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Ebanda tono (les peaux tachetées): utilisations et représentations de la faune sauvage (Gabon)

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par Florence Mazzocchetti
Université de Lettres et sciences humaines, Orléans - Master2 2005
  

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I.1.3 Les animaux dotés d'un pouvoir magique 

Comme dans de nombreux peuples du monde entier, la nuit est source de dangers, de craintes car c'est là que les Esprits, les « vampireux » et autrefois les hommes-panthères sortent pour faire du mal.

Les animaux qui ont des pouvoirs magiques sont donc, dans la plupart des cas, des animaux nocturnes qui sont souvent liés aux sorciers. C'est le cas du Hibou et du Daman des arbres. Pour le Hibou, il est dit que les vampireux se métamorphosent le plus souvent en cet animal pour se déplacer la nuit quant au Daman, les boules ou caillots que l'on trouve dans l'estomac portent le nom de izanga qui signifie « vampire » en Kota et qui sont utilisées dans la sorcellerie.

Parmi les animaux nocturnes, le plus utilisé est, comme nous l'avons déjà vu, la Genette servaline. Son pouvoir est le plus puissant d'entre tous car elle a plusieurs fonctions : Elle protège des mauvais sorts et les soigne, elle calme, contrôle et soigne les vampireux et les hommes-panthères et enfin, elle guide les initiés dans le monde des Ancêtres.

Pour les autres animaux, diurnes cette fois, nous pouvons mettre à part le Bongo et la Tortue. Pour le Bongo, il est utilisé dans la protection des jumeaux qui sont très valorisés dans la société Bakota. Il s'agit d'un animal possédant des attributs magiques spécifiques. L'un de mes interlocuteurs Ikota, m'a informé que cet animal était une sorte de diable de la forêt car il pouvait s'y transformer en homme. Malheureusement, aucune explication plus détaillée ne m'a été donnée. Dans son étude sur la chasse villageoise autour du parc d'Odzala au nord-Congo (1996), Vanwijnsberghe nous informe que pour les habitants de cette région, dont certains sont Bakota, le Bongo est, ici aussi, l'objet de croyances particulières car il est considéré comme un animal possédant un grand pouvoir de sorcellerie. Certaines parties de son corps sont également utilisées par les sorciers dans leurs pratiques « magiques ». Nous pouvons donc supposer qu'il en est de même chez les Bakota du Nord-Est Gabon.

Quant à la Tortue (uniquement les tortues terrestres que l'on trouve en forêt) , elle est également utilisée pour se protéger des mauvais sorts et elle est synonyme de longévité.

I.1.4 Ambivalence des caractéristiques

A travers les contes, on se rend compte de l'ambivalence des caractéristiques de certains animaux de la forêt. Prenons l'exemple de la Tortue et de la Panthère, animaux les plus emblématiques et les plus cités dans les contes.

Dans presque tous les contes africains d'animaux figure un personnage qui se définit par son mode d'action : la ruse. Tablant sur des défauts de caractère qu'il connaît bien (stupidité, gourmandise, vanité, lâcheté), il tournera en ridicule un adversaire qui eût dû l'écraser facilement, car lui-même est une créature insignifiante, apparemment la plus faible de toutes (Paulme, 1974). Ce personnage, appelé Décepteur, est, en ce qui nous concerne, la Tortue, quant à son adversaire désabusé, il s'agit de la Panthère.

Commençons par la Panthère : elle est réputée pour ses capacités de bonne chasseuse (conte n° 3), pourtant, parfois d'autres animaux, supposés moins doués qu'elle, arrivent à la mettre en défaut (conte n°2), ce qui éveille sa jalousie. La Panthère est généralement la métaphore du chef puissant et jeune qui abuse de son pouvoir et de sa force physique. Elle est prête à tout pour satisfaire sa faim de viande, y compris à élaborer des stratagèmes très complexes (conte n°6). Pourtant, c'est cette même gourmandise qui la trahie le plus souvent (conte n°7).

Quant à la Tortue, elle est le plus souvent décrite comme l'animal de la sagesse et de l'intelligence (conte n°1 et 5) qui arrive à déjouer les pièges de la Panthère (conte n°7). Elle est généralement l'allier des autres animaux de la forêt qui la respectent ; en ce point, elle est la métaphore de l'ancien. Pourtant, dans d'autres contes, que je n'ai pas retranscrit ici, elle peut être fourbe, user de son intelligence et de sa place « sociale » au sein du monde animal anthropisé, pour son profit au détriment des autres animaux. En effet, dans un conte, elle joue la comédie afin de duper et de tuer tous les animaux de la forêt ; dans un autre, elle manipule et utilise le Chat doré afin d'avoir les faveurs de la femme qu'ils convoitent tout les deux.

Nous pouvons conclure, qu'il n'y a donc pas de réelle bipolarité distincte entre le bien et le mal dans la culture Kota contrairement à la vision Chrétienne du monde. Chaque être n'est ni totalement bon, ni totalement mauvais ; il peut être à la fois trompeur et trompé, intelligent et sot, selon qu'il sache ou non dominer ses instincts, modérer son appétit insatiable, partager avec autrui, rendre servir, prévoir (Paulme, 1974). Cette ambivalence se retrouve chez les esprits et chez les hommes-panthères.

Le tableau qui suit est une synthèse des données recueillies (entretiens + contes), lors de l'enquête de terrain, sur les caractéristiques éthologiques et symboliques attribuées à certains animaux de la forêt par la population Bakota.

Tableau 12 : Synthèse sur les caractéristiques des animaux sauvages

Animaux

Caractéristiques

Chasse

Eléphant

Haute hiérarchie, roi de la forêt, force

Difficile

Tortue

Sagesse, intelligence, malice

Facile

Panthère

Puissance, force, brutalité, souplesse, agilité, bonne aptitude à la chasse ; gourmandise

Difficile

Ratel

Dangereux, féroce, têtu

Difficile (rare et dangereux)

Céphalophe bleu

Malice et intelligence

Facile

Buffle

Roi des animaux à sabot

Difficile

Python

Roi des serpents

?

Aigle

Roi des oiseaux

?

Crocodile

Roi des reptiles

Relativement facile

Bongo

Beauté

Facile mais devient rare

I.2 Connaissances empiriques sur la faune

L'observation de la faune joue un rôle fondamental dans la tradition africaine. D'une façon globale, les Bakota ont de bonnes connaissances empiriques sur la faune sauvage qui les entoure. Ces connaissances sont acquises tout au long de la vie à travers l'apprentissage (fréquentation de la forêt et des plantations) mais aussi grâce aux contes. Ces derniers peuvent fournir des éléments sur les comportements et l'alimentation des animaux.

Dans le conte n°4, par exemple, on trouve quelques renseignements sur une partie de l'alimentation des animaux cités : l'Eléphant aime les fruits du moabi (baillonella toxisperma) ; le Céphalophe de Peters a un faible pour les atangas ; le Chat doré pour le charbon de bois ; la Nandinie et la Genette aiment les bananes et pour la Tortue et le Céphalophe bleu se sont les champignons. En se renseignant, on se rend compte que ces données sont correctes même pour la Nandinie et la Genette58(*), que l'on classe dans les carnivores, mais qui sont en vérité plus ou moins omnivores, car elles mangent aussi des fruits.

Beaucoup de contes mettent en scène la Panthère souvent reconnue pour ses qualités de chasseuses (conte n°3), son goût prononcé pour la viande et plus particulièrement pour le gros gibier.

A travers les contes, les populations essayent également de s'expliquer le monde et son organisation. En ce qui concerne la faune sauvage, on apprend la conception locale des regroupements ou des séparations d'espèces, pourquoi un tel vit dans les arbres et un autre, qui lui ressemble, au sol etc. C'est le cas notamment de la Panthère et de la Genette dans le conte n°2 qui explique pourquoi la Panthère vit au sol et que de tant en tant elle monte aux arbres, là où la genette vit la majeure partie de son temps. Dans d'autres contes (que je n'ai pas retranscrit) on apprend pourquoi le Gorille ne vit plus en bande avec le Chimpanzé ou pourquoi la Mangouste des marais vit près de l'eau et ne mange que du poisson et non pas de la viande. Bien sur, ce qui importe dans ces récits ce n'est pas seulement l'explication imagée donnée mais l'information finale qui s'en échappe.

Pour ma part, lors de mes entretiens, j'ai posé quelques questions sur les connaissances empiriques que les hommes Bakota pouvaient avoir sur les animaux tachetés. Il est clair que, contrairement à la majorité des populations ouest-africaines, celles des forêts tropicales ont des connaissances plus approfondies sur la faune. Ceci s'explique sans doute par le fait que la faune est encore très présente dans cette zone tropicale du bassin du Congo. De plus, en Afrique de l'Ouest les chasseurs faisaient partis d'une caste spécifique très fermée qui empêchait que les savoirs empiriques sur la faune soient partagés par l'ensemble de la communauté.

La plupart des hommes Bakota connaissent l'alimentation des animaux tachetés59(*), leur comportement nocturne et solitaire, les lieux où ils dorment et le nombre approximatif de bébés par portée. Ils ne savent pas les périodes de mise bas, mais ceci s'explique par le fait que dans les régions tropicales, il n'y a pas réellement de saison spécifique pour les amours, contrairement aux régions tempérées. La plupart des mammifères peuvent donc mettre bas tout au long de l'année.

Si le caractère solitaire est connu des hommes Bakota, il se concentre sur les périodes de chasse de ces animaux. En effet, pour eux, la femelle et le mâle chassent chacun de leur côté, mais le soir, ils se retrouvent dans leur « logis » avec les enfants, or, ce n'est pas le cas dans la nature. Je pense, hormis le fait que ces animaux soient toujours en couple dans la tradition orale, qu'il s'agit là d'une vision sociale du mariage et du célibat dans la société Bakota, plus qu'une croyance en ces contes. Le célibat chez les hommes (encore plus que chez les femmes) est très mal vu et assez mal vécu, d'autant plus que ce phénomène s'accentue à cause de la flambée des coûts de la dot. Il est donc inconcevable pour eux qu'un homme puisse vivre sans femme et ceci même dans le règne animal.

Enfin, les connaissances sur le monde qui entoure l'Homme peuvent être acquises par l'étude de l'univers animal. Ainsi, l'animal peut être l'intermédiaire entre l'Homme et la nature. Beaucoup de peuples africains ont en effet appris depuis longtemps à utiliser la faune comme source d'informations sur leur environnement. Les oiseaux sont notamment beaucoup utilisés de cette manière. Chez les Boran du nord Kenya, les cris aigus du pique-boeuf signifient qu'un gros animal est proche, quant à l'oiseau indicateur, il est un signe infaillible pour qui veut trouver du miel (Isack cité par Chardonnet et al, 1995). Chez nos Bakota, l'arrivée des cigognes60(*) annonce le début de la petite saison sèche qui précède la grande saison des pluies. Une étude plus approfondie sur ce thème serait fort intéressante, en particulier dans le domaine de la chasse.

I.3 Classification locale de la faune sauvage

Bien que la classification des animaux chez les Bakota ressemble à la classification occidentale linnéenne, elle n'est pas basée sur les mêmes critères. La première est essentiellement basée sur les ressemblances physiques et comportementales, ce dernier critère ne rentrant pas dans la seconde classification. Comme pour le reste, on retrouve des éléments d'explication de cette classification, dans certains contes. Je tiens à préciser que la classification qui suit n'est pas exhaustive.

· Les animaux carnivores à griffes 

La plupart des carnivores sont regroupés ensembles et ils font tous partie de la famille de la Panthère. Leurs caractéristiques en commun sont les griffes (critère de base) et leur alimentation à base de viande, même si les fruits et le miel interviennent parfois. Les animaux à la robe tachetée sont considérés comme étant les frères de Ngoye la Panthère, les autres étant leurs cousins.

Famille de Ngoye : la Panthère ; les genettes servaline et tigrine ; la Poiane centrafricaine ; la Civette ; le Chat doré ; la Nandinie ; le Ratel ; les mangoustes et les loutres.

Seule la mangouste des marais61(*) a une place à part dans cette famille, tout en en faisant partie, car elle reste près de l'eau et mange du poisson et non de la viande. Cette séparation est expliquée dans un conte.

· Les animaux à main 

Les singes sont tous regroupés ensembles car ils se ressemblent et ont tous des mains. Les Bakota les distinguent quand même en deux sous-groupes : le premier est celui des singes qui vivent dans les arbres avec une queue, il s'agit de la Famille de Kaku qui comprend le Hocheur ; le Mangabey à joues grises ; le Cercopithèque de Brazza ; le Cercopithèque pogonias ; le Moustac ; le Colobe guereza ; le Colobe noir62(*) ; le Miopithèque de l'Ogooué ; le second regroupe les singes vivant principalement au sol et qui ne possèdent pas de queue, il s'agit de la Famille de Djia avec le Gorille, le Chimpanzé ; le Mandrill.

Je tiens également à signaler que certains de mes interlocuteurs m'ont parlé d'un petit singe Maïko qui se déplacerait toujours avec les chimpanzés mais je n'ai pas pu l'identifier.

Les Galagos et les Pottos sont regroupés dans la même famille. Je n'ai pas pu identifier tous les galagos présents dans la région, mais selon mes notes, les animaux appartenant à cette famille sont : le Potto de Bosman ; les galagos de Garnett, d'Allen et mignon du sud.

· Les animaux à sabot 

Les petites antilopes sont regroupées dans deux familles : la Famille de Zibo avec le Céphalophe à dos jaune, le Céphalophe bai, le Céphalophe de Peters, le Céphalophe à ventre blanc, le Céphalophe à front noir et le Sitatunga ; et la Famille de Héli avec le Céphalophe bleu et l'Antilope de Bates. Les herbivores de gros port avec des cornes font partie de la Famille d'Ezona avec le Bongo et le Buffle. Une dernière famille est la Famille Ekundé avec l'Oryctérope, le Potamochère et l'Hylochère (se sont tous des fouisseurs).

· Les pachydermes 

Les Bakota regroupent ensemble l'Eléphant et l'Hippopotame (qu'ils nomment éléphant de rivière), dans la famille de Zoku. Ceci est dû à la grosseur de ces animaux qui ont une peau épaisse et des empreintes semblables.

· Les reptiles 

Chez les reptiles ont a deux familles : la Famille de Ntotché avec le Crocodile nain ; le Crocidure ; le Faux gavial et le Varan ; et la Famille des Tadji (pl. Batadji) qui regroupe tous les serpents dont les plus connus sont  le Mamba noir ; le Mamba vert ; la Vipère du Gabon et le Python.

Les autres grandes familles d'animaux sont celles des Oiseaux Bonodji dont le chef est l'Aigle mbéla ; des chauves-souris indémé et des écureuils dont les plus communs sont l'Ecureuil nain bwandamwéli et les finisciures rayés hendé et à pattes rouge éboko.

Il existe aussi des animaux qui ne rentrent pas dans une catégorie spécifique soit parce qu'ils peuvent vivre dans des milieux différents, soit parce qu'ils ont des caractéristiques de plusieurs catégories. C'est le cas pour la Tortue, à la fois terrestre et aquatique, du Pangolin qui a des griffes (aux pattes avant mais pas aux pattes arrières) sans être un carnivore et aussi du Daman des arbres qui vit dans les arbres sans avoir de queue, ni de main.

Nous pouvons conclure de cette classification que les Bakota organisent le monde dans lequel ils vivent en basant leur logique classificatoire sur des connaissances approfondies des qualités biologiques et comportementales des animaux.

* 58 Voir annexe

* 59 les animaux tachetés sont : la Panthère, la Genette, la Civette, la Nandinie et le Chat doré

* 60 Je tiens à préciser que je ne sais pas s'il s'agit de véritable cigognes ou s'il s'agit de l'appellation en français africain qui désignerait une autre espèce d'oiseau comme les aigrettes.

* 61 Ce n'est pas le cas des loutres ibango et nyiongo qui vivent aussi près de l'eau et ont à peu près le même régime alimentaire...je ne me l'explique pas !

* 62 Présent que vers Mékambo.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus