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De l'être politique au droit à la politique: un essai de compréhension du sens de la politique chez Hannah Arendt

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par Tshis Osibowa Godefroy TALABULU
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2007
  

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II.2.3 L'oeuvre

A la différence du labeur, qui ne laisse derrière lui aucun produit durable, l'oeuvre (ergazesthai en grec, facere-fabricare en latin, werken en Allemand) marque sa distance par rapport à la nature. OEuvrer consiste à produire, au double sens de faire et de manifester, par delà le cercle de l'éternel retour du même, une stable région des choses durables. Alors que le labeur s'inscrit dans le cycle de la nature, l'oeuvre interrompt, viole, subjugue ou détruit le processus naturel. Ce qu'elle produit n'est pas destiné à être consommé, donc à disparaître. Il s'adresse à un usage qui l'use sans doute mais qui ne le détruit pas d'entrée de jeu.

H. Arendt note aussi que l'homo faber ne crée pas ex nihilo (cela est le propre de Dieu). Il lui faut une substance, un matériau de départ : le bois est extrait de l'arbre qu'il a fallu abattre, preuve que l'homme se comporte en maître de la nature. En arrachant à la nature des matériaux qui lui permettent de façonner des choses qui n'ont pas d'équivalent naturel, l'oeuvre établit donc un environnement artificiel qui protège les humains de la nature, leur assure un séjour durable entre vie et mort.

II.2.4. L'action

Nous venons de voir que le privilège de l'oeuvre par rapport au travail consiste en ce qu'elle humanise le monde. Elle permet, aux dire de H. Arendt, d'édifier un monde durable et humanisé. Car le monde, d'après notre auteur, est lié aux productions humaines, aux objets fabriqués de main d'homme ainsi qu'aux relations qui existent entre ses habitants. Toutefois, le monde, tel que mis en place par l'homo faber ne devient « pour les mortels une patrie (...) que dans la mesure où il transcende à la fois le pur fonctionnalisme des choses produites pour la consommation et la pure utilité des objets produits par l'usage. »21(*) C'est cela le propre de l'action.

L'action est l'activité la plus noble de la vita activa, car elle est, selon Arendt, la seule activité qui met directement en rapport les hommes les uns avec les autres. Catégorie centrale de la pensée politique, elle est le sommet de la nouvelle hiérarchie, parce qu'elle concerne directement  l'existence politique. Elle n'est pas « ce qui relie un vivant à la vie, comme le labeur, elle n'est pas ce qui rapporte des aptitudes générales à des artefacts, comme la poiesis, elle est ce qui relie un individu à d'autres individus tous semblables et tous différents, ce qui fait apparaître l'individu face à d'autres non moins apparaissants »22(*). L'action correspond donc à la condition humaine de pluralité et sert de lieu de révélation de l'individu. Elle est en outre l'initiative par laquelle nous assumons notre naissance, c'est-à-dire notre entrée dans le monde, un monde qui à la fois est plus vieux que nous et que nous modifions, c'est-à-dire qui est menacé par nos actes et paroles. C'est pourquoi Aristote associait étroitement praxis et lexis.

Or, si l'action et la parole sont aussi intimement liées, c'est avant tout parce qu'elles permettent toutes deux la révélation de l'individu, ou plutôt la révélation du `qui suis-je ?' aux yeux de tous. De même, selon H. Arendt, l'identité individuelle de chaque être humain ne peut se révéler pleinement aux yeux des autres que dans un espace d'apparence où s'échangent les paroles et les actions. C'est pourquoi elle affirme que le `théâtre est l'art politique par excellence'. La dimension intersubjective parait ainsi déterminante pour la compréhension de l'action. Elle crée un lien entre les hommes et elle actualise la pluralité qui constitue sa condition de possibilité.

Il ressort de ce qui précède que l'action est l'activité qui fait vraiment de l'homme un animal politique; autrement dit, c'est par l'action que l'homme manifeste ce qui lui est spécifique : son être politique. Il y a action dans l'acte de prendre la parole sur la place publique, et il y a action dans le fait d'agir ou de poser des actes en présence des autres, ses égaux. Hannah Arendt parlera de l'action comme d'une seconde naissance, où l'homme qui était déjà né le jour de sa naissance biologique naît une seconde fois mais dans la sphère politique, dans la polis. Cette naissance est donc liée, mieux, se fait par l'action, puisqu'à travers l'action, l'homme répond sans cesse à la question métaphysique `qui es-tu ?'  que les autres lui posent. En répondant à cette question, l'homme est entendu et il est vu par les autres dans la polis; il devient donc vraiment un homme politique. Seules l'action et la parole nous ouvrent au monde de la pluralité humaine, fait d'êtres à la fois égaux et uniques par leurs différenciations. Cette apparition suppose le courage, la première des vertus politiques, au regard de H. Arendt, de délaisser la sphère du privé pour se dévoiler, s'exposer au regard des autres sur la scène publique et surtout d'assumer les conséquences imprévisibles de ses actes. Par la parole et l'action se manifeste l'identité personnelle à d'autres, « car l'action qui n'a point de nous, point de qui, attaché à elle, n'a aucun sens. »23(*)

Ainsi, comme le montre Courtine, la question posée par Arendt dans la Condition de l'homme moderne, `qui sommes-nous ?' serait ainsi une réplique à la question posée par Heidegger dans Etre et temps `qui est le Dasein' ? Courtine montre comment H. Arendt s'oppose à Heidegger dont dès 1946 elle critiquait l'ontologie qui affirme « la séparation radicale du Soi n'accédant à lui-même, à son identité que dans l'expérience de la mort, du néant, qui lui permet enfin de se libérer du mode extérieur et de se consacrer décidément à Soi. L'ontologie heideggérienne apparaît alors comme la reprise du mépris platonicien, le refus de reconnaître la sphère de l'agir ensemble, de l'interaction, de l'interactivité. »24(*)

Ainsi, la réponse de H. Arendt à la question `qui sommes-nous' a une double implication. Elle implique tout d'abord la présence d'un monde dont la permanence et la stabilité sont assurées par les artefacts qui nous sauvent de l'éternelle répétition du cycle vital du Même, un monde qui n'est monde que parce qu'il est plein d'événements, et d'autre part par la pluralité d'interlocuteurs avec lesquels, si différents soient-ils, on peut parler de ce monde, partager une expérience commune, échanger des points de vue.

Par ailleurs, l'action s'inscrit dans un réseau préexistant de relations et de paroles du fait même qu'elle s'inscrit dans un cadre de parole entre interlocuteurs. De ce fait, chaque agissant est autant un patient qu'un agent. Parce que ce réseau est ouvert, l'action est imprévisible. Parce qu'il y a apparition de nouveaux venus dans ce réseau, les effets de l'action n'ont pas de limite assignable. Intensément personnel, le bios de quelqu'un lui est donc à la fois manifeste et caché. Titulaire de son histoire, il ne saurait la faire comme on fabrique un produit fini qu'en niant toute pluralité et toute interlocution.

* 21 Ibid., p. 229

* 22 Taminiaux J., La fille de Thrace et le penseur professionnel, Payot, Paris, 1992, p. 45

* 23Hannah Arendt, Condition de l'homme moderne, op.cit., p.237

* 24 Courtine-Denamy S., Op.cit., p. 321

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