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La resistance à la conquête et à la domination coloniale en Grande Comore: 1880-1940

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par said mohamed Said Hassani
Université Paris VII - DEA d'Histoire 2004
  

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III. PROBLÉMATIQUE.

Dans l'état actuel des recherches, il serait prématuré de formuler avec subtilité, une véritable problématique. Il s'agit pour le moment dans notre démarche, de présenter brièvement un certain nombre de thèmes et de questions, censés guider notre travail de recherche.

L'étude de l'opposition et la résistance anticoloniales soulève une série de questions essentielles. Puisque l'historiographie coloniale du continent africain, glorifie dès le départ, l'épopée de la conquête et s'attache à rabaisser les Africains en les décrivant sous les traits les plus négatifs. C'est une idée communément reçue et largement répandue dans la littérature coloniale. Il va de soi que la résistance à la domination coloniale est aussi minimisée et qualifiée de mouvement éphémère. « Le continent africain apparaît comme une sorte de terre vide de toutes règles politiques où la sauvagerie, l'ignorance, et la misère se donnaient libre cours »6(*). Les défenseurs de la domination coloniale décrivent les rebellions comme des réactions primitives et irrationnelles ou encore les attribuent à l'agitation de la minorité assoiffée de sang. Aujourd'hui cette opinion est largement contestée et sérieusement mise en cause par les chercheurs de l'histoire du continent noir.

Les recherches et travaux réalisés prouvent l'existence d'une opposition contre l'influence et la domination française. En Grande Comore, les soulèvements populaires, les manifestations spontanées, le refus de travailler ou de s'acquitter de l'impôt, les désobéissances civiles, les attaques à main armée, les fuites, les migrations, l'indifférence, sont entre autres, les moyens d'expression du mécontentement de la population vis-à-vis de la colonisation. La résistance devient un thème fécond en réflexion et s'impose dans l'historiographie du continent Africain. Il en est de même pour les Comores qui subissent, non sans peine l'épreuve coloniale aux conséquences multiples.

Période sombre de l'Histoire, la colonisation multiplie les interventions militaires, périlleuses et violentes qui bouleversent l'ordre traditionnel de l'Afrique. L'Archipel des Comores n'échappe pas à ces transformations qui vont profondément modifier la structure sociale, politique et économique de l'Archipel en particulier l'île de Ngazidja. Divers récits de voyages et témoignages qualifient les Comoriens d'hommes qui aiment faire la guerre. A leur tête des « sultans batailleurs » par référence à l'ouvrage de FAUREC. U7(*), ils aiment se battre, d'abord entre eux, ensuite contre toute présence étrangère. Certes la succession des guerres et des incursions malgaches affaiblissent considérablement la Grande Comore, mais ne l'empêche pas de réagir contre la conquête et la domination coloniale.

Jusqu'à sa colonisation, la Grande Comore n'a jamais été soumise à une seule autorité politique. Cette situation nous renvoie bien l'image d'une société divisée, en proie aux antagonismes, subissant les régimes sultanesques. Elle témoigne précisément de l'incapacité des autorités successives à rétablir l'ordre et à unifier l'île. Les Comores sont par la suite, livrées aux convoitises des puissances européennes. C'est sur les traces des pirates malgaches que les Européens et notamment les Français vont intervenir indirectement aux Comores, pour s'installer définitivement en commençant d'abord par l'île de Mayotte en 1841.

La colonisation française vient s'ajouter dans un climat de grande tension entre l'ensemble de l'Archipel et ses voisins malgaches, ainsi qu'entre les différents sultanats de la Grande Comore. Les différentes sources relatent bien l'existence de ces antagonismes qui affaiblissent les pouvoirs des sultans et la société. A cela s'ajoutent d'autres enjeux géopolitiques et stratégiques de l'Archipel sur lesquels la France va jouer pour légitimer sa mission colonisatrice. Vue sous cet angle de guerres et d'insécurité permanentes, les Français apparaissent comme porteurs de la civilisation, du progrès et surtout de la paix. Mais « les blancs ont apporté la paix entre les communautés mais pas au sein des communautés »8(*)

La rencontre de la France impériale avec les îles aux parfums est à la fois rusée et violente. Ignorer le coté violent de la pénétration française, revient à falsifier délibérément l'événement. A ce sujet, Hervé CHAGNOUX H et HARIBOU A9(*) dégagent bien les éléments d'un scénario commun :

« ...Un sultan en difficulté demande l'aide d'une puissance étrangère ; il en vient à concéder (aux pouvoirs réguliers ou à des aventuriers) des terres qui ne lui appartiennent pas ; les habitants de l'île se soulèvent contre cette évolution, les autorités française interviennent alors directement pour rétablir l'ordre, de crainte que d'autres puissances ne s'installent dans l'archipel, de soulèvements en répressions et l'autorité coloniale en vient à assumer l'essentiel des pouvoirs ; des rapports de commissions d'enquête reconnaissent enfin et déplorent les abus des aventuriers, ou l'engagement excessif de l'administration coloniale... ».

Sur les conseils de Jules Ferry, Léon Humblot devient rapidement l'allié du Sultan Said Ali et le cosignataire d'un traité où le sultan s'engage à ne donner son pays à un autre pays que la France et le traité de 1885 fait obstacle à toute intervention étrangère dans l'île. Son Altesse donne à Léon Humblot le droit d'exploiter l'île et lui confère toute facilité de réaliser ses projets.10(*) Le traité est préparé par Humblot lui-même, il est examiné et modifié puis approuvé par le ministre des Affaires Etrangères. Il est signé le 5 novembre 1885 à Moroni, à bord de l'aviso le Boursaint, d'un côté, par le sultan de la Grande Comore et ses ministres, et de l'autre par le commandant du Boursaint, les officiers et par Léon Humblot.

Ce dernier va servir de tête de pont à la France pour prendre possession de Ngazidja. Léon Humblot, est né en 1852 à Nancy (en France). Fils doué d'un Maraîcher, il devient jardinier du Museum d'Histoire Naturelle, envoyé souvent à Madagascar pour des recherches botaniques.11(*) L'objet de son voyage en Grande Comore s'inscrit dans le cadre d'une étude sur la faune comorienne. Un voyage qui se transforme en une vraie aventure qui bouleverse sa vie et le destin de la Grande Comore. La ruse n'est qu'une des multiples facettes de l'impérialisme colonial français.

La brutalité et la violence interviennent bien avant les premières contestations contre la présence française. Elles ne font que s'amplifier lorsque les Français interviennent militairement pour aider le Sultan Said Ali à se maintenir au trône, lors de la bataille qui l'oppose au sultan Msafoumou d'Itsandra en 1883. Puis elle effectue des démonstrations militaires pour mater les soulèvements populaires contre la signature du traité du 5 novembre 1885, une convention particulièrement défavorable à son pays et à son peuple. Ce traité est un des trois modes d'acquisition de territoires, dont se sert l'impérialisme colonial, à savoir les traités bilatéraux, les traités euro-africains et les guerres de conquête. Selon HUGON A ?12(*) la France conclut plus de 200 traités similaires entre 1880 et 1890. Leurs statuts, ajoute t-elle, étaient de nature beaucoup plus qu'ambiguë :

« ...traité d'alliance ou d'amitié pour les Africains, ils sont présentés en Europe, comme des traités de protectorat par lesquels les Africains abandonnent leur souveraineté... souvent obtenus dans de conditions suspectes voire frauduleuses, ces accords ont rarement la valeur légale souhaitable... »

A propos de ce traité du 5 novembre 1885,VERIN P. ajoute que « sans doute il ( le sultan Said Ali13(*)) fut victime d'un dol ou du moins d'une escroquerie  à l'amitié de la part de d'Humblot »14(*). Il suffit de lire les mémoires du sultan Said Ali, écritS en exil, pour se rendre compte à quel point le sultan regrette d'avoir fait confiance en son associé Léon Humblot.15(*)

Les interventions vont se traduire plus tard, par le recrutement et l'envoi d'hommes et armes pour maintenir l'ordre colonial à chaque fois que les événements socio-politiques et économiques l'exigent et ce, durant toute la période coloniale. BOAHEN A16(*) explique pourquoi certains peuples en Afrique acceptent rapidement la domination européenne. Car ils considèrent qu'elle fait partie d'un ordre irrésistible, d'où ils peuvent tirer de nombreux avantages, essentiellement la paix, des innovations passionnantes ( chemin de fer, route, lampe et tout ce qu'ils pouvaient acquérir ou expérimenter en ville...). C'est là que se pose l'épineuse question de la collaboration. Elle suscite bien des interrogations sur les raisons qui font que des communautés acceptent l'ordre colonial. Il est certain que la peur d'éventuelles répressions est sans conteste, l'une des causes majeures de cette soumission aux exigences coloniales. La défense des intérêts est aussi au coeur de ce choix qui incite des individus ou un groupe à s'allier au parti des colonisateurs, répondant ainsi à leur appel à la collaboration.

La littérature coloniale veut que les Africains en général aient accueilli les colonisateurs à bras ouverts. Une idée largement contestée aujourd'hui, comme l'écrit KI-ZERBO J :

«...Ceux-ci, à part quelques roitelets sanguinaires qui les opprimaient, auraient accepté la conquête européenne les bras ouverts, ou du moins, presque sans broncher, comme des lapins dans un clapier. En fait, il y eut beaucoup plus de lions que de lapins... »17(*)

Des Comoriens, on dit qu'ils acceptent la colonisation comme une nécessité. C'est plutôt une fatalité inhérente à la situation géographique de l'Archipel. Nous retiendrons ici les termes de Hubert Isnard qui déclare que : « Par leur position géographique, les îles Comores semblaient destinées à subir la colonisation. Ce fut d'abord celle des peuples musulmans qui leurs apportèrent leur civilisation, puis celle, brutale et précaire des Sakalava, et enfin celle des européens. »18(*) Dans tous les cas il est évident que l'instauration de la colonisation ne s'est pas faite sans difficultés. Et les événements qui accompagnent la colonisation de l'île le prouvent. Les Comoriens font preuve d'une grande détermination dans la lutte contre l'oppression coloniale. De son côté la France est résolue à apporter la « civilisation » aux  indigènes. A ce sujet, Alfred de Vigny ne laisse pas trop le choix aux peuples colonisés, il écrit : « Si l'on préfère la vie à la mort, on doit préférer la civilisation à la barbarie. Nulle peuplade dorénavant n'aura le droit de rester barbare à coté des nations civilisées ».19(*) Le problème est de savoir quelles définitions donne t-on ici à la « barbarie » et à la « civilisation ».

Hantise des colons et de l'administration française, les révoltes répandent l'horreur de la colonisation. Elles ne cessent de se reproduire sporadiquement d'un lieu à l'autre, d'une ville à l'autre, et souvent tous les prétextes sont bons pour extérioriser le mécontentement, perpétuant l'effervescence et la colère chez les Comoriens, et l'inquiétude chez les administrateurs et colons. La répression ne décourage pas ces mouvements spontanés nés de la tension constante entre administrateurs, colons et indigènes. A coté des révoltes la colère indigène s'exprime également par : l'indifférence, la passivité et la fuite vers les lieux difficile d'accès, les migrations vers Mayotte, Madagascar et vers la cote est africaine...etc Ces réactions laissaient croire à la résignation, à cause de la suprématie de l'armée des colonisateurs.

Mais cette paix n'exprime, pour les Comoriens, que le silence de l'impuissance et du désespoir. Les réactions continuent à s'exprimer par l'apathie, l'indifférence. Les indigènes se réfugient dans les croyances religieuses. L'Islam s'oppose à toute domination étrangère non musulmane. Il est incontestablement une arme de lutte et de mobilisation populaire, mais aussi une réponse adressée à la colonisation. Elle creuse un fossé entre le monde africain et le monde européen. Un fossé que DESCHAMPS H19(*) qualifie d'invisible et qui sépare Français et indigènes. La foi islamique se maintient très vivement avec l'orgueil du vrai croyant à l'égard des infidèles. C'est, ajoute t--il, une valeur de propagande très puissante qui peut être une caisse de résonance parfaite pour la diffusion du mot d'ordre opposé au colonialisme. L'Islam qui a, jadis, gagné les Comores par le biais de l'Afrique orientale, sert donc de prétexte au rejet de la domination de « l'homme blanc ». Comme tout peuple opprimé par la domination et les exactions coloniales, les Comoriens, surtout l'élite, se tournent vers la vie religieuse. Le dénuement dans lequel le nouveau régime plonge la majorité de la population favorise l'expansion et le renforcement de l'Islam dans l'île. Il le place dans une position de facteur potentiel d'une résistance passive. Le contexte psychologique stimule ainsi le développement des confréries en Grande Comore mais aussi dans l'ensemble de l'Archipel. L'islam est la religion officielle des Comores. Elle constitue le véritable ciment de la civilisation comorienne et sa pratique rythme la vie quotidienne.

Si céder le pays à l'administration coloniale est un mal nécessaire pour les Comoriens, il n'en est pas de même pour la religion, car renier l'Islam est pour eux une chose inadmissible. Au moment des révoltes, des religieux (mwalimu) sont identifiés parmi les plus influents meneurs des révoltes et des mouvements de contestation. Ils l'ont payé cher lors des répressions coloniales. Les sanctions dont ils ont fait l'objet se voulaient exemplaires pour contenir l'effervescence. En dépit d'un siècle de domination coloniale, l'Islam demeure la religion officielle du pays .

Mis à l'épreuve par ce changement brusque, les Comoriens choisissent de recouvrer leur souveraineté. Bien des chefs n'acceptent aucun compromis et préfèrent mourir sur le champ de bataille. Certains sont exilés de force ou contraints au bannissement plutôt que de renoncer sans se battre pour l'indépendance de leur pays. Les chefs de guerre qui ont combattu et les chefs spirituels qui ont incarné cette résistance deviennent de véritables héros. Aussi entend-on souvent dans l'histoire comorienne, parler de farouches opposants comme Hachimou19(*) qui meurt assassiné le 20 juin 1889 près de la ville Niyoumamilma ( dans la province de Mbadjini). Massimou et Mtsala périssent lors des affrontements opposant les rebelles aux forces de l'ordre colonial en 1915, dans la province de Oichili et Dimani en Grande Comore. Selon GUEBOURG J L20(*), ce sont deux révoltés, originaires de la province de Mboudé au nord-est de Ngazidja, qui se rendent chez leur père dans la province de Dimani au centre - est de l'île. De retour des émeutes de Djomani, leur intention est d'inciter la population au soulèvement.

C'est dans les stratégies et les tactiques qu'ils adoptent pour atteindre leurs objectifs que les pratiques de résistance diffèrent. La stratégie de l'affrontement est une des formes courantes pour certains sultans de la Grande Comore, dont le plus marquant est le sultan Hachimou. Pendant que Said Ali le Sultan Tibe, après avoir mal manié l'arme des négociations avec les Français, va recourir aux armes diplomatiques et juridiques, plus tard il va vraisemblablement avoir recours aux armes. Said Ali, le « protégé » des Français, croyait pouvoir utiliser à ses fins le blanc, sans mettre en péril sa propre indépendance et par conséquent sans faillir à l'honneur. Il devient victime de sa trop grande habileté. Erreur sur erreur, il conduit l'île aux mains des colonisateurs.

La stratégie de s'allier avec le blanc pour vaincre le voisin est une pratique bien répandue en Afrique.20(*) Nous la retrouvons en Grande Comore. Pour le sultan, s'allier avec le voisin contre le blanc, ou s'allier avec le blanc contre son voisin est une pratique fréquente de leur politique. Notons seulement que certes, le blanc est un étranger, parfois l'infidèle, mais il n'est pas l'héréditaire ennemi du sultanat voisin. C'est ce qui justifie, à coup sûr, les nombreuses interventions indirectes des puissances européennes, (France et Grande Bretagne) présentes dans l'Océan Indien, qui apportent leur aide aux différents sultans. A cela s'ajoute l'action manquée des Allemands, qui ont momentanément soutenu le prince Hachimou dans le Mbadjini au sud de la Grande Comore. Cette tentative échoue rapidement mais elle stimule les hostilités contre les Français. Hachimou, sultan de la province de Mbadjini au sud de la Grande Comore, obtient le soutien des Allemands dont le Docteur Karl Schmidt fait flotter le drapeau sur la ville de Shindini (Mbadjini), au sud de la Grande Comore. Une alliance qui ne fait pas long feu, mais qui affecte quand même l'action des rebelles Mbadjiniens, et fait monter d'un cran la vigilance des Français en Grande Comore à l'égard des autres nations européennes. Le quai d'Orsay parvient à persuader l'Allemagne à se désintéresser rapidement de Ngazidja, en renonçant à toutes prétentions sur les possessions allemandes du Tanganyika. Même si à l'époque, il n'existe pas un sentiment de conscience nationale, il y'a incontestablement un antagonisme affiché à l'égard des colonisateurs.

Mais les Comoriens doivent faire face à un problème aussi important, celui de la capacité à résister et à se battre. L'inégalité des rapports de force est incontestable. D'un coté une France triomphante, et technologiquement dominante. De l'autre une île politiquement éclatée et pratiquement faible. La résistance comorienne est limitée par l'infériorité en hommes, mais aussi par une infériorité technologique. Les Comoriens ne disposent pas d'armes sophistiquées pour affronter le péril. Et l'introduction tardive des armes à feu n'a pas aboli pour autant l'usage de la sagaie et du bouclier. Le manque d'armes modernes est encore à l'époque, le lot des insurgés.21(*) Les bombardements effectuées à maintes reprises par la Marine française pour mater les soulèvements populaires sont, à l'époque, inconnus dans l'art de la guerre chez les Comoriens. Les forces coloniales jouissent de l'avantage d'un armement sophistiqué, dont l'efficacité meurtrière et dissuasive, est indiscutable.

Le véritable enjeu de la résistance, est le rétablissement de la souveraineté, pour les sultans déchus et pour les classes aristocratiques dépourvues de leurs richesses. L'arrivée des Français saccage un mode de vie, et une organisation traditionnelle qui ne subsistent qu'à l'abri d'une barrière fragile. Les classes sociales dirigeantes perdent leur autorité, d'où une irritation des chefs et des notables, gardiens de la tradition. Irritation qui prend la forme de xénophobie. Elle est entretenue par les anciens sultans mécontents et les anciennes classes dirigeantes, les sorciers (walimu)22(*) dont l'influence malgré tout, demeure importante. Les premiers révoltés viennent de ces éléments dépossédés ou amoindris.

La spoliation foncière fait monter l'effervescence et le mécontentement à leur paroxysme. Nommé sultan sanguinaire, Said Ali se voit reprocher d'avoir vendu l'île aux blancs. La spoliation foncière réduit les Comoriens à la portion congrue. Elle fait grossir les rangs de malheureux indigènes dont le seul salut pour survivre, est d'aller s'engager chez les colons. Le travail dans les plantations est insupportable pour les Comoriens qui ne sont pas habitués aux mauvaises conditions de travail. Ceux qui s'y engagent sont maltraités et perçoivent un salaire de misère. Les journées de travail sont très longues et exténuantes. Les sanctions et les punitions sont monnaie courante. La geôle, le fouet, l'amende sont fréquemment utilisés pour punir les mauvais travailleurs et les paresseux.

  

«...Ils ne veulent pas aller s'engager dans les plantations où il leurs faudrait travailler à la tâche. Il est pénible d'avoir à constater que ce n'est pas sans raisons que les gens répugnent à l'engagement, ils ne sont pas toujours bien traités sur les habitations, surtout par les agents noirs et le recrutement devient de plus en plus difficile [...] C'est pénible à constater, mais il est bien difficile de n'avoir recours à des moyens énergiques pour vaincre la paresse des noirs...23(*».

Ce n'est pourtant pas seulement à cause des conditions de travail que les Comoriens s'en désintéressent. Dans un rapport du 23 février 1908, adressé au ministre des Colonies par le résident de Mayotte, il apparaît que la nature est du coté des Comoriens à qui elle ne demande pas trop d'effort pour subvenir aux besoins alimentaires. Et le Comorien n'éprouve donc pas le besoin de travailler dur, en tout cas comme l'entendent les colons. « ...L'indigène à qui la douceur du climat n'impose aucune obligation et qui vit au maigre produit de son champ n'éprouve pas toujours le besoin de travailler, en tout cas de travailler longtemps... »23(*) Ainsi se pose le problème de recrutement de la main d'oeuvre, car cette « paresse » et le refus de travailler des Grands Comoriens génèrent de sérieuses difficultés. Elles résultent également du fait que Said Ali s'est fait prier pour prêter son concours au directeur de la société Humblot. Il ne respectait pas les engagements visés par l'article IV23(*) du traité de 1885. A toutes les réclamations de Humblot, le sultan répond que le résident Weber est la seule autorité compétente. D'autres Comoriens choisissent la voie du banditisme pour échapper au travail forcé et à l'impôt, ils deviennent des voleurs ambulants qui apparaissent et disparaissent rapidement à la moindre alerte. Cet état de fait va jouer également un rôle moteur dans les retards et dans l'acquittement de l'impôt, derrière la mauvaise foi que ces derniers mettent dans les tâches qui leur sont dévolues par la colonisation.

La question de la terre qui se pose dès la signature du traité de 1885, demeurera au coeur des clivages entre l'administration française, les colons et les Comoriens. Au début du XXème siècle, la colère de la population, centrée sur la question foncière, aboutit à des rétrocessions progressives de terres, après d'âpres poursuites contre la société de la Grande Comore. Le sultan said Ali est le premier à donner l'exemple, en intentant un procès contre la société Humblot, ce fut l'un des grands procès de l'Histoire coloniale française.24(*)

Partout en Afrique la résistance anticoloniale est un fait divers, sans aucune incidence car sans importance. Pourtant ce n'est vraiment pas le cas, la résistance a bel et bien eu lieu, avec des variations en fonction du pays. En Grande Comore les émeutes et autres actions violentes sont spontanées et brèves. A la différences des autres pays africains, Madagascar par exemple, où la violence de la résistance est présente de façon permanente et fait de nombreuses victimes.

Si la résistance est telle qu'elle est décrite : des mouvements désorganisés, isolés et spontanés, sans lendemain, elle ralentit quand même le processus colonial et, à chaque fois que c'est possible, elle déstabilise les institutions coloniales locales. Sinon comment expliquer le fait que la prise de possession de l'Archipel soit si lente et difficile à prendre forme ? La pénétration française aux Comores s'échelonne sur une longue période de 70 ans, allant de 1841 à 1912. En Grande Comore le traité de 1885 marque le point de départ de la prise de l'île. La progression de l'influence française est lente et son investissement dans l'ensemble des îles en 1886 ne traduit pas leur pacification. Cette lenteur n'atteste-elle pas les difficultés rencontrées par la colonisation ? Comment interpréter les contestations et les soulèvements des Comoriens qui expriment leur colère à l'égard de nouveau régime ? C'est dire que d'un côté, sur le terrain les obstacles sont considérables, et de l'autre les hésitations et embarras que suscite l'impérialisme en métropole sont importants. Cette domination est marquée dans son ensemble, par des négociations laborieuses et des affrontements sanglants. La colonisation de l'île de Ngazidja suscite autant d'interrogations que nous allons énoncer, et tenter ensuite d'y répondre, suivant un enchaînement thématique de notre plan de travail.

Dans quel contexte la Grande Comore allait-elle faire face à la progression française ? Pourquoi et comment les relations entre la Grande Comore et l'Europe, notamment la France, subissent-t-elles un bouleversement aussi radical au cours de la fin du XIXème siècle ? Comment le système colonial s'installe-t-il en Grande Comore et quelles mesures politiques et économiques, sont adoptées pour étayer ce système ? Quel est l'impact de la rencontre de ces deux civilisations dans le climat politique, social et économique de l'île ? Dans quelle mesure les Comoriens étaient-ils prêts à résister à la colonisation ? Comment l'ont t-ils fait face, avec quels moyens et avec quels résultats ? Quels intérêts incitent différents personnages comoriens d'origines sociales différentes à la résistance ?

Autant d'interrogations qui guident notre réflexion sur la recherche et la connaissance du passé colonial de la Grande Comore. Il est judicieux de noter que la succession thématique et les questions que nous nous posons ici, restent à compléter et ou à modifier en fonction des recherches. Néanmoins, ces thèmes et interrogations constituent pour nous, une sorte de guide pour orienter et approfondir notre travail.

* 6 KI-ZERBO J, Histoire de l'Afrique Noire, Hatier, Paris 1999.

* 7 FAUREC U, l'Archipel aux sultans batailleurs, Imprimerie officielle, Tananarive, 1941.

* 8 ILLIFE J, Les Africains, histoire d'un continent, Flammarion, Mayenne, 1997.

* 9 CHAGNOUX H & HARIBOU A, Les Comores, PUF, Paris, 1950,.

* 10 Voir annexe, Article II du traité commercial entre Said Ali et Léon Humblot signé en novembre 1885.

* 11 CHAGNOUX H & HARIBOU A. op. Cit.

* 12 HUGON A, Introduction à l'Histoire de l'Afrique contemporaine, Armand Colin, Paris 1998.

* 13 Said Ali, fils de Said Omar (ex ministre du sultan Salim d'Anjouan), et de la princesse Amina Mogné M'kou et petit fils de Mogné M'kou (lui même sultan tibe de Ngazidja). Il est né en 1855 en Grande Comore, dernier sultan Tibe de la grande Comore.

* 14 VERIN P, Les Comores, Karthala, Paris, 1994.

* 15 SAID A, Mémoire, ma vie racontée par moi même, Imprimerie de l'Avenir, Diego - Suarez, 1894.

* 16BOAHEN A A, Histoire générale de l'Afrique, l'Afrique sous domination coloniale 1880-1935, Présence Africaine/ EDICEF/UNESCO, Paris, 1989.

* 17 KI-ZERBO J, Histoire de l'Afrique Noire, Hatier, Paris, 1999.

* 18 ISNARD H, « Les Comores », in Cahiers d'Outre-Mer N° 21, Bordeaux, janvier-mars 1953.

* Citation d'Alfred de Vigny, in, PRILLAUD N, La France colonisatrice, CID Editions, Nantes, 1983.

* DESCAMPS H, La fin des empires coloniaux, PUF, Paris, coll. Que- sais -je ? Paris 1969.

* 19 Hachimou ben Ahmed Mougne M'kou, dernier sultan de Mbadjini au sud de Ngazidja, il appartient à la lignée M'dombozi qui a régné dans cette province. Il est assassiné avec son compagnon d'arme le sultan de la province de Oichili, Mfaoumé M'madjouani.

* GUEBOURG J L, La grande Comore, des sultans aux mercenaires, l'Harmattan, Paris, 1994.

* 20 JEAN S-C, Résistance et collaboration en Afrique Noire, EHSS, Paris 1982.

* 21 GERARD B, Les Comores, Delaroisse, Boulogne Billancourt, 1974.

* 22 « Sorcier » est le non attribué aux hommes, détenteurs des connaissances religieuses. Il ne s'agit pas des personnes pratiquant la sorcellerie et qui opèrent des maléfices.

* VINCENT, « Les Comores », in Bulletin de la Société de Géographie Commerciale de Paris 1887-88, Ecole Coloniale, Paris 1888, Tome X.

* CAOM, MAD, Série géographique Carton n° 410 Dossier n° 1007.

* 23 Voir le traité en annexe

* 24 CAOM, MAD, Série Géographique Carton n° 328, dossier n° 853.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams