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L'Homme Démocratique

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par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

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La fin de la Cité

On sait que, très tôt, les Grecs ont distingué ce qui est de l'ordre de la nature (phusis)

et ce qui est de l'ordre de la convention (nomos). Par exemple, dans le texte célèbre du Gorgias, Calliclès oppose " l'ordre de la loi " et ce que " la nature elle-même proclame "1. Ainsi la Cité est-elle de l'ordre de la convention et le juste une différence d'appréciation d'une société à l'autre.

Or contre ces dérives sophistiques et sceptiques, la philosophie tente d'établir un lien entre nature et loi : " la distinction entre nature et convention implique que la nature est essentiellement cachée par des décisions souveraines "2. Aussi le rôle du philosophe est-il de discerner l'exacte rapport de convenance entre la loi de la Cité et l'harmonie naturelle. Ainsi Platon, dans la République, à partir de l'ordre (cosmos) qui règle à la fois les corps célestes,

les trois parties de l'âme et les fonctions dans la Cité peut définir la justice comme ce qui consiste à faire bien son oeuvre. L'homme juste est l'homme dans lequel chaque partie de l'âme accomplit sa tâche; de même, dans la Cité, chacun doit tenir son lieu propre, non en vue

de son propre avantage mais en vue du bien commun3. Dès lors la fin de la législation est la vertu4.

L'on pourrait reprocher néanmoins à Platon de n'avoir en vue que la Cité parfaite, la calliopolis, et par conséquent, de ne pas prendre en compte la nécessaire contingence des affaires humaines, contingence avec laquelle la loi doit compter. Or Aristote, sur cette voie, nous semble un guide plus sûr, en tant qu'il distingue les objets propres de la connaissance théorétique, éternels et divins, et la science de la praxis, science de l'action humaine

1 Platon, Gorgias, 483a-483b, p. 225.

2 Leo Strauss, Droit naturel et histoire, p. 91: " La loi apparut comme une règle qui tire sa force du consentement, de la convention des membres du groupe. La loi ou la convention ont tendance à cacher la nature".

3 Platon, La République, 441a, p. 194: " Ainsi nous dirons, je pense, que la justice a chez l'individu le même caractère que dans la cité. Cela aussi est de toute nécessité. Or nous n'avons certainement pas oublié que la cité était juste du fait que chacune de ses trois classes s'occupaient de sa propre tâche. (...) Souvenons-nous donc que chacun de nous également, en qui chaque élément remplira sa propre tâche, sera juste et remplira lui-même sa propre tâche ". Cf. aussi, 433a, p. 185: " Chacun ne doit s'occuper dans la cité que d'une seule tâche, celle pour laquelle il est le mieux doué par nature "; Goldschmidt, Les dialogues de Platon, p. 281: " La Justice, elle, se définit dans les règles. Le raisonnement définitionnel a pour critère l'exigence de l'Etat parfait et le mécanisme des exclusions. Il reste, parmi les causes présentes dans la Cité, le principe de la division du travail, ce principe

qui enjoint à chacun de faire ses propres affaires, et ce doit être là la justice ".

4 Platon, Lois, 631a, p. 105: " Il est juste de commencer par la vertu, dans l'idée qu'elle est le but en vue duquel le législateur institue les lois ".

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essentiellement sujette au changement1. Chez ce dernier, nature et artifice s'articulent de façon à répondre aux problèmes que pose au philosophe la réalité politique de la Cité.

En effet, pour le Stagirite, la cité est une réalité naturelle2. Pourtant Aristote distingue droit naturel et droit légal. Ainsi dans l'Ethique à Nicomaque : " le juste naturel est ce qui a partout la même puissance et ne dépend pas du fait d'être décidé ou non ; le juste légal est ce qui, à l'origine, peut être indifféremment ceci ou cela "3. Comment comprendre alors que la cité soit d'origine naturelle mais en même temps qu'elle établisse ses propres critères du juste ?

En fait, deux éléments doivent être pris en compte dans l'examen du caractère naturel

de la Cité, son origine et sa fin. Quant à son origine, la communauté est composée de plusieurs familles. La fin de la famille est la subsistance, mais pas encore la vie heureuse, telos de l'existence humaine. Celle-ci réside dans l'autarcie; or, cela, la famille ne peut le réaliser. C'est donc de la réunion de plusieurs familles que naît la Cité dont la fin est l'autarcie. Mais comme c'est là la fin de toute vie heureuse, " la cité est par nature antérieure à

la famille et à chacun de nous "4.

La justice visera, par suite, à établir un ordre dans la communauté et c'est cet ordre qui définit chaque cité particulière, sa politeia, sa constitution ou l'ordre des magistratures. Ainsi

la constitution de la cité est une réponse artificielle à la fin naturelle en vue de laquelle la Cité existe. Aussi le critère de la cité juste sera ce qu'elle vise, en l'occurrence le bien commun5. Une cité sera défectueuse sitôt qu'elle vise à l'avantage des seuls gouvernants. Dès lors l'ordre des magistratures, la constitution, doit viser non au profit de certains mais au bien de tous6. Cependant à chaque forme de cité correspondra une organisation particulière. C'est pourquoi l'éducation des citoyens doit être conforme aux différentes constitutions7. En chaque constitution le juste sera jugé à partir du principe de base de la constitution. Dans la

1 Leo Strauss et Joseph Cropsey, Histoire de la philosophie politique, p. 130: " Dans la mesure où l'action humaine dépend de la volition humaine, elle est essentiellement sujette au changement. Le but de la science pratique n'est pas la connaissance mais l'amélioration de l'action; sa faculté propre est la partie calculatrice ou pratique de la partie rationnelle de l'âme, ou ce qu'Aristote appelle " la sagesse pratique " ou " la prudence

" (phronésis) ".

2 Aristote, Les Politiques, I, 2, 1252b, p. 90: " Et la communauté achevée formée de plusieurs villages est une cité dès lors qu'elle a atteint le niveau de l'autarcie pour ainsi dire complète; s'étant donc constituée pour permettre de vivre, elle permet, une fois qu'elle existe, de mener une vie heureuse. Voilà pourquoi toute cité est naturelle puisque les communautés premières dont elle procède le sont aussi ".

3 Aristote, Ethique à Nicomaque, V, 10, 1134b, 19-21, in revue Les études philosophiques, avril-juin 1986, Guy

Planty-Bonjour, " Le droit naturel selon Aristote et les Déclarations des droits de l'homme ", p. 151.

4 Ibid., I, 2, 1253a, p. 92.

5 Ibid, III, 6, 1278b, p. 227: " Il est donc manifeste que toutes les constitutions qui visent l'avantage commun se trouvent être des formes droites selon le juste au sens absolu, celles, au contraire qui ne visent que le seul intérêt des gouvernants sont défectueuses, c'est à dire qu'elles sont des déviations des constitutions droites. Elles sont,

en effet, despotiques, or la cité est une communauté d'hommes libres ".

6 Ibid., V, 8, 1308b, p. 377: " Mais la règle cardinale dans toute constitution c'est qu'elle soit organisée, tant du point de vue des lois que de celui de n'importe quelle administration, de telle manière que les magistratures ne soient pas source de profit, et c'est surtout dans les oligarchies qu'il faut s'y efforcer. Car ce n'est pas tant d'être écartés du pouvoir qui irrite la majorité des gens, que de penser que les magistrats pillent le bien public ".

7 Ibid., V, 9, 1310a, p. 383: " Mais le plus efficace de tous les moyens dont on a parlé pour faire durer les constitutions, et qui est aujourd'hui négligé par tous, c'est de donner une éducation conforme aux différentes constitutions. Car aucune des lois les plus utiles ne sera du moindre profit, même si elle est ratifiée par l'ensemble du corps politique, si les citoyens ne sont pas dotés de dispositions, c'est à dire éduqués, dans une perspective démocratique si les lois sont démocratiques, oligarchiques si elles sont oligarchiques. L'intempérance, en effet, si elle peut concerner un individu, peut aussi concerner une cité. Mais avoir reçu une éducation conforme à la constitution ce n'est pas faire ce qui plaît aux oligarques ou aux partisans de la démocratie, mais ce grâce à quoi les premiers pourront gouverner oligarchiquement et les seconds vivre en démocratie ".

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constitution démocratique, ce sera la liberté fondée sur l'égalité : " n'être au mieux gouverné par personne, ou sinon de l'être à tour de rôle "1.

Néanmoins, la fin de la Cité n'est pas le simple vivre ensemble, elle vise " la vie bienheureuse et belle et les belles actions2 ", " une vie excellente, accompagnée d'une vertu pourvue d'assez de moyens pour qu'on puisse prendre part aux actes conformes à la vertu "3.

Si, en fin de compte, le bien de la collectivité et le bien pour chaque homme sont le même, c'est qu'il y a entre la cité et le citoyen un rapport du tout à la partie. " Ce sont les mêmes choses qui sont excellentes pour un particulier et une communauté, et c'est cela que le législateur doit faire entrer dans l'âme des hommes "4. Alors effectivement l'homme n'est libre qu'en tant qu'il est citoyen, la vie au sein du foyer étant naturellement imparfaite.

Que retenir de cette courte étude de la Cité grecque qui semble nous éloigner de notre question d'origine ? Tout d'abord qu'il y a peu de sens à vouloir comparer démocratie grecque et démocratie moderne. Mis à part les différences institutionnelles dont nous n'avons pas traité ici, la liberté des Anciens était une réponse spécifique à l'organisation de la vie commune dans un champ épistémique particulier. Le problème d'une absence de liberté privée ne se pose donc pas pour la conscience grecque et il serait tout aussi anachronique de leur en tenir grief que de voir en eux des précurseurs de notre souveraineté populaire qu'une obscure tradition aurait éloignée de nous pendant plus de vingt siècles. En faisant l'économie d'une discussion sur la notion de droits subjectifs qui ne sont apparus qu'à l'époque moderne, l'on peut montrer que la structure même du pouvoir en Grèce ancienne ne pouvait prendre en vue l'individu, celui-ci ne trouvant pas de place dans le réseau conceptuel propre aux formes

de la vie politique antique. D'autre part, et c'est là l'essentiel, la démocratie pour les Grecs n'est qu'une forme de gouvernement parmi les autres et dont il est possible de comparer la nature avec les autres formes de constitution5. En tant que la Polis a pour fin naturelle l'autarcie, la démocratie, ni non plus aucune forme de gouvernement, ne saurait être jugée comme universellement valable. L'idée d'un gouvernement valable pour tous les hommes ne pouvait naître pour un Grec. Si les Grecs découvrent le citoyen, ils n'ont pas inventé l'Homme. C'est que cette idée même est tributaire d'une organisation nouvelle du champ conceptuel, organisation qui elle-même résulte d'un ordre historique déterminé6.

1 Ibid., VI, 2, 1317b, p. 418.

2 Ibid., III, 9, 1280b, p. 237.

3 Ibid., VII, 1, 1323b, p. 452.

4 Ibid. VII, 14, 1333b, p. 499.

5 M. Finley, La démocratie des anciens et la démocratie des modernes, p. 57: " Il ne va pas de soi qu'une telle quasi-unanimité se fasse actuellement en ce qui concerne les vertus de la démocratie, alors que, durant la majeure partie de l'histoire, ce fut l'inverse ". Finley cite en témoignage cette formule de Lipset (L'homme et la politique, Paris, Seuil, 1963, p. 433): " La démocratie n'est pas seulement, ou même fondamentalement, un moyen par lequel différents groupes peuvent atteindre leurs buts, ou chercher une bonne société; c'est la bonne société elle-même en action. ", p. 90, op. cit.

6 Cette affirmation encore hypothétique devrait trouver sa confirmation dans la suite de notre recherche. Cette longue entrée en matière devait en tout cas nous servir d'exemple paradigmatique pour ce que nous pourrions

appeler le cercle herméneutique du politique. Elle nous permet en outre d'avancer dans notre enquête quant à la

genèse du pouvoir démocratique, enquête qui nous conduit à présent à nous intéresser à l'empire chrétien médiéval et à l'universalisme dont il est porteur. Ce qui, nous allons le voir, nous en apprend beaucoup plus sur

la naissance de la modernité politique qu'une quelconque filiation avec les peuples anciens de l'Hellade.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo