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La représentation de l'Afrique et des Africains dans les écrits d'un missionnaire poitevin. Le père Joseph Auzanneau à  Kibouendé (Congo français) 1926-1941

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par Josué Muscadin
Université de Poiters - Master 1 2011
  

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DEUXIEME PARTIE:

L'AFRIQUE ET LES AFRICAINS : IMAGE D'UN CONTINENT DANS LA CULTURE
OCCIDENTALE ET SON REFLET DANS LES ECRITS DU PERE AUZANNEAU

Chapitre IV

LA CONSTRUCTION DE L'IMAGE DE L'HOMME NOIR DANS

L'IMAGINAIRE FRANCAIS

La représentation des Noirs dans l'imaginaire des Européens a une histoire. Ce chapitre, sans vouloir reprendre cette histoire qui, somme toute, est assez connue, se propose d'étudier assez brièvement le mécanisme d'élaboration de cette image en remontant des origines jusqu'au siècle des Lumières.

A- Le Nègre dans la pensée médiévale

Au cours du Moyen Age, la connaissance de l'Europe sur l'Afrique était fort confuse. On ne connaissait pas À ou à peine À ce continent pourtant si proche. Ce qu'on disposait sur l'Afrique en termes de connaissance était des éléments géographiques et anthropologiques rudimentaires et souvent légendaires. Les rares sources d'information sur le sujet remontaient aux écrits d'Hérodote, du cinquième siècle avant Jésus-Christ, et surtout à ceux laissés par Pline l'Ancien, au premier siècle de notre ère.

Hérodote, après avoir fait de nombreux voyages à travers la Grèce, l'Egypte et l'Asie mineure, présenta les Africains comme des êtres se nourrissant de locustes et de serpents, pratiquant le partage des épouses et communicant non à l'aide d'un langage humain, mais de « cris aigus comme des chauves-souris109. » Selon le grand historien grec, considéré comme le père de l'Histoire, habitaient en Afrique les animaux sauvages ainsi que des cynocéphales et des acéphales. Les descriptions de Pline ne sont pas différentes de celles de son prédécesseur. Solinus partage cette vision de l'Afrique avec ses lecteurs du Moyen Age. Pour lui, les

109 HERODOTE, Histoire, Paris, 1949, t.4, cité dans COHEN, William B., Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs. 1530-1880. p. 22

Garamantes110 possèdent leurs femmes en commun ; les Cynamolgies ressemblent à des chiens avec leurs « longs museaux » alors que d'autres sont dépourvus de nez, de bouche ou même de langue111.

S'ils restent limités, les textes de l'époque s'accordaient néanmoins à présenter une Afrique fantastique où l'on pouvait rencontrer les êtres les plus incroyables et les plus divers. Les Africains, tels qu'on les imaginait, étaient des monstres. Ce sont des êtres sortis des cauchemars. Selon des légendes, ils furent des Cyclopes de plusieurs mètres de hauteur, des unijambistes, d'autres ont des cornes au front, des queues au bas du dos, certains n'ont qu'un oeil au milieu de la poitrine, d'autres sans tête, on en connait même qui changent périodiquement de sexe112.

Cette description imaginée de l'Afrique concorde au sens donné à l'adjectif noir qui remonte, parait-t-il, aux origines même du langage. Le noir évoque la terreur, les ténèbres, l'obscurité, la tristesse, le malheur ; il signifie méchant, mauvais, impur, tout ce qui est contraire au bien, mais aussi au blanc qui, lui, renvoie à la lumière tout ce qui est pur, juste, parfait...113 Le noir est assimilé à la nuit, aux forces du mal. C'est la couleur de la faute et de la saleté114. Ignacy Schas dans un article remarque ce qui suit : « Il [le noir] personnifiera même, dans les traditions populaires, le diable quoique à la suite des invasions mongole, l'enfer gothique ait été peuplé de monstres d'inspirations orientales115. »

110 Les Garamantes étaient un ancien peuple libyco-berbère qui nomadisait, depuis le IIIe millénaire avant notre ère, entre la Libye et l'Atlas plus particulièrement autour des oasis de Djerma (nom moderne de leur capitale, Garama) et de Mourzouk. Leur nom signifierait « les gens de la cité ». Ils faisaient partie de cet ensemble de populations à peau sombre qui se distinguent des négroïdes soudanais et des blancs méditerranéens. Il est probable qu'ils auraient été encore plus au Sud, jusqu'au fleuve Niger et la région de Gao

111 SOLINUS, Caius Julius, The excellent and pleasant work. Londres, 1957 chap. 42 Cité dans COHEN, William B. Op. cit., p. 22

112 Cette description, on la doit à HOFFMAN, Léon-François, Le nègre romantique. Personnage littéraire et obsession collective, Payot, Paris, 1979, p. 16

113 Grand Larousse encyclopédique t. 7 p. 794

114 ECHE, Antoine, « L'image ethnographique africaine de l'Histoire générale des voyages » in L'Afrique du siècle des Lumières, savoirs et représentations pp. 207-222

115 SCHAS, Ignacy, « L'image du Noir dans l'art européen ». in Annales. Economie, Société, Civilisation. 24e Année, N°4, 1969, pp. 883-893

La tradition chrétienne renforce cette idée en associant à la couleur noire la représentation du péché et de la malédiction divine. Etre noir est horrible et révoltant. Saint Benoit de Palerme supplia Dieu de le rendre hideux afin qu'il ne succombât aux femmes. Dieu l'a entendu et le transforma en Noir et c'est ainsi qu'il devient saint Benoit le Maure116. Au Moyen-Age, les expressions « le grand cavalier noir », « le grand nègre » étaient des périphrases pour parler de Satan dans les milieux chrétiens de l'époque.

Dans cette caractérisation du Nègre précédemment présentée, Léon-François Hoffman se rend compte d'une imprécision :

« Le Moyen Age ne différenciait guère les Arabes des Noirs. Le mot nègre, d'origine ibérique, n'est d'ailleurs pas attesté en français avant 1516, et c'est dans le récit de voyage de Parmentier, que l'on signale son apparition. Le mot est rare jusqu'au XVIIIe siècle. Jusque-là, on se contentait de Maure, Africain, éthiopien, adjectifs purement géographique, ou d'hommes neirs, adjectif descriptif qui n'est pas explicitement péjoratif117

Cette confusion va jusqu'à assimiler sous le méme vocable d'Afrique Noire, les PeauxRouges des Indes Occidentales nouvellement découvertes.

Dans cet ouvrage consacré à l'image du Nègre dans la littérature romantique, Léon François Hoffman soutient que si la vision du Nègre dans la littérature médiévale a été négative, elle n'avait pas pour base le préjugé de couleur qui est l'apanage des temps modernes. « L'Hellène se considérait certes supérieure au barbare, le civis romanus à celui qui l'était pas, mais l'infériorité des Cycambres, des Perses ou des Ethiopiens était culturelle et non pas raciale. 118 » Et méme si l'on peut commencer à remarquer un certain embryon de racisme chez certains penseurs grecs qui cherchaient à justifier par la biologie la distinction de caste ou de classe, la « conscience collective » de l'Antiquité n'a pas été totalement atteinte.

Url : http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1969_num_24_4_422144 Consulté le 05 février 2011

116 COHEN, B. William, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880. p 38

117 HOFFMAN, Léon-François, Op. cit., p. 20

118 Ibid. p. 2

Toutefois, dans la Chanson de Roland, l'auteur évoque l'image des Nigres qui composaient les troupes de l'Islam en parlant de Carthage, Garmalie et Ethiopie comme étant une terre maudite ; il fait une très brève description des habitants : « Leurs nez sont grands, leurs oreilles larges... » Encore, nous dit Hoffman, c'est image n'est pas à assimiler à un préjugé de couleur ni de race, puisque Jehan Bodel emploie tout naturellement la même image en décrivant un des protagonistes de la Chanson des Saisnes, écrit un siècle plus tard.

Mais, dans l'ensemble, l'on est en présence d'une image purement négative des Noirs fondée sur des a priori que l'on ne cherche pas forcément à vérifier. Cette représentation que l'on se fait du monde noir est partagée voire légitimée par l'Eglise qui véhicule le mythe de la malédiction de Cham qui proviendrait, selon Alphonse Quenum119, des spéculations rabbiniques très anciennes du IIIe au ye siècle. Ce mythe constitue même le fondement biblique du racisme, car il fait de Cham, l'ancêtre des Noirs, le maudit, qui devra être le serviteur de ses frères Blancs, donc inférieur à eux. Le fils de Cham, Chanaan, est le père de Kush dont descendent les Ethiopiens120.

Ainsi est présenté le récit de la malédiction de Cham :

« Noé commença à cultiver la terre, et planta de la vigne. Il but du vin, s'enivra, et se découvrit au milieu de sa tente. Cham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et il le rapporta dehors à ses deux frères. Alors Sem et Japhet prirent le manteau, le mirent sur leurs épaules, marchèrent à reculons, et couvrirent la nudité de leur père ; comme leur visage était détourné, ils ne virent point la nudité de leur père. Lorsque Noé se réveilla de son vin, il apprit ce que lui avait fait son fils cadet. Ft il dit : Maudit soit Canaan ! Qu'il soit l'esclave des esclaves de ses frères ! Il dit encore : Béni soit l'Éternel, Dieu de Sem, et que Canaan soit leur esclave ! Que Dieu étende les possessions de Japhet, qu'il habite dans les tentes de Sem, et que Canaan soit leur esclave ! 121 »

Il n'est pas question ici de montrer le coté erroné de cette interprétation auquel plusieurs ouvrages et articles sont consacrés.122 Mais, il est intéressant de remarquer que si l'explication est faussée, le mythe chamitique arrive toutefois à être largement diffusé au point de devenir

119 QUENUM, Alphonse, Les Eglises chrétiennes et la traite atlantique du XVème au XIXème siècle. p. 31

120 Cette descendance semble très douteuse par certains auteurs dont Alphonse Quenum.

121 Genèse 9, 20 à 27, version Louis Segond, 1910

122 Citons par exemple : LECUYER, J. « Libermann et la malédiction de Cham. » dans Libermann de Paul Brasseur et Paul Coulon. Le Cerf, pp 327, 362, 552 et QUENUM, Alphonse. Op cit.

une vraie doctrine traditionnelle. A noter que ce mythe servait aussi à justifier les trois ordres de la société médiévale en attribuant à la noblesse la descendance de Japhet, aux clercs Sem et aux serfs Cham. L'importance accordée à ce récit est telle qu'il arrive à modeler même les comportements de grands missionnaires tout au long du XVIIIe et XIXe siècle. On retrouve cette malédiction noarchique sur les lèvres et dans les écrits de plusieurs généreux fondateurs d'ordre missionnaire en évoquant sans cesse le sort des enfants infortunés de Cham auxquels ils devaient apporter le salut en Afrique noire123. Qu'est-ce qui a pu donc favoriser cette diffusion ? A. Quenum attribue le succès de cette exégèse à la fonction même qui lui était attribuée : légitimer la traite des nègres. Pour Hoffman124, elle était nécessaire pour résoudre le problème de la couleur des Noirs, énigme de l'époque. Les théologiens considéraient la noirceur des Africains comme signe d'une malédiction divine. On pourrait ajouter à cette explication, le besoin pour l'Occident de trouver un fondement à sa prétention de supériorité justifiant ainsi sa « mission civilisatrice » dans laquelle les missionnaires allaient jouer un rôle majeur.

Toutefois, dès le XVIe siècle, on commence par remettre en question cette explication de la couleur des Noirs qui parait trop métaphysique. Jean Bodin dès 1572, commence à se montrer très sceptique par rapport à cette théorie : « J'ai peine à croire l'opinion que nous transmet certain docteur, que ces hommes soient devenus noirs pas la malédiction de Cham125. » Face à ce doute qui commence à gagner les esprits des gens, il fallait trouver à la couleur des Nègres et à son infériorisation À les deux étant liées - d'autres explications ayant au moins une apparence scientifique, mais qui sont tout aussi fausses.

Certains pensent que ce serait l'action de la chaleur du soleil qui noircit l'épiderme : un Africain émigrant en zone tempérée aurait peu à peu la peau blanchit ; le Blanc subirait l'action inverse après un long séjour en Afrique. A cette époque le recrutement des marins pour les mers du sud était difficile, ces derniers craignaient de voir leur peau devenir noire sous les rayons du soleil126. D'autres associent la couleur des Noirs à l'humidité ambiante, à

123QUENUM, Alphonse, Op cit., p. 33

124 HOFFMAN, Léon, Op. cit., p. 46

125 BODIN, Jean, La Méthode de l'Histoire, p. 70. Cité dans HOFFMAN, Op. cit., p. 47

126 COHEN, B. William, Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs 1530-1880. p32

l'excès de sécrétion biliaire, à l'usage de certains aliments127. Ils vont même jusqu'à penser qu'en enduisant leur corps de peinture noire pendant leur grossesse, les Africaines déterminent la couleur de leurs enfants. Cette explication par le milieu naturel aurait affirmé normalement qu'il y a une égalité entre les races, ne serait-ce qu'en théorie. Elle est défendue par les monogénistes pour qui l'humanité serait issue d'un seul couple géniteur. Les différences physiques ne seraient alors que le résultat des facteurs externes venant du milieu. Les polygénistes, quant à eux, pensent qu'il y aurait une origine séparée des races, ce qui exclurait toutes affinités, toutes parentés entre elles.

Tous ces débats sur la couleur de l'épiderme du Noir montrent que pour les Européens, cette caractéristique du Nègre est anormale, puisqu'ils ne manifestent pas autant d'intérêt pour la leur considérée comme étant la « norme ». Expliquer la noirceur des Africains par l'influence du milieu revient à dire qu'à l'origine tout le monde était blanc, l'homme est créé blanc et que le Noir est une déchéance du prototype humain qui est l'homme blanc. Cette dégénération exprimée dans la couleur de l'Africain affecte, selon certains, ses capacités intellectuelles, mais aussi sa physionomie ; d'oü une explication des traits négroïdes128. Ces discours n'ont pour finalité que de prouver que le Noir est inférieur au Blanc. Hoffman cite Jean Meckel qui, après avoir disséqué deux Noirs, arrive à la conclusion que le sang du Noir est différent de celui du Blanc, montrant ainsi que ce dernier appartient à une autre espèce. Idée qui sera développée et systématisée plus tard par les racistes pseudo-scientifiques. On y reviendra.

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