WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

L'Homme Démocratique

( Télécharger le fichier original )
par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Conclusion

Notre interrogation de départ était double. A partir de l'opinion professée par Francis Fukuyama à propos de la fin de l'histoire et du triomphe de la démocratie libérale, nous nous sommes demandés d'une part pourquoi la démocratie libérale n'est pas un mode universel de gouvernement. Il s'agissait là de dénier au modèle libéral son extension universaliste à partir d'un retour sur l'histoire des idées. En ce sens, il nous a suffi de présenter la configuration du gouvernement des hommes dans l'Occident chrétien pour nous apercevoir que la structure de

la démocratie libérale est issue de la genèse de l'Etat-nation qui s'est édifié en réaction au pouvoir temporel de l'Eglise catholique. L'importance donnée à l'intériorité, l 'universalité attachée à l'idée du genre humain, ces traits distinctifs de nos régimes modernes sont nés dans l'orbe de la dogmatique chrétienne ; de même que l'ontologie de l'immanence s'est constituée

en réponse aux scolastiques qui faisaient de la transcendance divine le principe de la domination monarchique. Il aura donc suffi d'insister sur la relativité historique des concepts concourant à la formation de l'idée libérale pour qu'apparaisse de même la relativité attachée

au jugement selon lequel la démocratie libérale constituerait le seul mode de gouvernement réalisant l'essence de l'Homme.

Mais cette réfutation historique ne suffit pas. La réfutation d'une opinion échappe elle- même difficilement au caractère doxique. Nous nous sommes, par conséquent, proposés, parallèlement à la réfutation historique, de soulever une autre question : pourquoi la démocratie libérale apparaît-elle comme un mode universel de gouvernement. Notre questionnement nous portait donc à l'examen des conditions de possibilité d'une telle opinion. Comment l'idée d'un gouvernement réalisant l'essence de l'Homme parvient-elle à

se légitimer ?

Nous nous sommes alors portés à l'étude, non plus historique, mais structurelle de la démocratie libérale et du discours qui la soutient, afin de comprendre comment une telle opinion pouvait se donner pour évidente. Nous est alors apparu que l'idée d'un gouvernement universel était basée sur celle d'un mode générique de l'existence humaine. Pour que l'homme apparaisse en tant que genre, il a fallu que le point d'application du pouvoir se greffe sur le processus vital biologique, seul à même de qualifier d'un point de vue universel l'homme en tant qu'espèce. Or pour qu'un tel déplacement dans l'administration du pouvoir soit rendu possible, il fut nécessaire que la sphère des besoins vitaux et des reproductions des moyens d'existence devienne le point central du dispositif politique. Jusque-là cantonnée à l'extérieur du domaine politique, cette sphère naturelle n'a pu devenir prégnante qu'en se rendant autonome par rapport à tout exercice d'un pouvoir transcendant. Cette autonomie n'a

pu se réaliser qu'en rapport à la structure particulière de l'Etat-nation qui, d'une part s'est constitué en rapport avec un nouvel art de gouverner prenant pour fin l'administration des choses au lieu des hommes, et qui d'autre part, a mené, dans son affrontement au pouvoir spirituel de l'Eglise, à l'affirmation d'une sphère privée de jugement à l'origine de l'autonomisation de la société civile. C'est structurellement que se fait jour, dans l'Occident

de l'après-révolution scientifique du XVIIe siècle, la possibilité d'un gouvernement basé sur l'idée d'Homme en tant que genre.

Mais pourquoi cette configuration particulière se donne-t-elle pour une évidence ? L'autonomie de la société s'est produite en réaction contre une sphère de pouvoir public détenant le monopole des moyens de coercition. L'idée libérale consiste à montrer qu'une

110

multitude de déterminations concourent, en même temps que le pouvoir politique, au gouvernement des hommes. Parmi celles-ci, seul le pouvoir politique apparaissait comme un mode de domination extérieur et étranger au corps social. Une fois désamorcé le principe de l'aliénation politique, il s'est néanmoins révélé qu'en fonctionnant sur un mode immanent, la société civile produisait elle-même des rapports de pouvoir non transcendant. Parmi ceux-ci,

la constitution d'un savoir de soi du corps social au sein de l'espace public s'est révélée traversée par un pouvoir social non-violent, invisible et impalpable mais qui, sur le mode de pénétration des moeurs, s'est révélé fonctionner comme un a priori par l'intermédiaire duquel

les sujets démocratiques voient leur jugement constitué dès l'abord par la pression de l'opinion générale. Cette opinion générale, en tant qu'elle s'exerce sur un mode immanent, est incapable de faire retour sur ses propres conditions de possibilité. Les jugements sur la réalité sociale qui traversent l'espace public ne peuvent se rendre visible leurs propres conditions de possibilité : la structuration particulière du fait démocratique. Aussi le jugement de valeur porté sur le statut de la démocratie libérale se donne lui-même pour une évidence, pris comme

il l'est dans la compréhension circulaire de la réalité sociale.

Une dernière question doit dès lors nous permettre de conclure cette étude. Cette interrogation porte sur le statut de cette compréhension circulaire du fait démocratique. Est- elle l'effet d'un vice inhérent à la réalité démocratique et qu'il suffirait de briser pour que se fasse le jour la possibilité d'une émancipation véritable1? Ou bien est-elle constitutive du rapport à soi qu'entretient chaque société particulière à chaque époque de son histoire ?

En effet, nous l'avons vu, c'est historiquement qu'advient la possibilité de se représenter un gouvernement particulier comme universel2. Cette compréhension est elle- même impliquée par les effets de ce développement historique. Les catégories qui servent à l'interprétation du fait social sont elles-mêmes impliquées dans l'élaboration de cette configuration historique. C'est ce que montre Cornelius Castoriadis dans son ouvrage sur L'institution imaginaire de la société3. Dès lors le jugement porté sur la réalité démocratique,

1 Dans son texte A propos de la question juive, Marx montre que la liberté de l'homme mise en avant dans la déclaration de ces droits n'est en fait que la liberté individuelle du bourgeois propriétaire que protègent les droits politiques. P. 369 : " Les émancipateurs politiques réduisent la citoyenneté, la communauté politique, à un simple moyen pour conserver ces prétendus droits de l'homme, le citoyen est donc déclaré serviteur de l'homme égoïste, la sphère où l'homme se comporte en être communautaire est rabaissée à un rang inférieur à la sphère où

il se comporte en être fragmentaire, et enfin ce n'est pas l'homme comme citoyen, mais l'homme comme bourgeois qui est pris pour l'homme proprement dit, pour l'homme vrai ". En ce sens, la révolution politique bourgeoise ne fait que couper l'homme de lui-même en faisant de l'être communautaire le garant de l'homme égoïste se donnant pour naturel. P. 372, " l'homme en tant que membre de la société civile, l'homme non politique, apparaît nécessairement comme homme naturel ". L'on pourrait donc penser que notre conclusion se ramène à celle de Marx sur l'affirmation de la naturalité mise en jeu dans l'élaboration de la société civile. Néanmoins, Marx demeure cantonné au schème libéral en ce sens qu'il pense l'émancipation véritable comme l'achèvement de cette libération illusoire de l'homme bourgeois. En ce sens, le but de la révolution prolétarienne

est de parachever la réappropriation du fondement naturel de l'homme, fondement qui se donne à voir dans les rapports sociaux en lequel l'homme se retrouve en tant que genre et non plus en tant qu'individu séparé de ses semblables. P. 373 : " C'est seulement lorsque l'homme individuel, réel, aura recouvré en lui-même le citoyen abstrait et qu'il sera devenu, lui, homme individuel, un être générique dans sa vie empirique, dans son travail individuel, dans ses rapports individuels; lorsque l'homme aura reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne retranchera donc plus de lui la force sociale sous l'aspect de la fore politique; c'est alors seulement que l'émancipation humaine sera accomplie ".

2 R. Legros, L'idée d'humanité, p. 229 : " L'idée selon laquelle l'essence universelle de l'homme est naturelle est

un principe immédiatement compréhensible par tout être humain, cette idée ne va nullement de soi, n'est pas naturelle, ne s'impose comme évidente ou compréhensible à partir de soi par tout homme existant que dans le cadre d'un comprendre qui est historiquement advenu, qui est lié à une époque, qui est indissociable d'un monde, qui est génératrice d'une humanité ".

3 C. Castoriadis, L'institution imaginaire de la société, p. 19-20 : " Les catégories en fonction desquelles nous pensons l'histoire sont, pour une part essentielle, des produits réels du développement historique. Ces catégories

111

qu'il soit le fait du libéralisme ou du marxisme, est lui-même déterminé par la configuration

de cette réalité et interdit l'accès à un savoir transparent de la société sur elle-même1. En fait,

la connaissance intégrale de l'institution sociale n'est jamais pleinement réalisée car cette institution n'est pas en elle-même intégralement rationnelle. L'idée même d'une rationalité capable de saisir son inscription dans le réel est une institution au sens d'une forme de sens instituée. En fait, chaque société, en tant que dynamique instituante instaure ses institutions sur un mode non seulement fonctionnel mais aussi imaginaire. Elle tisse un réseau symbolique par lequel ses formes instituées peuvent se légitimer sans que leur importance fonctionnelle ne soit remise en question2. Chaque société instaure ainsi un rapport à soi sur la base d'une élaboration symbolique du sens de ses institutions. Cette institution repose avant tout sur la création d'une temporalité spécifique par laquelle cette société se donne figure3. Etant donné que la temporalité est-elle même une condition nécessaire de l'interprétation du fait social, cette interprétation n'est pas en mesure d'apercevoir l'élaboration particulière de la temporalité sociale qui rend possible ce jugement. Dès l'abord, la perception de la réalité sociale se voit élaborée par la dynamique instituante. C'est pourquoi celle-ci demeure inaperçue et que la réalité sociale donnée passe pour une évidence4. Ainsi " l'institution de la société est institution d'un monde de significations - qui est évidemment création comme tel

et création chaque fois spécifique "5.

Par conséquent, en même temps qu'elle instaure une configuration matérielle neuve de ses institutions fonctionnelles, chaque société pose aussi les cadres nécessaires à l'appréhension de cette configuration. « Il nous faut articuler notre expérience sociale de la même manière que nous devons articuler notre expérience perceptive », nous dit Paul Ricoeur dans son ouvrage sur L'idéologie et l'utopie6. Ainsi de la même façon que la perception structurée nous ôte l'accès à un réel brut, en nous mettant face à une réalité organisée, mais ne

se saisit pas d'elle-même dans son acte perceptif, la compréhension de la société dont nous

ne peuvent devenir clairement et efficacement des formes de connaissance de l'histoire que lorsqu'elles ont été incarnées ou réalisées dans des formes de vie sociale effective. (...) L'objet de la connaissance historique étant

un objet par lui-même signifiant ou constitué par des significations, le développement du monde historique est

ipso facto le déploiement d'un monde de significations. Il ne peut donc y avoir de coupure entre matériel et catégorie, entre fait et sens. Et ce monde de significations étant celui dans lequel vit le sujet de la connaissance historique, il est aussi celui en fonction duquel nécessairement il saisit, pour commencer, l'ensemble du matériel historique ".

1 Ibid., p. 48 : " Lorsqu'on parle de l'histoire, qui parle ? C'est quelqu'un d'une époque, d'une société, d'une classe donnée - bref, c'est un être historique. Or cela même, qui fonde la possibilité d'une connaissance historique, interdit que cette connaissance puisse jamais acquérir le statut d'un savoir achevé et transparent - puisqu'elle est elle-même dans son essence, un phénomène historique qui demande à être saisi et interprété comme tel. Le discours sur l'histoire est inclus dans l'histoire ".

2 Ibid. 197 : " L'institution est un réseau symbolique, socialement sanctionné, où se combinent en proportions et

en relations variables une composante fonctionnelle et une composante imaginaire. L'aliénation, c'est l'autonomisation et la dominance du moment imaginaire dans l'institution, qui entraîne l'autonomisation de l'institution relativement à la société. Cette autonomisation de l'institution s'exprime et s'incarne dans la matérialité de la vie sociale, mais suppose toujours aussi que la société vit ses rapports avec ses institutions sur le mode de l'imaginaire autrement dit ne reconnaît pas dans l'imaginaire des institutions son propre produit ".

3 Ibid. p. 305 : " Le social-historique est position de figures et relation à ces figures. Il comporte sa propre temporalité comme création; comme création il est aussi temporalité, et comme cette création, il est aussi cette temporalité, temporalité social-historique comme telle, et temporalité spécifique qui est chaque fois telle société dans son mode d'être temporel qu'elle fait être en étant. "

4 M. Halbwachs, La mémoire collective, p.90 : " De toute façon, dans la mesure où nous cédons sans résistance à une suggestion du dehors, nous croyons penser et sentir librement. C'est ainsi que la plupart des influences sociales auxquelles nous obéissons le plus fréquemment nous demeurent inaperçues ".

5 L'institution imaginaire de la société, p. 347.

6 Paul Ricoeur, L'idéologie et l'utopie, p. 30.

112

pouvons rendre compte se trouve elle-même investie dans l'élaboration signifiante de cette société. Nous nous mouvons dans un cercle herméneutique1.

Il y a donc en l'institution de chaque société un fiat premier, insaisissable à partir des structures instituées et qui ne renverrait à aucun autre principe que celui de son affirmation. Les structures juridiques et sociales conséquentes peuvent s'ordonner avec la plus grande cohérence, le principe fondateur ne renvoie pas lui-même à une fonction interne dans l'économie du système de normes mais occupe une position transcendantale entendue comme condition de possibilité des significations instituées. C'est ce que montre Kelsen dans sa Théorie pure du droit2. C'est le cas notamment de la démocratie libérale qui " en assimilant

les lois naturelles à des règles de droit et en prétendant, que l'ordre de la nature est un ordre social juste ou contient un tel ordre, à l'instar de l'animisme primitif, considère que la nature fait partie de la société "3.

Mais cette illusion qui fait de la constitution de la société une évidence est elle-même constitutive de l'instauration d'une société. Il n'y a donc pas là d'idéologie à démasquer. La réalité sociale implique cette distance par rapport à la norme qui la fonde. Le danger est néanmoins que lorsqu'une société particulière ne s'apprécie plus seulement elle-même dans sa compréhension circulaire mais juge, selon le même a priori, de la constitution des autres formes sociales et culturelles, elle ne prenne pas la mesure de la relativité que devrait impliquer son jugement. L'Autre, qui finalement est le Même dans l'épreuve qu'il fait de sa réalité sociale constituée, risque de se présenter en position d'altérité radicale coupant cours à tout dialogue possible entre institutions sociales historiquement devenues. Ici se pose le problème de la civilisation et de l'articulation des normes ultimes de chaque communauté4. Ici notre recherche trouve ses limites.

1 R. Legros, L'avènement de la démocratie, p. 20 : " Le monde quotidien paraît naturel dans la mesure où les hommes s'y meuvent au sein d'une intelligibilité circulaire : perçoivent à partir d'une compréhension préalable,

et comprennent à partir de ce qu'ils perçoivent. Ce qui se comprend de soi, ce qui semble naturel, c'est

précisément, faisait remarquer Heidegger, ce qui se comprend dans le cercle de l'intelligibilité quotidienne ". Cf. aussi Heidegger, Etre et Temps, §31-33.

2 H. Kelsen, La théorie pure du droit, p. 38 : " La constitution à son tour peut avoir été établie conformément aux règles contenues dans une constitution antérieure, mais il y aura toujours une première constitution au-delà de laquelle il n'est pas possible de remonter. En d'autres termes, la validité de toute norme positive, qu'elle soit morale ou juridique, dépend de l'hypothèse d'une norme non positive se trouvant à la base de l'ordre normatif auquel la norme positive appartient ".

3 Ibid. p. 87.

4 Samuel Huntigton, Le choc des civilisations, p. 23 : " Dans ce monde nouveau, les conflits les plus étendus, les plus importants et les plus dangereux n'auront pas lieu entre classes sociales, entre riches et pauvres, entre groupes définis selon des critères économiques, mais entre peuples appartenant à différentes entités culturelles ". L'on pourrait, en effet, se demander si une telle conception ne tire pas elle-même sa raison d'être dans l'appréhension qu'ont d'elles-mêmes les démocraties occidentales, compréhension qui reporte sur l'incommunicabilité culturelle la nécessaire distinction en race qu'amenait avec lui le bio-pouvoir dans les Etats européens du début du XXe siècle.

113

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard