WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Les dons, phénomène anthropologique au coeur des élections au Burkina Faso: une analyse des comportements électoraux dans la ville de Ouagadougou

( Télécharger le fichier original )
par Oumarou Kologo
Université de Ouagadougou - DEA de sciences politiques 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

§2- Les limites inhérentes aux pesanteurs socioculturelles et aux promesses non tenues

Dans une société caractérisée par des réseaux sociaux complexes (de parenté, de famille, d'ethnie de religion etc.), les dons viendraient se greffer à des systèmes de domination et de soumission qui existaient déjà. Dans ce contexte, peut-on ignorer l'impact sournois de ces variables sur la construction des comportements des acteurs en général et des comportements politiques en particulier ? Toute élection est marquée de plus en plus par de multiples promesses, mais comme nous l'avions déjà fait remarquer, ce sont des promesses qui n'existent que pour la période électorale. Pour la plupart des populations rencontrées, ces promesses seraient des éléments de stratégie des entrepreneurs politiques. Quelle est la réaction des électeurs face à ceux qui ont tenu ces vaines promesses ?

La politique n'est pas un secteur détaché de la vie sociale. Elle relève de l'interaction des agents sociaux. Moyen de structuration et d'organisation des mécanismes de gestion de la vie en société, la politique se fonde et se développe sur les mécanismes primaires de l'existence en société. Elle participe ainsi à la production de nouveaux types de comportements chez les agents sociaux. Nous reprenons ici à notre compte cette assertion de Nassirou Barka137(*) pour qui voter n'est pas un simple acte civique d'expression de l'opinion d'un citoyen mais aussi un acte de solidarité et un rituel de confirmation de la solidarité villageoise momentanée en fonction des attentes, confirmation aussi de l'alliance scellée par le fils du terroir avec d'autres fils. Ceci dit, les attaches fondées sur les réseaux relationnels ont beaucoup d'influence sur la tendance à s'engager avec tel ou tel acteur politique. C'est pourquoi le vote est perçu comme le résultat d'un effet de groupe.

Abondant dans le même sens, Menthong138(*) note qu'au Cameroun le vote se trouve conditionné par l'appartenance ethno-régionale et socio-linguistique. Le vote serait dès lors une fabrication sur mesure des réseaux identitaires des candidats. Le coeur (les sentiments), la raison (le raisonnement, les calculs rationnels) et le sang (les alliances, la parenté, la famille, etc.) sont, dans cette logique, les liens privilégiés qui orientent les choix des électeurs. Le choix de l'électeur ne saurait donc être expliqué par une seule raison.

Il faut rechercher selon Monjib139(*) les causes et le sens des choix dans le processus de socialisation par lequel les électeurs ont été moulés. Selon cet auteur, l'autorité du guide religieux semble s'exercer d'une façon qui peut influencer les résultats du scrutin à Saint Louis. La religion s'inscrit dans les déterminants identitaires toujours mis en exergue pour analyser les comportements sociaux. Les identités positionnent les individus dans leurs milieux et contribuent à forger en eux un habitus,140(*) des schèmes de comportements à intégrer dans le quotidien des actions des membres d'une communauté.

Les populations de Ouagadougou comme partout ailleurs n'échappent pas à cette logique. Ainsi les relations identitaires conduisent à une répartition de ces populations en de regroupements divers. C'est ainsi que les ressortissants des différentes localités se rencontrent périodiquement pour débattre des questions de leur région, province, commune ou village. Ouagadougou vit donc chaque jour une recomposition permanente des liens identitaires à partir desquels les habitants se définissent. Les hommes politiques exploitent sans cesse ces liens pour passer leurs messages ou pour manifester leur intérêt pour les différentes localités du pays. Pour Z.R. de la CFD/B un parti qui conquiert l'électorat ouagalais en se fondant sur les réseaux identitaires (ethnie, association de ressortissant etc.), possède un moyen plus facile de déjouer les coups de ses adversaires dans les localités (commune, villages, province, régions) auxquelles ces populations appartiennent. Cela relève certes d'une exagération mais permet sans nul doute de comprendre l'importance que les partis politiques accordent aux différents organes communautaires auxquels les populations se réfèrent et par lesquels ils maintiennent un contact permanent avec leurs milieux d'origine.

La proximité des électeurs avec certains hommes politiques et les relations de familiarité qui en découlent créent aussi des liens forts entre l'électorat et les hommes politiques. Kieffer141(*) qui s'est intéressé à l'électorat jeune pendant les élections présidentielles de 2005, relève que généralement, le responsable politique local à Ouagadougou est aussi un parent, un grand frère ou un voisin avec qui les jeunes entretiennent des rapports qui dépassent largement le cadre de la campagne. Ils ne peuvent donc pas refuser ses cadeaux ni s'opposer à lui de manière franche. Les transactions importantes comme l'obtention d'emploi, à court ou long terme, ou encore l'acquisition d'une parcelle passent par des réseaux d'entraide fort dense. Ce qui signifie clairement que l'acceptation des dons par le donataire ne signifie pas ipso facto qu'il vote pour celui qui les offre. L'acte de recevoir peut paraître un simple moyen pour éviter les frustrations qui pourraient émousser leurs bonnes relations avec les donateurs, et partant, la cohésion sociale. La réception des dons peut aussi conduire les électeurs à voter pour le camp du donateur. Dans ce cas, ce ne sont pas forcément les dons qui les ont amenés à accorder leurs voix mais l'action des alliances de sang ou des liens socioculturels. Il apparaît que les dons à eux seuls n'ont pas une incidence assez efficace pour conduire certains électeurs à une obéissance aveugle aux consignes de vote données par les partis. Ils viennent se greffer à un socle de relations de proximité ou de parenté.

Notons cependant que les populations âgées restent toujours attachées à la sacralité de la parole donnée. Il est ressorti des entretiens que les jeunes se départissent facilement des allégeances identitaires et de la conception fondée sur la sacralité de la parole. Comme le remarque S.A. « Les vieilles personnes par contre, réfractaires à ces types de changements, tiennent le plus souvent parole quand ils vous la donnent. C'est pourquoi les partis politiques lorsqu'ils veulent s'installer ou organiser une activité dans un milieu, cherchent à les rencontrer en premier avant de contacter les autres groupes sociaux 142(*)». P.E du MPS/PF souligne en effet que les jeunes sont en général très manipulés. En revanche, les vieux, le plus souvent, lorsqu'ils accordent leur confiance à un parti, ne se laissent pas convaincre par un parti adverse. Cependant, reconnaît-il, la marchandisation des relations en vogue rend cette vérité fragile.

Hormis l'âge, le sexe des électeurs est une variable qui peut influencer leur choix. Il est reconnu que peu de femmes s'intéressent à la question politique au Burkina. L'électorat féminin souvent qualifié de bétail électoral est la frange importante à mobiliser au regard de son importance démographique (plus de 52%). « Toute élection à Ouagadougou comme partout dans le Burkina se gagne et se perd sur la base de la capacité qu'ont les partis à mobiliser les femmes ». Cette évidence est pourtant remise en cause par le fait que malgré l'urbanisation et les transformations connexes, nombre de femmes vivent sous « la domination masculine ». C'est une forme de violence symbolique, qui comme le signifie Bourdieu,143(*) semble inscrite dans l'ordre normal des choses. Dans ce contexte, soutient S.A, « peu de femmes oseraient défier leurs époux ou parents en allant voter un autre candidat que celui sur qui ils auraient convenu». Quelle que soit la véracité de tels propos, il demeure que les choix s'opèrent dans l'isoloir et que chacun y entre seul. On peut s'imaginer que les pressions psychologiques vécues par ces femmes les conduisent à une obéissance servile. Mais le doute est permis car il existe des femmes qui peuvent opter pour la démarche inverse. Malgré la multiplicité des offres matérielles (gadgets, argents, objets marchands etc.), symboliques (promesses, pose de pierre, inaugurations etc.), les pesanteurs évoquées continueraient d'orienter les comportements des électeurs. Ainsi, certains électeurs choisiraient leurs candidats non sous l'influence des nombreux dons qu'ils auraient reçus mais surtout par loyauté.

Les promesses non tenues s'empilent après chaque élection, car la plupart des partis promettent ce qu'ils ne peuvent pas réaliser. « Les promesses non tenues développent chez l'électeur en général un sentiment qui se résume à la résignation, à la revanche (le vote sanction), ou au dégoût pour la politique144(*) ». Certains se résignent dans la mesure où ils en viennent à la conception selon laquelle la politique n'est qu'un gros mensonge. L'agent social dans cette logique accomplirait son vote comme un simple devoir citoyen et s'intéresse peu aux discours politiques. Certains, déçus par les hommes politiques, attendraient les moments d'élections pour se venger en attribuant leurs voix à l'adversaire politique. Braud145(*) abonde dans ce sens, affirmant que « d'autres électeurs, politisés ou non, verront dans le geste électoral le moyen de libérer une agressivité nourrie de frustrations accumulées, d'origine sociale, professionnelle ou même privée. Ils s'en prendront à des boucs-émissaires en émettant un vote de rejet des sortants, voire de la classe politique elle-même ou bien, ils soutiendront le parti ou le leader diabolisé par les médias et les autres formations politiques ».

Bon nombre d'électeurs voient le vote comme un simple moyen de légitimation politique. Autrement dit, les élections ne tiennent jamais la promesse d'alternance qu'ils auraient tant rêvée. Ceci conduit au développement de l'abstentionnisme électoral dont son évolution met en péril le devenir démocratique. La courbe ci-dessous donne l'évolution de l'abstentionnisme depuis les élections de 1960 à celles récentes de 2007.

Courbe évolutive du taux d'abstentionnisme au Burkina Faso (1960-2007)

Quand on observe la courbe de l'évolution du phénomène depuis les premières élections, le taux d'abstentionnisme est passé de 1.65% aux élections présidentielles de 1960 à 50.88% aux élections municipales de 2006. Une évolution en dent de scie caractérisée par un point culminant de 70.72% aux présidentielles de 1991. Kiéma met en lumière les causes et les conséquences de ce phénomène sur la démocratie. Observant sa manifestation et son évolution au secteur 27 de Ouagadougou, il note que 75% de la frange de 18-27 ans, et 59% des populations de plus de 48 ans se sont abstenues146(*). Ce phénomène réduit de toute évidence l'influence effective des dons car certains abstentionnistes ont aussi reçu les dons mais ne sont pas allés voter.

En somme, les promesses non tenues créent chez l'électeur de nouveaux types de rapports avec le champ politique, pouvant aller de la méfiance au rejet. Dans l'ensemble les comportements qui émanent de cette situation ne favorisent pas l'impact effectif des dons. En effet, l'individu ne vote plus sur la base de ce qu'il reçoit mais surtout sur l'effet d'une frustration. Cette agressivité orienterait soit ses choix s'il vote soit son retrait du jeu s'il s'abstient.

Des limites objectives existent concernant l'impact des dons sur les comportements des électeurs. Malgré la marchandisation des relations sociales, les mobiles d'actions des électeurs ne sont pas toujours justifiables par des calculs de maximisation du profit. Produit d'un environnement social, l'électeur ne peut définitivement ignorer les exigences de ce milieu. Ainsi, les facteurs sociologiques, les multiples promesses non tenues des candidats aux élections antérieures entraînent une constante reconfiguration des options ou choix de l'électeur.

* 137 Cité par Antoine S. Kaboré in « la participation électoral », mémoire de maîtrise, Université de Ouagadougou, UFR/SJP,, 2003, p18.

* 138Voir «  Vote et communautarisme au Cameroun : « un vote de coeur, de sang et de raison », H. L. Menthong, in politique africaine, n0 69,Paris, Karthala, 1998, p41-42.

* 139 Voir « Comportement électoral, politique et socialisation confrérique au Sénégal », M.Monjib in Politique africaine, n0 69,Paris, Karthala, 1998, p55.

* 140 L'habitus est perçu comme une disposition durable où sont intégrées les expériences passées. Matrice de perceptions, de jugements, et d'actions capables d'inspirer l'agent social dans ses entreprises.

* 141 Voir « Les jeunes des grins de thé et la campagne électorale », J. Kieffer, politique africaine,n0101, Paris, Karthala, 2006, p 80.

* 142 S.A membre du bureau politique national du PDP/PS

* 143 Voir « l'oeuvre de Pierre Bourdieu », M. Fournier, in revue sciences humaines, n0 spécial, 2002.

* 144 P.E est membre du bureau politique national du MPS/PF

* 145 P. BRAUD, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 6e édition 2002, p378.

* 146 B. Kiéma, La problématique de l'abstentionnisme électoral au Burkina Faso : cas spécifique du secteur 27 de l'arrondissement de Nongr-Mâasom dans la commune de Ouagadougou, Mémoire de Maîtrise, Université de Ouagadougou, UFR/SH, 2006, p40.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite