DEUXIEME PARTIE :
LA POLITISATION DE L'ADMINISTRATION PUBLIQUE
BENINOISE : OBSTACLE A LA MISE EN OEUVRE DU NOUVEAU SYSTEME D'AVANCEMENT
AU MERITE
« On parle de politisation lorsque le pouvoir
discrétionnaire des gouvernants sur la gestion des postes publics
augmente.... Il y a politisation des activités lorsque les
états-majors politiques, appelés aussi cabinets ou entourages
sortent de leur rôle traditionnel - le suivi des dossiers personnels des
autorités publiques-, pour mettre sous tutelle les directions
administratives et gérer à leur place l'appareil
d'Etat ». Jean-Patrice LACAM, Regards sur
l'actualité, sept.-oct. 1994
Cette deuxième partie traitera des obstacles qui
pourraient naître de la politisation de l'administration publique
béninoise dans la mise en application du nouveau système
d'avancement au mérite. Nous y présenterons ensuite les solutions
proposées dans le système pour le mettre à l'abri de
l'arbitraire. Enfin, nous proposerons des mesures préventives afin
de protéger le système contre les effets pervers qui pourraient
naître de la politisation.
Chapitre I :
L'IMMIXTION DE LA POLITIQUE DANS LA GESTION
ADMINISTRATIVE AU BENIN
Dans ce chapitre nous présenterons les effets que
pourrait avoir la politisation sur la mise en application du nouveau
système d'avancement au mérite. Ensuite, nous présenterons
les solutions proposées dans le système.
SECTION I : LES MANIFESTATIONS DE LA
POLITISATION
SUR LE NOUVEAU SYSTEME D'AVACEMENT AU MERITE :
La présente section sera consacrée à
l'analyse des effets que la politisation de l'administration pourrait avoir sur
la mise en application du nouveau système d'avancement au
mérite.
PARAGRAPHE I :
L'OBJECTIVITE DE LA NOTATION :
1- Le " mérite " des amis
politiques :
La note dans le nouveau système de
rémunération et de carrière constitue un facteur
déterminant. Elle conditionnera nécessairement l'avancement de
grade et de ce fait pourrait faire l'objet de toute manipulation.
Dans une administration aussi favorable à la
politisation comme la nôtre, l'objectivité de la note - surtout
pour les agents proches de la classe au pouvoir -, pourrait être
compromise. Elle pourra subir le coup des ambitions politiques et des
performances non méritées pourraient être attribuées
à certains agents pour récompenser leur appartenance à
telle ou telle autre idéologie. De ce fait, la réforme sera celle
de la classe au pouvoir une fois le système mis en application car, elle
profitera nécessairement aux amis politiques dans le contexte actuel de
l'administration publique béninoise.
L'illustration est très simple : prenons une
administration où le supérieur hiérarchique est du
même bord politique que son collaborateur qu'il doit noter ; il lui sera
difficile de noter cet agent sur la base effective de ses compétences.
Deux raisons peuvent justifier un tel comportement : la première
est de lutter pour se maintenir à son poste en entretenant de bonnes
relations avec les alliés politiques de son service afin que ces
derniers ne se plaignent ; la deuxième raison répond elle
aussi à une obligation politique : celle de maintenir
l'électorat en ménageant les "compagnons de lutte" que l'on a
sous sa tutelle.
La mise en application du nouveau système
d'avancement au mérite dans les conditions actuelles de forte
politisation de l'administration publique profitera certainement aux
individus ; seulement c'est l'intérêt général
qui en sortira lésé et les résultats attendus de la
réforme administrative fortement piétinés. Car, des agents
avanceront sans mérite et se préoccuperont très peu de la
qualité du travail qu'ils accomplissent.
Les stimulants pour un penchant à la paresse et aux
violations des normes prescrites sont multiples. Il n'est pas par exemple
extraordinaire dans l'administration béninoise d'assister à des
réunions politiques pendant des heures de service, même dans les
locaux de l'administration. Pendant ce temps, c'est la continuité du
service public qui est atteinte au détriment des intérêts
politiques. Comment pourrait-on apprécier objectivement dans ces
conditions le collaborateur à qui l'on confie l'organisation et la
direction de ces rencontres politiques à des heures de service ou
parfois à ses heures de repos ? La récompense ne serait-elle
pas une bonne note pour lui permettre d'être inscrit au tableau
d'avancement ? Le mérite dans ce cas ne serait-il pas un
mérite politique ? Certes, ce n'est pas le souhait, mais, c'est
plutôt la réalité à laquelle le nouveau
système d'avancement au mérite risque de faire face si rien n'est
fait.
L'autre effet pervers est la situation qui pourrait
prévaloir dans les services publics en période de campagne
électorale. Le constat depuis l'avènement de la démocratie
est que très peu d'agents s'occupent effectivement de leur travail en
période de campagne électorale. Un tour dans les salles de cours
des lycées et collèges publics pendant ces périodes suffit
pour s'en convaincre. Dans les services administratifs, le constat est
invariable ou même plus piquant, où ce que nous pouvons appeler la
"formule de solidarité professionnelle", comme toujours d'ailleurs
est : « il s'est levé ». Dans bien des cas,
c'est le poste radio allumé sur le bureau et la veste accrochée
à la chaise qui trompent la vigilance de l'usager. Mais il suffit pour
cet usager d'attendre quelques heures pour remarquer que celui qui s'est
levé ne revient plus s'asseoir. Le phénomène est monnaie
courante et aisément contagieux, car, même des stagiaires dans les
services administratifs ne perdent pas du temps pour s'approprier la
formule.
Cette situation d'absentéisme plus remarquable en
période de campagne électorale est favorisée et même
encouragée par la politisation de l'administration publique
béninoise. Car, l'APE n'a rien à craindre lorsqu'il
déserte le service pour aller en campagne aux côtés de son
supérieur hiérarchique qui, en fin d'année devra le
noter.
Du coup, c'est la qualité du service rendu par
l'administration publique béninoise qui n'est pas exportable. Pourtant,
tous ces agents doivent avancer et réclamer l'incidence
financière de leur "performance". Or, non seulement ils auraient
contribué à ralentir le rendement de l'Etat mais les usagers du
service public ne sont pas aussi satisfaits.
Comment la réforme administrative pourrait-elle alors
atteindre les résultats escomptés dans une administration
où la volonté de faire la politique est encouragée et la
performance politique promue ? Sinon, à quel souci
répondrait la nomination d'un instituteur à un poste de
sous-préfet ?
L'avancement au mérite, si l'on n'y prend garde risque
d'être un avancement suivant le mérite politique, car, les amis
politiques seront toujours récompensés et il n'y a pas meilleure
récompense pour un agent permanent de l'Etat que sa promotion.
D'où l'urgence de trouver des mesures dissuasives.
2- Le sort des adversaires politiques :
Sur les adversaires politiques, la mise en application du
nouveau système d'avancement au mérite risque d'avoir des effets
très peu souhaités.
La réforme administrative, si elle est appliquée
dans les conditions actuelles de l'administration publique béninoise
où la politisation règne à outrance, risque de
léser - quel que soit le gouvernement- les "ennemis politiques". Car,
tout le monde peut constater aujourd'hui que la politique provoque une
séparation de plus en plus nette entre les fonctionnaires en harmonie
avec le pouvoir et ceux dits de l'opposition. Ces derniers, exclus de la
participation à l'exercice du pouvoir d'Etat dans biens des cas et
ramenés au rôle de simples exécutants sont
désavoués dans leur choix politique et souvent guettés par
des mutations fantaisistes ou purement tendancieuses.
Leur sort est souvent décidé sans tenir compte
de leurs qualités professionnelles. Ils sont de ce fait
démoralisés et découragés puisque leurs
qualités d'imagination et de courage ne sont pas
récompensées. Ils sont victimes de l'arbitraire et refusent de
participer aux objectifs du service où ils travaillent.
Dans cette atmosphère peu favorable aux relations
professionnelles, c'est la réforme administrative qui sera une
réforme bancale car elle deviendra soit une réforme
unidirectionnelle soit simplement une réforme
déviée :
- la réforme administrative risque d'être une
réforme unidirectionnelle car, les opposants politiques,
désavoués et victimes de l'arbitraire pourraient à un
moment donné s'abstenir de se battre pour les objectifs de leur service
car pour eux, leur mérite n'est pas récompensé et profite
plutôt à leurs collègues juste acceptables ou parfois
suffisamment paresseux. Pour eux, le salut n'interviendrait qu'à la
suite d'une alternance en leur faveur : le revers de fortune chez les
autres. Dans cette attente, toute cette frange de l'effectif des APE restera
indifférente au contrat d'objectifs, chacun dans son service et à
son niveau. Dans ces conditions, le souci d'aboutir à une administration
de développement restera un mythe. Car, il doit requérir la
participation de tous les acteurs de l'administration publique béninoise
et ne pourra jamais aboutir si toute une idéologie lui refuse son
soutien ;
- la réforme administrative risque d'être une
réforme déviée car, elle sera une réforme du
prestige de la classe au pouvoir - pas nécessairement celle actuellement
au pouvoir- parce que le mécanisme de sa mise en application dans
l'administration publique béninoise peut créer un fort d'esprit
et un faible d'esprit. Le fort d'esprit sera nécessairement l'agent en
harmonie avec la politique du supérieur et qui avancera normalement ou
plus facilement. Le faible sera l'"ami d'en face", l'adversaire politique.
Celui-ci sera mal vu par son supérieur hiérarchique et n'avancera
pas facilement en dépit de ses performances.
Dans cette situation de règlement de compte, on
assistera à une bipolarisation de l'administration publique
béninoise qui sera illustrée bien évidemment par le manque
d'objectivité dans la notation. L'administration publique
béninoise risque de devenir moins "compétitive" qu'elle l'est
aujourd'hui, car, les opposants politiques ne se battront plus pour le
mérite puisqu'ils n'avanceront pas ; les agents en harmonie avec
leur supérieur hiérarchique ne se gêneront pas non plus car
ils sont sûrs d'avancer. Dans ce cas, seuls les "neutres" se battront
peut-être.
PARAGRAPHE II : LE SORT
DES AGENTS APOLITIQUES ET
L'AVENIR DE
L'ECONOMIE BENINOISE :
1- Impact du nouveau système d'avancement au
mérite sur les agents
apolitiques :
On peut désigner par agents apolitiques ceux qui ne
sont d'aucun bord politique ou ceux qui n'ont jamais affiché leur
couleur politique.
Ceux là, normalement, n'ont rien à craindre
quant aux effets pervers de la politisation sur la mise en application du
nouveau système d'avancement au mérite. S'ils sont performants,
ils devront avancer ; dans le cas contraire ils ne devront pas crier au
scandale s'ils n'avancent pas. Mais hélas, cet idéal pourrait
être facilement manipulable.
A moins de posséder de vertus édifiantes, les
agents neutres seront obligés de choisir un camp politique. Car, la mise
en application du nouveau système d'avancement au mérite donnera
au supérieur hiérarchique un pouvoir intangible sur ses
collaborateurs ou du moins sur leur carrière. On assistera alors
à coup sûr à la corruption, à l'intimidation et
à des menaces de tout genre de la part des supérieurs
hiérarchiques sur leurs collaborateurs.
On assistera à la corruption car, il sera très
facile à un agent, sans bord politique de tendre un pot-de-vin à
son supérieur hiérarchique pour négocier une bonne note et
s'inscrire au tableau d'avancement. Cette pratique loin de promouvoir la
performance pourra instaurer un réseau de corruption dans les services
publics béninois où l'on risque de n'avoir que des "patrons"
corrompus.
D'un autre côté, l'intimidation sera
poussée car les agents qui tenteraient de résister aux pratiques
malsaines en échange d'une bonne note, pourront subir des pressions de
tout genre. Des demandes d'explication pourront être adressées
sans que des fautes de cette taille aient été commises. Des
avertissements pourront être donnés dans les mêmes mesures.
Dans ce cas, l'agent qui n'avait pas encore fait son choix politique le ferait
et certainement en faveur de son supérieur chargé de le noter.
Désormais donc, il est, lui aussi admis au cercle des
protégés et n'a donc plus besoin de cultiver la performance pour
progresser dans sa carrière.
Si l'on n'y prend garde, on risque d'aboutir à une
violation des libertés politiques des APE béninois. Car, pour la
plupart, ils pourraient, malgré eux choisir une tendance afin d'avancer.
L'autre danger qui guette notre administration, c'est qu'elle risque de
devenir une administration où dominera ce que nous pouvons appeler un
système de "tendance politique unique". C'est-à-dire que tous les
APE seront obligés d'adhérer à l'idéologie de la
classe au pouvoir. La bataille pour le mérite n'existerait alors plus et
le souci d'aboutir à une administration de développement sera
emporté par le vent de la contre-performance concertée.
Le processus pour aboutir au système de tendance
politique unique sera très simple : l'agent apolitique, lui,
cèdera très vite devant les pressions de son supérieur en
harmonie avec la classe au pouvoir. Quant aux adversaires politiques, ils
tenteront, pour les véritables opposants, de résister. Mais, cela
ne durera qu'un bout de temps. Ils finiront par céder pour progresser
dans leur carrière.
L'analyse est peut-être trop abstraite, mais les
retournements de veste après chaque alternance dans notre pays
illustrent aisément cette situation. Des députés ont
laissé entendre et continuent de dire dans ce pays, qu'ils ne passeront
pas dix (10) ans dans l'opposition. Les plus habiles n'y sont plus
aujourd'hui ; d'autres cherchent toujours des moyens pour s'en sortir.
Cette situation qui ne date pas d'aujourd'hui, quelle que soit l'alternance que
connaîtra notre pays, se produira toujours. Il en sera de même dans
la fonction publique où des agents permanents de l'Etat, fatigués
de leur statut d'opposant finiront par devenir dociles à ceux qui auront
le pouvoir en main et qui doivent encore les noter. Ainsi, plus personne ne se
soucierait du mérite, car, il n'y aurait plus d'opposition, plus de
mouvance dans l'administration publique béninoise. Et, l'avancement au
mérite deviendrait ainsi un outil politique facilement manipulable par
l'alliance qui aurait le pouvoir en main.
2- L'avenir de l'économie
nationale :
L'un des objectifs que vise le nouveau système
d'avancement au mérite est la maîtrise de la masse salariale.
Mais, le contraire risque de se produire avec l'ampleur que prend la
politisation. Si des mesures de salubrité ne sont pas prises, le
mérite risque de peser lourdement dans la balance et le danger de
réduction des effectifs de l'Etat guette encore de la fonction
publique béninoise.
a- Le poids du
"mérite" :
Si aucune disposition n'est prise pour contenir la
politisation, le mérite de l'agent n'aura certainement de sens que dans
un contexte politique et il n'y aura d'autres méritants que ceux qui
seraient en harmonie avec la classe au pouvoir, ou qui auraient
réalisé des performances politiques.
Dans ces conditions où la tendance politique au pouvoir
verrait ses effectifs grossis du fait de son privilège, les agents
"performants" seront plus nombreux. La mise en application de l'avancement au
mérite sera alors l'ère du record jamais réalisé
en matière de performance au Bénin. Or, tous ceux qui avanceront
réclameront l'incidence de leurs efforts.
Dès lors, l'avancement au mérite au lieu de
maîtriser la masse salariale à la limite réelle des
performances de la fonction publique risque d'envenimer la situation
économique de notre pays.
b- Le risque de réduction des effectifs
de l'Etat :
La résultante inéluctable de la non
maîtrise de la masse salariale par le budget national sera le blocage des
avancements ou mieux le blocage du paiement des droits afférant à
l'avancement. Ce sera peut-être la meilleure des solutions car, la suite
pourrait être une réduction de l'effectif des APE. Non pas parce
que les APE seraient plus nombreux mais parce que leur rendement ne permettrait
même plus à l'Etat de payer les salaires à quelque indice
que ce soit. La dernière solution serait, à nouveau,
d'opérer des départs volontaires ou des départs
ciblés, comme ce fut le cas vers la fin des années 80 où
6 000 fonctionnaires sont partis de la fonction publique béninoise.
On pourrait assister aussi à la même situation de blocage des
recrutements dans la fonction publique.
D'où l'urgence de réfléchir à des
mesures préventives afin que la politisation ne puisse empêcher
la mise en application du nouveau système d'avancement au
mérite.
|