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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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INTRODUCTION

Signification de la notion d'ontologie sociale

Dans l'ouvrage mexicain intitulé Manual de philosophia social y ciencias sociales1(*) (2001), l'ontologie sociale est présentée comme étant l'une des quatre parties constitutives de la philosophie sociale. Les trois autres sous-disciplines de la philosophie sociale sont l'épistémologie sociale, l'éthique sociale et l'axiologie sociale. Voici ce qui est dit de l'ontologie sociale :

« L'ontologie sociale ou théorie du social, se nomme aussi métaphysique sociale. Il nous semble plus approprié de l'appeler ontologie sociale, car elle étudie la société en tant qu'être (...). D'un autre côté, la métaphysique atteint le plus profond niveau de l'abstraction formelle, elle étudie l'être en ce qu'il est, l'être en tant qu'il est un être, indépendamment de toute autre détermination. Par conséquent, il n'y a aucun inconvénient, d'un point de vue pratique, à utiliser ontologie et métaphysique comme des synonymes.

L'ontologie sociale traite de l'être de la société. Pas tant de ce que la société est ou a été au sein d'une conjoncture particulière, mais de ce que la société est en réalité, indépendamment des circonstances temporelles et particulières qui l'entourent. Elle cherche continûment son essence. Son problème de base est : Qu'est-ce que la société ? Ou bien, au niveau d'une ontologie régionale : Dans quelle zone ontique de l'univers se situe la société ?

L'ontologie sociale s'occupe aussi du mode d'être de la société, de son organisation, de sa structure, de ses fonctions, mais sans jamais entrer dans le détail sociologique. L'ontologie, en tant que partie de la philosophie sociale, range les données que lui fournissent les sciences sociales, les unifie et les généralise, cherche la réalité plus profonde qu'elles dénotent et les examinent de manière critique. Ainsi existe-t-il une complémentarité appréciable entre la philosophie et les sciences sociales. Elles forment deux étapes, ou deux niveaux, de la connaissance du social. »

Remarquons déjà qu'ontologie sociale et métaphysique sociale sont présentées ici comme deux expressions pouvant être utilisées comme des synonymes. Car l'ontologie comme la métaphysique s'occupent de l'être des choses, par opposition à leurs apparences. L'origine de ces deux notions est d'ailleurs identique, elles se manifestent apparemment pour la première fois dans l'ouvrage d'Aristote qui suit sa Physique. Pourtant, il convient de les distinguer. Métaphysique signifie « ce qui se trouve au dessus de la physique, ce qui échappe à la science ». La métaphysique renvoie à la connaissance de ce que la science ne peut pas connaître. L'ontologie, de son côté, signifie littéralement « science de l'être ». La rupture présente dans la première définition est donc absente de la seconde : l'objet de l'ontologie ne se trouve pas nécessairement au-delà de ce que la science peut connaître. En conséquence, si ontologie et métaphysique peuvent parfois être employés comme des synonymes, ce n'est que dans le cas où l'être qu'étudie l'ontologie est lui-même métaphysique. Nous pouvons en déduire que les expressions de métaphysique sociale et d'ontologie sociale peuvent être employées comme des synonymes dans le cas où l'être qu'étudie l'ontologie sociale se situe au-delà du champ de la science. Sa connaissance doit alors être purement spéculative.

En second lieu, le texte de María del Rocio présente les différents objets de l'ontologie sociale par opposition à la sociologie. Elle vise à connaître la société en tant qu'être, à découvrir son essence, mais aussi à comprendre sa forme, sa structure générale, et cela indépendamment des circonstances particulières dans lesquelles la société se présente. En revanche, l'ontologie sociale ne s'occupe pas de l'objet de la sociologie. Elle cherche à établir des généralités qui valent pour n'importe quelle société particulière, tandis que la sociologie s'occupe de découvrir les traits généraux d'une société particulière à un moment particulier. L'ontologie sociale s'arrête donc bien là où commence la sociologie. Le texte nous présente l'ontologie sociale comme la discipline chargée de classer les données fournies par les sciences sociales. Ce classement n'est pas anecdotique car il doit permettre de découvrir « la réalité plus profonde qu'elles [les données des sciences sociales] dénotent ». Autrement dit, l'ontologie sociale ne consiste pas en une spéculation philosophique totalement abstraite mais s'appuie au contraire sur l'ensemble des données de ces sciences du concret que sont la sociologie, l'histoire, la psychologie et l'anthropologie. Le point d'ancrage de l'ontologie sociale dans la réalité correspond donc à la somme des connaissances concrètes de la réalité sociale.

María del Rocio peut ainsi affirmer, en conclusion, que l'ontologie sociale et les sciences sociales sont tout à fait complémentaires : l'une généralise à partir de son observation de la réalité concrète tandis que l'autre généralise les généralisations de la première. L'ontologie sociale serait ainsi le second degré des sciences sociales. Ce jugement est-il fondé ? Doit-on vraiment reconnaître en l'ontologie sociale la discipline complémentaire - et en ceci nécessaire - des sciences sociales ? Ou bien l'ontologie sociale est-elle autre chose que la discipline chargée de classer les données fournies par les sciences sociales ?

* *

Carol Gould fut la première à « reparler » à la fin du vingtième siècle d'ontologie sociale. Elle intitula en effet son premier livre Marx's social ontology (1978)2(*). Dans son livre Globalizing democraty and human rights (2004), elle apporte une réponse au problème de l'hétérogénéité de l'ontologie sociale et des sciences sociales.

« But if we grant that a democratic procedure, however justified, may still arrive at an unjust outcome, then there must be some independant criterion of justice, the appeal to which cannot be, circularly, to a democratic or quasi-democratic procedure in turn. Instead, it must be grounded in some substantive features of human practice or of human existence if it is to have the normative force required. Then this proposes a quasi-foundational although nonessentialistic approach to the grounding of rights, liberties and entitlements, and this is what I have developed in my previous work. I have designated this approach social ontology. (...) A social ontology makes no appeal to a transempirical or transcendantal moral reality but rather is based on what I believe to be experientially or phenomenologically well-evidenced features of the action and interaction of human beings. Moreover, this is a regional ontology, which does not claims about the nature of being or reality but rather adresses itself exclusively to the domain of individuals in their social relations. Furthermore, my suggestion is that every social and political theory has an ontology commitment of this sort, whether recognized or not. »

Carol Gould veut proposer une nouvelle théorie de la démocratie. Selon elle, les théories traditionnelles n'envisagent pas la liberté et l'égalité de la bonne manière. Ces deux notions appellent par conséquent à être redéfinies, entreprise qui doit avoir lieu sur la base d'un travail d'ontologie sociale, laquelle ontologie sociale est alors présentée comme la discipline qui met à jour les propriétés générales les plus évidentes de l'action et des interactions entre les êtres humains. Il ne s'agit donc pas de proclamer la découverte de l'essence de la réalité sociale ou de prétendre connaître la nature de la société, mais seulement de préciser les attributs les plus généraux de l'être humain en tant qu'il vit en société.

Cette définition de l'ontologie sociale diffère largement de la précédente. La première définition ferait de l'ontologie sociale une sous-partie de la philosophie sociale, elle-même présentée comme une activité complémentaire aux sciences sociales. Cette fois, l'ontologie sociale doit fournir un critère normatif aux théoriciens de la démocratie, et pour cela constituer une sous-partie de la philosophie juridique et politique. Cette activité n'est plus associée à une finalité purement épistémologique. Elle prétend au contraire servir le normatif, constituer un appui philosophique pour certaines théories qui critiquent la réalité actuelle. Pour Carol Gould, « chaque théorie politique ou sociale possède effectivement une obligation ontologique de cette sorte ». Autrement dit, toute théorie politique visant à contredire la réalité actuelle doit le faire sur la base d'une ontologie sociale. Seule la connaissance des propriétés les plus générales de l'être social permet la critique de la manifestation actuelle et par conséquent particulière de ce même être. L'ontologie sociale fonctionne alors sur le mode : si l'homme en tant qu'homme est libre de telle manière Y, alors une démocratie qui vise à mettre en valeur la liberté de l'homme doit suivre tel modèle Z. Si les relations entre les hommes sont de type X, alors la démocratie doit faire régner une égalité W. Et ainsi de suite. Une telle définition offre aussi l'opportunité de mettre à jour, a posteriori, les ontologies sociales qui servaient d'appui aux différentes théories politiques proposées au cours de l'histoire. Le premier livre de Gould, par exemple, vise à mettre à jour l'ontologie sociale de Karl Marx. D'autres livres ont ainsi vu le jour aux Etats-Unis, se donnant le même objectif : « deviner », par une analyse des propos de tel ou tel théoricien, quelle était l'ontologie sociale qu'il avait à l'esprit lorsqu'il rédigea ses textes politiques3(*).

Nous disposons maintenant de deux définitions de l'ontologie sociale. La première la fait dépendre de la philosophie sociale et rattache celle-ci aux sciences sociales. L'ontologie sociale est la discipline qui utilise les données des sciences sociales pour déterminer les traits plus généraux de la société qu'elles dénotent. Elle classe toutes ces données dans des catégories plus abstraites que celles dont disposent la sociologie, l'histoire, l'anthropologie et la psychologie. Son objectif final est la découverte de l'essence de la société, des propriétés de celle-ci qui ne dépendent pas d'un contexte particulier mais de son être. La seconde définition envisagée rattache l'ontologie sociale au domaine de la philosophie politique. Elle ne considère pas ses implications vis-à-vis de la philosophie sociale, mais uniquement vis-à-vis des théories politiques. Elle affirme que l'ontologie sociale est une discipline qui se trouve au service de la théorie politique, en ce qu'elle fournit un fondement philosophique à ses jugements normatifs. L'ontologie sociale est alors le procédé de légitimation, par des considérations touchant à l'être en tant qu'être, des théories politiques. Et toute théorie politique, que ce soit d'une manière explicite ou implicite, possède sa propre ontologie sociale.

Ces deux définitions diffèrent très largement l'une de l'autre. Comment une expression comme celle d'ontologie sociale, possédant une signification très claire d'un point de vue étymologique - science e l'être social -, peut-elle donner lieu à des « versions » aussi différentes ? Pour comprendre le champ de variation dans l'acception de cette expression, nous allons remonter à ses premières apparitions - afin de décider si nous devons l'envisager comme une discipline proprement philosophique ou comme la simple sous-partie d'un autre domaine théorique.

* *

* 1 Manual de philosophia social y de ciencias sociales, María del Rocio, 2001, page 24.

* 2 Carol Gould n'est pourtant pas la première à avoir envisagé l'ontologie sociale. Nous reviendrons sur ce point plus loin.

* 3 Voir à ce propos:

From Aristotle to Marx: Aristotelianism in Marxist Social Ontology (Avebury Series in Philosophy) by Jonathan E. Pike - Ashgate Pub Ltd (1999).

The Other : Studies in the Social Ontology of Husserl, Heidegger, Sartre, and Buber (Studies in Contemporary German Social Thought) by Michael Theunissen, Christopher Macann - The MIT Press (1986).

The Social Ontology of Karl Barth by Paul E., Jr. Stroble - Intl Scholars Pubns (1994).

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery