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La francophonie et son expression dans la poésie de Léopard Sédar Senghor


par Adou Valery Didier Placide Bouatenin
Université Félix Houphouet-Boigny  - Doctorat  2019
  

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II. LA SAGESSE AFRICAINE

Selon la définition donnée du mot « culture » au début de cet exposé, il s'agit de découvrir et définir les valeurs actives qui, non seulement ont créé la civilisation africaine, mais encore lui ont permis, depuis la Révolution de 1889 -- j'y reviendrai --, de participer à l'édification de la Civilisation de l'Universel. Ces valeurs on les trouve, d'abord, dans sa philosophie. Je sais qu'on a nié qu'il y eût une philosophie africaine, du moins « négro-africaine », sinon une pensée. Je vous renvoie, pour vous confirmer cette philosophie, à quatre ouvrages majeurs : Dieu d'Eau, par Marcel Griaule, le grand ethnologue français, La philosophie bantoue par le Belge Placide Tempels, La Philosophie bantu (sic) comparée par le Rwandais Alexis Kagamé et La Pensée africaine par le Sénégalais Alassane Ndaw.

La Philosophie, c'était, pour les anciens Grecs, créateurs de la civilisation européenne, la recherche de la sophia, de la sagesse. La sophia, c'est, d'abord, la connaissance des principes premiers, qui, étant derrière les phénomènes de la nature ou de l'univers, les produisent ou les expliquent. Comme l'écrit Aristote dans La Métaphysique, « la science nommée philosophie est généralement connue comme ayant pour objet les premières causes et les principes des êtres ». Telle est, cependant, la nature humaine que l'épistêmê, la connaissance -- que l'on traduit, aujourd'hui, par « science » --, ne se suffit pas à elle-même. Pour être sophia, sagesse, elle doit passer à son application. C'est ainsi que la philosophie se transforme en morale.

Allons plus avant. Qui dit morale dit but, objet de l'activité humaine. Il s'agit de transformer la vie humaine en transformant, à la fois, l'homme et le monde dans lequel il vit en interdépendance.

« Tout art, écrit Aristote dans l'Éthique à Nicomaque, et toute investigation et pareillement toute action et tout choix tendent vers quelque chose à ce qu'il semble. Aussi a-t-on déclaré avec raison que le bien est ce à quoi toutes les choses tendent ». C'est, précisons-le, le « Souverain Bien », que le philosophe identifiait avec le « bonheur » et, plus précisément, l'immortalité. Retenons l'expression « tout art » ainsi que la notion d'« immortalité ». Deux idées que nous retrouverons dans la philosophie africaine.

Cependant, avant de l'aborder, nous reviendrons sur le but de l'activité de l'homme, qui est, nous l'avons dit, de se transformer en transformant le monde. Ce qui lui permettent, précise Aristote dans le même ouvrage, trois facultés : « Or, il y a, dans l'âme, trois facteurs prédominants qui déterminent l'action et la vérité : sensation, esprit et volonté ». Je ne suis pas, ici, la traduction de Tricot faite pour la Librairie Vrin. Si « sensation » rend bien le mot grec aïsthésis, il faut traduire noûs par « raison » et orexis par « volonté ». Le noûs, ce n'est pas l'« intellect », comme l'a traduit Tricot, mais la symbiose de la raison discursive, dianoïa, et de la raison intuitive, thumos. Quant à crexis, traduit généralement par « désir », c'est, étymologiquement, une « tension vers », que je renforce en « volonté ».

Si j'insiste sur la fameuse phrase, reprise, au demeurant, par Descartes, c'est que je la considère comme la base solide de la caractérisation ethnique. Il est donc entendu que les hommes de tous les continents, races et nations possèdent, chacun, non pas les trois, mais les quatre facultés que voilà. Il y a seulement que chaque race ou nation a développé, le plus souvent, une, deux, trois facultés au détriment des autres ou de l'autre. C'est ainsi que les Africains ont développé surtout la sensation et la raison intuitive. C'est de ce fait que je partirai pour exposer leur culture, en mettant l'accent sur leur philosophie et sur les caractéristiques de leur art. De leur part parce que c'est, avec la pensée, ce qui distingue l'homme de l'animal.

1441 Mélanges Henri Frei.

1442 Université de Brazzaville.

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La philosophie africaine, comme l'a démontré Alassane Ndaw, répond parfaitement à la définition que lui ont donnée les fondateurs grecs de la discipline. Elle se fonde sur les grandes intuitions d'où l'homme a tiré « les premières causes et les principes des êtres », qui lui ont permis de connaître le monde et de le transformer. Comme la grecque, la philosophie africaine est une connaissance ou un savoir : une épistêmê. Au demeurant, pour parler comme les Wolofs du Sénégal, le philosophe, dans la tradition africaine, était appelé borom xamxam, c'est-à-dire « maître-du-savoir ».

Or donc, comme les Grecs, nos sages ont fondé leur philosophie sur les premiers éléments de la matière : la terre, l'eau et l'air. Allant plus loin que les présocratiques, qui, à ces éléments, avaient ajouté le feu et l'éther, Aristote trouvera une substance immatérielle, spirituelle, qui serait cause première et fin ultime : Dieu, « l'Intelligence qui se pense elle-même en saisissant l'Intelligible ». C'est ici que la philosophie africaine, fondée, au départ, sur des éléments similaires, se sépare de la philosophie grecque, européenne, pour s'affirmer dans une identité sur laquelle sera fondée, avec l'art, une esthétique authentique.

Le premier trait de cette philosophie est qu'elle privilégie la raison intuitive comme mode de connaissance. Que l'intuition soit au début et à la fin du connaître, voire de la science, c'est ce qu'affirment nombre de philosophes depuis Aristote jusqu'à Bergson et Teilhard de Chardin, voire des mathématiciens contemporains. Comme dit Bergson, par l'intuition, l'homme « s'installe dans le mouvant et adopte la vie même des choses »(1443). Les africanistes le savent bien, qui parlent de la « connaissance par participation » des Négro-Africains.

Le deuxième trait est la dialectique. Qu'on ne croie surtout pas que les langues africaines ignorent le concept, et qu'elles n'ont pas de mots abstraits. Il reste que, le plus souvent, l'Africain préfère désigner une chose, un être, un sentiment, une idée par une image. C'est que, doué de sens éminemment sensibles, il aime à leur faire parcourir les aspects divers de la nature, qu'interprètera sa raison, qui se fera, tour à tour, intuitive et discursive, sentiment, pensée, puis symbiose des deux.

Le troisième trait de la philosophie africaine est qu'elle est pratique. Alassane Ndaw l'a bien montré dans le chapitre où il va de la « pensée mythique » à la « vie mystique ». Le mythe est le fondement et comme l'aliment de la vie mystique : de la religion. Il s'agit, en définitive, non seulement de connaître la vie de l'au-delà, mais encore, mais surtout de la vivre pratiquement. Après les cours d'initiation, où le maître-du-savoir donne à ses élèves un enseignement qui a souvent recours au raisonnement et aux mots abstraits, il faut vivre, dans la religion, dans la pratique, la vie mystique ainsi enseignée, très précisément, dans les cérémonies du rituel. C'est ici qu'intervient l'art africain avec ses caractéristiques originales et ses différents genres : poésie, musique, danse, peinture, sculpture, voire architecture.

Le quatrième trait qui caractérise la philosophie africaine est l'humanisme. Un humanisme aux dimensions du cosmos : de l'espace et du temps, de l'espace-temps. L'homme est le centre, le microcosme du macrocosme qu'est le cosmos, mieux, son agent actif. C'est sur son modèle que s'organise la société : la maison avec son autel, le village, le royaume.

Qu'est-ce à dire encore ? C'est que l'homme est, non pas un individu inséré, mais une personne intégrée dans son groupe : sa famille, son clan, son ethnie. À la persona, concept latin, enrichi par le christianisme, l'Africain oppose une notion, c'est-à-dire une connaissance intuitive, plus complexe : plus sociale qu'individuelle. Verticalement, l'homme est enraciné dans son lignage, jusqu'à l'Ancêtre primordial, jusqu'à Dieu. Horizontalement, il est lié à la société des hommes : à son groupe, comme nous venons de le voir.

Quel est donc ce Dieu que nous rencontrons ? Contrairement à ce que les explorateurs européens, voire les ethnologues, ont dit pendant longtemps, il n'y a qu'un Dieu dans la philosophie et la religion africaines, dont les ancêtres et les génies ne sont que des émanations ou expressions. Aristote nous a dit, en son temps, que Dieu était l'Être en soi, et l'Être, la « substance », c'est-à-dire ce qui est permanent quand tout change. Dans la philosophie africaine, cet être, cette substance, qui se trouve sous la matière, sous les apparences du monde sensible, c'est la force. Une force qui émane de Dieu et s'accomplit en Dieu. C'est pourquoi Dieu est défini comme « la Force des forces ».

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