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Contentieux Electoral et Etat de Droit au Tchad

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par Eugène Le-yotha Ngartebaye
Université Catholique d'Afrique Centrale - Master Droits de L'homme et Action Humanitaire 2004
  

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§1 : Le conseil constitutionnel

Questionner les difficultés qu'éprouvent l'organe juridictionnel et, plus singulièrement le juge, dans le contentieux, reviendrait à interroger d'une manière générale le rôle du juge en Afrique. En effet, quelle que soit la manière dont on envisage le problème du juge en Afrique, on ne peut éviter de partir d'un constat malheureusement très amère : le juge africain, et partant la justice en Afrique, est « en panne ».86(*) Ces auteurs dressent un constat pathétique, mais assez objectif de la situation de la justice au Congo. Une situation que connaît, hélas, la grande majorité des Etats africains. Ce constat n'est pas nouveau et a déjà été établi par de nombreux observateurs qui ont cherché, par de remarquables études, 87(*) à découvrir les causes et à tenter de trouver des remèdes à ce phénomène.

Si nous envisageons d'apporter notre bien modeste contribution à ce problème fort complexe, c'est que, pensons-nous, l'affirmation et l'établissement effectifs de l'Etat de droit au Tchad apparaissent aujourd'hui plus qu'hier comme des impératifs de plus en plus incontournables, alors que paradoxalement, le constat d'un juge et d'une justice qui ne « fonctionne » pas constitue un phénomène qui persiste et qui ne semble pas trouver une issue proche. Mais pourquoi une telle persistance ?

Cette question pourrait avoir les esquisses de ses réponses dans les origines statuaires de l'absence de crédibilité du juge (A) et l'immixtion du pouvoir politique dans l'exercice de la justice (B).

A- Les obstacles statutaires des conseillers

On s'est beaucoup plaint, certes à juste titre, mais assez souvent à tort, de l'inefficacité des juges. On les jette en pâture sans aucune autre forme de procès et surtout sans chercher à trouver les causes exactes de leur déficience. Celles-ci sont, pourtant, généralement indépendantes de leur volonté.

Le juge est d'abord décrié parce qu'il ne manifeste à l'égard de l'appareil politique, aucune réelle indépendance qui garantirait son impartialité.88(*) Cette difficulté de s'affranchir est relative au statut.

En effet, le conseil constitutionnel est composé des magistrats et des juristes.

Pour les magistrats, ils sont sous le contrôle du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) présidé par le chef de l'Etat, secondé par le ministre de la justice, garde des sceaux (art1 de la loi n°005/PR/ du 07 juillet 1998 portant organisation et fonctionnement du CSM) et dont le respect primordial est de garantir le respect des règles de fonctionnement du service public de justice et la protection des magistrats contre les éventuelles pressions du pouvoir politique. C'est dans ce cadre que l'indépendance des magistrats et leur inamovibilité89(*) constituent des principes qui leur ont été reconnus comme une garantie pour une bonne administration de la justice. Pourtant, la doctrine est unanime pour constater l'existence du dysfonctionnement au sein de cet important organe.90(*) Ainsi, toute la carrière du magistrat dépend du conseil91(*) (Chapitre 2 de la Loi précitée). On constate aisément que dans tous les cas, l'objectivité du CSM est très symbolique, dans la mesure où il apparaît véritablement chevillé à l'exécutif, et plus précisément au chef de l'Etat.92(*) En arguant parfois de «  nécessité du service », l'exécutif déplace des magistrats, non sur la base d'une appréciation objective des besoin du service, mais simplement parce qu'il s'agit de neutraliser les juges qui ne cèdent pas à l'influence du pouvoir politique. A cette situation, s'ajoute la précarité matérielle dans laquelle vivent les magistrats. Le magistrat le plus ancien gagne sensiblement 256000 francs CFA et le magistrat hors classe 274000 francs CFA.93(*) Toutes ces conditions réunies pèsent comme une épée de Damoclès sur la tête du magistrat et, faisant de lui le « diseur de non droit » sur le droit.

S'agissant des juristes, ils sont en général choisis parmi les enseignants de l'Université de N'djamena plus précisément du Département de Droit et Techniques juridiques. Pour ces derniers, il faut observer que la situation de l'enseignant du supérieur au Tchad est peu lumineuse et, être nommé au conseil constitutionnel suppose une ascension non négligeable ; et par conséquent la totale subordination à celui qui t'a nommé - le Président de la République bien sûr -. Par ailleurs, le choix ne porte pas sur n'importe qui, car depuis l'existence du conseil, ceux qui ont été les élus sont les têtes de proue du parti au pouvoir, le MPS.94(*) Les autres juristes, s'ils ne sont pas des enseignants, sont des fonctionnaires de l'Etat, donc en quête d'une « place au soleil ». Les indices montrent qu'il s'agisse des magistrats ou des juristes, le doute reste permis lorsqu'il est question de leur crédibilité. En sus de cela, il ne faut pas non plus négliger l'influence du politique.

B- L'immixtion du pouvoir politique

« Le citoyen moyen change de trottoir lorsqu'il lui arrive de passer devant le palais de justice ». Cette boutade du Ministre de la justice du Burkina Faso prononcée lors de son discours d'audience solennelle de rentrée judiciaire en 199495(*) pose le constat de la question de l'indépendance du juge. Cette question d'Indépendance, La Fontaine l'avait déjà formulée en son temps en ces termes : « Selon que vous êtes riche ou pauvre, la justice vous rendra blanc ou noir ». Elle reste encore d'actualité aujourd'hui avec le phénomène de corruption qui sévit dans le milieu judiciaire. Devant cette gravité, le Ministre camerounais de la justice disait : « le juge doit appliquer la Loi. Cela n'est pas facultatif. La loi n'appartient pas aux magistrats. Elle exprime la volonté du peuple et la justice est rendue au nom du peuple. Le juge est tenu de respecter cette volonté, car, le peuple est en droit de se reconnaître dans les décisions qu'il prononce. C'est dans la loi que les litiges trouvent leurs solutions et non ailleurs (...) »96(*)

En effet, de tous temps, le pouvoir politique a cherché à s'attirer la grâce de la justice, ou à défaut, la contrôler. Le problème de l'indépendance de la justice est très souvent évoqué en Afrique.97(*)

Si cet âcre constat peut s'expliquer par les turpitudes constitutionnelles qu'a connu l'Afrique, depuis l'ouverture démocratique opérée, le juge est à même d'évoluer dans un climat plus favorable. En toute hypothèse, il doit pouvoir se livrer à une application correcte de la règle de droit et participer de manière plus satisfaisante au processus de la démocratisation et, in fine, à l'édification d'un réel Etat de droit. Assurément, la tâche est rude et longue car les résultats déjà obtenus ne sont pas probants pour être à la hauteur des espérances des citoyens. Dans les cas étudiés, nombreuses sont les requêtes qui n'ont pas reçu du juge une suite favorable. La motivation des arrêts reste pour la plupart laconique. L'indépendance du juge vis-à-vis des autres pouvoirs est loin d'être conquise.98(*)

La politisation de la justice est une forte réalité comme en témoigne cette déclaration : « c'est une réalité que l'influence du pouvoir politique sur la justice est effective. Devant cette réalité, nous avons comme expression de vide, d'inexistence de la justice. Notre justice parait comme une fiction. Notre rôle parait fictif. On ne saurait parler de justice si celle-ci n'assure pas une véritable protection crédible aux citoyens. Une justice juste dans une société ressentie comme étant injuste n'est jamais possible (...). Face à la subordination au pouvoir politique, nous avons le sentiment de ne pas être socialement utiles, de ne peut pas oeuvrer à cette justice, objet de l'aspiration des hommes et des femmes d'Afrique. »99(*)

Cette déclaration est très évocatrice lorsqu'il s'agit du contentieux électoral. Car, après chaque consultation, le peuple se plaint du détournement de son choix et qu'il espère que le juge électoral pourrait sanctionner les manquements, les entorses aux droits électoraux, mais hélas parfois le juge est pire. Cette politisation de la justice est plus insidieuse et s'organise de façon beaucoup plus subtile, car elle devient alors protéiforme, ce qui a pour effet de renforcer son caractère néfaste. Ainsi, elle apparaît soit à travers la crainte éprouvée par certains magistrats, de se voir infliger des sanctions de toutes natures, soit à travers l'intime et indéfectible conviction d'autres magistrats, selon laquelle les décisions de justice ne doivent pas entraver des décisions administratives ou gouvernementales qui iraient plus dans un sens prétendument favorable au développement politique et économique. Les restrictions apportées aux libertés dans cette dernière hypothèse,sont «  un mal nécessaire » que la collectivité doit supporter au prix d'un épanouissement futur hypothétique Cette inféodation de la justice au pouvoir politique apparaît parfois assez nettement à la lecture des décisions rendues par les tribunaux100(*) Au Tchad, qu'il s'agisse du contentieux électoral ou du contentieux en général, l'indépendance du magistrat reste quelque chose d'esprit comme en témoigne l'affaire Abdelkader Vs Lafico.101(*) .Mais puisque le contentieux fait aussi intervenir les commissions, et convient de s'interroger aussi sur leur crédibilité.

* 86 Cf. l'article de Moutéke, R et Locko I, « Protection des droits et des magistrats au Congo. Pathologie d'une justice exsangue » in Maugenest D Pougoué, P.D : Droits de l'Homme en Afrique Centrale, Colloque de Yaoundé, 9-11 novembre 1994, UCAC - Karthala, 1996, P. 169.

* 87 En particulier, les analyses faites sur la justice en Afrique, in Afrique Contemporaine, numéro spécial 156, 1990 et l'importante bibliographie citée à la page 293 ; Conac (G), Badié (B), Les Cours Suprêmes en Afrique, Tome 2, Economica, 1989, 299p ; Encyclopédie juridique de l'Afrique, Tome 5, NEA, Dakar, 1982.

* 88 Ainsi que le rappelle le professeur Chapus, « l'exigence d'impartialité interdit ainsi que siègent dans une juridiction, soit une personne intéressée (directement ou non à l'affaire à juger) une personne qui est l'auteur de la décision attaquée ou qui a participé aux délibérations de l'organisme qui l'a édictée » ; Frisson-Roche M-A « l'impartialité du juge » Chronique, Dalloz, 1999, p.53.

* 89 Cette inamovibilité concerne les magistrats du siège et signifie qu'ils ne peuvent faire l'objet d'aucune affection, même par voie d'avancement sans leur consentement, sauf lorsque les besoins de services l'exigent.

* 90 Ahoune Badara Fall « le juge, le justiciable et les pouvoirs publiques : pour une appréciation concrète de la place du juge dans les systèmes politiques en Afrique » in Afrilex n°03/2003 p.21 L'auteur évoque dans cette étude les maux qui minent les conseils supérieurs de la magistrature ou conseil national de la magistrature au Sénégal, au Burkina Faso, au Bénin, au Niger s'agissant des notations, des affectations, etc.

* 91 Promotion, sanction, notation, etc.

* 92 Au Congo par exemple, l'influence de Président de la République semble intacte malgré les garanties textuelles accordées aux magistrats. Cf. Boukongou (J.D.) « l'indépendance du pouvoir judiciaire et protection des droits de l'Homme au Congo à la lumière des deux décisions de la Cour Suprême du 02 août 1996 », Penant, p.320. Le procès des disparus du beach, très médiatisé, en est encore une patente et pathétique illustration. Cf. JEUNE AFRIQUE INTELLIGENT NO 2329 du 28 08 2005, pp 15-17

* 93 L'estimation que nous faisons est établie sur la base de l'indice multiplié par cent (100) tel qu'a énoncé l'ordonnance N°008/PR/MJ/91 du 3 août 1991 portant statut de la magistrature.

* 94 En six ans d'existence, le conseil a connu trois présidents : le premier, Nagoum Yamassoum, fut le directeur national de la campagne des élections présidentielles de 1996 du candidat Deby, avant d'être promu au conseil, le second Pascal Yoadoumnadji, actuellement premier ministre, fut lui aussi président de la CENI pour se retrouver au conseil en 2001. Le troisième, l'actuel, fut lui aussi directeur national de campagne de l'élection présidentielle de 2001.

* 95 Cité par Ahoune Badada Fall op. cit. p.24

* 96 Propos cité par BOUKONGOU JD. « la justice et les droits de l'Homme comme fondement de l'intégration régionale en Afrique centrale  », in Bulletin de l'APHDAC n°5/ 1999, P.5

* 97 Bigo, « Justice et pouvoir politique. Pouvoir politique et appareil judiciaire en Afrique au sud du Sahara » in La justice en Afrique, Afrique Contemporaine op. Cit, p.166

* 98 Nulle part dans les lois 005 portant organisation et fonctionnement du CSM, loi n°19 portant organisation et fonctionnement du conseil constitutionnel, l'ordonnance n°008 portant statut de la magistrature, l'indépendance du juge n'est jamais définie dans ses manifestations concrètes. Est-il donc nécessaire de préciser qu'elle ne doit pas être uniquement appréciée dans le cadre des relations que le magistrat entretient avec le pouvoir exécutif ? Ne doit-elle pas être mesurée par rapport aux influences ou pressions qu'il peut subir et qui peuvent éventuellement provenir, non seulement des parlementaires les plus influencés et très proches du pouvoir politique en place, mais aussi de l'opposition au sein parlementaire ? Ne peut-elle pas trouver sa cause aussi dans la corruption ?

* 99 Cf. Moutéke (R), Locko (I) article précité p.171

* 100 Lors du référendum constitutionnel du 31 mars 1996, les résultats déclarés par la CENI étaient de 61,46% statuant en leur place du conseil constitutionnel la cour d'appel révélait le résultat de 63,5% et ce, annulant certains procès verbaux de vote pour vice de forme.

* 101 En effet, un différend oppose sieur Abdelkader à Lafico, une société d'investissement libyenne, à propos d'un terrain. A la suite d'un procès, sieur Abdelkader a eu gain de cause. Cette sentence a été considérée comme une lâcheté par le pouvoir politique qui voyait ses relations avec la Libye prendre de l'eau. Il avait décidé d'opérer des affectations des magistrats. C'est ce qui a conduit les magistrats à entrer en grève en avril 2005. TGI, Affaire Lafico, jugement du 15 mars 2005, inédit.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci