WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Contentieux Electoral et Etat de Droit au Tchad

( Télécharger le fichier original )
par Eugène Le-yotha Ngartebaye
Université Catholique d'Afrique Centrale - Master Droits de L'homme et Action Humanitaire 2004
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section 2 : LA TENDANCE A L'INSTRUMENTALISATION DES ELECTIONS

En 1993, paraissait aux éditions du CEAN un livre de Weissman sur les élections présidentielles au Congo105(*) dans lequel l'auteur offre deux niveaux de lisibilité : un premier qui permet de révéler les actions manifestes entreprises par les partis dans le registre du visible et de l'ostentatoire, et un deuxième où la mobilisation des électeurs « ne se joue pas seulement au grand jour, mais recourt souvent à des pratiques muettes, voire invisibles, qui, pour rester dans l'ombre, n'en sont pas moins déterminantes ».106(*) La compréhension de l'instrumentalisation de l'élection ne peut être perçue que grâce à ce que Weissman appelle la « campagne de l'ombre », faisant du vote un produit des revendications d'appartenance (§1) favorisant de ce fait l'installation statuaire de la fraude (§2).

§1 : Le vote, produit des revendications d'appartenance

La mutation du champ politique induite par le multipartisme génère une compétition électorale qui reste contrôlée par le pouvoir en place. Le sens du vote au Tchad se trouve conditionné par l'appartenance éthno-régionale et sociolinguistique. L'identification à la région, à l'ethnie et à la « célèbre division Nord-Sud » détermine l'élection qui correspond à une arène où se joue le sort des communautés territoriales ethniques et linguistiques du Tchad (A). Par ailleurs, il s'agit d'appréhender l'acte de vote fondé sur le tandem Nord-Sud (B).

A- La détermination éthno-régionale du vote

La structure du vote varie selon qu'il s'agit des élections législatives ou présidentielles. Loin d'être le principal rite d'intégration nationale, l'élection au Tchad se pose comme un rite d'exaltation des identités qui déconstruit la communauté nationale. La mobilisation électorale à des fins de protection des identités révèle une participation électorale variable selon la région, la communauté d'appartenance et suivant les différents rendez-vous électoraux. Elle révèle ce que le professeur Luc Sindjoun nomme la construction de « micro-pays partisans ».107(*) Les partis politiques reproduisent en grande partie les clivages ethniques au prix du travail de construction de l'identification et de la représentation, même si le nombre des partis politiques ne correspond pas à celui des ethnies. Ainsi, le Rassemblement pour la Démocratie et le progrès (RDP) de Lol Mahamat Choua est qualifié globalement de parti de « Kanembou »108(*), le Parti Fédération Action pour la République (FAR) de Yorongar Ngarlejy de parti de « Ngambaye »109(*), l'Union pour le Renouveau et la Démocratie (URD) de Kamougué Wadal de parti des Sara110(*), l'Union Nationale pour le Renouveau et la Démocratie (UNDR) de Saleh Kebzabo de parti des Moundang, le Mouvement Patriotique du Salut (MPS) de Idriss Deby de parti de Zaghwa, Gourane et Toubous.111(*)

Cette situation reflète l'opinion des Tchadiens qui disent : «chez nous, tout le monde vote pour le candidat de son village ».112(*) Et pour renchérir, Saleh Kebzabo disait en 1996 que « le vote allait être tribal ou régional, tout le monde le savait ! Il fallait donc s'organiser en conséquence, et nous pensions que chaque grande formation devait maîtriser une bastion ».113(*) La cartographie politique des élections de 1996 reflète presque cette logique. Ainsi les candidats issus du sud ont eu des scores les plus remarquables dans les régions respectives, et ceux du nord autant. Cette lecture régionale du vote s'est beaucoup plus révélé aux législatives. Dans ce que l'on considère aujourd'hui comme « Ancien Moyen-chari », fief traditionnel du Général Kamoungue Wadal (excepté la ville de Kyabé) les députés étaient tous issus de son parti, l'URD. L'UNDR de Saleh Kebzabo se taille la part du lion dans le Mayo- kebi,Yorongar Ngarledji resta indétrônable avec le FAR à Bebidja, le RDP de Lol Mahamat Choua le Kanem et la grande partie du nord et du centre le MPS, de Idriss Déby, le parti au pouvoir. 

Il est certes vrai que les échéances électorales ont parfois montré leur caractère ethno-régional, il faut cependant dire que cette analyse n'a beaucoup de force que lors des premières élections. Le bémol de cette analyse réside dans le fait que le pouvoir en place a noué de faisceaux de relations avec les chefs traditionnels, les notables qui lui sont restés jusque-là rigides. On est au coeur de « l'Etat de Janus ».114(*) Comme le souligne cette déclaration, « le sultan Alifa Zazarti n'est pas mon frère. Il est en train de vendre le Kanem à Deby qui lui a donné voitures, sucres et argent ».115(*) Là c'est le triomphe du vote clientéliste. Dans cette logique, c'est le pouvoir financier du candidat qui lui donne de l'électorat hors de son « fief naturel », mais l'allégeance socio-linguistique reste un élément non négligeable pour compléter ce point de vue.

B- Le vote, rite d'allégeance socio-linguistique

Ici, nous envisageons opérer l'analyse sous le clivage bipolaire Nord-Sud. Ce clivage sous-tend aussi celui du religieux.

Les expressions « Nord-Sud » ont fait leur apparition dans le Lexique politique du Tchad à partir des événements de 1979. Depuis, elles sont devenues incontournables pour toute personne qui veut ou cherche à saisir la politique tchadienne. Ce tandem Nord-Sud est d'ailleurs très présent dans le déroulement des votes. Comme le fit remarquer Mahamat Hissein, « (...) cicatrices que laisseront ces élections dans le tissu social (...). Ainsi, on a assisté (...) à un repli général des candidats sur leur terroir natal. Le vote massif des citoyens du Nord en faveur du général Deby ou celui des citoyens du Sud tout aussi au général Kamougué traduit la peur de chaque bloc de confier la destinée à un homme issu de l'autre camp. »116(*) Ce clivage ne représenta pas le seul conflit pouvant menacer la paix civile. Ni le Nord, ni le Sud ne sont des blocs homogènes, et à l'intérieur de chaque ensemble de graves tensions ont existé et existent toujours. Le clivage bipolaire Nord-Sud comme principe de vision et de division de la réalité politique tchadienne trouve son terreau dans la religion.

En effet, la dimension religieuse se reproduit très souvent parmi les vecteurs latents de mobilisation. Elle ressort parfois du discours tenu par certains partisans des candidats. Tenez, par exemple, lors des campagnes référendaires de 1996, certains imams auraient prêché en faveur du « oui » en affirmant que les Nordistes qui voteraient « non » étaient des diables qui allaient ramener au pouvoir les « infidèles » avec comme résultat qu'on empêcherait ensuite aux musulmans de parler l'arabe et de pratiquer l'islam.117(*)

L'évocation du religieux dans la scène politique tire son origine dans les événements de 1979. L'intervention du religieux -surtout de l'islam- est un élément de regroupement, de renforcement des capacités et par ricochet le vote, au profit de ceux qui appartiennent à la « Umma » -la communauté musulmane.

Il serait exagéré de dire que la division religieuse obéit strictement au tandem nord-sud, car de part et d'autre pôle, il y existe des musulmans. Toutefois, ce qu'il convient de souligner, c'est que même étant musulman, un membre du sud ne reçoit pas la même confiance de ses co-religionnaires que celui du nord. Tous ces facteurs contribuent à renforcer la fraude.

* 105 Weissman, F. Election présidentielle de 1992 au Congo, Entreprise politique et mobilisation électorale, CEAN, Bordeaux.

* 106 Weissman, p.6

* 107 Sindjoun (L), Construction et déconstruction locales de l'ordre politique au Cameroun. La socio-genèse de l'Etat, thèse d'Etat en Sciences politiques, Yaoundé II, 1994 cité par Helène-Laure Menthong « Vote et communautarisme au Cameroun : vote de coeur, de sang et de raison » in Politique Africaine N°69, p.42.

* 108 Population habitant le Kanem et le Lac.

* 109 Population habitant les deux Logones.

* 110 Les habitants de l'ancien Moyen-Chari.

* 111 Pour amples informations, lire Buijtenhuijs R : La Conférence Nationale Souveraine du Tchad. Un essai d'histoire immédiat, Paris, Karthala, 1993.

* 112 Cité par Buijtenhuijs R, Transition et élections au Tchad 1993-1997, Paris, ASC-Karthala, 1998, p.306

* 113«  Saleh Kebzabo répond à N'djamena Hebdo », N'djamena Hebdo, N°244, 1er août 1996.

* 114 Sindjoun (L), L'Etat ailleurs : entre noyau dur et case vide, Paris, Economica, 2002, p.33

* 115 Ganda (KP), «  Coups de coeur, coups de gueule », N'djamena Hebdo, N°236, 6 juin 1996.

* 116 Hissein (M), «  Séquelles de campagne », Le Progrès, N°144, 9 juillet 1996.

* 117 Propos rapporté par Buijtenhuijs, « Le Tchad est inclassable : le référendum constitutionnel du 31 mars 1996 » in Politique Africaine N°62 p.122.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite