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La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

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par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU
Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011
  

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Section 3. Critique nozickéenne de la conception rawlsienne de l'égalité des chances.

La critique de Nozick procède par objection. On remarquera que lorsqu'il veut critiquer une idée de Rawls, il reprend la notion ou l'idée rawlsienne en s'efforçant de donner un sens cohérent à son contenu, avant de présenter une réplique et puis de faire une proposition. Il s'étonne aussi quelques fois, lorsqu'il constate que Rawls n'a pas fait attention à telle ou telle autre limite contenue dans sa théorie. Concernant donc sa critique de l'égalité des chances, notamment de l'individu et de ses talents, Nozick commence par souligner que pour John Rawls,

la répartition actuelle des revenus et de la richesse est l'effet cumulatif de répartitions antérieures des atouts naturels - c'est-à-dire des talents et des dons naturels - en tant que ceux-ci ont été développés ou au contraire non réalisés, ainsi que leur utilisation, favorisée ou non dans le passé par des circonstances sociales ou des contingences bonnes ou mauvaises79(*).

Il démontre comment, en suivant l'idée contenue dans cette affirmation, Rawls écarte simplement du principe de l'égalité des chances l'idée de mérite, et, explique l'importance pour John Rawls de faire en sorte que les plus favorisés, par le biais de l'État, donnent aux pauvres une part de leur bien. Nozick est choqué par cette phrase de John Rawls: « le principe de différence représente, en réalité, un accord pour considérer la répartition des talents naturels comme une dotation commune et pour partager les bénéfices de cette répartition, quelque forme qu'elle prenne »80(*). Ici Rawls voudrait simplement démontrer que personne ne mérite les talents innés ni un point de départ dans la société. Position qui confirme son rejet du système des libertés naturelles, car cette façon de faire favorise l'arbitraire et donc les inégalités.

Reprenant cette idée, Nozick accorde que personne ne mérite ses talents, mais chacun en demeure propriétaire. Demander de les mettre à la disposition des autres constitue une violation de sa liberté et de son intégrité morale. Ce serait là, selon Nozick, considérer l'humain comme un instrument. Il en vient ainsi à considérer que Rawls justifierait là une injustice d'autant plus que, cette théorie, qui est contraire aux objectifs poursuivis, est essentiellement arbitraire. D'après Nozick, Rawls n'indique pas du tout comment les personnes ont choisi de développer leurs propres actifs naturels. À cette objection, il répond que Rawls n'en fait pas mention, probablement parce que « ces choix sont aussi considérés comme les produits de facteurs qui échappent au contrôle de la personne et qu'ils sont arbitraires d'un point de vue moral »81(*).

Cette idée de la manière dont les individus doivent s'organiser dans la société en utilisant leur actif naturel n'est pas explicitée dans les écrits de Rawls, car à voir de plus près, l'auteur de Théorie de la justice n'explique pas comment l'on peut mettre les qualités morales au service de la structure de base. Son argumentation fait offense à la dignité humaine, parce qu'en excluant l'idée de mérite et de respect des talents et dons innés, la théorie rawlsienne de la justice va à l'encontre de la conception de la dignité humaine laquelle est censée incarner le respect des droits, des devoirs et des libertés. Rawls considère qu'

Il y a dans le sens commun, une tendance à croire que le revenu et la richesse et les bonnes choses dans la vie, d'une manière générale, devraient êtres répartis en fonction du mérite moral. La justice, c'est le bonheur selon la vertu. Bien que l'on reconnaisse que cet idéal ne peut jamais être complètement réalisé, il passe pour être la conception correcte de la justice distributive, du moins comme première approximation, et la société devrait essayer de la réaliser, dans la mesure où les circonstances le permettent. Or la théorie de la justice comme équité rejette ce point de vue. Un tel principe ne serait pas choisi dans la position originelle82(*).

Nozick qui juge que la théorie de Rawls viole la liberté individuelle affirme à cet effet : « Ainsi dénigrer l'autonomie d'une personne et lui nier la responsabilité première de ses actions, c'est une voie douteuse pour une théorie qui souhaite par ailleurs conforter la dignité et le respect de soi des êtres humains; en particulier, pour une théorie qui se fonde à ce point sur le choix des personnes »83(*). Pour Nozick, Rawls remet ici en cause sa référence à Kant qui consiste à considérer la personne non pas comme moyen, mais comme une fin:

Chaque personne possède une inviolabilité fondée sur la justice, qui, même au nom du bien-être de l'ensemble de la société, ne peut être transgressé. Pour cette raison, la justice interdit que la perte de liberté de certains puisse être justifiée par l'obtention par d'autres d'un plus grand bien. Elle n'admet pas que les sacrifices imposés à un petit nombre puissent être compensés par l'augmentation des avantages dont jouit le plus grand nombre84(*).

On ne saurait, même pour des motifs moraux, justifier le sacrifice de certaines personnes au profit d'autres personnes. Selon lui, faire travailler les plus favorisés au bénéfice des moins favorisés conduit à considérer les premiers comme des instruments. C'est ce que nous pourrons ici nommer, l'utilitarisme de John Rawls, puisqu'en fin de compte, il reproche aux théories utilitaristes leur dimension sacrificielle, qui se permet de sacrifier quelques personnes pour le plaisir du plus grand nombre.

Suite à cette critique, Nozick pose la question suivante à Rawls: « Comment pouvez-vous à la fois adopter cette stratégie d'argumentation en faveur de vos principes de justice distributive et présenter votre théorie comme donnant la priorité au respect de la personne et de la liberté individuelle ? »85(*)? Le système rawlsien des principes de la justice affaiblit les dimensions d'autonomie et de responsabilité à l'égard des actes des êtres humains. De ce point de vue, il apparaît donc, selon Nozick, que les deux principes de justice de Rawls sont incohérents, car : « aucun acte de compensation morale ne peut avoir lieu entre nous ; une de nos vies ne peut peser d'un poids moindre que d'autres de manière à conduire à un bien social plus grand. Il n'y a pas de sacrifice justifié de certains d'entre nous au profit d'autres »86(*). Ainsi, Rawls, dans sa proposition, reprend plusieurs idées qu'il reproche aux utilitaristes : utilisation des talents individuels pour le bien des plus défavorisés, aliénation de leur liberté, considération des talents comme dotation collective.

Si, partant de l'objection de Nozick, il n'y a aucune réponse trouvée dans les écrits de Rawls, Nozick en déduit que le fondement même de la théorie de Rawls, sa justification première pose problème et confirme que pour lui, le seul système acceptable reste celui qui consiste à accepter le fait que les individus méritent leurs atouts naturels.

L'autre versant de la critique de l'égalité des chances que Nozick adresse à Rawls est celui des deux conséquences qui, selon lui, découlent directement du système rawlsien. La première conséquence consiste à obliger des individus d'un groupe à donner leur temps à un autre groupe. Nozick reproche à Rawls cette façon de faire, qui revient à ne pas tenir compte de l'avis de ceux qui donneront de leur temps. La deuxième conséquence demande à ceux qui travaillent de se priver des dépenses prévues pour leur détente afin de le donner aux nécessiteux.

Nozick estime que ces deux conséquences sont de nature injuste, parce que prendre les gains d'une personne donnée pour les transférer à une autre personne, est une forme d'injustice. Par exemple, pour Nozick, prendre le salaire des heures d'une personne équivaut à prendre les heures de cette personne. Il n'y a pas, selon lui, d'autres comparaisons de ce genre de travail où l'on travaille pour les autres, que la comparaison des « travaux forcés »87(*). C'est pourquoi il considère qu'il est injuste de prendre sur les heures des personnes qui donnent de leur temps pour travailler et de donner cela à ceux qui sont dans le besoin. Il y a des personnes qui, bien que leur quota d'heures soit établi, travaillent pendant des heures supplémentaires pour pouvoir financer des bonnes vacances ou un bon souvenir. Nozick se demande si une inégalité qui naîtrait de ce type de situation serait une offense.

Comme à son habitude, Nozick pose une question au sujet de la deuxième conséquence : « Pourquoi l'homme qui préfère voir un film (et qui doit gagner de l'argent pour se payer le billet d'entrée) devrait-il être ouvert à cet appel requis pour aider les nécessiteux, alors que la personne qui préfère regarder le coucher du soleil (et donc n'a pas besoin de gagner de l'argent supplémentaire) ne l'est pas ? »88(*). Selon Nozick, le deuxième principe de John Rawls pénalise des personnes pouvant satisfaire leur plaisir, de même qu'il les oblige à prendre en compte la misère des personnes les moins favorisées.

Suite à cette critique, il faut noter que Nozick propose des principes de la justice qu'il juge utiles et nécessaires pour l'organisation d'une société. Le premier, c'est le principe d'appropriation originelle qui stipule qu'« une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice concernant l'acquisition est habilitée à cette possession »89(*). Ce principe signifie que chacun peut s'approprier des choses qui n'appartenaient à personne à l'origine. C'est un principe qui est soumis à la condition selon laquelle il reste assez aux autres personnes pour leur propre usage. Ce qui veut dire que lorsqu'il y a une seule chose pour tout le monde, je ne peux me l'approprier. Par contre s'il y en a plusieurs et que cela n'appartient à personne, je peux m'en approprier. Mais par exemple « je ne peux m'approprier le seul puits creusé dans le désert. Cela étant, si les puits des autres personnes s'assèchent par manque de soins et que seul reste le mien, alors, j'en suis légitimement propriétaire ». Pour Nozick, cela signifie que « chacun peut se servir pourvu que le bien-être d'autrui ne s'en trouve pas détérioré »90(*).

Le second principe c'est le principe de transfert qui souligne qu' « une personne qui acquiert une possession en accord avec le principe de justice gouvernant les transferts, de la part de quelqu'un d'autre habilité à cette possession, est habilitée à cette possession »91(*). Ce qui signifie qu'on peut devenir propriétaire légitime d'une chose ou d'une action par entente volontaire avec l'ancien propriétaire légitime. Pourtant Nozick est conscient que ces deux principes soulèvent une objection qui ne fait pas correspondre la distribution réelle du monde avec la mise en pratique des principes. C'est de cette objection que découlera le troisième principe qui stipule que « nul n'est habilité à une possession si ce n'est par application (répétée) des deux premières propositions »92(*). C'est le principe de rectification des violations des deux premiers principes. Par exemple: Un homme possède un terrain. Le principe 1 (d'acquisition originelle) explique comment le bien en question est entré en la possession de l'homme. Le principe 2 (de transfert) lui signifie qu'il est libre de procéder à toute transaction qui l'agrée concernant ce terrain. Le principe 3 (rectification des violations) lui dit ce qu'il faut faire en cas de violation des principes 1 et 293(*).

Ainsi, considérés ensemble, les trois principes « impliquent que si les avoirs des individus sont justement acquis, alors la formule d'une juste distribution est la suivante : From each as they choose, to each as they are choosen ; formule qu'on pourrait traduire par : De chacun selon ses préférences, à chacun selon ses dotations initiales »94(*). Cette logique, parce qu'elle concerne les transactions et les transferts, permet de produire un tissu social raisonnable. Ce n'est qu'en laissant un espace de liberté à l'individu qu'il peut, selon la logique de l'intérêt individuel, constituer un tissu social. Chacun donne selon son bon vouloir.

* 79 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 103.

* 80 Ibid., p. 132.

* 81 Robert Nozick, op. cit., p. 265.

* 82 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., p. 348.

* 83 Robert Nozick, op. cit., p. 265.

* 84 John Rawls, Théorie de la justice, op. cit., pp. 3-4.

* 85 Véronique Munoz Darde, La Justice sociale, Le libéralisme égalitaire de John Rawls, Paris, Fernand Nathan, coll. philosophie, 2000, p. 103.

* 86 Robert Nozick, op. cit., p. 33.

* 87 Ibid., p. 211.

* 88 Ibid., p. 212.

* 89 Ibid., p. 189.

* 90 Philippe Van Parijs, « Rawls face aux libertariens », dans Catherine Audard (dir.), Individu et justice sociale, Paris, Éd. du Seuil, coll. Points-politique, 1988, p. 207.

* 91 Robert Nozick, op. cit., p. 189.

* 92 Ibid., p.189.

* 93 Will Kymlicka, Les Théories de la justice, (Contemporary Political Philosophy), Marc Saint-Upéry (trad.), Paris, La Découverte, 2001, p. 111.

* 94 Ibid.

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