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Emergence en physique, biologie et sciences cognitives : Vers une compréhension globale

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par Pedro CONTRO
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne - M1 Philosophie des sciences 2008
  

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4. L'émergence en philosophie et en sciences cognitives

On peut commencer à entrevoir l'énorme potentielle du concept d'émergence pour aider à expliquer la façon par laquelle l'organisation du global émerge d'une dynamique locale, et à son tour contraint cette dynamique. Mais tout d'abord il est important de distinguer plusieurs aspects dans le concept d'émergence en philosophie de l'esprit, qui n'est pas un sujet facile, et peut- être confus ou encore problématique si on ne l'explore pas en détail. La discussion du problème de la « causalité descendante » occupe un cas spécialement intéressant, puisque il est directement lié à la compréhension de l'interaction causale entre l'esprit et le corps comme cas d'émergence de l'esprit à partir du cerveau. Il faudra donc commencer par réviser quelques conceptions courantes de l'émergence en philosophie de l'esprit, comme celles de Bedau et Kim, et ensuite discuter de la question de savoir si ces visions sont compatibles avec les cas des phénomènes émergents en physique et en biologie.

4.1. La causalité descendante

On avait dit dans l'introduction, que dans la caractérisation épistémologique de l'émergence, on insiste sur les limites de la connaissance humaine des systèmes complexes, où on pourrait dire qu'il y a deux conditions pour caractériser une propriété émergente [5] :

1) Non Predictivité : les propriétés émergentes sont celles qui ne peuvent pas être prédîtes du point de départ pré-émergent, même si on a une connaissance complète des caractéristiques et des lois des parties du système.

2) Patron-irréducibilité : les propriétés émergentes et les lois sont des caractéristiques systémiques des systèmes complexes qui sont gouvernées par des généralisations d'une science irréductible à une théorie physique. Par exemple, selon J. Fodor, on ne peut pas capturer les lois économiques seulement à partir d'une connaissance de la physique.

Dans ses définitions, même si l'intention est de proposer une définition de l'émergence qui ne prend pas en considération pas l'aspect ontologique, il est implicite dans les deux caractérisations épistémologiques la distinction ontologique des deux niveaux d'existence : un local et un global. Les interactions des différentes parties des composants se restreignent au niveau local, et dans le niveau global se manifestent les propriétés émergentes. La distinction ontologique entre deux niveaux est subtile et doit être précisée : 1) les deux niveaux ont un statut ontologique égale, c.-à-d. qu'aucun niveau n'est plus réel que l'autre, et 2) la différence entre les niveaux local et globale est relationnelle et non catégoriale, c. -à- d. qu'on ne peut pas trouver une frontière complètement précise entre les deux, ils ne sont pas disjoints et justement parce qu'ils ne sont séparés ils peuvent interagir.

On souligne ici que la première distinction s'oppose au réductionnisme, tandis que la deuxième s'oppose au dualisme avec ses problématiques respectives11.

En effet, il est assez courant de penser qu'on peut séparer n'importe quel processus P en ses éléments constitutifs fondamentaux F et ses propriétés émergentes E. Alors, normalement il sera implicite de supposer que leur intersection est nulle et leur union est le tout, c.-à-d. :

, ,

(*)

Ensuite, on débattra sur la façon dont E dépend de F : on se demandera si E peut être réduite épistémiquement à F, si E survient sur F, s'il y a dans F des propriétés intrinsèques qui donnent lieu aux propriétés observables dans E, etc. Mais il est importante de clarifier si on peut en effet avoir ces hypothèses plutôt ontologiques sur F et E, avant de nous précipiter sur les discutions épistémologiques. Il est important de se souvenir de Meyerson, qui remarquait que « l'homme fait de la métaphysique comme il respire, sans le vouloir et surtout sans s'en douter la plupart du temps. »

Mark Bedau signale qu'il y a un problème métaphysique apparente dans la caractérisation même de l'émergence, qui vient du fait que les phénomènes macroscopiques sont à la fois dépendants (au sens où on peut les réduire épistémiquement à la dynamique sous-jacente), et autonomes (au sens où autonomie

11 D'un côté, la thèse philosophique réductionniste qui assigne une réalité seulement au niveau inférieur a comme problème principal l'incapacité de rendre une réduction épistémique effective. De l'autre côté, la thèse dualiste qui sépare catégoriquement les niveaux d'organisation a comme problème principal rendre compte de l'interaction causal mutuelle.

signifie une certaine indépendance par rapport au niveau sous-jacent). Il précise que toute caractérisation de l'émergence doit résoudre ce problème substantiel dont on trouve une apparente contradiction entre dépendance et indépendance.

La vision de Bedau sur l'émergence est fortement imprégnée des hypothèses signalées en (*), bien que il ne l'asserte pas explicitement, ainsi que la supposition également métaphysique selon laquelle il y a des propriétés inhérentes au domaine microscopique. De ces hypothèses plutôt implicites il déduit que l'émergence forte est incohérente puisque il s'agit d'une thèse selon laquelle les propriétés émergentes fortes surviennent sur le niveau inférieur, mais avec des pouvoirs causaux irréductibles [30]. Cela, en effet, est une vision qui est problématique quand on considère l'action de ces nouveaux pouvoirs causaux sur le niveau microscopique, un effet causal qui est connu sur le nom de « causalité descendante » (downward causation).

Le problème, il me semble, vient des suppositions exprimées en (*) : quand on fait l'hypothèse que les niveaux sont séparables, il est souvent le cas qu'on pense qu'ils ont des propriétés inhérentes. En effet, si la caractérisation du niveau émergente se fait comme en étant substantiellement différent du niveau fondamental, et si on considère de plus les propriétés émergentes comme des propriétés métaphysiquement différentes des propriétés des niveaux fondamentaux, il découle que chaque niveau doit avoir effectivement d'une sorte de pouvoir causal inhérent qui agisse sur l'autre niveau, mais on a du mal à expliquer comment cette interaction a lieu. Cette vision est assez courante, et on peut la distinguer dans la

pensée de plusieurs penseurs, comme dans cette explication de l'émergence par J. Kim [1] :

« I believe that «new» as used by the emergentists has two dimensions: an emergent property is new because it is unpredictable, and this is its epistemological sense; and, second, it has a metaphysical sense, namely that an emergent property brings with it new causal powers, powers that did not exist before its emergence »

Ici Kim exprime très clairement non seulement sa croyance selon laquelle le système peut être dissocié en deux niveaux différents implicitement disjoints: le fondamental ou élémentaire, et le supérieur ou émergent. De plus, il signale aussi un problème de la émergence diachronique, dont on pense qu'il existe un état pré- émergente du système, c.-à-d. un état où le phénomène émergent ne se manifeste pas encore, et dont ses pouvoirs causaux ne se montrent pas non plus. Néanmoins, dans notre vision d'un phénomène émergent comme étant associé au niveau d'organisation globale du système, il semble que l'organisation globale de constitue synchroniquement avec la dynamique constitutive. En considérant l'exemple en physique, la rigidité comme propriété émergente est synchrone avec la dynamique atomique que génère un certain arrangement des atomes. L'état pré-émergent serait un dont on pourrait trouver un niveau d'organisation inférieur constitué par une dynamique locale, mais sans avoir dans une organisation globale du processus. Même si on peut constater que l'organisation globale n'a pas un ordre assez clair,

l'organisation global est toujours présente étant donné une dynamique constitutive,
de manière que parler d'un état pré-émergent dans cette conception n'a pas de sens.
La vision selon laquelle on peut toujours dissocier les constituants
élémentaires des propriétés globales en gardant au niveau fondamental l'essentiel
du processus, est basée sur la notion fortement réductionniste qu'on peut toujours
analyser le tout simplement en relation à ses parties et oublier le tout. En effet, pour
Kim, qui pense que aussi le niveau inférieur comme le supérieur ont des pouvoirs
causaux inhérents
, un problème que doit résoudre une vision cohérente de
l'émergence, appelé le problème de l'exclusion causale, est de rendre compte d'une
façon satisfaisante comment les pouvoirs causaux du niveau supérieur ne rivalisent
pas à niveau micro avec les pouvoirs causaux du niveau micro12 [31]. Les
alternatives semblent deux : soit on explique comment en réalité les propriétés
émergentes sont réductibles aux propriétés fondamentales, dont on conclura que les
propriétés n'étaient pas vraiment émergentes ; soit, en revanche, on accepte que les
propriétés sont émergentes dans le sens épistémologique (elles ne peuvent pas être
déduites du niveau fondamentale), mais elles sont ontologiquement et causalement
réductibles au niveau fondamentale. Néanmoins, l'hypothèse faite pour arriver à ces
deux options est la supposition qu'on peut effectivement dissocier les niveaux

12 En effet, Kim remarque que si les propriétés émergentes ont des pouvoirs causaux irréductibles, alors ces pouvoirs causaux peuvent interagir non seulement dans le niveau émergent, mais aussi ils peuvent avoir une influence causale sur le niveau local et même rivaliser avec les pouvoirs causaux du niveau inférieur. Cela, est une incongruité pour Kim, de sorte qu'il propose qu'en fait toute la causalité macroscopique est une illusion, et la seule causalité réel est au niveau microphysique fondamentale.

fondamentale et émergente dont chacun a des pouvoirs causaux inhérents ; pourtant on a vu que dans les systèmes physiques le niveau émergente est très fortement liée à l'aspect d'organisation du système, et l'aspect fondamentale avec la dynamique locale du processus. Dans cette vision, on ne peut pas trouver une frontière stricte que divise les deux niveaux, et de plus la constitution du niveau supérieur se forme à partir des relations d'interaction entre les éléments locales, et l'organisation globale contrainte la dynamique locale seulement en termes des relations possibles entre les éléments qui soutient l'organisation globale.

J'espère que dans ce qui précède, j 'ai exposé suffisamment d'arguments concernant les cas physique et biologique pour pouvoir dire qu'il faut voir l'émergence comme un processus relationnel entre le local et le global. Si on voit la distinction entre le niveau locale et le niveau globale comme une distinction relationnelle et non substantielle, on essaiera de comprendre quelle est l'interaction entre la dynamique locale et les propriétés globales, sans penser qu'ils appartiennent à des domaines ontologiques indépendants. En effet, comme Michel Bitbol le remarque, une conception non-substantialiste est beaucoup plus satisfaisante. Pour Bedau le problème de l'exclusion causale de Kim concernant l'émergence peut disparaître dans le cas faible, où on a une autonomie explicative macroscopique qui vient de la complexité des interactions locales sous-jacentes ; et en même temps une réductibilité ontologique et causale du macro au micro. C'està-dire que l'autonomie au niveau macro n'est qu'apparente, et découle de notre incapacité épistémologique de savoir comment les propriétés du macro s'expliquent

à partit seulement des règles et de l'organisation au niveau micro. Le problème fondamental de cette vision, comme l'est de toute théorie qui veut nécessairement tout réduire au niveau ultime ou élémentaire, est la nécessité de l'existence des blocs fondamentaux avec des propriétés intrinsèques à partir desquels toute la réalité du monde apparaîtrait.

Néanmoins, quand on regarde attentivement la mécanique quantique, on peut voir qu'il y a plusieurs obstacles qui empêchent de trouver un niveau de réalité fondamental. Bitbol en particulier discute ce point, et note qu'à l'échelle quantique la notion de propriété intrinsèque ou de pouvoir causal n'a pas de sens [32]. La critique plus importante que fait Bitbol aux thèses réductionnistes, et qui d'ailleurs peut avoir des résonances très intéressantes avec les idées de David Bohm sur le tout et sa relation avec les parties13 [33], consiste à souligner qu'en mécanique quantique il existe toujours une relation de co-surgissement mutuelle entre le tout et les parties : « The many parts are still taken as constitutive of the whole, but at the same time the whole is irretrivavbly involved in the definition of the parts since no

13 David Bohm a été très intéressé à apporter une pensée plus holiste en science, qui mettrait plus d'attention sur le tout que par les parties. En particulier, Bohm voyait que la pensée que emphatisa trop la description en termes des parties en oubliant le tout, tendait à oublier la raison pratique de la séparation d'un tout en parties, voyait les parties comme en étant intrinsèquement séparés et indépendantes, et tendait en gros dans une pensée fragmentée de la réalité qui était une source de confusion profonde de l'individu et son rapport avec le monde. Il argumentait que même s'il ne fait pas de sens de parler du tout sans parties, ou parties sans un tout, en mécanique quantique le fondamental est le tout et non les parties.

independent characterisation of each sub-system can be given » [32]. Ainsi, la stratégie de tout réduire aux blocs fondamentaux est simplement impossible14.

Finalement pour récapituler, Kim argumente due à la contradiction de penser l'interaction causale entre le niveau émergent et la dynamique fondamentale dont chaque niveau a des pouvoirs causaux inhérents, il suit que les lois dites émergentes proviennent d'un niveau de réalité microscopique qui est ontologiquement et causalement fondamental. Une réponse possible à cette problématique est fondée sur une vision de l'émergence beaucoup plus audacieuse, dans laquelle on ne suppose pas ni un niveau fondamental d'où se manifeste la réalité macroscopique, ni des lois globales du système dues à la dynamique locale mais plutôt à la propre organisation globale, c.-à-d. qu'il existe une autonomie ontologique et épistémologique du niveau supérieur bien qu'il dépende dans sa constitution du niveau sous-jacent. Cette vision considère le tout et ses parties comme entités inextricablement en relation l'une avec l'autre : toute entité a des parties15, et toute collection des parties n'a de sens comme telle que dans la mesure où elle s'organise en formant un tout, et dont le tout comme les parties ont un degré ontologique

14 Paul Humpheys, philosophe spécialisé dans l'émergence, note que une propriété essentielle d'un phénomène émergent est d'être un tout unifié dont ses effets causaux ne peuvent pas être correctement représentés en termes de ses effets constitutives séparés, et dont les propriétés constitutives ne peuvent pas être vues comme en étant séparés [34].

15 Les objets physiques ont toujours des parties spatiales, et les objets mentaux ont toujours des parties temporelles (une image mentale comme événement mentale peut toujours être divisé dans les parties : le début, le milieu, et la fin).

semblable16, puisqu'on reconnaît l'importance de chacune pour rendre compte de manière complète de l'évolution du système tout-parties.

La stratégie scientifique réductionniste ne nous fournit qu'un fragment de la compréhension du phénomène puisqu'elle ne rend pas compte de façon explicite de la façon dont le niveau global aussi a des effets de contrainte sur le niveau sous- jacent. De plus, la stratégie qui consiste à essayer d'expliquer la totalité du phénomène à partir seulement du niveau d'organisation fondamentale parte des suppositions assez fortes : 1) l'existence des blocs vraiment fondamentaux à partir desquels émergent les propriétés analysées, et 2) l'incapacité actuelle d'avoir une description complète du comportement global émergent à partir des éléments fondamentaux qui sera éventuellement résolue. On a vu précédemment que ces deux suppositions sont assez faibles relativement à notre connaissance actuelle, notamment en physique. De telle sorte, la démarche réductionniste, même si elle est importante puisqu'elle nous permet comprendre le processus de constitution par lequel les parties forment le tout, elle doit aussi être complémentée par une recherche qui cherche aussi à rendre compte des processus de contrainte que l'organisation globale exerce sur les parties du processus.

16 C'est à dire qu'on pense que le tout, ainsi comme les parties, sont réels. Ici on utilise l'expression degré ontologique semblable pour indiquer que si bien le tout n'existe pas de la même façon que les parties, il fait partie du monde naturelle. On propose de considérer que si bien le tout n'existe pas quand les parties ne le constituent pas, il est autant réel en tant que tout : une molécule est si réel que les atomes qui le composent, un organisme est aussi réel que les cellules que le composent, même un essaim est aussi réel que les insectes qui le composent ; même si il n'existe pas comme tel quand les parties sont dissociés.

Il sera utile de faire allusion par la suite à la relation entre niveaux d'organisation exposée précédemment comme une dynamique co-émergente, pour distinguer ce mode de penser de l'émergence comme une relation non substantialiste et co-dépendante des niveaux. Cette distinction est importante pour différencier cette thèse des autres conceptions comme celle de l'émergentisme, qui se prononce contre la démarche réductionniste qui veut expliquer toute la réalité simplement en termes des éléments fondamentaux, et n'assigne pas à la propriété émergente un degré ontologique que soit semblable à celui du niveau fondamentale. Par la suite, on essaiera de montrer pourquoi est-il important d'assigner un tel statut ontologique aux phénomènes mentaux dans la construction d'un programme de recherche sur l'étude de l'interaction entre le cerveau et l'esprit.

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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite