L'Homme Démocratique
François Palacio. 2003
Homo Democraticus
- PHENOMENOLOGIE DU FAIT DEMOCRATIQUE -
2
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION.........................................................................................p.
6
CHAPITRE I- LA NATURE DU
POUVOIR........................................................p. 9
I- LA LIBERTE POLITIQUE CHEZ LES
ANCIENS................................p. 12
1- Structure du politique en Grèce
ancienne.........................................p. 12
2- La fin de la
cité........................................................................p.
14
II- L'UNIVERSALISME CHRETIEN ET LA DIRECTION DES
AMES...........p. 17
1- St Augustin et la nature
humaine...................................................p. 17
2- Reginem et regnum: la conception ministérielle du
pouvoir...................p. 18
III- ESPACE ET TEMPS DU GOUVERNEMENT DES HOMMES: LE MOMENT
MACHIAVELIEN........................................................................p.
22
IV- CONFIGURATION EPISTEMOLOGIQUE DU POUVOIR MODERNE.......p.
25
1- St Thomas et la transcendance du premier
principe............................p. 25
2- Spinoza et l'ontologie de
l'immanence.............................................p. 26
3- Hobbes et le
mécanisme.............................................................p.
28
CHAPITRE II- GENESE ET STRUCTURE DE LA DEMOCRATIE
LIBERALE......
...................................................................................................................p.
29
I- SOUVERAINETE ET
DROITS......................................................p. 32
1- Hobbes: puissance et
souveraineté.................................................p. 32
Physique des atomes
sociaux................................................................................p.
32
Droit de nature et loi
naturelle...............................................................................p.
35
Volonté intérieure et puissance
extérieure.................................................................p.
36
De la multitude au
peuple....................................................................................p.
38
2- Locke: sociabilité naturelle, société
politique et gouvernement................p. 41
L'état de nature
lockien.......................................................................................p.
41
Société politique et
gouvernement..........................................................................p.
42
3- Tolérance et droit de
conscience...................................................p. 45
?Hobbes et la question du for
intérieur......................................................................p.
45
Les droits de la conscience religieuse: Bayle, Spinoza,
Locke..........................................p. 47
Conséquences: l'émergence de l'individu et le
problème du lien social...............................p. 49
II- TOPIQUE DU POUVOIR SOCIAL: LA LIBERTE DES MODERNES........p.
52
3
1- De la souveraineté à la
gouvernementalité.........................................p. 52
Montesquieu et l'Esprit général de la
nation..............................................................p. 52
La
gouvernementalité.........................................................................................p.
54
La gouvernance
libérale.....................................................................................p.
56
2- La représentation
démocratique...................................................p. 58
Forme de gouvernement et forme de
souveraineté.......................................................p.
58
Le dispositif institutionnelle de la démocratie
libérale: représentation, élection et
consentement.....................................................................................................p.
60
3- L'espace public comme médiation à soi de la
société...........................p. 63
La liberté de
l'écrit............................................................................................p.
64
La genèse structurelle de l'espace
public..................................................................p.
65
CHAPITRE III- PHENOMENOLOGIE DU POUVOIR
SOCIAL..........................p. 70
I-
EMANCIPATION.......................................................................p.
72
1- La société contre
l'Etat..............................................................p. 74
2- La nature et
l'histoire............................................................... .p.
74
Fichte et la
révolution.........................................................................................p.76
Kant et le dessein de la
nature................................................................................p.79
3- Le pouvoir comme lieu
vide........................................................p. 79
Rousseau et la fondation immanente du corps
social....................................................p. 79
Le système
totalitaire.........................................................................................p.
82
Le lieu vide du
pouvoir.......................................................................................p.
85
II-
IMMANENCE............................................................................p.
87
1- Tocqueville et le pouvoir
social.....................................................p. 88
L'égalité des conditions et la souveraineté
du peuple.....................................................p. 88
Le pouvoir
social...............................................................................................p.
90
2- Hannah Arendt et la victoire de l'animal
laborans...............................p. 93
La vita activa et la distinction
privé/public.................................................................p.
93
La victoire de l'animal
laborans.............................................................................p.
95
3- Foucault et le
bio-pouvoir...........................................................p. 97
Les rapports du
pouvoir/savoir..............................................................................p.
98
La société
disciplinaire.......................................................................................p.100
Bio-politique et
bio-pouvoir................................................................................p.
104
L'Etat et
l'Empire.............................................................................................p.
106
CONCLUSION....................................................................p.
110
BIBLIOGRAPHIE................................................................p.
114
4
Tout ce qui a quelque valeur dans le monde
actuel, ne l'a pas en soi, ne l'a pas de sa nature - la nature
est toujours sans valeur - mais a reçu un jour de la valeur, tel un don,
et nous autres nous en étions les donateurs.
F. Nietzsche, Le gai savoir, §301.
Si le pouvoir n'a plus de mystère pour la
société, c'est que la société n'en a plus pour le
pouvoir.
politique.
F. Guizot, De la peine de mort en
matière
5
Au lendemain de la chute du mur de Berlin, qui met fin à
presque cinquante années de
lutte idéologique entre les deux blocs communiste
et libéral, Francis Fukuyama publie un article qui va
déchaîner les passions par sa thèse principale :
l'effondrement du bloc soviétique correspond à la fin de
l'histoire en tant que telle, " le point final de l'évolution
idéologique de l'humanité et l'universalisation de la
démocratie libérale occidentale comme forme finale de
gouvernement humain "1. Cette idée se fonde en dernier
ressort sur le constat que " L'Etat qui émerge à la fin de
l'histoire est libéral dans la mesure où il
reconnaît et protège par un système de lois le
droit universel de l'homme à la liberté, et qu'il est
démocratique dans la mesure où il n'existe qu'avec le
consentement des gouvernés "2. Ainsi
en tant qu'elle est seule à qualifier de manière
légitime l'existence collective de l'Homme, la démocratie
libérale triomphe nécessairement face aux autres modalités
de gouvernement, au terme d'une dialectique historique où
nécessairement le plus juste l'emporte3.
Mais quel est l'étalon qui permet de juger de ce
degré d'évolution? Ne pouvant faire intervenir de critères
historiques, eux-mêmes relatifs, dans l'évaluation de ce
processus, notre jugement doit prendre la nature humaine immuable comme aune de
référence4. En tant que la démocratie
libérale est seule à garantir les droits de l'homme
fondamentaux qui sont l'expression de cette nature, sa réussite
doit donc clore l'histoire en réalisant l'essence de l'Homme.
Elle constitue en ce sens une modalité naturelle de
gouvernement, car en adéquation avec la quiddité de l'Homme ;
modalité unique et universelle, processus abouti de
la libération de l'Homme à travers l'histoire.
Il est inutile de revenir sur les critiques qu'a pu
entraîner cette conception d'une fin de l'histoire, d'autant que les
faits, en ce début de XXIe siècle, se sont
chargés de montrer l'inanité d'un tel modèle
herméneutique. Nous ne cherchons donc pas à savoir, par le
relevé d'indices empiriques qui nous permettrait de la retenir ou de la
disqualifier, en quelle mesure cette conception se révèle
juste ou erronée. Mais cette thèse, selon laquelle la
démocratie libérale serait la seule à même
d'incarner l'essence de la nature humaine, doit nous retenir en tant que
signe, signe d'une évidence du fait
démocratique. Notre interrogation n'est dès lors
1 F. Fukuyama, article " La fin de l'histoire ",
Commentaire n°47, p. 457
2 Ibid., p. 459.
3 F. Fukuyama, La fin de l'histoire et le
dernier homme, p. 163 : " Si l'homme est fondamentalement un animal
économique gouverné par son désir et sa raison, le
processus dialectique de l'évolution historique devrait être
passablement similaire pour des sociétés et des cultures humaines
différentes. (...) Même s'il existe une grande
variété de parcours que les pays peuvent emprunter pour
atteindre la fin de l'Histoire, il n'y a que peu de versions de la
modernité en dehors de la version démocrate libérale du
capitalisme qui ait les apparences de la réussite possible ".
4 Ibid., p. 168 : " Une approche alternative
pour déterminer ce point de la fin de l'Histoire pourrait être
appelée transhistorique, ou approche fondée sur un concept
de nature. C'est-à-dire que nous pourrions apprécier la
validité des démocraties libérales
existantes du point de vue d'un concept transhistorique de l'homme.
Nous
pourrions ne pas considérer simplement le
témoignage empirique du mécontentement populaire dans les
sociétés réelles d'Angleterre ou d'Amérique, par
exemple. Nous ferions plutôt appel à une compréhension de
la nature humaine, ces attributs permanents mais non constamment visibles de
l'homme en tant qu'Homme, et mesurer la validité des démocraties
contemporaines à l'aide de ce critère. Cette approche nous
libérerait de la tyrannie du présent, c'est-à-dire des
critères et des attentes imposées par la société
même que nous essayons d'apprécier ".
6
pas tant : la démocratie libérale
est-elle réellement un mode universel de gouvernement humain
?, que celle-ci : pourquoi et comment la démocratie
libérale se donne-t-elle pour tel ? Nous ne visons pas à
la réfutation d'une opinion sur la nature humaine, mais nous
nous demandons quelles sont les conditions de possibilité d'une
telle opinion. Pourquoi et comment la démocratie libérale en
est-elle venue à qualifier l'existence générique de
l'homme
en tant qu'Homme ?
Lorsque nous parlons de démocratie
libérale, nous évoquons un mode de gouvernement
fondé sur l'articulation d'une sphère civile, non politique,
d'échanges sociaux,
où l'Homme trouve à réaliser les
droits fondamentaux dont il jouit naturellement, et une sphère
politique, garante de ces droits, qui, basée sur le principe de
représentation, oblige les gouvernants à gouverner avec le
consentement des électeurs. Grâce à ce dispositif, la
sphère sociale, lieu véritable des échanges naturels et
humains, acquiert une autonomie suffisante à
lui assurer sa propre maîtrise. Aucun pouvoir
supérieur à celui de la société ne doit limiter sa
puissance et sa productivité. Le pouvoir de l'Etat
lui-même, de sphère transcendante et hétéronome
qu'il était, devient un instrument au service de la régulation du
corps social.
Poser la question de l'universalité du
modèle libéral, c'est finalement interroger la constitution
de ce dispositif en tant qu'il a pour fin le pouvoir de l'Homme. Ce
que l'Homme peut, ce n'est pas le pouvoir politique qui peut le
définir a priori, c'est l'Homme lui-même,
tel qu'il se découvre dans les rapports naturels au sein
de la société civile, qui le détermine.
La société est par principe antérieure
à l'Etat. C'est sur ce principe que se fonde l'idée
libérale selon laquelle on gouverne toujours trop, et que
laisser faire les hommes, c'est assurer une régulation naturelle au sein
de la société. De là l'opinion que la démocratie
libérale, en tant qu'elle assure l'autonomie de la sphère sociale
et civile, est un gouvernement directement en adéquation avec la nature
humaine et seul à même de révéler l'Homme à
lui-même.
Notre propos consiste en une analyse de la structure de la
démocratie libérale visant à revenir sur le
mécanisme d'apparition de cette sphère sociale. Nous
demanderons dès lors comment l'on peut qualifier, à partir
d'elle, l'existence générique de l'Homme. Or en tant que cette
analyse est tributaire d'une réflexion sur l'histoire des
idées politiques, la conception universaliste nous apparaît
avant tout comme historiquement déterminée. Ainsi à
notre question pourquoi la démocratie libérale est-elle
un mode de gouvernement universel et naturel du genre humain ?,
l'enquête historique devrait nous permettre de poser la question sur un
mode négatif : pourquoi la démocratie libérale n'est
pas un mode de gouvernement universel et naturel du genre humain? La
réponse à cette question n'est pas tributaire d'une enquête
empirique. Comme nous l'avons dit, nous ne visons pas à réfuter
une opinion en tant que telle. Néanmoins, c'est sur le terrain de
l'histoire des idées que l'opinion qui fait de la démocratie
libérale un mode universel de gouvernement trouve ses limites.
Car, en nous portant à l'étude de l'élaboration des
significations politiques à l'oeuvre dans la genèse du
discours libéral, nous nous apercevons que ces significations sont
apparues dans le contexte très particulier d'une discussion autour de
l'administration des âmes par le pouvoir spirituel. C'est en effet, au
XVIIe siècle, au moment des guerres de religion, que s'élabore
l'Etat-nation
en réponse aux velléités de l'Eglise.
Ce sont les structures propres à ce dispositif politique nouveau qui
permettront l'avènement du discours libéral sur la
primauté de la liberté privée.
La genèse historique ainsi retracée
devrait donc nous permettre de répondre à cette
interrogation négative. Quant à la première
question, nous verrons que l'idée d'un Etat universel et
homogène naît structurellement de l'agencement interne de la
démocratie libérale. Nous suivrons par conséquent deux
argumentations parallèles. D'une part, l'exposé
historique montrera, sur le plan de l'histoire des idées,
les limites de l'opinion universaliste en faisant appel au relativisme
historique. D'autre part, l'étude des structures mises en place par
7
la démocratie libérale au sein et en rapport avec
cette histoire nous conduira à l'élucidation des conditions de
possibilité d'une telle opinion.
Nous nous porterons donc à l'étude du fait
démocratique en commençant par retracer
le déplacement opéré dans la notion
de pouvoir au cours de l'histoire européenne. Nous verrons que ce
déplacement quant au sens de l'existence politique est chaque fois
tributaire d'une organisation épistémique particulière.
C'est dans son rapport avec le sens général de
l'inscription humaine que la liberté se découvre un statut
particulier. Nous pourrons ainsi nous intéresser à la
signification nouvelle que l'homme retient de sa liberté
à l'aube de la modernité, signification répondant
à un déplacement dans l'idée que l'homme se fait de son
rapport à la nature.
Nous serons alors en mesure de nous porter à
l'étude proprement politique de la genèse et de la
structure de la démocratie libérale, en n'oubliant pas
que cette genèse est fortement liée au renouvellement de la
méthode scientifique au XVIIe siècle. Ainsi nous sera-
t-il possible de saisir la requalification de la
liberté humaine qui s'ensuit et qui permet, dans le cadre de
l'Etat-nation en train d'émerger, l'autonomisation progressive de
la société civile. Nous serons ainsi à même
de saisir les effets de cette autonomisation quant aux fins du
pouvoir.
Enfin, après avoir mis au jour la nature du
pouvoir à l'oeuvre au sein de la société civile,
nous tenterons d'élucider les modalités d'exercice de ce pouvoir
social d'un point de vue phénoménologique. A partir de
l'étude de ce pouvoir immanent à la sphère sociale, lieu
naturel de reproduction des moyens d'existence, nous serons alors en
mesure de mieux comprendre comment la démocratie libérale peut
se donner comme gouvernement naturel du genre humain.
Notre thèse consiste finalement à montrer que
l'idée de l'Homme n'a pu se faire jour qu'au sein d'un
aménagement particulier du pouvoir dans les sociétés
occidentales modernes.
Ce n'est pas que l'Homme en tant que tel ait
toujours existé, réprimé par un pouvoir despotique
dont la démocratie libérale l'aurait délivré.
C'est que la démocratie libérale, en tant que mode
politique de l'existence collective, a inventé un sujet de
pouvoir nommé l'Homme. Mais en tant qu'elle se comprend
à partir des structures de pouvoir déjà
constituées, elle ne peut faire retour sur les conditions de
possibilité de son propre discours. D'autre part, en tant qu'elle
spécifie un objet de pouvoir très particulier, la nature humaine,
elle se donne un statut d'évidence qui redouble l'intelligibilité
circulaire dans laquelle elle se meut.
Il nous faudra finalement interroger le statut de ce
cercle herméneutique pour rechercher s'il s'agit d'une illusion
masquant une émancipation possible de l'Homme, ou bien s'il y va d'une
nécessité structurelle, inhérente à l'institution
de chaque société.
Notre méthode peut donc se définir
comme une réflexion sur la genèse des significations
politiques mises en jeu par la structure libérale. Cette enquête
généalogique se double d'une phénoménologie en tant
que la mise en lumière de ces significations doit partir d'une
épochè sur le sens des structures instituées. Il
nous sera dès lors possible de montrer comment l'histoire occidentale a
vu se dégager un monde de significations politiques à
partir duquel se constitue le discours libéral, sans que celui-ci soit
à même de faire retour sur les conditions qui le fondent.
8
Chapitre I
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