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Ethique et démocratie: les cas américain et français

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par Pathé DIOP
Faculté de Lille 2  - DEA de science politique 2003
  

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2. La tendance actuelle de la démocratie américaine

La démocratie américaine est à la fois marquée par une tradition sociale et une configuration politique qui la rendent singulière. D'abord terre d'immigration, elle a accueilli des millions d'êtres humains venus d'horizon divers : des européens, et surtout des Anglais, qui, fuyant l'oppression d'un pouvoir tyrannique, venaient y découvrir la liberté, des noirs qui s'étaient fait venir pour assurer la culture des plantations et des individus du continent américain (du sud), d'Asie et d'Afrique qui venaient, et qui viennent jusqu'à présent, pour y trouver des conditions de vie meilleures. Il ne faut pas non plus oublier les Juifs européens qui, juste avant la seconde guerre mondiale, fuyaient l'oppression des régimes antisémitistes.

Les vagues d'immigration successives qui peuplèrent et qui peuplent jusqu'à présent les Etats-Unis témoignent bien de la diversité sociale. La société ne constitue pas une unité religieusement, linguistiquement et culturellement homogènes bien que, politiquement, cette unité soit prétendue dans la Constitution américaine dans les termes suivants : « Nous le peuple des Etats-Unis ». Cette construction politique d'un peuple-un et le refoulement des différences sociales rappellent à bien des égards la construction de la République française dont nous avons fait mention plus haut.

Sur le plan politique, les Américains disposent d'une Constitution qui résiste aux convulsions de l'histoire, autrement dit une Constitution qui n'a pas connu des

modifications si ce ne sont des amendements adoptés pour répondre à des questions politiques et sociales particulières.

L'Amérique(les Etats-Unis) est le plus souvent

présentée comme un pays neuf « sans histoire » ; d'elle il est souvent dit qu'elle « exorcise la question de l'origine, elle ne cultive pas d'origine ou d'authenticité mythique, elle n'a pas de passé ni de vérité fondatrice [...] elle vit dans une actualité perpétuelle103 ». Considérer les Etats-Unis en ces termes nous semble assez peu maladroit vu le statut qui est donné à la Constitution fédérale du 17 septembre 1787. Cette date, en se tenant comme l'an zéro de la fédération américaine, mythifie d'autant les Etats-Unis qu'elle pose la Constitution écrite correspondant comme le symbole. D'où une sacralisation de ce texte « achevé » qui, pour les Américains, a déjà tout dit et est ainsi la mesure de toutes choses.

Cette constitution écrite des Etats-Unis, la plus vielle du monde, demeure la référence pratico-politique de la fédération, car toutes les mesures politiques, voire extra et infra-politiques, seront adoptées à travers une herméneutique jurisprudentielle de ce texte « sacré ».

2.1 Du melting-pot au salad-bowl

« L'universalisme américain incarné par les grands textes fondateurs : la déclaration d'indépendance, la Constitution fédérale, les amendements égalitaires de l'après-guerre de Sécession104 » était destiné à la création d'une identité nationale qui exclurait toutes les différences sociales,

103 Baudrillard, Jean, Amérique, Grasset, 1986, p. 151 cité par Denis Lacorne in L'invention de la république, le modèle américain, Paris, Hachette, 1991, p. 11

culturelles et religieuses. Cette création d'une identité américaine répondait à une crainte sentie par Madison dès le fédéraliste n° 10. ce dernier pensait qu'une République qui est fondée ou qui permettrait la cohabitation des différences risquerait de générer à coup sûr des factions pouvant compromettre l'idéal républicain.

Or, étant donné que les Etats-Unis sont « factuellement » habités par une diversité de tout genre, consécutive aux vagues d'immigrations d'origines différentes, l'idéal républicain d'une unité nationale ne pouvait pas faire fi de cette réalité sociale. La nécessité politique de production d'une identité nationale devait alors tenir en compte de cette diversité. C'est ainsi que des mesures politiques ont été imaginées et mises en application pour inhumer ces différences dans un cadre qui, effaçant les altérités, créerait une identité américaine homogène.

Le concept de melting-pot (qui signifie chaudière à fusion) était la métaphore politique jugée la plus appropriée afin de répondre à l'idéal des Pères fondateurs d'une homogénéisation des différences ; il consistait vraiment en une « occidentalisation » parfaite des diversités ethniques (ou raciales) qui composaient les Etats-Unis.

Le melting-pot est un uniculturalisme centralisé dont le modèle culturel occidental demeure le référentiel. Il vise à l'endiguement des cultures (jugées sous-culturelles) et à la promotion d'une culture unique dont les principes et règles doivent s'imposer à tout le monde, sans exception. C'est l'Etat qui est le principal promoteur de cette culture ; il en assure la promotion à travers les différents média (canaux)

104 Denis Lacorne, La crise de l'identité américaine, du melting-pot au multiculturalisme, Paris, Fayard, 1997, p. 23

dont il est le détenteur : la télé, la radio, les journaux et, surtout l'enseignement. Ces « appareils idéologiques d'Etat », pour reprendre les termes de Louis Althusser, qui véhiculent une culture commune calquée sur celle occidentale essaie d'y socialiser les individus afin que ces derniers acquissent des comportements et habitudes occidentaux.

Il suffit de bien regarder les programmes scolaires et universitaires du système d'enseignement public américain (d'avant les années 1990) pour bien se convaincre de cette politique et volonté d' « occidentalisation » des individus

appartenant à des cultures différentes. Par exemple, l'histoire et la littérature enseignées aux « américains » tiennent leurs références aux canons de la longue et récente tradition historique et littéraire européennes, il n'y a aucune part accordée ni à l'histoire des minorités ni à sa littérature. Celles-ci sont reléguées au second plan et considérées comme inappropriées pour servir à la socialisation politique du « bon citoyen américain » dont le modèle typique est le white-anglo-saxon-protestant ( WASP). L'Américain est, comme disait Crévecoeur, un célèbre cultivateur français, établi au nord de l'Etat de New York « l'homme qui, après avoir été adopté par notre mère patrie, abandonne la plupart de ses anciens préjugés, qui, devenu conscient de son bonheur, remplit son coeur de reconnaissance envers Dieu, envers sa patrie adoptive, qui devient actif et laborieux ; tel est le véritable Américain.105 »

Cette politique d'absorption des différences ou

d'assimilation est à la fois une négation et une dénégation des cultures non-européennes. Elle compromet ainsi les principes de liberté, d'égalité et d'autonomie consubstantiels à la démocratie libérale.

105 Ibid, p. 195

La politique du melting-pot des années 1970 et 1980 a été contestée par beaucoup de personnes dont des universitaires américains qui pensaient que c'était, d'une part, une fiction politique qui ne reflétait guère la réalité sociale des EtatsUnis, d'autre part, une utopie qui tait ses ambitions dominatrices. Ce concept est jugé trop simple et pour décréter une unité imparfaite de la fédération américaine, dans toutes ses facettes. La réalité sociale américaine est trop complexe pour se laisser mystifier par le seul concept de melting-pot. Neil Rudenstein, président de l'université de Harvard illustre bien cet état de fait dans son discours de fin d'année 1993 : « Donc, la réalité de l'unité ou de la diversité américaine n'est pas quelque chose de simple. Tous nos efforts pour trouver une métaphore ou une phrase courte pour décrire nos aspirations ou notre expérience nationale restent inadéquats, même s'ils saisissent une part de vérité. Nous sommes un melting-pot, mais aussi une nation d'individus libres, égaux et uniques ; une mosaïque de cultures et de groupes différents ; un assemblage de cinquante Etats ; une nation une et ?indivisible? ; une ?coalition arc-en-ciel? ; une Nouvelle Frontière ou une Nouvelle Société en expansion continue ; un site où s'opposent les factions [diversité] par Madison ; un pays d'opportunités [ land of opportunity] pour ceux qui ont le désir et la volonté de réussir ; une foule solitaire ; un agrégat enfin de communautés ethniques ou raciales qui forment des clans. Manifestement, notre quête nationale d'une définition commune reste l'un des grands dilemmes non résolus de l'Amérique106. »

Les années 1990 inaugurent une nouvelle conception épistémologique, sociale, politique de la société américaine. Celle-ci est désormais pensée, non pas en refoulant les

différences, mais en en tenant bien compte. Le concept de salad-bowl , inventé par le professeur Meltzoff en 1995, est ainsi celui qui permet de penser dorénavant l'état de la société fédérale. Il dit à ce propos que « le salad-bowl (? saladier? ) est la métaphore la plus adéquate pour décrire l'Amérique moderne et que le vieux concept de melting-pot ne correspond plus à une réalité tangible.107 »

Le salad-bowl qui signifie littéralement salade composée est une forme de célébration de la différence et de la diversité, sa « pédagogie...consiste à vanter les mérites des victimes [ du melting-pot], à préserver ou à retrouver leur héritage culturel et à défendre leurs intérêts contre l'?hégémonie? politico-culturelle des Euro-Américains. » L'Américain ou le bon citoyen n'est plus cet individu qui abandonne la plupart de ses préjugés pour se fondre ou s'assimiler à une culture unique euro-américaine, mais il devient fondamentalement de « trait d'union » pour parler comme Walzer, c'est-à-dire « américano- ...108 »

L'originalité du salad-bowl consiste au fait qu'il participe même de la démocratie libérale en encourageant le communautarisme ou le multiculturalisme, autrement dit, il met les individus à même d'exprimer concrètement leur liberté en leur permettant de se situer dans des communautés déterminées développant une conception particulière du bien. Les communautés de valeurs sont, comme les personnes, pourvues des fondamentaux de liberté, d'égalité leur permettant de se tenir ou se comporter en tant qu'entités autonomes par la revendication politique de ces dits fondamentaux. L'exigence de reconnaissance des valeurs définissant les communautés est

106 Ibid, p. 22

107 Ibid, p. 243

108 Michael Walzer, Traité sur la tolérance, Gallimard, p. 143

dès lors orientée « vers la reconnaissance des besoins spécifiques des individus comme membres de groupes culturels spécifiques.109 »

La reconnaissance politique et sociale des communautés de valeurs entraîne avec elle le respect (Rockefeller) ou la tolérance (Walzer), lesquels pourront être les remèdes des virtuelles pathologies qui pourront affecter les factions tant décriées par Madison. Les communautés de valeurs sont alors porteuses d'éthiques (sociales) qui pourraient entrer en conflit avec les valeurs suprêmes de la morale politique inscrite dans la Constitution.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus