WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le temps dans la justice pénale au Togo.


par Solim Aimée SONDOU
Institut des hautes études des relations internationales et stratégiques - Master II en Droit Privé Fondamental 2018
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

ABREVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. III

Art. Article

§. Paragraphe

Cass.req., Chambre des Requête

Cass. Crim Cassation Criminelle

CE Conseil d'Etat

CESDHLF Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des

Libertés Fondamentales

CEDH Convention Européenne des Droit de l'Homme

CADHP Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples

CPF Code Pénal de la France

CPT Code Pénal du Togo

CPPF Code de Procédure Pénale de la France

CPPS Code de Procédure Pénale du Sénégal

CPPT Code de Procédure Pénale du Togo

CROP Centre de Recherche et de Sondage d'Opinion

Dr. Droit

Ed. Edition

Ibidem Au même endroit dans l'ouvrage déjà cité

Idem La même chose

Numéro

Op cit, Abréviation du latin operecitato : tiré de l'ouvrage cité

P. Page

Pén. Pénal

PIDCP Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques

Rev. Revue

RFAP Revue Française d'Administration Publique

SOMMAIRE

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. IV

INTRODUCTION ..01

PREMIERE PARTIE : L'INEFFICACITE DU TEMPS DANS LA JUSTICE PENALE

TOGOLAISE .

11

CHAPITRE PREMIER : LA LENTEUR DE LA JUSTICE PENALE TOGOLAISE

...14

Section I : Les obstacles de droit à la célérité de la justice pénale

...15

Section II : Les obstacles de fait à un jugement pénal dans un délai raisonnable

23

CHAPITRE II : L'OBSOLESCENCE DES REGLES DE LA PRESCRIPTION EN DROIT

PENAL TOGOLAIS 37

Section I : L'insuffisante réglementation de la prescription de l'action publique en

droit pénal togolais 38

Section II : L'insuffisante réglementation de la prescription des peines en droit pénal

togolais 45

PARTIE II : LE JUSTE TEMPS POUR UNE JUSTICE REPRESSIVE EFFICACE AU

TOGO ..53

CHAPITRE PREMIER : L'AMENAGEMENT DU TEMPS POUR LE TRAITEMENT DES

AFFAIRES PENALES DANS UN DELAI RAISONNABLE .56

Section I : Les exigences légales de la tenue du procès pénal dans un délai

raisonnable 57

Section II : L'implication des acteurs au procès pénal pour des décisions dans le délai

raisonnable 66

CHAPITRE II : LA NECESSITE DE REFORMER LA PRESCRIPTION EN MATIERE

PENALE AU TOGO ..77

Section I : Une réforme plus efficace de la prescription de l'action publique en droit

pénal togolais 78

Section II : Une réforme plus efficace de la prescription des peines en droit pénal

togolais 86

CONCLUSION GENERALE . 93

INTRODUCTION

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 1

Pour tout Homme de tous les temps de l'histoire, la quête de la justice, ce mot, fort de symboles est un idéal fondamental pour la vie sociale et est une aspiration profonde. Le concept de justice « est alternativement tiré du côté du bon et du côté du légal »1, du côté de la justice morale et de la justice légale. La justice perçue du point de vue du droit se distribue en trois registres à savoir : la justice commutative, la justice distributive et la justice rétributive ou pénale. La justice commutative est un « système crée par Aristote qui règle les échanges entre les individus conformément au principe de l'égalité arithmétique. Ainsi une personne doit recevoir l'équivalent de ce qu'il donne »2. La justice distributive est un « système crée par Aristote qui règle la distribution des richesse ou des honneurs selon le mérite donc dans la proportion géométrique »3. La justice rétributive est une « justice qui récompense ou châtie selon la valeur des actes, sans tenir compte des circonstances »4. La justice rétributive incarne une triple aspiration. D'abord, la victime de l'infraction doit être considérée par la justice et non abandonnée. C'est ainsi qu'elle souhaite légitimement être entendue, dans sa volonté de voir punir le coupable afin de pouvoir obtenir réparation du préjudice à elle subi. Ensuite, le prévenu doit être protégé par la justice, laquelle ne doit pas le laisser de manière indéterminée, dans l'incertitude de son sort5 puisqu'il attend de la justice à être innocenté. Enfin, la justice doit être effective ; telle est l'aspiration de la société. Ces différentes aspirations ne peuvent se concrétiser que si le procès pénal se tient dans le respect du délai raisonnable. La plupart des systèmes juridiques au monde tentent de répondre à cette exigence. Même si la justice togolaise s'est inscrite dans cette dynamique, elle reste désavantagée par plusieurs obstacles, ce qui explique sa lenteur.

Ainsi, « L`amour de la justice n`est pour la plupart des hommes que la crainte de souffrir de l`injustice »6. En effet, tout citoyen se rend compte à présent que l'état de la justice pénale est devenu déplorable au Togo en raison de sa lenteur excessive. Selon le Professeur André VITU, « de même que la vie des hommes, de leur naissance à leur mort, s'inscrit dans la durée, le droit est lui-même assujetti à la loi draconienne du temps » et d'après lui, « plus que les autres branches de la science juridique, la procédure en subit la marque puisqu'elle est successions d'actes ordonnés en vue d'un but précis : la décision de justice »7. Au regard de

1RICOEUR (P.), « Le juste entre le légal et le bon », in Lectures 1, Autour du politique, Paris, 1991, p. 178.

2www.linternaute.fr Dictionnaire, consulté le 10 avril 2019.

3www.linternaute.fr Dictionnaire, consulté le 10 avril 2019.

4www.cnrt.frdéfinitionrétributif,

5CEDH, Stögmüller c. Autriche, 10 novembre 1969, Série A, n° 10, § 9.

6 La ROCHEFOUCAULD, Réflexions ou sentences et maximes morales. L`Harmattan, 1989, p.56.

7 VITU (A.), Les délais des voies de recours en matière pénale, Mélanges Chavanne, 1990, p.179.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 2

ce qui précède et afin de mieux cerner l'enjeu, nous orienterons notre réflexion sur l'épineuse problématique du « temps dans la justice pénale au Togo ».

Etymologiquement, « le mot temps provient du latin « tempus », de la même racine que le grec ancienôåìíå?í (temnein), couper, qui fait référence à une division du flot du temps en éléments finis. temples (templum) dérive également de cette racine et en est la correspondance spatiale (le templum initial est la division de l'espace du ciel ou du sol en secteurs par les augures). Le mot « atome » (« insécable »), du grec ?ôïìïò (atomos) (non coupé, indivisible) dérive également de la même racine »8. Historiquement, le temps est subdivisé en trois périodes : le passé, le présent et le futur.

Du point de vue de la doctrine, le temps apparaît comme une notion difficile à définir. En effet, déjà, à la fin du IVème siècle de notre ère, Saint Augustin a eu le mérite de reconnaitre cette difficulté en s'interrogeant ainsi : « Qu'est-ce donc que le temps ? Si personne ne me le demande je le sais ; mais si on me le demande et que je veuille l'expliquer, je ne le sais plus »9. Nietzsche dira du temps présent: « L'instant : il était là, et hop, le voilà parti ; un néant le précède, un néant lui succède »10. Le Doyen Carbonnier parlait quant à lui de l' « abîme du temps »11 tandis que, le Professeur MALAURIE qualifie l'expression à la fois de forte et d'ambiguë, l'« abîme » du Doyen Carbonnier serait le lieu de tous les possibles empruntes d'angoisse et d'espérance12.

Par ailleurs, le Grand Robert recense douze sens au mot « temps » et en donne une définition générale comme un « milieu indéfini où paraissent se dérouler irréversiblement les existences dans leur changement, les évènements et les phénomènes dans leur succession »13. Le temps est donc le milieu indéfini où semble s'ordonner la succession irréversible des phénomènes et des évènements14.

Relativement à l'expression américaine « Time is money», le temps judiciaire15 est une préoccupation majeure. En effet, il est constant que dans la société togolaise comme ailleurs,

8Www.wikipédia.org/wiki/ « Temps », consulté le 28 février 2019.

9 SAINT AUGUSTIN, Confessions, Garnier Flammarion, 1964, Livre XI, 14.

10 DUGAIN (M.), LABBE (C.), L'homme nu, La dictature invisible du numérique, éd. Robert Laffont, 2016, p. 108.

11 CARBONNIER (C.), Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème ed., 2001, Chap. II, « Les temps du droit - Un an et un siècle », p.210.

12 MALAURIE (P.), Rapport de synthèse, in Le temps et le droit. Actes du colloque organisé par le Groupe de recherche en droit fondamental, international et comparé (GREDFIC) à la faculté des affaires internationales du Havre les 14 et 15 mai 2008, Litec, 2011, p.107 et s.

13 P.ROBERT, Le Grand Robert de la langue française - Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, 2ème ed. par A. REY, 1985, v°« Temps », I. L'ouvrage distingue cette acception du temps avec l'acception météorologique. Dans la première acception, il est distingué selon que ce milieu est considéré dans sa durée (chronométrie), dans sa succession (chronologie) ou dans sa nature (la notion de temps).

14 Dictionnaire Universel, édition Hachette 2008, p.1228.

15GERARD (P.), OST (F.) et VAN DE KERCGOVE (M.) (Dir.), « L'accélération du temps juridique », publication des facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 2000 ; WIEDERKEHR (G.), « L'accélération des procédures et les mesures provisoires », RIDC, 1998, pp. 449 et s.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 3

la pression économique confère au temps une valeur primordiale. Cependant, à l'heure de la concurrence des droits, les modes d'évaluation des systèmes judiciaires ont fait apparaître la justice pénale togolaise comme lente et inefficace16. Cette lenteur est également observée dans d'autres systèmes judicaires. Ainsi, Alexis MIHMAN relevait dans sa thèse, que « le rythme des affaires civiles et pénales est une préoccupation de l'opinion publique et qu'il n'est pas satisfaisant aux yeux de cette dernière »17. Le temps judiciaire est une problématique qui est débattue fréquemment, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'institution judiciaire. Ces débats s'inscrivent souvent dans le cadre d'une réflexion générale, sur la qualité et l'efficacité de la justice18.

L'étymologie du mot « justice » est conforme à l'histoire du droit romain. Le droit romain, créateur de la première justice-institutionnelle de l'histoire est à l'origine linguistique du mot19. En latin, la justice se dit « justitia,ae » (écrit dans cette langue « iustitia »), nom féminin provenant de « justus » qui signifie « conforme au droit », ayant lui-même pour racine, « jus - juris » « le droit » au sens de permission, dans le domaine religieux20. Son étymon est parent avec le verbe « jurare », « jurer » qui désigne une parole sacrée, proclamée à haute voix. Proche, le mot « juge » renvoie au latin « judex » qui signifie « celui qui montre »21.

Selon le philosophe britannique John STUART MILL22, le terme « justice » est dérivé du verbe latin « jubere » - « ordonner, décréter » ; ce qui permet d'établir un lien entre l'ordre qui énonce le droit et le juste qui lui est conforme. La philosophie moderne porte intérêt aux origines religieuses du terme ; il aurait pour racine le sanskrit « ju », qui se retrouve dans des termes comme « jugum » (le « joug ») ou le verbe « jungere » (« joindre, unir »), notions où domine le sème du sacré23.

Pour Blaise PASCAL, la justice est avant tout un sentiment lié au sentiment de Dieu en le monde. Par ailleurs, il critique la possibilité de l'existence d'une justice universelle qui au contraire, est relative : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà »24 résume-t-il.

16WAMBUA (P.-M.) et LOGAN (C.), Le système judiciaire togolais entre l'inconfiance populaire et les perceptions de corruption ; Publication Afro Baromètre, Dépêche n°147, 2017.

17 MIHMAN (A.), Contribution à l'étude du temps dans la procédure pénale : pour une approche unitaire du temps de la réponse pénale, Thèse de doctorat en droit privé et science criminelle à l'Université Paris Sud 11-Faculté Jean Monnet le 02 avril 2007N°3, p.19.

18 MAGENDIE (J.-C.), « Célérité et qualité de la justice. La gestion du temps dans le procès. », rapport au Garde des Sceaux, 15 juin 2004, p.217.

19 Www.wikipédia.org/wiki/ « Justice », consulté le 30 février 2019.

20 Idem

21Oscar Bloch et WALTHER von Wartburg (dir.), « Justice », Dictionnaire étymologique de la langue française, PUF, coll. « Quadrige. Dicos poche », Paris, 2008. (ISBN 2130566219).

22 Idem

23 BLAY (M.), « Justice » (Dictionnaire des concepts philosophiques, p. 459 et 464)

24PASCAL (B.), Les Pensées, Paris, Bureau de la Bibliothèque Economique, 1670 : il insiste sur tous les éléments qui peuvent influencer les différents perceptions de la vérité selon l'homme.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 4

FRICERO estime que « le terme de justice peut être conçu comme recouvrant l`ensemble des institutions chargées de trancher, selon une procédure équitable, les litiges qui peuvent opposer des particuliers entre eux ou avec les autorités publiques »25. Tandis que selon CORNU, la justice consiste à rendre à chacun le sien et demander justice signifie « réclamer son dû, son droit »26. Jean-Jacques ROUSSEAU renchéri en définissant la justice comme « un lien nécessaire pour maintenir l`union des intérêts particuliers, lesquels sans lui retomberaient dans l`ancien isolement social ».

Il va de soi que la justice est un principe à la fois « philosophique, juridique et moral. C'est un fondement en vertu duquel les actions humaines doivent être sanctionnées ou récompensées en fonction de leur mérite au regard du droit, de la morale, de la vertu ou autres sources normatives de comportements »27. En réalité, la justice est une notion polysémique. Elle est d'abord perçue comme étant un idéal car, elle est assise sur des bases philosophiques dont le développement témoigne de l'évolution de la pensée et des systèmes. Ensuite, la justice est une norme parce qu'elle devient une réalité pratique qui est le droit et non plus philosophique comme dans la Rome antique. Enfin, la justice est une institution puisque par extension, elle est assimilée au pouvoir judiciaire (l'ensemble des tribunaux et magistrats qui jugent les infractions).

Du point de vue juridique, la justice est l'autorité administrative chargée de définir le droit positif, de faire appliquer les lois et de trancher les litiges. La justice désigne ce qui est juste. Rendre la justice consiste donc essentiellement à dire ce qui est légale en toute impartialité, loyauté et équité dans l'espèce concrète soumise au tribunal28. En conséquence, la justice est l'institution, le pouvoir, l'autorité judiciaire, ou l'ensemble des juridictions d'un pays donné qui permet de faire respecter les droits de chacun, en punissant tout particulièrement ceux qui ont mal agi dans la société.

La justice peut être civile, administrative ou pénale29. La justice civile est celle qui tranche les rapports entre particuliers tandis que la justice administrative a la vocation de trancher les conflits impliquant l'Etat. La justice pénale est quant à elle, l'autorité en charge de la sanction des infractions à l'ordre public et aux bonnes moeurs c'est-à dire qu'elle juge les personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction.

25 FRICERO (N.) Les Institutions Judiciaires, les principes fondamentaux de la justice ; les organes de la justice ; les acteurs de la justice ; Mémentos LMD, 2ème édition Lextenso année 2012, p.15.

26 CORNU (G.) Vocabulaire juridique 2011, association Henri Capitant, p.590. 27Www.wikipédia.org/wiki/ « Temps », le 30 février 2019.

28 Lexique des termes juridiques, édition Dalloz 2017-2018 25e édition, p, 1217-1218.

29 L'autorité en charge de la sanction des infractions à l'ordre public et aux bonnes moeurs.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 5

En droit togolais comme en droit français, la justice pénale n'échappe pas à l'emprise du temps puisque le procès pénal en est intrinsèquement lié30. Cette acception se justifie pleinement en droit français par les dispositions comme, la comparution immédiate, le traitement en temps réel des plaintes, les délais de la détention provisoire, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité31, l'enquête de police, la poursuite, l'instruction préparatoire et le jugement32 et la prescription en matière pénale. Ce sont autant de dispositions destinées à gérer le temps dans le procès pénal33.

La préoccupation du temps de la justice pénale est ancienne. En effet, les abus de cette justice ne datent pas d'aujourd'hui. Du temps colonial à l'indépendance du Togo jusqu'en 2019, la justice pénale est une institution qui éveille majoritairement chez les justiciables aussi bien nationaux34 qu'internationaux35, la défiance. Ceci dans la mesure où ils se plaignent constamment de sa lenteur mais aussi de son impuissance à répondre avec fermeté et efficacité aux problèmes sociaux et de sa dépendance accrue au pouvoir économique et surtout politique.

Selon ALIOUNE BADARA FALL, cette situation serait justifiée par le fait que « rien n'a été ménagé tout au long de la période coloniale et au début des indépendances, pour que les États africains soient dotés d'une justice moderne, avec des juges nantis de moyens matériels et de garanties statutaires suffisants pour dire le droit. Tout semblait alors aller dans le sens de l'institution d'un juge qui, tout en tenant compte des coutumes et mentalités des populations concernées, s'affirmerait comme un élément essentiel dans l'instauration de l'État de droit, au sens où cette expression est entendue dans les démocraties modernes »36.

L'actualité du sujet est frappante. En effet, cette problématique est d'une grande sensibilité, dans la mesure où le droit à un procès pénal dans le délai raisonnable constitue un enjeu majeur à tel enseigne que sa méconnaissance et son irrespect constant font perdurer la lenteur. Cette actualité révèle aussi l'obsolescence de la prescription en matière pénale. « Depuis 2005, la modernisation de la justice togolaise peine à devenir une réalité. Aujourd'hui, l'un

30 PONSEILLE (A) « La peine et le temps », Archives de politique criminelle 2007/1 (n° 29) ISBN : 9782233005229, Éditeur : Editions A. Pédone(article), p.1.

31 Art.495-7 et s. CPPF, issus de la loi n°2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

32 PRADEL (J.), Procédure pénale, 13eme éd, Ed.Cujas, 2006 ; STEFANI (G.), LEVASSEUR (G.) et BOULOC (B.), Procédure pénale, Dalloz, 20eme ed, 2006.

33 La gestion du temps dans le procès pénal fut le thème central d'un rapport au Garde des Sceaux : Jean-Claude MAGENDIE, Célérité et qualité de la justice, Paris : La Documentation Française, 2004, p.211.

34 Selon les conclusions d'une enquête initiée par le CROP en 2017, seul 37% ont confiance à la justice togolaise.

35Freedom House, 2016 ;Département d'Etat des Etats-Unis, 2015, « Les observateurs internationaux estiment que le système judicaire togolais est en proie à des difficultés du fait de l'influence politique de la présidence, dont la détention prolongée et sans jugement des adversaires politiques, et l'impunité dont jouissent les alliés politique », cité par WAMBUA (P.-M.) et LOGAN (C.), Le système judiciaire togolais entre l'inconfiance populaire et les perceptions de corruption ; Publication Afro Baromètre, Dépêche n°147, 2017.

36FALL (A.- B.), Le juge, le justiciable et les pouvoirs publics : pour une appréciation concrète de la place du juge dans les systèmes politiques en Afrique, Edition Bruxelles Bruyant 2000, p. 310.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 6

des symboles des difficultés que trainent cette justice est la lenteur des procédures. Descente dans les réalités. La justice togolaise a été souvent décriée, eu égard aux maux qu'elle traîne depuis des lustres. Entre des magistrats véreux, le manque d'outils techniques et des agents parfois peu qualifiés, les citoyens donnent assez moins de crédit à cette justice. En effet, en 2017, selon les conclusions d'une enquête initiée par le Centre de Recherche et de Sondage d'Opinions (CROP), partenaire d'Afro baromètre, seul 37% de togolais ont confiance aux tribunaux alors que 48% parlent de corruption. 48% se plaignent des longs délais; 44% déplorent la complexité du système et 39% pointent du doigt le manque de conseil ou d'assistance. Comme vous l'aurez constaté, les longs délais qui sont la conséquence de la lenteur des procédures découragent certains concitoyens à se tourner vers la justice même quand l'occasion les y contraint. Selon l'avis des spécialistes en la matière, la célérité (dans le respect des parties) est un impératif pour une justice moderne et efficace. Et pour cause, souhaiter que la justice soit bien rendue implique non seulement que la décision du juge soit juridiquement correcte mais aussi qu'elle intervienne dans un délai utile. Il suffit pourtant de lire certains arrêts des juridictions pour constater que la revendication d'une accélération du service public de la justice est devenue générale »37.

Il est intéressant de comparer la législation togolaise avec celle de la France en matière de temps dans la justice pénale afin de comprendre et de constater où se situe l'Etat togolais. Le constat amer qui se dégage est le retard du législateur togolais par rapport à son homologue français. En effet, le législateur n'a pas à l'heure actuelle référencé le droit au délai raisonnable dans son Code de procédure pénale. En matière de prescription de l'action publique, le législateur n'a ni allongé les délais ni prévu des délais dérogatoires. Son homologue français a pris le soin d'intégrer ces dispositions dans son Code de procédure pénale.

La justice s'exerce au nom d'un peuple dans le but d'assurer le respect des lois aussi bien nationales, régionales qu'internationales. Ce monopole est dévolu aux juges et leur permet de mettre en exergue la place de la justice afin de juger le niveau d'un Etat de droit.

Au Togo, la justice pénale a pour fonction de juger les infractions au Code pénal, qui sont de trois ordres : les contraventions, les délits et les crimes38. Trois juridictions assurent cette tâche : le tribunal de police, le tribunal correctionnel et la cour d'assise. Le juge pénal ne peut prononcer la sanction pénale que si le fait délictueux poursuivi est prévu et qualifié par la

37WWW. Info du pays La justice togolaise à Pas de Tortue, « la modernisation », consulté le 15 mars 2019. 38 Article 3 CPT.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 7

loi39. Telle est l'exigence de la formule latine qui exprime le principe de la légalité des délits et des peines : « Nullum Crimen, Nulla Poena Sine Lege ».

La justice pénale assurée par les juges répressifs ne les place pas au-dessus des lois. Et si les justiciables s'inquiètent des problèmes qui minent cette justice, c'est en partie à cause du traitement lent des dossiers40 ; ceci ne garantit pas le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable41. Cette lenteur se ressent à plusieurs niveaux. D'abord, la garde à vue bien que règlementée dans le Code de procédure pénale par les articles 52 et suivants42, n'est pas respectée puisque que très souvent les Officiers de Police Judiciaire (OPJ) dépassent largement ce délai avant de déférer la personne mise en cause devant le procureur de la République. En droit pénal, cette exception au-delà des 48 heures devient souvent la règle, en violation de l'article 9 alinéa 4 du PIDCP43. Quel regard le ministère public, le législateur et plus précisément l'Etat portent-ils alors sur cet état de chose ? Ensuite, des personnes sont souvent arrêtées et détenues pendant des années sans jugement. Cette situation entraine l'engorgement des prisons. Enfin, l'indemnisation suite à des détentions préventives aboutissant à des acquittements n'est souvent pas à la hauteur du préjudice moral et social qui a été subi. Il se pose dès lors la question de l'utilité de la prolongation inutile des détentions préventives44. Il s'agit du temps dans la justice pénale togolaise.

Dans la justice pénale, le temps constitue l'un de ces problèmes majeurs qui défraient constamment la chronique et contribue à donner d'elle une image négative aussi bien à l'égard de la communauté nationale qu'internationale. Il est donc certain que la conduite de la justice pénale est irrémédiablement dépendante du temps. Vu l'importance du temps dans la justice pénale, il urge de se demander : quelle appréciation les juges togolais font-ils réellement de la notion du temps ? Le temps est un droit subjectif pour les justiciables et une obligation pour le juge. Mais, il y a lieu de reconnaitre que l'Etat en est le principal débiteur dans la mesure où il lui incombe de s'assurer que la justice soit rendue dans un délai raisonnable au risque de voir sa responsabilité engagée45.

Selon la Cour Européenne des droits de l'Homme, le délai de résolution d'un litige tient lieu de trois facteurs à savoir, la diligence plus ou moins grande du juge, le comportement des

39 Article 2 CPT.

40 Article 9 Paragraphe 3 du Pacte International relatif aux droits Civils et politique.

41Article 14 alinéa 3-c Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).

4248 heures, renouvelable une fois, exceptionnellement ce délai peut aller au-delà, jusqu'à 15 jours, lorsqu'il s'agit d'affaires complexes (drogues avec des ramifications étrangères).

43« Rapport sur le respect et la mise en oeuvre des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans l'administration de la justice au Togo », Bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme au Togo, décembre 2013, p.27.

44 Articles 112,113 et suivant du Code de Procédure Pénale du Togo (CPPT).

45 FRISON-ROCHE (M.-A.), « Les droits fondamentaux des justiciables au regard du temps dans la procédure », in J.-M. COULON et M.-A. FRISON-ROCHE (dir.), Le temps dans la procédure, coll. « Thèmes et commentaires », Dalloz, 1996, p.11s. ; DEGUERGUE (M.), « Les dysfonctionnements du service public de la justice », RFAP 2008/1 (n°125), p. 151.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 8

parties au procès et la complexité juridique du litige46. Dans la justice pénale, qui dispose réellement de la maitrise du temps ? En droit pénal, l'emprise des acteurs sur le temps du procès est-elle réellement effective ? Dans cette perspective, le temps peut-il revêtir une dimension aussi bien objective que subjective ?

Etant à la fois un critère de qualité de la justice et celui de l'évaluation du système judiciaire47, le temps est essentiellement consubstantiel à la procédure pénale comme à toute autre procédure48. Il est donc évident que le temps est un levier important dans la justice pénale. Le délai raisonnable d'exécution des décisions pénales est un indice au droit à un procès équitable. Malheureusement, la lenteur de la justice est une préoccupation que dénonce régulièrement les justiciables49 et certains juges50. En effet, cette lenteur a pour corollaires l'insuffisante célérité de la justice pénale, la lourdeur et la lenteur des procédures pénales. Elle révèle surtout le manque chronique de moyens matériels et humains, ce que la modernisation de la justice n'arrive toujours pas à résoudre.

Par ailleurs, la lenteur de la justice pénale constitue un obstacle à sa qualité et à son efficacité. C'est dans ce contexte que fleurissent les adages « le temps qui passe, c'est la vérité qui s'enfuit », « justice tardive équivaut à injustice » ou encore « justice delayed is justice denied »51. Il va de soi que la modernisation de la justice pénale entamée, a véritablement du mal à être effective. Comment peut-on dès lors établir un nécessaire équilibre entre les voies procédurales aux fins de parvenir à contenir efficacement la justice pénale dans le respect scrupuleux du délai raisonnable ? De même, pour une accélération de la justice pénale, quelles sont les mesures à prendre par le législateur national pour aboutir à des réponses pénales justes ? L'institution d'un délai raisonnable devient impérative pour éviter la lenteur dans l'exercice de la justice pénale.

Par ailleurs, le juge pénal avant de se pencher sur le traitement de l'affaire qui lui est confiée, a l'obligation de vérifier la possibilité de poursuivre l'acte délictueux. Le Code de Procédure Pénale a prévu des délais de prescription c'est-à-dire dix ans (10) pour les crimes, trois ans (03) pour les délits et un an (01) pour les contraventions dont l'écoulement entraine

46 CEDH, 24 octobre 1989, H. c/ France, RFDA 1990, p. 203, note O. DUGRIP et F. SUDRE, LPA 28 février 1990, p. 12, note L. RICHER.

47 MIHMAN (A.), « contribution à l'étude du temps dans la procédure pénale : pour une approche unitaire du temps de la réponse pénale », thèse pour le Doctorat en Droit privé et sciences criminelles à l'Université Paris Sud 11, 02-04-2007, p.16

48 VITU (A.), « les délais des recours des voies en matière pénale », in Mélanges offertes à Albert CHAVANNE : droit pénal, propriété industrielle, Litec, 1990, p. 179

49 WAMBUA (P.-M.) et LOGAN (C.), Le système judiciaire togolais entre l'inconfiance populaire et les perceptions de corruption ; Publication Afro Baromètre, Dépêche n°147, 2017.

50 Le Président du Conseil Supérieur de la Magistrature du Togo monsieur Patrice Akakpovi GAMATO a reconnu en ces termes « lenteur, lenteur, c'est sous tous les cieux, la justice est lente » le 14 février 2016 au cours de l'émission Plateau de la Semaine « Hautes juridictions et facilitation de l'accès à la justice ».

51 SARR (N.), le délai raisonnable dans le procès pénal, mémoire de maitrise en science juridique à l'Université Gaston eryersaint-Loui 2007, p.4

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 9

l'extinction de l'action publique et rend de ce fait toute poursuite impossible52. Mais, cette prescription ne peut-elle pas être considérée comme abusive dans la mesure où elle serait une entorse à la réponse pénale ? D'ailleurs, la prescription de l'action publique peut avoir pour conséquence non seulement l'absence de répression mais aussi la remise en cause de l'égalité devant la loi pénale. Dans cette perspective, la prescription peut être perçue comme un abandon par la justice pénale de ses devoirs ou le déni de la reconnaissance des victimes.

La prescription de l'action publique est la grande loi de l'oubli. Prévue par le Code pénal, la prescription de l'action publique, à l'aune des évolutions, peut être remise en cause, voire refusée et ce dans un double contexte à savoir : la nécessité de préserver le devoir de mémoire d'autant plus que la mémoire tend à supplanter l'oubli et la volonté d'assurer plus efficacement la répression. En effet, certains crimes ou délits ne peuvent pas passer tout simplement par pertes et profits du fait qu'on doit les oublier pour avancer. Des sanctions s'imposent pour décourager de potentiels criminels, auteurs ou complices d'infraction. C'est ce qui pousse certains penseurs53 à requérir une moindre indulgence envers les condamnés.

Le titulaire principal du droit de déclencher l'action publique est le ministère public. Ainsi, il n'est pas superfétatoire de rappeler qu'il est parfois bon que l'Etat poursuive dans le temps le délinquant si cela peut aider la victime à se décharger du poids qui pèse sur sa conscience. Une politique pénale répressive qui met à nu la carrière criminelle de l'individu permet aujourd'hui d'accroître l'efficacité de la répression. Pour pallier la prescription de l'action publique, le législateur ne doit-il pas songer à instaurer une procédure judicieuse et alternative à celle-ci ?

Après l'écoulement d'un temps, l'inexécution totale ou partielle de la décision de condamnation prononcée par le juge pénal, entraine son extinction. Il s'agit de la prescription de la peine. Cette situation actuelle du droit de la prescription des peines en droit pénal ne devient-elle pas une source de confusion et d'insécurité, à rebours de la vocation fondamentale du principe fondé justement sur la primauté de la sécurité ?

Parler du temps dans la justice pénale au Togo revient finalement à se demander si la justice pénale s'exécute dans le temps ? Quel temps faut-il pour le traitement des affaires pénales ?

Les réflexions que nous menons sur « le temps dans la justice pénale au Togo » présentent un intérêt certain et ce, sur les plans théorique et pratique.

52 Article 7 CPPT.

53 RENUCCI (J-F.), Infractions d'affaires et prescription de l'action publique, DALLOZ. 1997, Chronique.
P.23 :« Comment admettre l'oubli dès lors que la victime réclame réparation, même si cette demande est tardive ? » ; GARRAUD (R.), Traité théorique et pratique du droit pénal français, préc., T. II,§ 723, p.542.

Au plan théorique, cette étude met en exergue les lacunes de la législation dans sa quête d'une juridiction pénale qui s'inscrit véritablement dans le temps. Aussi, le législateur, voire les constituants, doivent prévoir des mécanismes permettant la distribution de la justice pénale dans un délai satisfaisant tous les intérêts en cause.

Au plan pratique, l'importance de cette problématique est évidente. En effet, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice pénale, la personne poursuivie, présumée innocente jusqu'à la condamnation définitive ou réputée telle, ne doit pas demeurer trop longtemps dans l'incertitude quant à l'issue des poursuites engagées contre elle. La victime ou ses ayants-cause, doivent avoir dans un délai optimal, la réparation du préjudice subi. Généralement, la société verra l'auteur de ces méfaits identifié, jugé et condamné. C'est à ce prix que la paix sociale pourra être rétablie.

Il est évident que dans la justice pénale, le temps constitue une préoccupation ininterrompue pour le policier, le gendarme, le parquetier, le magistrat instructeur ainsi qu'à la formation du jugement. Malheureusement, l'irrespect de ce temps demeure un frein à une bonne administration de la justice pénale togolaise (Première partie), et pour accélérer les procédures pénales afin de garantir une bonne répression des infractions au Code Pénal, il urge de réfléchir à instaurer le juste temps (Deuxième partie).

Première Partie : L'inefficacité du temps dans la justice pénale togolaise.

Deuxième Partie : Le juste temps pour une justice répressive efficace au Togo.

SONDOU Solim Aimée : « Le temps dans la justice pénale au Togo », 17-04-2019. Page 10

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway