soit due au ralliement des militaires déchus de l'armée officielle, la présence au début de la rébellion de mercenaires venus du Libéria et de la Sierra Léone atteste indéniablement du phénomène de nomadisme guerrier ouest-africains. Ce nomadisme entraine l'importation de méthodes utilisées en Sierra Leone et au Libéria telles que l'utilisation d'enfants soldats. Une majeure partie des travailleurs de l'informel et des chômeurs urbains et ruraux du Nord ivoirien se constitue en troupes supplétives aux soldats d'une rébellion, au début inférieur à un millier d'hommes. La rébellion bénéficie également à travers eux d'un certain enracinement ethnique.

Plus hypothétique encore, la présence de soldats burkinabè, avec ou sans uniforme, même s'il est de notoriété publique que Ouagadougou sert de base arrière aux leaders

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rebelles qui y possédaient, grâce au président Compaoré, villas et 4x4, subsides et armes, ainsi que des facilités de voyage à l'étranger et d'entraînement militaire. (Galy,2007).

De ces contingents hétérogènes, les médias internationaux en ont trop vite fait une unité, à la fois guérilla et mouvement politique. L'« opération MPCI » a bien été, de l'avis de beaucoup, montée à posteriori, après l'échec du putsch amenant à la rébellion et son cantonnement par la force Licorne au Nord de la Côte d'Ivoire. Celle-ci a néanmoins introduit des réalignements inédits tout en favorisant un clivage inattendu militaires/civiles. Le pouvoir rebelle, en dehors du clivage factionnel entre les principaux leaders Ibrahim Coulibaly dit IB et Guillaume Soro, est plus à concevoir comme une nébuleuse, faite d'agencements changeants, de chefs de guerre et de leurs troupes, que comme un système de commandement hiérarchisé. La reconnaissance des leaders locaux tels que les « commandants de zones » dit « coms zone », en charge d'un périmètre dont la surveillance est assurée par des « commandements opérationnels » assignés à des postes urbains, peut faire illusion de la réalité qui est celle de rivalités incessantes pour les rackets, régulées par les armes. Ainsi, une logique de fiefs se développe, symbole d'une territorialisation de la violence, qui oblige les leaders rebelles à tenter de nouer des alliances avec les pouvoirs autochtones, comme Koné Zackaria, le chef de guerre de Vavoua. Un certain repli sur les fiefs est observable, à partir de l'exécution du caporal-chef Bamba Kassoum, taxé de pro-Ibrahim Coulibaly (IB) et bien avant, celle du chef de guerre Adams, à Korhogo.

La violence militaire, criminelle ou politique, en zone rebelle, est mal connue et documentée ce qui permet une importante spéculation à son sujet. En termes de gouvernance et de définition de la légitimité de la rébellion, de la cohérence de ses pratiques avec son idéologie, le sujet est pourtant crucial. La représentation de la violence peut cependant se nuancer selon les temps et les lieux. Dans sa dimension chronologique, elle est le fait de « violences de guerre » à l'encontre de l'armée ivoirienne et des « corps habillés », de massacres de fonctionnaires et de civils sudistes qui restent à élucider, d'« épuration ethnique » largement sous-évaluée, notamment de la part des acteurs humanitaires qui collabore avec la rébellion en zone nord, en particulier dans la ville de Bouaké ; et par un massacre ethnico-factionnel au sein de la rébellion, lors de l'épuration violente par les miliciens de Guillaume Soro.

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Cela n'empêche pas une « violence ordinaire » contre la population locale, régulière et sanglante, encore plus mal connue, due en particulier à l'absence de forces de l'ordre au sein de l'appareil militaire rebelle. A ce propos, la représentation populaire de l'action rebelle est incarnée par le massacre gratuit, par une des factions de la rébellion, de jeunes filles baoulés exécutant dans un petit village près de Sakassou une danse rituelle d'exorcisme de la violence. Cet épisode mineur, qui touche autant les représentations que l'immolation des enfants de gendarmes sudistes de Bouaké, a bien sûr à voir avec la perte d'une certaine innocence du vivre ensemble et du temps des rituels remplacés par celui de la violence pure.

Dans l'ouest, une « libérianisation » du conflit conduit à des formes de violences plus anomiques, du moins proches de celles observées lors du conflit du Libéria, à tel point que la rébellion elle-même se débarrasse de leaders comme le « pseudo Doe » et de groupes nomades qui enfreignent les pratiques de la rébellion de Bouaké, elle-même pourtant peu regardante sur les exactions contre les civils. Ainsi on peut évoquer une « épuration ethnique sporadique » sur plusieurs points de la zone rebelle, dans les territoires proches du Libéria, contre les guérés en particulier. Il est vrai que cette « libérianisation » du territoire ivoirien reste partagée, puisque les deux camps loyalistes comme rebelles, ont instrumentalisé des couples d'oppositions ethniques transfrontaliers, depuis longtemps sous-jacentes ainsi que des groupes nomades mercenaires, issus des conflits du Libéria et de la Sierra Leone, en quelque sorte recomposés pour poursuivre leurs carrières guerrières (Galy,2007).

L'évolution sanglante de l'Ouest porte tellement préjudice à la rébellion que l'éviction du « pseudo Doe », leader éphémère de l'inconsistant Mouvement Populaire Ivoirien du Grand Ouest (MPIGO) apparaît du fait du leader Guillaume Soro. A Bouaké, capitale rebelle, les pratiques des groupes « militaro-mafieux », dénommée « Camorra », « Cosa nostra » ou encore « Ninja », qu'a connu Abidjan sous la transition militaire du général Gueï, se perpétuent voire s'accentuent. Cela n'étonne aucun analyste, tant il est connu qu'un groupe des « fondateurs » de la rébellion est justement issu de cette mouvance. Selon une enquête de la Ligue des droits de l'Homme ivoirienne (LIDHO) de février 2003, « environ 80 % des violences sont perpétrées par les rebelles ». Il est important de mentionner ce fait dans la mesure où il est quasiment absent du traitement médiatique

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international de la rébellion et constitue dès lors un différentiel de représentation de la guerre entre ivoiriens et étrangers, notamment européens.

A ce jour, un important travail d'enquête villageoise reste à effectuer en particulier dans la zone nord. Des ONG françaises, telles Action contre la faim (ACF), remarquent que la violence systématique contre les populations civiles de l'Ouest au moment des faits est sous-évaluée. Il faut y voir la conjugaison d'incursions libériennes et de pratiques extrêmes, qui échappent en partie au pouvoir de Bouaké, avec une criminalisation des forces en présence, aggravée par un système de représailles non seulement interethniques (inter-ivoirien), mais avec les immigrants nordistes au sens large (« dioulas » et sahéliens) dans une compétition foncière aiguë (Galy 2007).

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Les dimensions mystiques du conflit ivoirien

Bien que mis à la marge des considérations relatives à la guerre civile ivoirienne, l'approche par un angle mystique du conflit peut apporter un éclairage sur les allures de « guerre sainte » que peut prendre le conflit ivoirien à son Momentum.

Figure 23 : Répartition ethnique et religieuse en Côte d'ivoire (Bouquet, Pau-Martinez, 2016)

La Côte d'ivoire abrite essentiellement deux aires cultuelles sur son territoire. L'islam est la religion la plus représentée sur le territoire tandis que le christianisme est majoritaire dans la zone ivoirienne la plus peuplé, à savoir la région des lagunes.

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Le spiritisme ivoirien se caractérise par un syncrétisme entre les dogmes des religions monothéistes dominantes et des pratiques et croyances vernaculaires tels que l'animisme et le vodou.

Les jeunes patriotes menés par Charles Blé Goudé, au-delà d'une certaine connivence ethnique avec le président voue un véritable culte à celui surnommée « Le christ de Mama », nom du village natal de Laurent Gbagbo. Le président Gbagbo, ancien professeur de géographie et membre de l'international socialiste, est un orateur né qui sait galvaniser les foules, alternant les postures, allant d'un Mandela Ouest africain de par son combat politique l'ayant mené en prison à un Thomas Sankara de par sa relation tumultueuse au monde et à l'occident. Et manifestement d'Houphouët-Boigny de par sa volonté de restaurer la pratique du « dialogue à l'ivoirienne » disparu avec « le vieux ».

C'est en vertu de ces considérations, que la représentation des jeunes patriotes, fervents chrétiens évangélistes, pratiquants pour la plupart, du « Christ de Mama » est celle d'un élu prophétique dont le rôle est de restaurer la grandeur de la Côte d'Ivoire. Cette vision est largement diffusée au sein de la population par un appareil religieu proche du pouvoir, composée de pasteurs et de prophètes dont l'intégrité au vu des événements peut être remise en cause.

Cette représentation « messianique » de Laurent Gbagbo est renforcée à mesure que sa ligne politique est empreinte d'une valeur communautaire qui fait de l'ère Gbagbo, l'ère de l'hégémonie bété, où chaque membre de sa communauté « pourrait bouffer à son tour ». Ainsi l'accès aux privilèges du peuple bété est récompensé par une allégeance que l'on peut qualifier de fanatique de celui-ci à son président.

On peut retrouver actuellement à travers des meetings du mouvement « Gbagbo Revient ! dit Gbor » les derniers vestiges du culte voué à Laurent Gbagbo, devenu martyr depuis son déferrement à La Haye. Le spectre d'un retour à la vie politique de l'ancien leader du Front Populaire Ivoirien constitue une menace majeure au fragile équilibre de « paix » présent sur le territoire ivoirien depuis 2011.

L'essentiel des forces armées rebelles, composé de jeunes pour la plupart désoeuvrés issus des villages du nord du pays, est essentiellement de confession musulmane. Le courage de ces troupes sur le champ de bataille provient, outre de l'alcool et de la drogue, de la

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confiance en la protection des « fétiches » prescrits par leurs marabouts familiaux. Il va de soi que l'efficacité de ce que certains nommeraient placebo, ou encore efficacité magique n'est rendu possible que par l'acceptation collective de l'existence d'une transcendance dépassant la compréhension humaine.

L'émergence des dozos au coeur du conflit ainsi que l'institutionnalisation de ceux-ci à partir de 2011 traduit d'un amalgame entre des considérations mystiques et des impératifs sécuritaires. On pourrait considérer cet amalgame comme un retour à une forme d'organisation sociale précoloniale mais lorsque que l'on s'intéresse de plus près à cette institutionnalisation des dozos, il apparait évident qu'il s'agit plus d'un opportunisme politique des principaux leaders des associations de dozos que d'un retour à des valeur passés de la société ivoirienne.

Entre modernisme et tradition ; l'institutionnalisation des dozos

Rodrigue Fahiramane Koné met en avant que pour comprendre son émergence politique et institutionnelle, il est primordial de comprendre le caractère multidimensionnel du phénomène dozo. En plus de la profondeur historique et de l'épaisseur culturelle qu'évoque la confrérie dozo, son association avec la problématique sécuritaire ivoirienne permet d'éclairer sous un angle original l'histoire politique récente du pays.

En Côte d'Ivoire la majeure partie des adeptes de la confrérie dozo appartiennent aux ethnies Mandé (Malinké, Bambara, Dioula) et Voltaïque (Sénoufo et Lobi). Les mandés et voltaïques ont historiquement été implantés dans la partie septentrionale du pays.

La plupart des travaux spécialisés sur ces chasseurs font des empires Mandingue et du Mali le foyer originel de la confrérie dozo. L'Empire mandingue fut une importante entité politique du Moyen-Age ouest africain fondé au XIIIe siècle par le souverain Soundjata Kéita. Cet Empire a su fédérer sur une longue période un ensemble de communautés reconnues aujourd'hui sous le vocable de communautés mandingues. La chute de cet empire qui connait son apogée au XIVème siècle a marqué l'expansion géographique, après plusieurs migrations, des différentes communautés mandingues dans une large partie de l'Afrique de l'Ouest.

Les associations de dozos en Côte d'Ivoire sont avant tout des confréries de chasseurs traditionnels reflétant, du point de vue anthropologique, une institution socio-culturelle

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propre aux traditions de l'aire culturelle Mandé répandue en Afrique de l'Ouest. L'institution fonde sa légitimité à la fois sur une expérience historique et culturelle ainsi qu'une chaine de valeurs, de principes et de croyances relevant du symbolisme religieux.

La pratique magico-religieuse des dozos, n'est pas sans influence, militairement efficace car elle est socialement acceptée et ancrée au coeur de la croyance populaire. Ainsi il est populairement admis que les chefs dozos comme Zakaria Koné, Bamba, Ibrahim Konaté ou encore Chérif Ousmane disposent de pouvoir tel que la transformation en animaux, l'invisibilité, l'invulnérabilité aux balles, et la prescience.

Comme au Libéria, le look rebelle est une « panoplie ethnique » du mysticisme des chasseurs : dreadlocks, kaolin, attirail de miroirs, colliers de cauris, amulettes et tuniques destinés à terrifier et terrasser l'adversaire.

L'affaiblissement de l'appareil sécuritaire de l'Etat et l'instabilité politique ivoirienne au moment de la crise ivoirienne se révèle être des opportunités savamment exploitées par les associations de dozos. En s'appuyant sur la symbolique culturelle, religieuse et l'imaginaire historique, les dozos ont su construire un consensus au sein des populations sur l'efficacité de leur offre sécuritaire. Toutefois l'engagement politique de certaines associations de dozos au compte de la rébellion armée dans un contexte national polarisé autour des identités ethniques a fini par éroder l'image d'acteurs sécuritaires neutres et politiquement indépendants.

Les associations de dozos tout en exerçant dans un environnement politique contingent et un cadre légal flou, négocient astucieusement leur ancrage dans l'espace public. Ces stratégies d'adaptation laissent transparaitre une hybridation organisationnelle, entre logique de fonctionnement traditionnel de la confrérie et logique d'organisation administrative selon les exigences de l'Etat moderne.

Les influences sur le système sécuritaire officiel ainsi que les imaginaires et croyances associés aux dozos, le positionnement des adeptes de la confrérie dans le système sécuritaire et les collaborations officieuses entre autorités sécuritaires et la confrérie à maints endroits sont autant d'éléments témoignant de l'influence de la confrérie dans le système sécuritaire officiel. La description des abus imputés aux dozos a permis de mettre également en évidence l'implication des dozos dans la production de l'insécurité et de

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soulever la question de leur responsabilité juridique face à de tels abus. Si l'investissement sécuritaire dozos en Côte d'Ivoire ne peut se comprendre qu'à la lumière de l'histoire politique ivoirienne, il devient évident que les modèles de structuration des associations de dozos au niveau national se diffuse dans d'autres pays avec le recentrage sur des questions sécuritaires.

Il demeure néanmoins que les dozos ont été une force déterminante de l'accession au pouvoir d'Alassane Ouattara en 2011. Celui-ci a également pu compter sur le soutien de la communauté internationale et plus particulièrement la France pour accéder à la fonction suprême ce qui laissera une empreinte considérable dans les représentations des ivoiriens et de la communauté internationale (R.F. Koné,2018)

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams