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Immigration volontaire ou forcée des allemands et des alsaciens-lorrains dans les Vosges (1911-1920)

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par Clément Thiriau
Université Nancy II - Master 2 d'histoire contemporaine 2007
  

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II - Alsaciens et autochtones.

La population vosgienne accueille les évacués avec générosité : « ... dès leur arrivée et sur un simple désir formulé par moi, toute la population s'est empressée de leur offrir couchage, ustensiles de ménage, fourneaux, tables, chaises, en un mot, tout ce qui leur était nécessaire puisqu'ils n'avaient plus rien... »381. Mais bien vite, cette générosité fait place à la méfiance, voire à l'animosité. « On critique les décisions de l'Autorité Militaire qui aurait dû diriger vers la zone de l'intérieur, les Alsaciens qu'elle a évacués des villages frontières de la Schlucht pour les envoyer à La Bresse, Ventron, Cornimont, Saulxures, etc., où leur présence, dit-on, peut-être dangereuse pour notre défense nationale [... ]». « Il m'est revenu que, dans les rapports journaliers avec la population, ou dans les rapports des enfants entre eux, les Alsaciens sont traités de Boches. Bien que je sois assuré que ces petits incidents ne constituent que des exceptions, je vous prie de tenir la main à ce qu'ils ne se produisent pas »382.

Ce changement d'attitude est dû avant tout à la déception, à une réaction de dépit amoureux ; on s'attendait, avec attendrissement, à recevoir des Alsaciens sortis tout droit d'un roman de René Bazin, ou d'un livre d'images de Hansi, et sont arrivés des individus qui ne correspondent pas à cette représentation, élevés dans une région annexée à l'Allemagne depuis plus de quarante ans ne parlant pas le français, pour certains plutôt germanophiles : « ... Il ne peut y avoir envers eux aucune sympathie, pour le motif bien simple et naturel, que parmi ces évacués, se trouvent de véritables Allemands (surtout les Protestants), considérant leur Kaiser comme un dieu, l'admirant dans tous ses actes et soutenant qu'il n'a jamais voulu la guerre, qu'il a été contraint de se défendre contre les Anglais et ensuite contre nous... »383. En fait, les évacués sont dans leur grande majorité suffisamment prudents pour se déclarer Alsaciens avant tout : sur 606 familles évacuées devant remplir des formulaires de renseignements, 525 se déclarent de nationalité alsacienne, et 81 de nationalité allemande, mais aucune de nationalité française (à Remiremont, 14 se déclarent Alsaciens et 1 Allemand, mais à Bussang, respectivement 0 et 23).

En 1916, suivant le même rythme que depuis le début de la guerre, cinq actes de mariages sont contractés entre Alsaciens et Françaises, tous dans l'arrondissement de Remiremont : par exemple, Charles Ernst épouse Marie Antoine à Saint-Maurice le 14 février et Emile Nussbaum Laure Félicienne Cunat le 14 février à Bussang. Par ailleurs, le cas d'un mariage entre un homme français avec une femme alsacienne est évoqué. Il concerne le soldat Arthur Miclot et Anna Zimmermann, Alsacienne, demeurant à Saulxures sur Moselotte, en permis de séjour384.

381 R. Martin, op. cit., in Le Pays de Remiremont, 1979, pp. 62-65.

382 Ibid.

383 Ibid.

384 Ibid.

De manière significative, l'attitude de la société des réformés de Thaon et du « Journal des Mutilés » est telle depuis longtemps que des bagarres se sont produites à plusieurs reprises entre Français et Alsaciens, avant le 1er octobre 1916. Le journal Les mutilés de Thaon publie des articles agressifs à l'égard des Alsaciens en 1917. Le premier numéro, paru à Thaon le 31 mai après être passé à la censure d'Epinal le 25, a vivement ému tous les étrangers en résidence à Thaon, tout particulièrement les Alsaciens-Lorrains (notamment l'article « Je proteste »)385.

D'une part cela excite le public contre les Alsaciens-Lorrains et ça peut amener des troubles ; d'autre part les Alsaciens-Lorrains expriment un profond mécontentement, et même si aucun incident n'est survenu, quelques-uns se sont dit qu'il valait mieux partir, ou retourner en Alsace ou aller ailleurs. Le commissaire spécial rapporte que « parmi les membres de la Société des Réformés n°1 de Thaon et environs figurant au Journal des Mutilés, il en est qui sont tout particulièrement hostiles aux Alsaciens et qui manifestent ouvertement la très mauvaise opinion qu'ils ont d'eux, en criant à qui veut les entendre que ce sont des boches et des traîtres envers la France »386. Sont recensés 8 meneurs, tous réformés ou amputés et travaillant à la blanchisserie teinturerie de Thaon ; trois sont surtout d'un très mauvais esprit, considérés un peu comme anarchistes. Le 23 juin le préfet constate une effervescence dans la population alsacienne de Thaon suscitée par certains articles du Journal des Mutilés. On dispose d'ailleurs pour ce jour d'articles censurés du journal : il s'agit d'articles très violents, très patriotiques et agressifs à l'égard des Alsaciens, que l'on considère comme des Allemands, donc des ennemis387.

D'autre part depuis le début du mois de juin les Mutilés de Thaon refusent aux Alsaciens qui le leur demandent, d'avoir avec eux des relations plus amicales, avant tout du moins que les plus jeunes et plus vigoureux se soient engagés dans l'armée française388. Ce qui est reproché à beaucoup d'Alsaciens c'est une attitude irrespectueuse et même frondeuse : « les Alsaciens sont à Thaon des hôtes jouissant d'une situation de faveur ». Les réformés n°1 ne paraissent vouloir mener campagne que contre les Alsaciens, et en faveur de la révision du taux des pensions. Mais les meneurs ne sont pas des violents imbus d'idées subversives, donc il n'y a pas de danger d'autre agitation à propos d'autres questions. Mais fait plus dur encore, il semble selon le commissaire spécial que « la population partage leurs sentiments à l'égard des Alsaciens, si elle n'approuve pas leur campagne ». Il confirme que des Alsaciens chantent volontiers le « Wacht am Rhein » à leur cantonnement ou dans les cafés », chant de ralliement389.

385 A.D.V., 8 M 191, Enquêtes - Hostilité envers les Alsaciens (1914-1918), rapports de juin 1917.

386 A.D.V., 8 M 191, nouveau rapport du 16/06/1917.

387 Ibid.

388 A.D.V., 8 M 191, rapport du commissaire spécial, 29/06/1917.

389 Ibid.

Au cours de l'année 1917, on estime à 130 000 seulement le nombre d'Alsaciens-Lorrains sur le territoire français : engagés, évacués, réfugiés, annexés390. Sur ce nombre, 95 000 sont résidents de l'Alsace reconquise. Des constatations faites courant septembre 1917 dans les départements du Doubs, Haute-Saône, Vosges, Belfort où se trouvent des Alsaciens évacués confirment la tendance : c'est dans les Vosges que la situation faite à ces réfugiés est le moins favorable, et que les demandes de retour en Allemagne ont été les plus nombreuses391. Le ministre de l'Intérieur réclame donc au préfet des Vosges fin septembre de veiller à ce que tout le nécessaire soit fait pour que les populations considèrent ces Alsaciens comme des compatriotes devant être traités avec d'autant plus de bienveillance qu'ils sont plus malheureux. En 1917, seuls deux mariages entre Alsaciens et Françaises sont recensés dans les Vosges : par exemple André Vogt épouse Marielle Leveque le 4 juillet à Rupt392. De même, une seule demande en mariage concerne une Alsacienne et un Français : Joséphine Falk, tisseuse et René Ferry, réformé, à Saint-Gorgon393.

Il existe encore parmi la population alsacienne placée dans les Vosges quelques éléments indésirables (au Val d'Ajol par exemple) qui ont une influence fâcheuse et qui engendrent des appréciations défavorables des populations vosgiennes sur l'ensemble des Alsaciens.

Il est donc tout à fait légitime qu'un certain nombre d'Alsaciens réfugiés dans l'arrondissement de Remiremont réclament, et avec insistance, leur rapatriement immédiat en Alsace394. C'est le cas en juillet 1917 où s'est manifestée une certaine agitation au milieu des Alsaciens-Lorrains se trouvant à La Bresse (exemples familles Schutz et Kempf), apparemment sans suite395. Au début de l'été, une pétition en ce sens, destinée à être adressée aux ambassades des Etats neutres, circule dans les milieux alsaciens. La pétition émane d'un industriel de Munster réfugié à Paris, du nom de Hartmann ; il s'occupe activement des évacués et était dernièrement dans nos parages, au Val-d'Ajol notamment. Le mouvement touche surtout les évacués alsaciens de la vallée de la Fecht (évacués en 1915 par l'Autorité militaire), et les signataires, assez nombreux, se recrutent essentiellement dans les cantons de Saulxures et Plombières (la pétition recueille 192 signatures dans le seul canton de Saulxures)396. Les instigateurs de cette démarche sont le maire de Soultzeren, évacué à Sapois, qui a fait signer la pétition à l'issue de l'office protestant célébré dans sa maison, et le pasteur Birmele, l'instituteur Jean Fritsch et un industriel de Soultzeren, J. Ruhland, évacués au Val d'Ajol.

390 H. Mauran, op. cit., p. 386.

391 A.D.V., 4 M 533, correspondance ministre de l'intérieur - préfet vosgien, 25/09/1917.

392 Ibid.

393 A.D.V., 4 M 479, Mariages avec des Français, Autorisations : correspondance, rapports, extrait d'état civil, télégramme, 1915-1917.

394 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.

395 A.D.V., 4 M 533, correspondance préfet - ministère de l'intérieur, inspection générale des services administratifs, service des Alsaciens-Lorrains, 22/02/1918.

A l'époque déjà, le sous-préfet de Remiremont avait noté l'existence de sentiments germanophiles au sein de « ces populations de la Fecht, en majorité protestantes pratiquantes ». Les rapports notent également que les évacués de la région d'Orbey ont refusé de signer la pétition, et que les Alsaciens des cantons de Remiremont et Le Thillot n'ont pas été touchés. La lettre d'un Alsacien de Ventron, saisie en juillet 1917, peut nous éclairer sur la principale motivation des pétitionnaires, le mal du pays : « [...] nous sommes tous d'accord sur cette résolution : nous voulons rentrer chez nous et je ne crois pas que, dans les circonstances et conditions présentes, on nous refuse cette demande unanime, surtout qu'elle est adressée aux ambassades d'Etats neutres [...] Nous voulons espérer sur un résultat favorable de cette mission et si ce résultat doit tarder, alors nous voulons nous entendre et ne plus travailler de manière qu'on n'ait plus aucun profit de nous [...] ».

Des extraits du texte de la pétition renforcent encore notre impression : « [...] Par suite de cette trop longue séparation de nos parents [...] par le désir de revoir notre pays, et surtout par l'effroyable nostalgie qu'aucune plume n'est capable de décrire, nous mourons physiquement et moralement et par suite ne sommes plus capables d'accomplir un travail sérieux [...] Mais qu'on nous laisse aller dans notre pays natal. Nous ne voulons et ne demandons rien, sinon de rentrer chez nous, car nous préférons mille fois le pain de notre pays, serait-il même noir [...] Dans les journaux de tous les jours on parle d'humanité et du combat pour la liberté et le droit. On devrait bien nous appliquer cela, car en nous gardant ici de force, nous ne voyons que le contraire. [...] Ainsi, qu'on nous laisse partir avant que l'effroyable mal du pays et la cherté croissante nous aient abattus [...] »397

Le texte de la pétition avait été remis à des hommes sûrs, chargés ensuite de visiter les familles d'évacués et d'obtenir leur signature, tel l'évacué Kempf Jacques à Saulxures. La pétition n'atteint jamais aucune ambassade d'état neutre, les différents textes ayant été facilement confisqués, sur ordre du ministre de l'Intérieur. Le Préfet annonce qu'il a décidé le départ hors du département et l'envoi dans des communes de l'intérieur des instigateurs du mouvement, tous originaires de Soulzeren (avec familles)398. Ils sont évacués administrativement de la Zone des Armées en raison de leur influence anti-française sur les autres réfugiés alsaciens du département. A côté des pétitions présentes surtout dans la vallée de la Moselle ont été interceptées des lettres recommandées individuelles destinées à être expédiées à l'Ambassade de Suisse, à Paris, en particulier dans la zone du Val-d'Ajol399.

396 R. Martin, op. cit., pp. 62-65.

397 Ibid.

398 A.D.V., 8 M 191, lettre du préfet, 18/08/1917.

399 A.D.V., 8 M 191, rapports de juillet 1917.

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