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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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2.2.1. Le pouvoir de qualification du Conseil de Sécurité

Pour se situer dans le cadre du Chapitre VII, le Conseil de sécurité doit constater l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression : ce sont les trois hypothèses de l'article 3986 . Le pouvoir de constatation de ces trois situations trouve ses origines dans une légitimation collective donnée par les États, dans l'article 24 § 1 de la Charte. Les États membres y « confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu'en s'acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom ». L'article 39 habilite donc le Conseil de sécurité de ce pouvoir tout en lui laissant une grande liberté. D'ailleurs, ni la Charte ni les travaux préparatoires ne définissent les trois situations susmentionnées87. Le pouvoir discrétionnaire du Conseil de sécurité n'est limité a priori par aucun contrôle juridictionnel ou autre. Les rédacteurs de la Charte ont en effet choisi des formules très générales.

La notion de menace contre la paix peut renvoyer bien sûr à un conflit international mais aussi à une situation intérieure qui peut avoir des répercussions au niveau international. L'indétermination de cette notion vise à élargir le champ d'action du Conseil de sécurité. D'ailleurs, « la seule définition d'une menace contre la paix qu'on puisse actuellement donner est celle-ci [...] : une menace pour la paix au sens de l'article 39 est une situation dont l'organe compétent pour déclencher une action de sanctions déclare qu'elle menace effectivement la paix »88. En d'autres termes, « il s'agit d'une hypothèse vague et élastique qui [...] n'est pas nécessairement caractérisée par des opérations militaires ou en tout cas

86La première véritable application de l'article 39 était lors de la résolution 54 du 15 juillet 1948, puisque le Conseil de Sécurité « constate que la situation en Palestine constitue une menace contre la paix au sens de l'article 39 des Nations Unie ». S/RES/54, 15 juillet 1948.

87Mirko Zambelli, La constatation des situations de l'article 39 de la Charte des Nations Unies par le Conseil de sécurité : le champ d'application des pouvoirs prévus au chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Genève, Helbing & Lichtenbahn, 2002, à la page 102.

88Jean Combacau, Le pouvoir de sanction de l 'O.N. U. Étude théorique de la coercition non militaire, Paris : Pedone, 1974, pp. 99-100.

30 impliquant l'utilisation de la force, et qui par conséquent peut correspondre aux comportements les plus variés des États »89.

Quant à la rupture de la paix, c'est :

Une notion très générale et, en principe, très neutre dans la mesure où elle n'oblige pas à désigner l'État responsable de cet acte ou de la situation qui en résulte. [...] L'expression s'applique dans tous les cas où des hostilités ont éclaté sans qu'il soit allégué que l'une des parties est l'agresseur ou qu'elle a commis un acte d'agression90.

Concernant les termes « guerre » et « agression », et bien que lors de la Conférence de San Francisco, certains États aient proposé de dresser une liste non exhaustive dans laquelle l'intervention du Conseil de sécurité serait automatique, on a conclu que l'évolution des techniques de guerre rendait une définition exhaustive impossible. Pour certains, le but était d'éviter les erreurs du Pacte de la SDN, puisque l'utilisation de ces mots dans ce dernier avait conduit à des débats juridiques prolongés ; par ailleurs, les tentatives de définir les mots « guerre » et « agression » n'avaient conduit qu'à de la confusion et à des désaccords91. Ce n'est qu'avec l'adoption par l'Assemblée générale de la résolution 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974 que l'on a donné une définition à l'agression en la considérant comme « la forme la plus grave et la plus dangereuse de l'emploi illicite de la force »92, mais cela n'a amoindri en rien le libre pouvoir d'appréciation du Conseil de sécurité. En effet, d'une part il n'est pas lié par les résolutions de l'Assemblée générale et, d'autres part, les articles 2 et 4 de l'annexe de la résolution réservent le pouvoir d'appréciation du Conseil de sécurité93.

89Benedetti Conforti, « Le pouvoir discrétionnaire du Conseil de Sécurité en matière de constatation d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix, ou d'un acte d'agression », dans R.J. Dupuy (ed), Le développement du rôle du Conseil de Sécurité. Peace-keeping and Peace-bulding. Colloque de l'Académie de droit international de La Haye, La Haye :Martinus Nijhoff, 1993, à la page 53.

90Gérard Cohen-Jonathan, « Article 39 », dans Jean Pierre Cot et Alain Pellet (dir.), La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article, 1991, Paris :éditions Économica à la page 658.

91Ruth Russell, A History of the United Nations Charter. The Role of the United States (1940-1945), Washington DC :The Brookings Institution, 1958, à la page 1.

92Supra note 23.

93Aux termes de l'article 2 de l'annexe, le Conseil de Sécurité peut décider de ne pas intervenir, même
face à des comportements considérés comme agression par la résolution. Quant aux dispositions de
l'article 4 de l'annexe, elles donnent la possibilité au Conseil de Sécurité de considérer comme une

D'ailleurs, on a constaté une hésitation de la part du Conseil de sécurité lorsqu'il s'agit de qualifier une situation d'« agression », même dans les cas où cette dernière est flagrante. Il n'a, en fait, utilisé que des notions s'en approchant telles que « action militaire »94 et « attaques armées »95.

La volonté était donc de mettre le Conseil de sécurité au sommet de la pyramide du système international et ce, en étendant son pouvoir discrétionnaire le plus possible, puisque l'absence de définition permettrait théoriquement à ce conseil de s'occuper de n'importe quelle crise.

Toutefois, dans la pratique96, cela peut avoir des résultats contraires dans la mesure où l'absence de définition a donné aux États une plus grande marge de manoeuvre quand il s'agit de définir une menace ou une rupture de la paix -- évidemment au gré de leurs intérêts -- et, par conséquent, de faire prévaloir leur droit à la légitime défense. Dans le même ordre d'idées, cette absence de définition a, d'une part, rendu le Conseil de sécurité assez réticent lorsqu'il est amené à qualifier une situation d'une façon précise97 et, d'autre part, elle lui a laissé la porte ouverte pour prendre des décisions conformes aux intérêts propres de ses membres. Il est à noter qu'en pratique, aucune constatation n'est possible si l'agresseur est l'un des membres permanents, ou même un État protégé par l'un d'eux.

Pour Denys Simon, cette absence de définition peut aussi conduire à une certaine confusion entre les dispositions du Chapitre VI et celles du Chapitre VII dans la mesure où :

agression des actes que la résolution 3314 ne considère pas comme telle puisque l'énumération des actes à l'article 3 n'est pas limitative.

94S/RES/248, 24 mars 1968.

95S/RES/387, 31 mars 1976.

96Pour une analyse systématique du contenu pratique des situations de l'article 39, jusqu'en 2002, voir M. Zambelli, supra note 87, pp. 94 et ss.

97Dans une interprétation optimiste, on peut dire que parfois cette réticence ou prudence est justifiée dans la mesure où, en s'abstenant de déterminer l'auteur d'une agression, le Conseil de Sécurité laisse toutes les chances à un règlement politique de l'affaire.

le caractère approximatif des qualifications et l'absence de distinction nette, dans le vocabulaire du Conseil de sécurité, entre menace potentielle, future ou éventuelle, et menace actuelle, réelle ou réalisée [est] une confusion permanente entre les situations justiciables de l'article 34 et celles qui relèvent de l'article 3998.

Cette action de qualification du Conseil de sécurité soulève aussi d'autres questions, d'une part sur la nature de l'opération, c'est-à-dire de savoir si cette qualification est juridique ou simplement politique. D'autre part, cette qualification constitue-t-elle un jugement sur la responsabilité étatique au sens du droit international ?

Ces deux questions, qui sont intimement liées, sont aussi fortement controversées. Pour certains auteurs :

L'exercice par le Conseil de sécurité de ses pouvoirs au titre du Chapitre VII ne suppose ni n'implique l'hypothèse ou la constatation de la violation d'une obligation internationale, la sauvegarde du droit ne contribuant pas toujours au maintien de la paix, et vice versa. La Charte ne fait donc pas du Conseil de sécurité un organe chargé de sanctionné les violations du droit [...] La qualification n'a en soi aucune conséquence aussi longtemps que le Conseil de sécurité lui-même n'y donne pas de suites [...] L'opération de qualification est donc toute relative99.

Les buts des pouvoirs accordés au Conseil de sécurité vise « not to maintain or restore the law, but to maintain, or restore peace, which is not necessarily identical with the law »100. Cela veut dire, selon Kelsen, que « the enforcement actions under article 39 are purely political measures, that is to say, measures which the Security Council may apply at its discretion for the purpose to maintain or to restore international peace »101.

Dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, en répondant à l'argument américain selon lequel la Cour doit se prononcer incompétente,

98Denys Simon, « Article 40 », dans Jean Pierre Cot et Alain Pellet (dir.), La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article, 1991, Paris, Économica, à la page 675.

99Pierre D'Argent et al. « Article 39 », dans Jean Pierre Cot, Alain Pellet et Mathias Forteau (dir.), La Charte des Nations Unies : Commentaire article par article, 2005, Paris : Économica, 3e édition, pp.1 137-1138.

100Hans Kelsen, The law of the United Nations, A critical analysis of its fundamental problems, London: Institute of World Affairs, 1950, à la page 294.

101Ibid., à la page 733.

33 pour éviter de se prononcer sur les notions de « menace contre la paix » et de « rupture de la paix », qui relèvent exclusivement de la compétence du Conseil de sécurité, la Cour a répondu que ce dernier avait des attributions politiques qui ne préjugeaient pas de ses fonctions judiciaires102. Dans la même logique et concernant l'impact de cette qualification sur la responsabilité de l'État, il est admis que :

Le Conseil de sécurité, lorsqu'il qualifie une situation, n'entend nullement porter un jugement sur la responsabilité internationale de l'État à l'origine de la situation qualifiée. Il pourrait d'ailleurs exister des situations constitutives de menace contre la paix n'emportant aucune illicéité et ne soulevant aucune question d'imputabilité étatique [comme] les catastrophes naturelles. [D'ailleurs] même si l'on s'accorde pour dire que la qualification d'une situation par le Conseil de sécurité comporte un jugement sur la responsabilité internationale de l'État concerné, il faut alors admettre que ce jugement demeure une simple opinion politique qui ne préjuge pas, en droit, de la question de la responsabilité internationale de l'État concerné [...] il faut encore remarquer que si la qualification par le Conseil de sécurité ne préjuge pas de la responsabilité internationale de l'État auquel la situation qualifiée est imputable, il en va logiquement de même lorsque le Conseil s'abstient de qualifier103.

Cet avis n'est pas partagé par toute la doctrine puisque, pour certains auteurs, l'acte de constatation est une fonction essentielle du droit international et, par conséquent, il a une signification juridique. Pour J. Combacau, le Conseil de sécurité exerce « une double fonction d'exécution de la loi dans la mesure où elle lui confère une compétence et où elle dispose au fond, et de création de droit dans la mesure où il reconnaît dans les faits de l'espèce un cas d'application de la loi et concrétise ainsi ce qu'elle avait laissé dans le vague»104.

Les partisans de cette doctrine avancent aussi l'argument de l'obligation tirée de l'article 39 de s'abstenir de tout acte constitutif d'une menace ou d'une rupture de la paix. Cette obligation pour eux, bien qu'elle soit imprécise, reste incluse dans la Charte105.

102Affaire des activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, Recueil 1984, arrêt du 26 novembre, à la page 431, par.89.

103Supra note 99, pp.1139-1 140.

104Combacau, supra note 88, à la page 15.

105Ibid., à la page 16.

Quoi qu'il en soit, la Charte a investi le Conseil de sécurité d'une discrétion pour qualifier une situation ou de s'abstenir, mais la question demeure de savoir si cette qualification peut faire ensuite l'objet d'un certain contrôle.

Il n'est contesté par personne que lorsqu'il qualifie une situation, le Conseil de sécurité est tenu à respecter les principes et les buts de la Charte, conformément à l'article 24 § 2 de la Charte. En effet, « le respect de la Charte et du droit n'est pas l'ennemi de la paix et ne compromet pas nécessairement la priorité à lui accorder »106.

Le Conseil de sécurité est soumis donc au respect de la Charte qui est le fondement de son existence. Pour certains, il est aussi tenu au respect du droit international, notamment le jus cogens. Cela veut dire à notre sens que le Conseil de sécurité n'est aucunement placé au- dessus du droit et que, par conséquent, son pouvoir n'est pas absolu, bien qu'il reste tout de même discrétionnaire. Le respect du droit d'une part, et l'accomplissement de la mission du maintien de la paix d'autre part, ne sont pas opposés mais au contraire conciliables.

On peut dire donc que le Conseil de sécurité :

Joui[t] d'une discrétion illimitée, non seulement dans le fait même de qualifier une situation ou de s'en abstenir, mais aussi dans la manière dont il la qualifie. Telle est en tout cas la logique de la Charte, qui s'abstient de définir les trois notions précitées, précisément pour laisser au Conseil une entière liberté d'appréciation107.

La qualification d'une situation constitue donc une étape logique dans le processus de la Charte. Selon les dispositions de l'article 39, une fois l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte d'agression constatés, le Conseil de sécurité peut

106Mohammed Bedjaoui, « Un contrôle de la légalité des actes du Conseil de Sécurité est-il possible ? », dans S.F.D.I, Le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, Colloque de Rennes, 2-4 juin 1994, Paris, Pedone, 1995, à la page 295.

107Supra note 99, à la page 1141.

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prendre certaines mesures afin de maintenir ou de rétablir la paix et la sécurité internationales : c'est le pouvoir d'action du Conseil de Sécurité.

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