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Ebanda tono (les peaux tachetées): utilisations et représentations de la faune sauvage (Gabon)

( Télécharger le fichier original )
par Florence Mazzocchetti
Université de Lettres et sciences humaines, Orléans - Master2 2005
  

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LISTE DES ABREVATIONS

CENAREST : Centre National de Recherche en Sciences et Technologies

CIRAD : Coopération Internationale en Recherche Agronomique et Développement

CITES : Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages

menacées d'extinction

CNPN : Conseil National des Parcs Nationaux

ECOFAC : Ecosystèmes Forestiers d'Afrique Centrale

EMVT : Elevage et Médecine Vétérinaire Tropicale

FCFA : Franc de la Communauté Financière d'Afrique (100 FCFA = 0, 15 €)

FAO: Food and Agricultural Organisation

IDH : Indice de Développement Humain

IRD : Institut de Recherche pour le Développement

IRET: Institut de Recherche en Ecologie Tropicale

MAB : Man and Biosphere

MLA : Multidiciplinary Landscape Assessment

ONG : Organisation Non Gouvernementale

PIB: Produit Intérieur Brut

PNAE : Plan National d'Action Environnementale

UICN : Union Internationale pour la Conservation de la Nature

WCS: Wildlife Conservation Society

WWF: Fond Mondial pour la Nature

PHONETIQUE

J'ai utilisé quelques transformations phonétiques pour la retranscription du vocabulaire Bakota. La plupart des lettres se prononcent comme en français excepté pour :

H : fortement aspiré

U : ou

W : comme dans Wallaby

Y : comme dans pied

Introduction

Les problèmes environnementaux globaux, et plus particulièrement celui de la baisse de la diversité biologique sur notre planète, sont devenus une préoccupation centrale pour de nombreux pays, chercheurs et ONG environnementalistes depuis plusieurs décennies. Afin d'enrailler ce phénomène, de nombreuses conventions internationales sont signées et mises en place (en tout cas en théorie) depuis le milieu du XXe siècle et le nombre de parcs nationaux n'a cessé d'augmenter. Mais, malgré tous ces efforts, la perte de biodiversité se poursuit. Dans le monde entier, des forêts sont abattues, les ressources halieutiques s'épuisent, et la diversité phytogénétique et zoogénétique est érodée.

Cette situation est favorisée par l'augmentation de la pauvreté y compris dans les pays tropicaux pourtant riches en biodiversité. Il existe plusieurs raisons qui expliquent ce phénomène, mais la principale est sans doute le fait que la majorité des capitaux générés par l'exploitation des ressources naturelles ne sont pas réinvestis dans les pays producteurs. Les exploitants sont, pour la plupart, des compagnies internationales et les personnalités locales, qui gagnent de forts revenus de ce négoce, préfèrent placer leur argent à l'abris dans des banques à l'étranger. Ce système ne permet pas d'enrayer la montée du chômage et empêche la création de nouveaux emplois. Les populations les plus défavorisées sont donc contraintes, pour s'en sortir, de surexploiter les ressources restantes, afin de pouvoir satisfaire leurs besoins.

Il existe diverses stratégies internationales, pour résoudre la perte de la diversité biologique, qui évoluent avec le temps, les connaissances et les modes. Dans un premier temps, il s'agissait de mettre sous cloche des espaces de nature dans le but de les garder « vierges » de toutes empreintes humaines. Dans les pays du Nord, ces espaces ont été installés dans des zones non habitées ou faiblement anthropisées, le plus souvent en montagne, mais ce ne fut pas le cas dans les colonies comme en Afrique. Là, la création des aires protégées, où, nous le rappelons, toute exploitation de l'Homme est interdite, a nécessité le déplacement de populations entières sans aucun ménagement. Il s'agissait donc d'une protection de la nature purement « conservationniste » sans prise en compte de l'élément humain. Aujourd'hui, on essaye de délimiter les parcs nationaux dans des zones non habitées mais cela ne veut pas forcément dire non exploitées ! D'où le dilemme des organismes chargés de la conservation des ressources naturelles. Dans les pays du Sud comme en Afrique et plus particulièrement chez les populations les plus pauvres, l'exploitation de la forêt et de ces ressources est une nécessité de survie. La forêt est un espace caractérisé par des multi-usages et concernant des multi-acteurs. Il n'est donc pas étonnant que de nombreux conflits éclatent entre les populations locales et les agents de la conservation et que les objectifs fixés par ces derniers ne soient pas atteints (Ville, 1998 ; Zecchini, 2000 ; Mazzocchetti, 2003).

Bien que cette approche « conservationniste » ne soit, à l'heure actuelle, toujours pas abandonnée, à partir de 1992 au Sommet de Rio, les populations locales vont être prises en compte (en tout cas en théorie) dans la conservation et le développement durable (concept aux sens multiples et variés, mais désormais central dans les discours afférents aux questions d'environnement) : « Les populations et communautés locales autochtones et les autres collectivités locales ont un rôle à jouer dans la gestion de l'environnement et le développement, du fait de leurs connaissances du milieu, de leurs pratiques traditionnelles. Les Etats devraient reconnaîtrent leur identité, leur culture et leurs intérêts, leur accorder tout l'appui nécessaire et leur permettre de participer efficacement à la réalisation d'un développement durable » (principe 22 de la déclaration de Rio, ONU, 1992, cité par Chartier et Sellato, 2003).

Aujourd'hui, il existe donc un consensus international sur la nécessité de préserver les pratiques et les usages des populations autochtones ou des peuples tribaux. Cette prise en compte de la nécessité d'incorporer l'élément Humain dans les recherches et programmes de conservation et de développement durable, est une porte ouverte aux Sciences Humaines. Car l'Homme, au travers de ces interventions sociales, économiques, politiques et culturelles dans l'utilisation de l'espace, fait partie intégrante de la combinaison écologique, au même titre que les composants physiques, chimiques et biologiques (Marchenay, 1973). Il s'agit donc d'incorporer aux programmes de conservation de l'environnement, les perspectives locales sur ces priorités (Patenaude et al, 2002), en prenant en compte leurs besoins et leurs cultures.

On retrouve donc ici les ethnosciences en particulier l'anthropologie écologique (Levesque, 1996), l'ethnobotanique et l'ethnozoologie (Forni, 1973) pour étudier les savoirs locaux sur la Nature et les relations que ces populations entretiennent avec Elle.

Parmi les ressources qui mobilisent la communauté internationale, nous avons, bien évidemment, la faune sauvage avec ses espèces emblématiques comme l'Eléphant ou le Gorille. Beaucoup de conventions et d'organismes comme la CITES ont été mis en place dans le but de protéger cette ressource et de contrôler son trafic. Dans un rapport de la FAO en 2001, Stéphane Doumbé-Billé fait une synthèse sur le droit international de la faune sauvage et des aires protégées, tout en y expliquant l'importance et l'implication pour l'Afrique (Doumbé-Billé, 2001). En effet, la faune africaine n'est pas seulement un objet scientifique ou esthétique ; c'est aussi une ressource très importante pour les Africains, tout particulièrement pour les populations forestières qui restent, dans leur majorité, entièrement dépendantes des ressources naturelles, que cela soit d'un point de vu alimentaire, économique ou culturel. C'est pourquoi, le lien entre la conservation de l'environnement et le développement durable des populations locales est clairement apparu dans le cas des forêts tropicales.

Les forêts du bassin du Congo et des régions voisines, sont réputées comme ayant l'une des plus riches diversités floristique et faunique de la planète. Aussi, elles attirent beaucoup de scientifiques mais également de nombreuses ONG et organismes divers de conservation de l'environnement, soucieux de protéger ces écosystèmes exceptionnels, mais aussi, de permettre désormais le développement durable des populations forestières qui les habitent.

Au Gabon, comme pour les autres pays d'Afrique Centrale, la conciliation de ces deux impératifs passe par la pression anthropique exercée sur les ressources naturelles par la surexploitation de la faune (chasse, pêche, trafic d'animaux vivants) et la multiplication des concessions forestières. Plusieurs études ont été menées dans cette zone du bassin du Congo, dans le but de trouver des solutions à la conservation de la faune sauvage et de son milieu naturel (Tchatat, 1998 ; White, 1998). Le résultat de ces recherches démontre la nécessité de mener des études pluridisciplinaires alliant les domaines de la Biologie et ceux des Sciences Humaines.

Si, depuis peu, beaucoup d'études ont pris en compte l'importance alimentaire et économique de la faune, l'importance socioculturelle de cette ressource naturelle, dans les programmes de conservation et de développement durable, a souvent été occultée ou sous estimée. S'il n'y a pas de recette miracle en matière de faune sauvage comme de développement, il y a cependant un facteur de succès important, celui tout simple de prendre objectivement en compte l'Homme et sa culture. La conservation de la faune sauvage ne pourra se faire sans le bien-être de l'homme ; et ce bien-être ne peut s'épanouir hors du contexte socioculturel local (Chardonnet et al, 1995).

C'est pourquoi, cette présente recherche porte sur les interrelations socioculturelles entre la faune sauvage et les Bakota, peuple forestier et réputé pour ses qualités de chasseur. La zone d'étude se situe au Nord-est du Gabon, zone encore peu touchée par les pressions anthropiques et où le WWF a de nombreux projets. Mon travail, je le souhaite, évitera - avec toute la modestie de rigueur - que ces programmes soient comme les schémas standard exotiques, plaqués sur des us et coutumes locaux plus que centenaires.

I. Contexte scientifique

Afin d'élaborer une problématique pertinente, voici un petit tour d'horizon des recherches scientifiques sur le thème des relations Homme/Milieu chez les populations forestières ainsi que celles effectuées sur le groupe ethnique Bakota.

Importance de la viande de brousse

Les anthropologues sont à l'origine des premiers travaux sur la faune sauvage comme ressource alimentaire, afin de quantifier son importance pour la survie matérielle et spirituelle des peuples forestiers ; ils ont été suivis par les biologistes, soucieux de connaître l'impact des prélèvements, surtout sur les espèces vulnérables.

Depuis une dizaine d'années, de nombreuses recherches quantitatives ont été faite sur la commercialisation de la viande de brousse en Afrique Centrale, à travers l'étude de l'organisation de la filière (Bahuchet, 2000 ; Fargeot, 2004a, 2005 ; Rieu, 2004), son rôle économique (Dethier, 1995 ; Dethier et Ghiurghi, 1999) les techniques de prédation et les impacts de cette activité sur la faune sauvage (Lahm, 1993 ; Dethier, 1995). D'autres, ont également étudié la consommation des ménages en forêt et en ville (Steel, 1994 ; Ichikawa, 1996 ; Lahm, 1996 ; Koppert et al, 1996 ; Wilkie et Carpenter, 1998).

Ces études sur la filière économique ont été réalisées d'une part grâce au projet régional Ecofac, financé par l'Union européenne, et d'autre part grâce aux grandes ONG de conservation (WWF, WCS etc.), pour comprendre précisément le lien entre exploitation forestière et chasse commerciale, point de discorde essentiel entre les tenants de la conservation de la nature et les industriels du bois.

· Importance alimentaire : consommation et préférence alimentaire

Pour les populations riveraines des forêts du bassin du Congo, la viande de brousse constitue 30 à 80% de l'apport en protéines (Wilkie et Carpenter, 1998).

Le Gabon est l'un des pays africains où la consommation de viande de brousse est des plus élevée. En effet, en 1994 Steel a estimé la consommation nationale de gibier à 17 kg/personne/an, un chiffre 1,7 fois plus élevé que l'estimation de consommation de boeuf.

Il existe également une disparité entre les zones urbaines et rurales : pour Chardonnet et al. (1995) que cela soit au Gabon, en République démocratique du Congo et en République Centrafricaine, la consommation de gibier par habitant en ville serait égale à 10% de la consommation en zone rurale.

Les préférences alimentaires des peuples du Bassin du Congo vont pour les mammifères ongulés (toutes les espèces de céphalophes, le Chevrotain aquatique, le Potamochère) ; les petits rongeurs (Athérure, Aulacode) ; le Pangolin commun et les poissons (Lahm, 1993 ; Vanwijnsberghe, 1996).

Tableau 1 : Consommation de viande de brousse

Pays

Auteurs et dates

Moyenne nationale

(kg/pers./an)

Zone rurale

(kg/pers./an)

Gabon

Steel (1994)

Lahm (1993)

17

32

Cameroun

Bahuchet,Ioveva (1998)

ND

73

Côte d'Ivoire

Caspary (1999)

8

ND

Congo

Auzel (1997)

ND

43

République Centrafricaine

Chardonnet (1995)

Diéval, Fargeot (2000)

12

15

ND : données non disponibles.

(D'après Forgeot, 2004)

Les interdits concernent principalement les carnivores, comme c'est généralement le cas de partout dans le monde (à l'exception de l'Ours). Henri Koch (1968) explique ceci par la perception que se font les populations des animaux sauvages. D'une façon générale, les herbivores sont considérés comme étant moins dangereux, plus paisibles que les carnivores qui sont souvent des animaux nocturnes, puissant et pouvant servir à la sorcellerie. Par exemple, dans la mythologie des pygmées Baka du Cameroun, les animaux étaient des Hommes qui ont été transformé par le Dieu Komba, et dont les gens méchants et dangereux ont été métamorphosés en carnivores (Leclerc, 2001).

Par ailleurs, que cela soit au Congo (Vanwijnsberghe, 1996), au Gabon (Lahm, 1993, 1996, 2002) ou dans l'ex-Zaïre (Pagezy, 1973), seul les animaux au pelage tacheté ou rayé (Panthère, Nandinie, les genettes et civettes, le Chat doré et l'Antilope de Bates) font l'objet de restrictions alimentaires plus ou moins strictes, les villageois assimilants les taches aux symptômes de la gale et de la lèpre. Ceci explique peut-être que ces « tabous » soient encore respectés par une majorité de personnes, alors que les autres tendent à disparaître.

De plus, le nombre des interdits est beaucoup plus important chez les femmes que chez les hommes. Il existe deux explications à ce phénomène : la première est liée au statut généralement inférieur de la femme par rapport à l'homme qui souhaite se garder les meilleurs gibiers, c'est-à-dire les plus goûteux et savoureux ; la seconde est liée à la place centrale que tient la femme dans la procréation, acte à la fois donneur de vie mais aussi parfois, preneur de vie à cause des complications qui peuvent survenir et du taux élevé de mortalité infantile.

· Importance économique : la filière viande de brousse

L'un des gros soucis pour la faune sauvage d'Afrique Centrale est le commerce, en perpétuelle expansion, de la viande de brousse. En effet, la chasse est une composante importante dans l'économie domestique des populations du Bassin du Congo. Il est cependant difficile de quantifier l'impact économique car il s'agit d'un commerce informel et parfois clandestin qui n'apparaît pas dans les comptes de l'Etat. L'étude de Steel menée au Gabon (1994) sur le volume et la valeur du commerce de la viande de brousse apporte certains éléments de réponses. En définitive, la filière viande de brousse aurait représenté 1% du PIB en 1992 et 10,8% du secteur agriculture, forêt et pêche (Steel, 1994).

Bien que le commerce de gibier, tel qu'il est pratiqué actuellement, ne soit pas un secteur totalement légal, il n'en est pas moins très organisé. Pour approvisionner les grands centres urbains, de véritables réseaux se sont mis en place. Le plus souvent, les chasseurs vendent le gibier à des revendeurs qui les transportent jusqu'à la ville où ils les revendent à des grossistes ou des vendeurs de marchés. Parfois, les chasseurs traitent directement avec les vendeurs qui peuvent les fournir en armes et en munitions. Ils peuvent également vendre directement leurs produits sur les bords des routes (Forgeot, 2004). Ces « nouveaux » chasseurs professionnalisés sont, la plupart du temps, de jeunes gens célibataires aux comportements assez individualistes. Il est également à noter que la plupart des revendeurs et des vendeurs sont des femmes (Forgeot, 2004).

Steel (1994) a calculé les gains de chaque acteur du réseau pour le Gabon. En moyenne, les chasseurs gagnent 540 FCFA par kg de viande. Les vendeurs gagnent en moyenne 340 FCFA/kg s'ils achètent aux revendeurs et 540 FCFA/kg s'ils se fournissent directement auprès des chasseurs. Le commerce de viande de brousse génère ainsi un revenu substantiel pour les professionnels de la filière et contribue donc à l'économie des ménages et, par extension, à l'économie nationale (Binot et Cornélis, 2004).

Les prix de vente varient selon l'espèce et le lieu d'achat car, la disponibilité du gibier et le nombre d'intermédiaires diffèrent selon les localités du Gabon (Jori, 1996 cité par Payne, 2005). Les espèces les plus chères sont les rongeurs (Athérure et Aulacode) et le Potamochère. On distingue également que les prix sont plus élevés dans les grandes villes (Libreville et Port-gentil) où la disponibilité du gibier est moindre (par rapport à Makokou, par exemple), où le pouvoir d'achat des habitants est supérieur et où la demande est forte. Seuls les petits gibiers (rongeurs et le Céphalophe bleu) sont vendus entiers, les autres étant vendu en morceaux, plus rentable pour le vendeur.

En milieu rural, la réduction des activités économiques rémunérées, ajoutée à une demande accrue en viande de brousse, en particulier des centres urbains, a favorisé le développement d'une chasse à vocation commerciale et non de subsistance (Steel, 1994). Dans la région de Makokou, Lahm (1993) a estimé que 78% des chasseurs vendent entre 50 et 67% de leur viande. Dans cette même étude, elle a enquêté auprès de 90 ménages de la province : pour 47% d'entre eux, la viande de brousse constituait tout ou une partie des revenus du foyer. Ceci prouve qu'il s'agit d'une activité de plus en plus spécialisée, car jadis, chaque chef de famille chassait dans l'unique but de nourrir les siens.

Photos 1 et 2 : vente de gibier sur le marché Makokou

Sources : Joseph Okouyi (2001) et Ariane Payne (2005)

· Importance socioculturelle :

La consommation de viande de brousse fait partie intégrante de l'identité culturelle des peuples forestiers d'Afrique Centrale. Elle intervient dans les relations familiales et sociales. Les terroirs de chasse (zone exploitée par un chasseur, qui se l'approprie à titre officieux) sont souvent des terroirs familiaux, qui se transmettent de générations en générations (Payne, 2005). Les produits de la chasse sont traditionnellement partagés entre les différents membres de la famille et du village. Enfin, le gibier de brousse est une composante essentielle des cérémonies et rituels, que cela soit pour les villageois comme pour les citadins, ainsi que pour la pharmacopée traditionnelle et les pratiques de sorcellerie.

Ces utilisations sont complexes et changent selon les groupes ethniques. Il y a toutefois des constantes comme la peau de la Genette qui est utilisée un peu partout que ce soit au Congo ou au Gabon. Selon la tradition, elle aurait des propriétés magiques. Elle est utilisée par les tradipracticiens pour chasser les mauvais esprits ou dans la fabrication des fétiches. On la retrouve lors des danses traditionnelles, des initiations et de la circoncision (Perrois, 1968 ; Pagezy, 1973 ; Vanwijnsberghe : 1996 ; Tchatat, 1999).

En ce qui concerne les autres formes d'utilisations, comme l'artisanat, elles tendent à disparaître, les populations préférant les matériaux modernes. S'il y avait anciennement une utilisation des différentes parties du corps de l'animal dans la technologie traditionnelle, aujourd'hui, seules quelques peaux (principalement de céphalophes) restent utilisées pour les chaises longues et les tam-tams.

Actuellement, la chasse est beaucoup pratiquée par les jeunes gens au chômage car le statut de chasseur leur permet non seulement, comme nous l'avons évoqué plus haut, une source de revenu mais aussi une certaine valorisation sociale (Binot et Cornélis, 2004).

· Impact écologique :

En Afrique de l'Ouest et Centrale, la pression de chasse représenterait une menace pour 84 espèces et sous-espèces de mammifères. Dans le bassin du Congo, le niveau de prélèvement des animaux serait 4 fois plus important que le niveau permettant une exploitation durable de la faune1(*) (CITES, 2001 ; Payne, 2005).

Il est difficile d'évaluer avec exactitude les prélèvements de gibiers. L'estimation peut se faire soit au niveau de la consommation, mais on n'a alors pas la provenance des animaux, soit au niveau des récoltes du gibier (Wilkie et Carpenter, 1998 ; Lahm, 1996). Seuls des enquêtes de longues durées permettent d'avoir une image fiable de la situation, à la condition qu'elles se déroulent sur un périmètre restreint correspondant généralement à une zone de chasse villageoise (Grenand, 2002).

Le développement de la chasse commerciale s'est accompagné de l'utilisation d'armes à feu (surtout du calibre 12), de pièges à câbles et de nouvelles méthodes de chasse (chasse nocturne). En conséquence, le nombre et la variété d'espèces capturées ont augmenté et la pression de la chasse autour des villages s'est accrue (Steel, 1994).

En effet, les pièges et la chasse nocturne semblent être les méthodes les plus efficaces (Lahm, 1996). D'après les études de Lahm (1996) et de Okouyi (2001), se sont les ongulés qui connaissent la pression de chasse la plus importante avec près de 60% des prélèvements. Le Céphalophe bleu et l'Athérure sont les deux espèces les plus chassées. Suivent les primates, en particulier les espèces arboricoles (cercopithèques, mangabeys) qui sont des proies faciles pour la chasse au fusil de jour. Ces données confirme aussi que la majorité du gibier chassé est destiné à la vente.

Tableau 2 : Espèces, nombre et destination du gibier chassé dans la région de Makokou.

Groupe

Nombre

(N=254)

% total

Espèce la plus représentée : % total

% vendu

Ongulés

146

57,5%

Céphalophe bleue : 37,4%

66%

Primates

47

18,5%

Hocheur : 5,5%

40%

Rongeurs

35

13,8%

Athérure : 11%

63%

Carnivores

12

4,7%

Panthère : 1,6%

67%

Pangolins

9

3,5%

Pangolin à écailles tricupsides : 3,5%

11%

Reptiles

5

2%

Varan du Nil : 1,6%

100%

D'après Lahm, 1996

Certaines espèces présentes sur les marchés font parties des animaux protégés, c'est la cas, par exemple du Pangolin géant et du Chevrotain aquatique. Quant aux espèces plus emblématiques pour la conservation comme l'Eléphant, le Gorille ou le Chimpanzé leur commerce suit des circuits parallèles que seuls les consommateurs fortunés connaissent (Okouyi, 2001).

Dans toutes les zones de forêts tropicales, le choix du gibier suit donc de plus en plus une logique économique de rentabilité, principe totalement étranger dans la chasse de stricte subsistance. Le prix des cartouches étant élevé, les chasseurs recherchent avant tout les animaux de grande taille ou ceux à la meilleure valeur marchande comme les ongulés, les carnivores pour leurs peaux et les reptiles (Lahm, 1996). Lahm a également examiné le sexe ratio et l'âge des animaux chassés. Pour la plupart des espèces, mâles et femelles sont tués dans des proportions équivalentes. La majorité d'entre eux sont des adultes sauf pour les céphalophes bais.

Cette sélection du gibier entraîne une forte diminution de ces populations animales qui sont généralement des frugivores indispensables au renouvellement de la forêt (Redford, 1996). De plus, d'après Wilkie et Carpenter (1998), comme les pièges ne sont pas visités tous les jours, 25% des individus piégés au collet pourrissent ou sont mangés par les animaux nécrophages.

En résumé, toutes ces études montrent que :

- La viande de brousse reste la première source de protéine animale pour ces populations ;

- Le choix de la viande de brousse est à la fois économique et culturel ;

- La chasse pour la viande peut constituer une source de revenus significative pour les familles vivant en forêt ;

- Le commerce de gibier fait vivre des milliers de personnes en ville et en forêt ;

- Actuellement, la consommation de viande de brousse en forêt est considérée comme « durable » par la faible densité humaine ;

- La demande en viande de brousse de la part des consommateurs urbains, de plus en plus nombreux, a créé un marché important ;

- Les concessions forestières facilitent l'accès à la ressource et stimulent la demande de gibier ;

- Tout ceci a provoqué un déclin alarmant de la faune autour des zones les plus peuplées et donc une chasse non durable qui pourrait atteindre les zones isolées ;

- Les grands mammifères à faible taux de reproduction sont les plus sensibles à la surexploitation.

Une certaine conception du monde

L'importance socioculturelle de la faune sauvage ne peut être abordée sans revoir au préalable quelle perception les sociétés africaines, et tout particulièrement celles vivants dans les zones forestières, ont de l'univers et de la nature qui les entoure.

Malgré le recul des religions animistes depuis la pénétration de l'Islam, du Christianisme et du monde moderne en général, elles continuent à imprégner les consciences et bien souvent à dicter les conduites, principalement dans les zones rurales forestières (Levrat, 2003).

Ces croyances mettent l'Homme en rapport étroit avec la nature qui est parcourue par un flux vital présent dans toutes choses (végétal, animal, minéral). Ce flux (qu'on nomme souvent, par commodité, Esprit) est immortel, se transmet et se transforme. Tout ce qui constitue l'univers est force, et tout interagit par ces forces. Pour beaucoup de peuples vivants en savane ou en forêt, la faune et la flore ne sont donc pas ressenties comme des entités distinctes du reste du monde ; ils ont une perception de leur univers qu'on qualifie de globalisante. Certains de ces esprits sont en charge des animaux sauvages et de leur distribution aux Hommes, sous certaines conditions. Ce sont eux donc les véritables gestionnaires de la faune (Levy-Luxereau, 1973 : 18 ; Massenzi, 1999 ; P. Grenand, 2002 : 147 ; Leclerc, 2001). Ainsi, le surnaturel ou le monde invisible, domaine des dieux, des esprits et des ancêtres, est lui aussi composante de l'environnement et participe à l'ordre de la nature. Les deux mondes, visible et invisible, sont en équilibre dynamiques car ces forces s'opposent les unes aux autres. Une action en violation avec les règles naturelles ou le non-respect de la volonté des Esprits-Dieux ou des Ancêtres perturbe, voir menace, l'équilibre cosmique. Mais comme cette force ou ce flux vital est universel et explique tout, il permet à l'homme d'agir sur le cosmos, de rétablir les équilibres en déplaçant ou appliquant de nouvelles forces au bon endroit, et d'influer sur les décisions des génies (Chardonnet et al, 1995). Dans cet environnement où tout agit sur tout, chaque acte a donc des conséquences qui faut prévoir, réparer ou contre lesquels il faut se protéger ; rien n'est le fruit du hasard.

Symboles et représentations

Tout étant uni par la force et tout ayant son correspondant dans la nature, les attributs et les comportements des animaux ont une signification dans le système de référence humain. Toutefois, comme la nature et les comportements animaliers sont interprétés de manière anthropocentrique, on ne peut attribuer des symboles uniques et valables pour tous les peuples puisque ces symboles dépendent étroitement des sociétés qui les créent (Chardonnet et al, 1995).

Prenons l'exemple de la Panthère (ou Léopard). Cet animal est très souvent le symbole du chef, du pouvoir coutumier, que cela soit en Afrique (Vanwijnsberghe : 1996), en Asie ou en Amazonie (Jaguar) (F. Grenand : 1982 ; Levi-Strauss : 1964).

Les Hommes-Léopards ou Hommes-Panthères relevants d'une société secrète, avaient le pouvoir de se transformer en animal et de manger moutons, cabris et même des individus ; ils sont présents un peu partout dans le Bassin du Congo et notamment chez les Bakota du Gabon. S'ils terrorisaient autrefois les populations, ce n'est plus réellement le cas aujourd'hui (Raponda-Walker/Sillans, 19832(*) ; Perrois, 1968).

L'apparence corporelle de l'animal joue elle aussi un rôle important dans la relation entre l'homme et l'animal, principalement dans le domaine alimentaire. Certains animaux vont être conseiller et d'autres interdits à la consommation. Par exemple, chez les populations forestières, les animaux rayés ou tachetés sont généralement interdits à la consommation car ils sont soupçonnés de donner la lèpre et la gale.

Ainsi, l'animal, avec son corps et son comportement, a une signification précise pour l'Homme. Il représente plus qu'un organisme vivant il est aussi le symbole d'un caractère, d'une qualité ou d'un défaut que l'on peut acquérir ou auquel on peut se confronter (Chardonnet et al, 1995).

Les Bakota 

La littérature scientifique sur les Kota est peu abondante. La plupart de la documentation concernent les reliques funéraires, statuettes de bois plaquées de cuivre qui servaient pour le culte des ancêtres (Perrois, 1969,1976 ; Delorme, 2002).

En dehors de ces études sur l'art africain, les Bakota ont été essentiellement étudié par Louis Perrois qui analysa leurs migrations (1970 ; 1976), leur rituel de circoncision et leur organisation sociale (1968) ainsi que les rites et les croyances funéraires (1979). Certains de ces rites ont aujourd'hui disparu comme la plupart des cultes voués aux ancêtres et l'organisation sociale s'est modifiée (tendance à la monogamie et au choix du conjoint par exemple).

Je n'ai pas trouvé d'études récentes consacrées exclusivement aux Bakota. Toutefois, j'ai pu recueillir des renseignements intéressants sur les modes de prédation, les préférences et quelques restrictions alimentaires, ainsi que les utilisations diverses de la faune sauvage chez les Kota, dans les nombreuses études sur les chasses villageoises et l'exploitation des ressources naturelles dans le Bassin du Congo (Lahm, 1993, 1996, 2002 ; Vanwijnsberghe, 1996). D'après Lahm (1993), les Kota semblent être ceux qui continuent le plus à respecter les traditions en gardant des relations fortes avec la forêt et ses habitants.

La Panthère semble être un totem pour tous les Bakota, étant considérée comme un animal magique, capable de se transformer en homme et vice-versa (Lahm, 2002 : 74). Certains hommes ont l'animal en eux, il s'agit des hommes panthères qui font partie de la confrérie du Ngoye (Perrois, 1968). La Panthère est strictement interdite à la consommation comme tous les animaux à peaux tachetées, les Kota assimilant eux aussi les taches aux symptômes de la gale.

Les restrictions alimentaires sont en train de disparaître petit à petit. La plupart des espèces taboues sont tuées et vendues là où elles ne le sont pas. Quant à l'utilisation de la faune dans les technologies traditionnelles, à l'heure actuelle, il s'emblerait qu'elle n'existe plus (Lahm, 1993).

Nous venons de voir que la faune sauvage a essentiellement une valeur alimentaire et économique pour les populations forestières actuelles. Les changements parvenus dans ces sociétés depuis la colonisation des occidentaux ont profondément bouleversé les croyances et les pratiques de ces gens. Beaucoup d'utilisations dites « traditionnelles » de la faune sauvage ont aujourd'hui disparues ; pourtant, elle semble être encore présente dans les pratiques magico-religieuses.

* 1 Il faut tout de même être prudent avec ces résultats, car il s'agit souvent de généralisations alors que les densités sont hétérogènes.

* 2 Je n'ai malheureusement pas pu me procurer ce livre ; les notes sur les Hommes-Panthères ont été récupéré sur le cite http://www.unice.fr/ILF-CNRS/ofcaf/14/H14.html

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld