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Ethique et démocratie: les cas américain et français

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par Pathé DIOP
Faculté de Lille 2  - DEA de science politique 2003
  

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3.2 La fiction d'un peuple Un ou le refoulement des différences sociales

Tout comme ce fut le cas des Etats-Unis, la création de la République en France était présidée par des débats théoriques

Press, 1992, p. 109-142, traduit de l'anglais par Muriel Valenta dans Hermès 31, 2001.

dont l'enjeu consistait à savoir comment il fallait faire pour fonder un mode de gouvernement qui, sinon gommerait, du moins réduirait les inégalités fondées sur la stratification sociale de l'Ancien Régime, comment tempérer le pouvoir absolu du roi, par quels moyens résoudre la tension entre l'Un est le multiple c'est-à-dire le politique et le social.

Toute cette pléthore d'interrogations ainsi soulevées s'inscrit dans ce mouvement que l'on appelle la Révolution française et survient en permanence, sous d'autres formes, dans les débats politiques accompagnant la démocratisation française. Mais la question la plus fondamentale était celle qui consistait en la résolution de la tension entre le politique et le social, car sa réponse ou sa non-réponse déterminait sans doute le destin des autres.

Toute la préoccupation révolutionnaire était d'éviter la reproduction de l'esprit de corps, caractéristique de la société d'Ancien Régime, dans la nouvelle société française moderne. Pour ce faire, les révolutionnaires pensaient qu'il serait mieux de fonder la nouvelle forme de gouvernement, la République, sur de nouvelles bases qui empêcheraient la résurgence des ordres alors réifiés. Etant donné que l'ordre politique était « de droit divin c'est-à-dire qu'il n'est pas issu d'un accord consenti des hommes, mais de la reconnaissance unanime d'une hiérarchie voulue par Dieu69 », les révolutionnaires ont cependant estimé que le pouvoir doit descendre « sur terre à hauteur des hommes70 » et que la souveraineté doit désormais revenir à cette « association

68 Alexis de Tocqueville, op. cit., p. 62

69 François Furet et Denis Ruchet, La révolution française, Paris, Hachette, 1963, p. 17

70 Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, Paris, Gallimard, 1998, p. 12

volontaire d'individus71» qu'est le peuple. C'est en effet sur ce nouveau principe philosophique de peuple que sera fondée la démocratie représentative française.

L'idée de peuple fut une fiction dont l'un des buts était de déléguer la souveraineté à un corps politique homogène : la nation. Ces deux termes à savoir le peuple et la nation désignent « une totalité homogène et complète, comprise comme une antithèse parfaite de la société de corps.72 » Le principe d'indivisibilité de la République résulte ainsi de l'affirmation de la nation comme sujet de la souveraineté et s'inscrit dans la Convention du 25 septembre 1792 en ces termes : « La République française est une et indivisible.73 » Cette unité de la République ne se réduit pas seulement au niveau de la population, mais elle est également d'ordre territorial et est reprise dans toutes Constitutions adoptées par la France depuis la Révolution.

Cette construction d'une unité tant géographique que « populationnelle » présidant à ce qu'on appelle l'universalisme français (la conception française de la République) est à la fois une façon d'apostasier et de refouler la réalité sociale au nom de principes philosophiques - de nation et de peuple- dépourvus de toute substance sociale. Le besoin politique de refouler le social ne garantit point l'effacement éternel des différences ; celles-ci resurgissent néanmoins grâce aux revendications qu'ont menées les ouvriers afin de s'assurer d'une représentation politique digne de leurs conditions, basée sur le principe d'une égalité politique entre les citoyens.

71 Marc-Olivier Padis, Marcel Gauchet, la genèse de la démocratie, Paris,

Michalon, 1996, p. 27

72 Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable, Paris, Gallimard, 1998, p. 35

73 Gérard Marcou, « Le principe d'indivisibilité de la République » in Pouvoirs, Revue française d'études constitutionnelles et politiques n° 100 p. 45

Les ouvriers ont pensé que la représentation unique que soutenaient les républicains avait un contenu plutôt idéologique que réelle, parce qu'elle était conçue par les bourgeois en leurs faveurs et au détriment des classes laborieuses. Selon les ouvriers toujours les notions d'un « peuple-un », d'un « peuple-tout », d'un « peuple-nation74 » et d'une représentation unique n'étaient que des fictions qui camouflaient la réalité sociale. Celle-ci n'étant, estimaientils, rien d'autre qu'un tissu traversé par une division de deux classes antagonistes l'une de l'autre et aux intérêts opposés - la bourgeoisie et le prolétariat-, si bien que seule une conception d'une représentation qui tiendrait compte des différences sociales et de conditions restaient la seule vraie.

Une représentation ouvrière séparée est revendiquée pour la première fois, en 1863, par ce que l'on appelle le Manifeste des Soixante, lequel dénonçait la « malreprésentation » ouvrière et la fait dériver du piège que recelait l'abstraction démocratique ; ils disaient à cet égard que « l'avènement du suffrage universel instaure, en effet, une égalité problématique sous les espèces de la citoyenneté : elle donne un poids égal à tous les individus en même temps qu'elle tend à nier leurs différences.75 » Cette revendication était une critique de l'universalisme républicain et une célébration de la différenciation sociale.

Les républicains et les libéraux ne manqueront cependant pas à dénoncer la représentation ouvrière en la qualifiant d'ouvriérisme social et de rétrograde du fait qu'elle « tend,

74 Ces termes sont de Rosanvallon, op. cit.

75 Pierre Rosanvallon, op., cit. p. 73

disent-ils, à rabattre vers les formes du passé76 » c'est-à-dire le retour au corporatisme et à la société de classes d'Ancien Régime. Toutefois il faut dire qu'il y a eu un « changement de culture politique77 », car à l'idéologie philosophique de 1789 qui pense le peuple comme une juxtaposition d'individus juridiquement égaux se substitue une analyse, pour ne pas dire une idéologie sociologisante qui, quant à elle, pense le peuple dans sa réalité phénoménologique ou factuelle comme étant traversé par des intérêts différents. Ainsi la représentation ne doit dès lors être que la photographie de la société, c'est-à-dire fondée sur les intérêts professionnels. Ce tournant qui s'amorce dès les années 1890 joue Proudhon contre Rousseau en ce que, adoptant les idées du premier, il fait dériver la politique du social et non d'une convention pré-politique et sera sans doute vivifié par l'avènement des sciences sociales, notamment la sociologie.

Disons en effet que le refoulement des différences sociales pour asseoir un corps politique Un ne réforme pas la société par décret, celles-là rejaillissent sous des modes différents en fonction des environnements politiques. Etant donné que la démocratie est un processus interminable, la différenciation sociale s'insère dans ce processus et se prononce davantage en fonction aussi bien de l'état démocratique que de l'application effective des fondamentaux qui définissent l'homo democraticus.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus