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L'Homme Démocratique

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par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

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La nature du pouvoir

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Notre hypothèse de départ consiste à insister sur la manière dont chaque époque met

en place les structures signifiantes à partir desquelles elle se comprend. Dans ce cadre, l'organisation du fait collectif est tributaire d'un compréhension générale de l'inscription humaine qui se constitue non directement sur le terrain politique mais correspond à une configuration épistémologique particulière.

L'on peut, en effet, concevoir l'expérience du politique comme imbriquée dans un réseau de sens qui circonscrit et rend possible le rapport à soi de chaque société. Cette configuration générale renvoie à un champ d'énoncés possibles et à une structuration du visible qui détermine la réalité à laquelle les hommes auront à faire1. Ainsi peut on parler d'un

a priori historique qui structure l'expérience que chaque société fait d'elle-même dans le rapport au monde de signification ainsi élaboré2.

Certains auteurs ont vu dans le rapport à l'expérience religieuse et au statut invisible

de la divinité l'expression de ce champ constitué. En effet, c'est à partir du rapport à l'invisible que le champ de l'expérience visible se voit structuré en un réseau serré de sens en lequel les phénomènes trouvent une place et acquièrent une figure. De cette manière, chaque société instaure par rapport à son fondement une distance nécessaire à la pérennisation du sens général ainsi institué. La configuration particulière du lien social qui se trouve déterminé

en rapport à ce fondement invisible offre à ce lien le statut d'une évidence inattaquable3.

Il nous semble néanmoins que ce n'est qu'indirectement que la divinité invisible détermine la compréhension que chaque société a de la réalité. En effet, c'est surtout par la médiation de l'idée de Nature, que met en jeu la religion, qu'un champ d'initiative est laissé possible aux hommes qui agissent au sein de leur monde. En tant qu'elle est le lieu de la nécessité, entendu au sens d'une législation infrangible, la Nature, constituée en une configuration particulière, offre un espace où la liberté humaine peut jouer. C'est donc de l'expérience que les hommes font de leur liberté dans leur rapport à la Nature que peut émerger une définition du pouvoir propre à chaque époque. Cette définition est dès lors tributaire de l'ordonnancement d'un cosmos singulier, lieu d'inscription de l'action humaine, qui délimite et rend possible cette action. Ainsi l'expérience que chaque époque fait du

1 M. Foucault, Les mots et les choses, p. 11 : " Les codes fondamentaux d'une culture -ceux qui régissent son langage, ses schémas perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses pratiques - fixent d'entrée de jeu pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans lesquels il se retrouvera " ; Deleuze, Foucault, p. 66-67: " Chaque formation historique voit et fait voir tout ce qu'elle peut,

en fonction de ses conditions de visibilité, comme elle dit tout ce qu'elle peut, en fonction de ses conditions d'énoncé. (...) Parler ou voir, ou plutôt les énoncés et les visibilités sont des Eléments purs, des conditions a

priori sous lesquelles toutes les idées se formulent à un moment, et les comportements se manifestent ".

2 M. Gauchet, Le désenchantement du monde, XIV : " Il y a du transcendantal dans l'histoire, et il est de la nature de ce transcendantal de ménager la latitude d'un rapport réfléchi au travers duquel l'espèce humaine choisit de fait entre un certain nombre de manières possibles d'être ce qu'elle est ."

3 Ibid., p. 18 : " S'il est acquis que les modalités coutumières de la co-existence humaine sont entièrement prédéfinis, il est du même coup exclu que puisse se faire jour une opposition entre acteurs sociaux engageant la

teneur et les formes du rapport collectif. Par avance, donc, tout conflit éventuel entre individus et groupes se voit

assigner des limites précises quant à ses perspectives et ses enjeux ".

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pouvoir politique doit être ressaisi dans le cadre général de l'organisation épistémique qui donne sens à ce pouvoir.

L'on ne peut, par conséquent, espérer retracer la genèse du pouvoir en jeu dans la démocratie libérale à partir d'une évolution qui partirait de l'expérience grecque de la démocratie et qui aboutirait, après le dévoiement chrétien de ce pouvoir, au renouvellement d'une compréhension originelle de la liberté humaine. Mais il ne faut pas néanmoins conclure

de cette nécessaire clôture du sens dont chaque époque fait l'expérience à une incommunicabilité totale entre les organisations de sens ainsi définies. Ni historicisme, ni abîme infranchissable, le passage historique d'une forme particulière à une autre, doit être saisi en termes de déplacement et de réaménagement des structures de sens par lesquelles les hommes font l'expérience de la réalité qui se donne à voir. C'est de ces déplacements opérés

au cours de l'histoire du pouvoir en Occident qu'il nous faut partir pour tenter de circonscrire

la singulière configuration du monde démocratique.

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La liberté politique chez les Anciens

C'est un lieu commun de reconnaître dans la démocratie grecque la mise au jour d'un pouvoir humain fondé en l'expérience d'un monde que la raison aurait délivré des scories de

la pensée mythique et prélogique. En ce sens, une étrange familiarité pousse à voir dans le modèle de la cité athénienne classique une amorce de notre propre compréhension des phénomènes naturels et humains, compréhension vierge de toute référence dogmatique à un pouvoir supra-humain censé orienter la finalité des actions humaines. L'on en arrive ainsi souvent à faire du gouvernement médiéval un accident dans l'histoire de l'émancipation humaine.

Cette conception schématique ne peut bien entendue se soutenir sur le plan de l'histoire des idées. Mais elle constitue néanmoins une opinion suffisamment tenace1 pour que nous insistions sur la nécessaire singularité des significations mises en jeu dans l'expérience grecque du politique. Ainsi devons-nous nous porter à l'étude de la structure du politique en Grèce ancienne, structure qui renvoie elle-même à la relation particulière que les Grecs instaurèrent avec la Nature. Nous le verrons, ce rapport spécifique à la sphère naturelle nous interdit de considérer la liberté politique tels que l'assume le citoyen athénien du Ve siècle dans le cadre de nos propres catégories, catégories que la conception chrétienne du pouvoir a fortement concouru à élaborer.

Nous distinguerons deux niveaux d'analyses quant au problème politique en Grèce ancienne : d'une part, la structure du politique dont les catégories ont servi et servent encore à la compréhension conceptuelle des rapports du politique aux autres manifestations de

la vie en commun et, d'autre part, la fin de la Cité et le statut du droit naturel dans le discours d'Aristote.

Structure du politique en Grèce Ancienne

Dans son discours célèbre Sur la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, Benjamin Constant distingue deux formes de libertés : la liberté comme participation au pouvoir politique et la liberté comme indépendance privée.

Ainsi définit-il la première, celle qui nous intéresse ici : " La liberté des Anciens consistait

à exercer collectivement, mais directement, plusieurs parties de la souveraineté tout entière, à délibérer, sur la place publique, de la guerre et de la paix, à conclure avec les étrangers des traités d'alliance, à voter les lois, à prononcer les jugements, à examiner les comptes, les actes, la gestion des magistrats, à les faire comparaître devant tout un peuple, à les mettre en

1 Oriana Fallaci, journaliste italienne mondialement reconnue pour ses reportages sur la guerre au Vietnam et les crises au Moyen-Orient, écrit ainsi dans le quotidien milanais Corrierre della sera (extraits in Courrier International, n° 575, 8-14 novembre 2001), à propos de la culture islamique : " Pourquoi a-t-on besoin de parler d'un conflit entre deux cultures? Parler de deux cultures me gêne un peu : cela revient à les mettre sur le même plan comme s'il s'agissait de deux réalités parallèles, de même poids et de même taille. Notre civilisation est le berceau (...) de la Grèce antique qui nous a légué sa découverte de la démocratie... " (nous soulignons). L'on remarque comment la filiation établie avec l'héritage politique grec permet à la journaliste de mettre en place, par l'appel à un héritage directement assumé comme le nôtre, une opposition entre ce qu'elle conçoit comme deux blocs civilisationnels aux racines millénaires et finalement hétérogènes.

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accusation, à les condamner ou à les absoudre ; mais en même temps que c'était là ce que les anciens nommaient liberté, ils admettaient comme compatible avec cette liberté collective, l'assujettissement complet de l'individu à l'autorité de l'ensemble (...). Les lois règlent les moeurs, et comme les moeurs tiennent à tout, il n'y a rien que les lois ne règlent. Ainsi chez les anciens, l'individu, souverain presque habituellement dans les affaires publiques, est esclave dans tous ses rapports privés "1.??

La différence majeure que retient Constant dans la définition de la liberté des anciens

et des modernes consiste en ceci que les premiers ne connaissent finalement de liberté qu'assemblés collectivement, sur la place publique, loin du silence de la vie familiale. Relevons comme indice le jugement négatif que porte Constant sur l'absence d'une liberté privée à Athènes puisque, nous le verrons, un tel jugement n'est possible qu'à partir du moment où la structure du pouvoir permet l'affirmation d'une sphère privée, problème qui ne

se pose pas à la conscience d'un Grec.

En fait, ce n'est pas qu'une telle sphère n'existe pas au sein de la Cité, mais elle ne reçoit pas de signification positive de la part du politique. Le foyer, l'oikos, est le lieu de la reproduction biologique de l'existence et de la satisfaction des besoins. C'est le simple règne

de la nécessité2. Cependant, la participation à la vie publique de la Cité implique l'indépendance quant à cette reproduction. Le citoyen doit pouvoir quitter la nuit du foyer pour entrer dans la lumière de l'agora, là où les hommes sont libres et égaux3 et pour cela il doit ne plus être astreint aux nécessités du labeur. Il doit être oïkodespotès, maître de la maison, régnant sur sa famille comme le roi dans une monarchie. L'autonomie par rapport au domaine privé est donc une caractéristique essentielle de la participation à la vie publique. Là s'affirme réellement le principe de la liberté, conçue comme discussion en commun des affaires de la Cité.

Il est dès lors, en un sens, possible d'affirmer avec Constant que la liberté privée est écrasée par la dimension publique du pouvoir. Mais gardons-nous d'émettre un jugement rétrospectif sur l'organisation de la Cité grecque et de juger celle-ci à partir de notre propre expérience du droit. Si l'individu n'existe qu'en corps, c'est tout simplement que l'individu n'existe pas. L'individu en tant que sujet premier du droit est pur non-sens pour un Grec.

Mais comment comprendre une telle séparation entre d'une part le domaine de la sphère naturelle et familiale, essentiel à l'autonomie du citoyen, et d'autre part l'affirmation

de cette autonomie sur la place publique. Cette volonté de démarquer deux domaines à ce point hétérogènes impliquerait-elle une césure entre liberté et nature, telle qu'aucune continuité ne puisse être établie entre le domaine public et le domaine privé ? Celui qui est

1 Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, 1819, in Pierre Manent, Les libéraux, p. 440-441.

2 Dans son écrit sur Le droit naturel (1803) Hegel écrit à propos de la sphère domestique en Grèce

Ancienne : " Comme ce système de la réalité est tout entier dans la négativité et dans l'infinité, il s'ensuit que, dans son rapport à la totalité positive, il doit être traité par elle de façon tout à fait négative et rester sous sa domination : ce qui est négatif par nature doit demeurer négatif et ne peut devenir quelque chose de ferme ". L'universalité de la Cité éthique demeure donc une totalité abstraite en ce sens qu'elle ne parvient pas à réintégrer le moment proprement négatif de la reproduction naturelle. G. Lebrun commente ainsi ce passage dans

La patience du Concept, p. 27 : " La Cité éthique de modèle grec est universelle en ce qu'elle réintègre les contenus que la Réflexion donne pour séparés et opposés. Mais l'universalité éthique rencontre, en dehors d'elle,

un contenu qu'elle ne parvient jamais à supprimer comme tel. Ce noyau de réalité, c'est le système des besoins

physiques ainsi que du travail et de l'accumulation que ces besoins réclament... le système de ce que l'on appelle l'économie politique ". Sur l'opposition de ces deux domaines, Cf. Principes de la philosophie du droit,

§166, p. 235.

3 Aristote, Les Politiques, p. 108: " Ce n'est pas la même chose que le pouvoir du maître et le pouvoir politique,

et tous les autres pouvoirs ne sont pas identiques entre eux comme le prétendent certains. Car l'un s'exerce sur des hommes libres par nature, l'autre sur des esclaves, et le pouvoir du chef de famille est une monarchie, alors que le pouvoir politique s'applique à des hommes libres et égaux ".

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soumis aux contraintes de la nature ne pourrait dès lors pas se voir ouvrir l'accès à la liberté des hommes. L'inégalité dans la nature engendrerait l'inégalité quant au politique.

Nous savons bien qu'historiquement cette inégalité politique en Grèce ancienne est un fait, mais la question que nous voudrions poser est celle-ci : un tel questionnement sur le rapport de la sphère privée et de la sphère publique quant à la liberté de l'individu a-t-il un sens dans le cadre conceptuel de la polis antique ?

Notre hypothèse sera finalement qu'il existe une étroite corrélation entre la manière dont un Grec juge du sens de la liberté politique et les structures mêmes de la réalité politique

de la Cité. On comprend dès lors que le rapport établi dans les Etats constitutionnels modernes entre démocratie et humanité ne pouvait naître en Grèce, ce qui pourrait expliquer que la démocratie n'est, chez les Anciens, qu'un mode particulier de la politeia et non pas une définition même de l'homme.

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore