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La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

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par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU
Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011
  

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Section 4- Le problème de la justice distributive.

La justice distributive est une justice qu'on ne peut séparer des idées d'égalité et d'inégalité, parce qu'elle concerne particulièrement la proportionnalité dans la distribution non seulement des biens, mais aussi des honneurs ou des récompenses, en respectant chaque personne selon ce qu'elle est ou ce qu'elle possède comme valeur. Cette notion de justice distributive est une notion que l'on retrouve chez Aristote. Il la considère comme étant la détermination des critères de la distribution des biens, pensée en lien avec l'égalité.

C'est dans le chapitre 4 du livre V de l'Ethique à Nicomaque47(*) qu'Aristote aborde cette question de la justice distributive qui a trait à la distribution des honneurs, des richesses et autres avantages. C'est une justice qui a pour objectif la poursuite de l'égalité dans la distribution des biens. Elle repose sur une égalité de type proportionnel  et permet de tenir compte du mérite de chaque personne. C'est ce qu'on appelle la proportion géométrique aristotélicienne de la justice distributive. Celle-ci fait référence aux normes définissant la part de ressources rares ou de gratifications que doivent recevoir les membres d'un groupe en retour de leur participation à l'action commune. Par justice distributive, Aristote entend la proportion géométrique à distribuer des honneurs, de la fortune et d'autres avantages qui peuvent être partagés en fonction du mérite de la personne. Ce mérite est apprécié en fonction de la participation de chaque citoyen à la mise en oeuvre mais aussi à la réalisation du bien commun.

John Rawls rejoint le Stagirite dans cette conception de la justice distributive, mais ne reprend pas l'idée de mérite. Au contraire il introduit le principe de différence qui déborde le cadre du mérite et considère que les inégalités sont bonnes à conditions qu'elles soient à l'avantage des plus défavorisés.

En quoi la justice distributive constitue-t-elle un problème dans la théorie rawlsienne de la justice ? En réalité Rawls, ici, ne déconsidère pas la question de la justice distributive. Il la reconsidère simplement en apportant des éclaircissements, notamment en soulignant la différence d'avec la justice attributive qui est loin d'être un idéal de justice tel que l'envisage la justice comme équité. C'est pourquoi il souligne que la question de la justice distributive dans La Justice comme équité est la même que celle soulevée dans Théorie de la justice. Il s'agit de la manière dont les institutions sont gérées en vue du maintien de la coopération sociale, dans le temps48(*). Rawls oppose donc cette question de la justice distributive à la question de la justice attributive.

La question de la justice distributive est la suivante : comment doivent-être réparties les ressources ? À quel moment ou à quelles conditions est-il possible de parler de répartition juste ?

En ce qui concerne la justice attributive, comme l'indique l'adjectif attributive, cette forme de justice s'intéresse à l'attribution des biens aux personnes, autrement dit, comment un ensemble de biens doit t-il être distribué chez des individus différents à tous les niveaux, qui non seulement n'ont pas participé à la production des biens, mais dont les besoins et désirs sont reconnus et qui reçoivent leur bien par rapport à leurs besoins ? Pour comprendre le sens de « attributive », il paraît important de revenir à l'expression anglaise. Dans ses deux livres, Rawls parle de « allocative justice », que les traducteurs traduisent par « justice attributive ». Cette précision nous permet de comprendre que le vocable « attributive », chez Rawls se comprend par rapport à l'idée d'allocation. Il s'agit donc, dans ce type de justice, d'allocation ou d'assistance faite aux citoyens.

John Rawls estime que le premier problème de la justice distributive n'est pas d'allouer des biens, car la justice attributive s'applique lorsqu'il s'agit de répartir une quantité donnée des biens entre des individus définis, dont on connaît les désirs et les besoins. Avec la justice attributive, répartir les biens, selon les désirs et les besoins est naturel, parce qu'il n'existe pas au préalable des revendications sur les biens à distribuer. C'est pourquoi, en tant qu'elle attribue des biens selon les désirs et les besoins, la justice attributive tend vers l'efficacité. Partant de ce fait, Rawls pense que la conception attributive de la justice rejoint l'idée fondamentale de l'utilitarisme qui assimile la justice à l'altruisme et promeut la plus grande solde des satisfactions. Il apparaît clairement que cette vision utilitariste montre qu'il existe un critère indépendant pour juger toutes les répartitions, à savoir si elles produisent le plus grand bien pour le plus grand nombre. Les individus bénéficiaires de ces biens n'ont pas participé à leur production et ils ne font pas partie de la coopération sociale.

Telle qu'elle se présente, la justice attributive va à l'encontre de l'idéal rawlsien de la justice qui conçoit la société comme système équitable de coopération au cours du temps. Dans la mesure où, dans sa fonction, la justice attributive consiste à obtenir la satisfaction du plus grand nombre, en additionnant les satisfactions présentes et futures, elle se limite à la recherche du bien être pour les personnes dont les besoins et les désirs sont connus. Ce qui compte, c'est le bonheur du plus grand nombre, même s'il faille sacrifier les individualités. Or cette vision de la justice attributive adhère au principe d'utilité, tel qu'on le trouve chez certains théoriciens de la doctrine utilitariste, notamment Bentham et Sidgwick. En outre, comme le souligne Rawls dans l'introduction de Théorie de la justice, la théorie de la justice comme équité est une réponse à l'utilitarisme dominant. Plus précisément la critique de Rawls porte sur la conception utilitariste de la justice qui selon, lui, souffre d'une déficience majeure, parce que cette façon de considérer la justice, même si elle vise l'égalité d'un côté, sacrifie l'individu d'une part, puisqu'elle le considère, non plus comme une personne séparée dont les droits seraient inviolables, mais comme une personne dont la liberté et les droits peuvent être aliénés, pour le bien du plus grand nombre. Cette idée permet à Rawls de s'opposer à l'idée d'une justice attributive, car, s'appuyant sur le principe kantien49(*) selon lequel autrui ne peut être utilisé comme simple moyen pour arriver à nos fins, il écrit :

Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice qui, même au nom du bien être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressée. Pour cette raison, la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention par d'autres, d'un plus grand bien. Elle n'admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être compensés par l'augmentation dont jouit le plus grand nombre50(*).

Ainsi, selon John Rawls, la société ne peut se reposer sur une justice attributive, car cela irait contre l'esprit d'équité qui doit réglementer toute justice sociale, parce que les individus doivent tirer des avantages réciproques de leur coopération dans la structure de base. C'est pourquoi la justice distributive, en tant qu'elle s'accorde avec le principe fondamental de la liberté et parce qu'elle permet aux individus de vivre dans l'équité semble être la plus appropriée.

Ce refus de Rawls de mettre ensemble justice attributive et justice distributive s'explique aussi par le fait que, pour lui, « dans une société bien ordonnée, dans laquelle les libertés de base égales et l'égalité équitable des chances sont garanties, la distribution du revenu et de la richesse illustre ce que nous pouvons nommer la justice procédurale pure du contexte social »51(*). Ce qui signifie que, dans la distribution des biens, tous les citoyens sont ou doivent rester soumis aux règles de coopération qui ont été reconnues et acceptées par tous. C'est ce caractère publique des règles qui valide la distribution des biens en la reconnaissant comme étant juste et acceptable. Rien ne peut en effet être décidé en dehors des règles issues de la procédure, en dehors du contexte institutionnel, car il n'y a pas possibilité de parler de justice distributive, d'autant plus que tous les principes de la justice, dont la justice distributive, relève d'une justice procédurale pure. Pour aider à comprendre cette idée, Rawls la compare à deux formes de justice.

Premièrement, il parle de la justice procédurale parfaite qui s'illustre par un cas de partage équitable. Prenant l'exemple d'un gâteau qui doit être partagé entre des personnes dont celui qui est destiné à faire le partage est le dernier à se servir, Rawls souligne que ce dernier, en tant qu'il doit se servir en dernier est obligé de faire un partage équitable, espérant lui aussi obtenir une part égale à celle des autres. De cet exemple, Rawls tire la conclusion selon laquelle on retrouve dans la justice procédurale parfaite la présence d'un critère indépendant défini et existant avant la procédure ; de même il souligne dans ce cas d'espèce que la procédure donne le résultat attendu. Toutefois cela présuppose que celui qui est destiné à procéder au partage a une tendance à l'égalité, et qu'il désire la bonne part au point de la vouloir aussi pour les autres.

Deuxièmement, il s'agit de la justice procédurale imparfaite que John Rawls fait coïncider avec l'exemple d'un procès criminel. Selon Rawls, dans ce genre de cas, même lorsque la loi est prise comme référence, l'erreur n'est pas à écarter, parce qu'il est souvent plus facile pour un innocent d'être déclaré coupable que pour un meurtrier d'être déclaré coupable, surtout lorsque tous les faits sont à l'avantage de ce dernier. Cette erreur n'est pas toujours du ressort de l'humain, mais parfois elle est circonstancielle. C'est pourquoi, souligne Rawls, «  la caractéristique d'une justice procédurale imparfaite est que, alors qu'il y a un critère indépendant pour déterminer le résultat correct, il n'y a aucune procédure utilisable pour y parvenir en toute sûreté »52(*).

Après avoir ainsi distingué les deux types de justice procédurale, Rawls marque donc l'opposition qui existe entre eux et la justice procédurale pure qui est illustrée par la justice distributive.

Dans sa définition de la justice procédurale pure, Rawls écarte la dimension des critères indépendants présents dans les premières formes de justice procédurale. Les critères indépendants ne sont pas importants pour l'action publique, parce qu'ils glissent facilement dans le relativisme. À travers l'idée de justice procédurale pure, il montre la possibilité de trouver des critères objectifs pour guider la justice distributive. C'est ce qu'il souligne en ces termes : «  la justice procédurale pure s'exerce quand il n'y a pas de critère indépendant pour déterminer le résultat correct ; au lieu de cela, c'est une procédure correcte ou équitable qui détermine si un résultat est également correct ou équitable, quel qu'en soit le contenu, pourvu que la procédure ait été correctement appliquée »53(*).

Ainsi la justice procédurale pure qui ne fait pas appel à des critères indépendants, introduit l'idée de justice comme équité, parce qu'elle a, à son actif, l'assentiment des membres d'une société démocratique. Elle concerne les institutions de la structure de base, non pas les situations particulières de chaque membre, c'est pourquoi les distributions qui émanent d'elle sont considérées comme justes. Cette référence aux institutions signifie, pour John Rawls, qu'« il n'existe pas de critère de distribution en dehors du contexte institutionnel et des titres qui naissent du fonctionnement effectif de la procédure »54(*), car c'est le contexte institutionnel qui forme le « cadre de la coopération équitable », celui-ci étant issu lui-même d'un contrat équitable et, compatible avec l'idée de liberté, d'égalité, et de justification publique et qu'« elle s'adresse à la raison de chacun en garantissant les intérêts supérieurs de chacun aussi longtemps qu'ils sont compatible avec un respect égal pour autrui »55(*). Ce qui voudrait dire que la distribution ou répartition ne peut pas être pensé dans les institutions particulières où ce sont des situations singulières qui sont mise en avant. Ceci est l'apanage des institutions sociales qui assignent des droits et des devoirs fondamentaux en structurant la répartition des avantages et des charges qui découlent de la coopération sociale. D'où l'importance de tenir compte des trois piliers formant la procédure équitable : l'impartialité, la réciprocité et l'avantage mutuel. L'équité caractérise, donc, la procédure qui est appelée à conduire aux choix des principes, de façon unanime.

Rawls fait remarquer que l'expression « contexte institutionnel »56(*)  est introduit pour la première fois dans La justice comme équité. On ne le trouve nulle part dans Théorie de la justice. Cette expression, souligne Rawls, a pour fonction « d'indiquer que certaines règles doivent être intégrées dans la structure de base conçue comme un système de coopération sociale de manière à ce qu'il reste équitable au cours du temps, d'une génération à la suivante »57(*). Insistant sur la dimension du temps, Rawls y revient très souvent lorsqu'il avance que les principes de la justice ne sont pas choisis pour une période déterminée, mais pour toute la vie, car l'homme entre dans la société, par la naissance et n'y sort que par la mort; c'est pourquoi ces principes sont valables « d'une génération à la suivante »58(*). Le contexte institutionnel doit tenir compte de cette idée de l'avenir, parce que dans sa manière de fonctionner, il doit faire en sorte que les biens soient toujours à la disposition de tous les citoyens, et même des générations futures. Ce qui n'est possible que « grâce à des lois qui régissent le legs et l'héritage de propriété, et par d'autres procédés comme les impôts, de manière à empêcher les concentrations excessives de pouvoir privé »59(*). Cette idée souligne l'importance de décentraliser le pouvoir et de favoriser la coopération, parce que la concentration du pouvoir dans les mains d'une seule personne favorise la tyrannie.

Cette critique de la théorie de Rawls par lui-même, demeurant ouvert aux citriques qui lui ont été adressés, n'est-elle pas toutefois porteur, d'une évolution dans sa philosophie ? Question délicate, sur laquelle nous reviendrons dans la deuxième partie de ce mémoire, mais dont une prise de considération rigoureuse requiert qu'ait déjà pu être souligné quelques critiques externes venant d'autres auteurs.

* 47 Aristote, Ethique à Nicomaque, Richard Bodeüs (trad.), Paris, Editions Flammarion, 1994, Chapitre 4, Livre V.

* 48 Souligné par nous.

* 49 « Agis donc de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen », Emmanuel Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, Paris, Gallimard, Pléiade, « OEuvres philosophiques », tome 1, 1985, p. 295.

* 50 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., pp. 29-30.

* 51 Ibid., p. 79.

* 52 Ibid., pp. 117-118.

* 53 Ibid., p. 118.

* 54 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 79.

* 55 Catherine Audard, Qu'est-ce que le Libéralisme, op. cit., p. 434.

* 56 L'expression authentique est background qui signifie, en français, « milieu, contexte ou origine ».

* 57 John Rawls, La justice comme équité, op .cit., p. 80.

* 58 Ibid., p. 80.

* 59John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., pp. 317-318.

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"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote