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L'etat ivoirien et les coopératives féminines

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par Koffi Parfait N ' Goran
Université de Bouaké-Bordeaux II - Doctorat 2008
  

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CONCLUSION GENERALE :

La créativité féminine au secours de l'Etat

Déjà au moment de la « mise en valeur » de la colonie de Côte d'Ivoire, quelques formes d'organisations coopératives sont développées. Ce sont : les Sociétés Indigènes de Prévoyance (SIP), les Sociétés Mutuelles de Production Rurale (SMPR) et les Sociétés Mutuelles de Développement Rural (SMDR). Placées sous l'autorité et le contrôle de l'administration coloniale, celles-ci ont accompagné, à titre principal, la politique de production et de commercialisation des matières premières agricoles initiée par le colonisateur français.

A l'indépendance, l'Etat de Côte d'Ivoire choisit une politique économique qui privilégie l'accroissement de la production des cultures industrielles et d'exportation; en particulier le café et le cacao. En cela, les autorités ivoiriennes n'opèrent pas véritablement de rupture avec la politique de l'administration coloniale. En réalité, la priorité des gouvernants ivoiriens était de réaliser la modernisation du pays grâce aux devises générées par la vente des produits d'exportation. Dès lors, elles leur consacrent les investissements les plus importants et initient des actions incitatives qui, d'une part, favorisent une plus grande adhésion des populations à l'économie de plantation et, d'autre part, un plus grand prestige pour ceux qui s'y intéressent. En revanche, de faibles investissements sont consacrés au secteur des produits vivriers. Reposant sur la force de travail et d'organisation des femmes, ce secteur connaîtra, en conséquence, un développement marginal en dépit de sa contribution à l'autosuffisance et à la sécurité alimentaires. Moins valorisé, ses acteurs auront, par ricochet, moins de reconnaissance sociale dans les politiques économiques. Ce déséquilibre sectoriel est en lien direct avec la faiblesse des devises générées par l'économie des produits vivriers. Ce secteur n'était pas en réalité un enjeu économique majeur pour la reproduction des appareils de l'Etat et la réalisation des infrastructures du pays. Toutefois, les mutations socio-économiques et la crise ont occasionné un repositionnement du secteur des produits vivriers et un regain d'intérêt des pouvoirs publics pour celui-ci. En fait, les cultures d'exportation ne constituent plus une rente suffisante pour la distribution des revenus, l'absorption des incidences sociales et économiques de la crise. Elles n'arrivent plus à remplir leurs fonctions habituelles. Dans ces conditions, l'économie des produits vivriers pallie indirectement aux insuffisances des appareils de l'Etat : réponse aux besoins alimentaires d'une population urbaine de plus en plus croissante, création d'emplois pour les catégories sociales vulnérables (principalement les femmes), réduction de la misère dans les couches sociales les plus touchées par la crise économique et le conflit militaro-politique de septembre 2002.

Au niveau des organisations coopératives, leur développement et les rapports que l'Etat ivoirien entretient avec elles, sont le reflet des disparités sectorielles dans les politiques économiques. Dans ce domaine, les coopératives féminines sont faiblement représentées. D'apparition récente, celles-ci ont suscité peu d'intérêt de la part des pouvoirs publics. Or à l'opposé de celles opérant dans le secteur des produits d'exportation, les coopératives féminines sont, dans l'ensemble, parvenues à survivre aux mutations socio-économiques et aux contradictions du système coopératif ivoirien. Organisées sur des normes essentiellement traditionnelles, elles ont su faire un usage constructif des formes primaires de relations sociales telles que l'amitié, la parenté, l'ethnie, la solidarité, la religion. Initiatives individuelles et endogènes pour la plupart, elles ont réussi à se départir de la mainmise de l'Etat et de toutes les stratégies de récupération des organisations coopératives.

Dans le contexte économique actuel, la crise et les programmes de libéralisation des institutions financières internationales (FMI, Banque Mondiale, notamment) ont entraîné une recomposition des rapports entre l'Etat et les différents secteurs d'activités. Pour ce qui est des produits de rente, les mutations institutionnelles sont plus importantes. L'emprise directe des pouvoirs publics sur les producteurs et les organisations coopératives est limitée après la dissolution de la CAISTAB. De nouveaux acteurs économiques apparaissent : les coopératives, les fédérations de coopératives, les organismes de suivi des producteurs et les multinationales. Ils légitiment leurs actions par l'accroissement du revenu des producteurs, l'amélioration de leur bien-être social ou la défense de leurs intérêts. Mais les enjeux économiques, les conflits dans la redistribution des retombées de la libéralisation persistent. Ainsi, si les organisations coopératives se sont multipliées, elles ne sont pas encore des filets de sécurité efficaces pour conférer un plus grand pouvoir d'action et de décision aux producteurs. Au demeurant, des conflits apparaissent au début de chaque campagne agricole car beaucoup de coopératives entrent en compétition pour la captation des financements. Dans le secteur des produits vivriers, il n'y a pas de véritables bouleversements au plan institutionnel. On note toutefois des évolutions significatives. Les femmes intensifient leurs initiatives de création d'organisations coopératives aussi bien dans les zones urbaines que dans les zones rurales, sous l'impulsion de la FENACOVICI et de quelques femmes leaders dans le commerce des produits vivriers. Elles profitent du nouveau contexte économique et des actions de sensibilisation sur la nouvelle loi coopérative pour renforcer et consolider leur rôle dans l'économie nationale. Dans cette optique, l'accroissement du nombre de coopératives féminines est sans précédent dans l'histoire des politiques économiques de la Côte d'Ivoire et du système coopératif. Mais les exemples de deux coopératives officielles (COMAGOUA d'Adjamé-Roxi et COMUSERF d'Abobo) et d'une une coopérative non officielle (« Philadelphie » d'Abobo) mettent en évidence le capital qui fonde l'efficacité du mode d'organisation et des pratiques marchandes des commerçantes de produits vivriers. D'une part, les liens de parenté, les liens ethniques, les liens confessionnels, l'influence sociale, le pouvoir économique constituent la trame de l'organisation et du jeu de régulation des coopératives féminines. La distribution des fonctions sociales, les relations de pouvoir et la cohésion sociale dans chaque groupe de commerçantes reposent sur ces paramètres sociaux. D'autre part, dans le déroulement de leur activité marchande, les commerçantes s'appuient sur un ensemble de savoir-faire ou de compétences pratiques (capital culturel) qui recouvre plusieurs facettes : savoir négocier ou marchander, savoir se fidéliser aux fournisseuses/fournisseurs, savoir entretenir la confiance, etc. En pratique, ces savoir-faire ou compétences fonctionnent comme des « recettes » pour la réussite dans les échanges. Ils s'acquièrent par une longue pratique du commerce et se transmettent à travers un processus d'apprentissage par l'action des cadettes sociales auprès des aînées sociales. En conséquence, malgré le nombre élevé de femmes analphabètes dans le commerce des produits vivriers et les problèmes de collecte, de transport, de conservation des produits et de tracasseries routières, le système d'organisation des femmes conserve sa vitalité. Il tire sa force des formes primaires de relations sociales, des savoir-faire pratiques des femmes, des réseaux sociaux, des réseaux de connaissances et d'amitiés. Associées au don en bord champ et sur les marchés urbains, ces ressources sociales alimentent le système d'échanges des commerçantes et lui permettent de s'ajuster au contexte d'une économie libéralisée.

En outre, dans leurs réactions et comportements, les commerçantes de produits vivriers restent encore attachées à leurs formes de vie collective ainsi qu'à leur système d'organisation des échanges. En fin de compte, c'est dans le moule des pratiques organisationnelles et marchandes traditionnelles que les commerçantes mènent leurs activités économiques. Leur rapport aux règles de la nouvelle loi coopérative (loi n°97-721 du 23 décembre 1997) se traduit alors sous deux principales formes. Ou bien ces règles sont adoptées de façon très sélective ou bien elles sont tout simplement contournées. En effet, les changements structurels intervenus au niveau des coopératives féminines n'ont pas d'incidences réelles sur le déroulement pratique du commerce des produits vivriers. Ce faisant, la non production de nouvelles compétences par la nouvelle loi coopérative affaiblit le niveau d'attente des commerçantes et le degré d'appropriation des innovations préconisées par les organismes de développement. De plus, implicitement, on assiste par le biais du commerce des produits vivriers à des mutations subtiles mais effectives dans la société ivoirienne : positionnement social des femmes, récupération au sein de la cellule familiale de rôles traditionnellement dévolus aux hommes, acquisition du prestige social, renversement progressif des représentations de la réussite sociale. Le commerce des produits vivriers est de ce fait un domaine singulier où se donne à voir et s'exprime le pouvoir des femmes. La reproduction de leur mode d'organisation permet aux commerçantes de produits vivriers de maintenir leur contrôle et leur monopole sur le secteur vivrier marchand et de répondre à des besoins individuels et collectifs aussi bien économiques, sociales que culturels et symboliques.

Partant de tout ce qui précède, il faut une connaissance suffisante des modalités pratiques du fonctionnement des réseaux d'échanges féminins impliqués dans la distribution et la commercialisation des produits vivriers. Une juste évaluation de la part des pouvoirs publics des formes de satisfactions qui en découlent est nécessaire pour renforcer ou accroître les capacités d'action des femmes. L'Etat ne peut s'en tenir uniquement aux satisfactions économiques. Car le commerce des produits vivriers n'est pas qu'une activité économique. C'est aussi un mode de vie qui répond à des logiques culturelles ou sociales. Dans cette perspective, l'évocation par les organismes de développement de l'analphabétisme et de l'inorganisation des commerçantes, la réduction du commerce des produits vivriers à une activité informelle de survie, ne fait, en fait, que fermer la porte à des alternatives endogènes qui, pourtant, permettent à ces femmes d'exercer une activité lucrative autonome.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo