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La dialectique " INDIVIDU - SOCIETE " et sa rationalisation dans l'universel concret chez Eric Weil


par Emmanuel Lenge
Université Saint Pierre Canisius - Grade de bachelier en Philosophie 2005
  

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3.3.2. Les formes de l'Etat.

E. Weil distingue essentiellement trois théories de l'Etat basées sur la conviction que le rôle de l'Etat est essentiellement administratif. Il en résulte deux conceptions ou formes de l'Etat, qui sont deux manières de réaliser le bonheur, l'aspiration fondamentale de toute communauté.

1. La théorie étatiste : l'Etat est l'Etat des technocrates, des socialistes et des planificateurs. Cette délimitation du rôle de l'Etat l'emporte sur tous les autres aspects y compris la dimension communautaire. C'est l'efficacité du travail qui seule, importe dans l'Etat.

2. La théorie anti - étatiste : c'est la conception des anarchistes et des utopistes qui rêvent de voir disparaître l'Etat et l'administration, afin que seul l'ordre naturel régisse la « société ».

3. Les théories libérales : Pour les tenants de ces théories, le rôle de l'Etat se résume dans le maintien de l'ordre public et la garantie pour tous, des libertés d'entreprise.

Il ressort de ces différentes conceptions qu'elles définissent toutes des abstractions irréconciliables : elles sont en fait des dimensions partielles d'une réalité plus complexe. L'Etat moderne ne peut se réduire à un rôle purement administratif. Il ne peut pas non plus se passer de l'administration sans faire retomber la société dans un état de nature.

Pour Weil, les gouvernements des Etats modernes sont ou bien autocratiques ou bien constitutionnels ; la différence entre les deux réside dans la manière dont chacun identifie les vrais problèmes des faux et aussi dans la manière dont il s'organise pour les résoudre. Cette approche relève deux grandes conceptions du gouvernement : le gouvernement autocratique et le gouvernement constitutionnel.

3.3.2.1. Le gouvernement autocratique.

La caractéristique principale du gouvernement autocratique est qu'il est le seul à délibérer, il n'a pas de contre pouvoir, il se considère, et est considéré par les individus sur lesquels il exerce son pouvoir, comme exempté de l'observance d'une quelconque réglementation pouvant limiter sa liberté d'action. Pour Weil, la forme autocratique fut la forme historique première de tous les gouvernements. Tous les gouvernements sont partis dans leur évolution, du stade autocratique.

Il est vrai que le modèle qui actualise le mieux l'évolution de la dialectique au centre de notre travail est la forme constitutionnelle. Mais il importe de comprendre le mécanisme de l'Etat autocratique, pour mieux cerner les contours de l'Etat constitutionnel qui, bien qu'étant un stade plus avancé dans l'évolution de la société - communauté, peut connaître une régression dictée par la nécessité d'événements exceptionnels (menace extérieures, crise intérieure,...) et revenir à un Etat autocratique32(*).

Nous avons affirmé dans les lignes qui précèdent que l'une des caractéristiques du gouvernement autocratique était l'absence de contrôle du pouvoir par le peuple. Cette affirmation peut être nuancée par le fait que nulle part au monde le peuple - qu'on oppose ainsi au gouvernement - n'existe. En effet, c'est toujours une partie de la population qui symbolise l'opposition et non le peuple car le gouvernement et ses adhérents font partie du peuple.

En réalité, il n'y a pas de frontière nette entre l'Etat autocratique et l'Etat constitutionnel. L'Etat sera toujours un mélange des deux, un aspect étant cependant plus développé dans l'un que dans l'autre.

Dans la forme autocratique, la limitation des droits et des libertés individuels est flagrante : le citoyen ne dispose d'aucun recours légal contre les actes de l'administration. De même, le budget de l'Etat (la capacité financière de l'Etat), qui donne à l'Etat les moyens de sa politique quelle qu'elle soit, n'est pas contrôlé.33(*)

Dans l'évolution historique de l'Etat, la forme autocratique, constituée par les assembleurs de terres et les conquérants est considérée comme précédent la forme constitutionnelle. C'est pourquoi le gouvernement constitutionnel est pris comme une organisation supérieure au gouvernement autocratique, un stade plus avancé de gouvernement.

3.3.2.2. Le gouvernement constitutionnel.

Ce qui caractérise principalement le gouvernement constitutionnel, c'est l'indépendance des tribunaux et la participation, définie par la loi, des citoyens à la prise des décisions politiques. En effet, dans le système constitutionnel, le respect de la loi, établi par le parlement, est une exigence centrale. C'est elle qui garantit l'égalité et préserve des risques, toujours présents, de tomber dans la dictature d'une minorité, qui abuserait des pouvoirs que le peuple lui aurait confié.

Cette indépendance de la loi est garantie par l'existence d'un pouvoir judiciaire solide et stable, garanti à son tour par l'indépendance des juges. Dans un système constitutionnel, le juge est supérieur à tout autre organe de l'Etat. Il est certes contrôlé à son tour, mais cette tâche revient à d'autres juges et non au gouvernement, qui n'a que le droit de le mettre en accusation.34(*)

Puisque le juge doit garder son indépendance vis-à-vis du gouvernement. Comment devra donc se faire la sélection des juges ?

En fait, une trop grande indépendance des juges n'est pas sans risque. Une telle catégorie peut en effet se transformer en coterie ou caste d'exclusion, exerçant le pouvoir de manière tyrannique.

D'autre part, la nomination des juges par le gouvernement ou une autre instance, court le risque d'une complaisance dans le choix de ces derniers. En effet, la sélection de ceux-ci, peut se faire selon des critères contraires aux attentes que représentent leurs tâches. S'ils sont élus, leur élection pourrait se faire non sur base de leurs mérites mais sur base de leur popularité parmi une majorité ou une minorité influente. Il appartient au gouvernement, en harmonie avec les autres institutions, de trouver la méthode la plus sûre à la fois pour garantir l'indépendance des juges mais aussi pour prévenir les risques que cette indépendance comporte.

Le gouvernement constitutionnel vise à éviter toute concentration de pouvoir entre les mains d'un petit groupe ou d'une seule institution. Il est conscient du fait que la puissance du pouvoir réside dans les forces armées et les finances publiques. Un gouvernement qui disposerait de ces deux éléments disposerait aussi de tout le reste. D'où le mécanisme imaginé dans la forme constitutionnelle : l'organisation de trois pouvoirs de façon interdépendante35(*) : Le parlement est l'institution qui caractérise principalement l'Etat constitutionnel - il exprime les désirs et la morale vivante de la société particulière. Ce qui est représenté au Parlement, c'est bien la nation, mais la nation avec ses difficultés, ses oppositions, ses préférences contradictoires, ses intérêts matériels, ses convictions morales : « ce qui est représenté est l'organisation inconsciente d'une communauté au travail, arrivée au point où elle cherche la conscience de ce qu'elle est, fait, veut ».36(*)

Le rôle de tout gouvernement moderne n'est plus seulement de perpétuer l'Etat mais aussi d'éduquer les citoyens à la rationalité (efficacité technique) et à la raisonnabilité (agencement de l'universel raisonnable, la morale vivante ou formelle, à l'universel concret : l'Etat lui-même).

En effet, seule une population éduquée à l'éthique de la discussion, comme échange permanent sur les questions fondamentales, pour prendre des décisions qui puissent satisfaire tout le monde sans exclusion ou domination d'une opinion sur une autre, peut garantir la survie des institutions nécessaires au maintien de la forme constitutionnelle. Ce sont ces structures qui caractérisent le mieux les sociétés modernes en permettant que la dialectique violente, déchirante, s'atténue dans un environnement légal où la loi fondamentale - fondamentale par le fait qu'elle règle les modifications de toutes les lois y compris elle-même - i.e. la constitution, garantit l'articulation entre vie privée et vie en société de manière moins violente et moins coercitive. Seule une éducation efficace permettrait aux citoyens de prendre part, d'une façon consciente et active aux décisions qui concernent la cité et donc de participer effectivement à l'exercice du pouvoir.

L'éducation est réciproque : le gouvernement éduque les citoyens et les citoyens éduquent le gouvernement. Pour Weil, c'est seulement là où une société moderne et donc éduquée, existe déjà que peut survivre et fonctionner correctement l'Etat constitutionnel.

On peut dès lors se demander si les conflits et les atermoiements que connaît l'Afrique aujourd'hui ne sont pas dus au fait que l'on a cherché à imposer à une société différemment constituée des structures adaptées à des sociétés modernes occidentales, et tant que l'Afrique n'aura pas elle-même inventé les voies de son progrès, n'en résulterait - il pas qu'elle pataugerait dans des constructions inadéquates ?

Nous rejoignons ici Eboussi qui parle « d'une carapace gigantesque plaquée sur le corps chétif [l'Afrique] qui ne l'a point secrété ».37(*) Nous développerons dans la conclusion cette idée.

Pour Eric Weil, une communauté non éduquée n'est pas mûre pour les régimes constitutionnels ; de même une communauté déchirée où la dialectique ne se vit pas seulement au niveau de l'individu mais aussi au niveau des groupes opposés d'individus caractérisés par des aspirations contraires et contradictoires irréconciliables, où chaque groupe se réfugiant dans son universel particulier comme étant à ses yeux, le seul sensé et qu'il puisse accepter ou tolérer, conçoit comme une impossibilité  le consensus.

Le rôle d'éduquer la population appartient au gouvernement qui doit en définir les modalités, le philosophe quant à lui reste l'homo theoricus : celui qui montre le chemin sans plus. Son action s'exerce sur le plan de la conscience, il n'a pas à intervenir dans les débats ni à prendre position. Son action se résume à la prise de conscience ; qu'il suscite dans la société qui est son universel concret. Seule la discussion fera, selon Weil, que l'inconscient de la nation et du gouvernement accède à la conscience et se transforme en projet réel et réalisable d'action.38(*)

L'Etat moderne, ainsi défini, apparaît comme le lieu où l'individu progressivement se réconcilie avec lui-même, non par le fait d'une décision souveraine de quelque institution supérieure, mais par une évolution lente et progressive qui aplanit les tensions et atténue la dialectique jusqu'à l'acceptation raisonnable et rationnelle de la réalité anthropologique de l'homme, comme être déjà - incarné - au - monde - avec - autrui.

L'individu sera toujours affronté à cette violence originelle mais aussi à cette altérité.

L'évolution de la société moderne ne peut pas s'arrêter à la forme constitutionnelle. L'Etat moderne n'est pas exempt de problèmes nouveaux. De nouvelles dialectiques à des échelles plus grandes voient le jour. L'Etat doit, non seulement arriver à concilier le juste (morale vivante) avec l'efficace (rationalité), mais aussi veiller à garantir l'indépendance de la nation, menacée par d'autres nations. Aussi doit - il alors trouver une solution au véritable problème, celui des justes intérêts, i.e. les intérêts pouvant coexister avec l'organisation de la société, la tradition de la communauté historique, et les lois de l'Etat moderne pour maintenir à la fois l'indépendance et l'unité. Pour cela, l'Etat a besoin d'hommes d'Etat capables de concilier les différentes antinomies et aspirations que renferme la société.

Pour Weil, qui en cela rejoint Machiavel39(*), la perspicacité est la véritable vertu de l'homme d'Etat. L'homme d'Etat perspicace et prudent n'agit pas pour résoudre des problèmes marqués dans l'immédiateté, mais dans la prévoyance de ce qui, même s'il parait aujourd'hui superflu, se montrera essentiel dans l'avenir : « il saisit ce qui importe à la morale de la communauté et aux intérêts de l'Etat avant que la crise ne l'ait révélé à tout le monde ».40(*)

Face aux deux grandes responsabilités d'assurer à la fois la paix et la cohésion nationale entre intérêts divergents et l'indépendance extérieure, Weil postule qu'il est de l'intérêt de l'Etat particulier d'oeuvrer pour la réalisation de ce qu'il nomme : une Organisation mondiale, seule à même de garantir la préservation des particularités morales des différentes communautés dans une coopération organisée.

Qu'en est il de cette « Organisation mondiale » ?

* 32 E. Weil, op. cit. p.171 : « Les gouvernements autocratiques ne sont pas des dictatures. Il faut réserver ce terme à un autre usage et le prendre dans son sens historique : une forme autocratique de gouvernement, mais temporaire, tenue en réserve pour des situations extraordinaires par la loi fondamentale des Etats constitutionnels. En cas de guerre, de troubles intérieurs grave, etc. il est techniquement indispensable que des décisions puissent être prises avec une rapidité qu'exclut l'observation des règles normales de la constitution : des droits extrêmement étendus sont donc accordés au gouvernement existant ( ou formé exprès), les garanties formelles de la constitution sont en partie, suspendues, des mesure ne se fondant sur aucune loi, même contraires à certaines lois en vigueur , sont considérées comme légalement valides. Le point essentiel est que cette dictature est prévue par la constitution même, que sa durée est limité, et qu' elle est instituée par le parlement... »

* 33 Le budget de l'Etat constitue avec l'armée, les deux sources du pouvoir effectif ; un gouvernement qui détient les pleins pouvoir sur ces deux éléments est au-dessus de tout.

* 34 E. Weil, Philosophie Politique, Paris, J. Vrin , 1984 p.162.

* 35 Weil dit interdépendance plutôt que indépendance parce que l'indépendance de ces trois pouvoirs, judiciaire, législatif et exécutif, si elle était vraiment réelle, serait la destruction de l'Etat.

* 36 Eric Weil, op. cit. , p.169.

* 37 EBOUSSI BOULAGA, Fabien, A contretemps. L'enjeu de Dieu en Afrique, Paris, Karthala, 1991, p.68.

* 38 E. Weil, op. cit. p. 215.

* 39 MACHIAVEL, Le prince (De principatibus) Traduit par Jacques Gohor, le livre de poche classique 879, Paris, 1962.

* 40 E. Weil, Philosophie Politique, p.197.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry