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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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Histoire de la notion d'ontologie sociale.

Dans son article «Tre modelli dell' ontologia sociale», Paolo Di Lucia est le premier à rendre compte des origines de la notion d'ontologie sociale. Quatre auteurs sont présentés comme ayant été les premiers à parler explicitement d'ontologie sociale ou du moins à poser les mêmes questions qui font actuellement l'objet de si nombreux travaux. Ces quatre précurseurs de l'ontologie sociale sont Edmund Husserl (1859 - 1933), Czeslaw Znamierowski (1888 - 1967), Adolf Reinach (1883 - 1917) et John Dewey (1859 - 1952).

Husserl semble bien avoir été le premier à utiliser l'expression d'ontologie sociale. L'un de ses manuscrits posthumes porte le titre de Soziale Ontologie und deskriptive Soziologie (écrit en 1910). Mais c'est Znamierowski qui le premier envisage une définition précise de l'ontologie sociale. Son livre Podstawowe pojecia teorji prawa (1924) contient un chapitre intitulé « O przedmiocie i fakcie spolecznym » (objet social et fait social). Voici ce qu'il écrit dans ce chapitre à propos de l'ontologie sociale :

« Je nomme cette nouvelle discipline «ontologie sociale» car elle vise à déterminer la vérité générale concernant chaque forme (existante ou possible) d'entité sociale (...). »4(*)

Znamierowski définit ainsi l'ontologie sociale comme la partie de la philosophie qui se donne pour tâche de déterminer « la vérité générale concernant chaque forme d'entité sociale ». L'ontologie en effet est la discipline philosophique qui questionne le mode d'existence des entités en général.5(*) Plus qu'une science du mode d'existence des objets, l'ontologie est la discipline qui interroge les entités constitutives de la réalité. L'ontologie sociale, par conséquent, est la discipline qui vise à déterminer quelles sont les entités qui existent au sein de la réalité sociale.

On retrouve chez Adolf Reinach la même idée que l'ontologie sociale sert à poser les fondements d'une ontologie des entités qui naissent des actes sociaux [soziale akte] : les entités juridiques en tant que droits et obligations. Ces entités sont des entités irrégulières. Elles ne sont ni physiques, ni psychiques, ni idéales. Voici le texte de Reinach que cite Di Lucia : « C'est uniquement dans ce monde que l'on rencontre les entités juridiques, à cause de leur indépendance, entités qui constituent un territoire nouveau pour la philosophie. Celle-ci en tant qu'ontologie ou théorie a priori des objets, analyse tous les genres d'objets et tous les objets possibles en tant que tels. Comme nous le verrons, la philosophie rencontre ici un genre tout nouveau d'objet, un objet qui n'est ni physique ni psychique et qui en même temps se distingue, par son caractère temporel, des objets idéaux intemporels. »6(*) Notons l'originalité de Reinach par rapport aux deux autres : il caractérise l'objet de l'ontologie sociale comme distinct de trois autres catégories ontiques de la réalité, physique, psychique et idéal. Cette caractérisation suffit à elle seule à rendre légitime la mise en place de l'ontologie sociale comme nouvelle discipline philosophique. L'apport le plus important de Reinach consiste cependant à reconnaître une dimension temporelle aux objets de l'ontologie sociale (nommés ici entités juridiques). Ce caractère temporel force le philosophe à reconnaître les objets de l'ontologie sociale comme distincts des objets idéaux, lesquels sont nécessairement intemporels. Reinach met ainsi à jour trois traits propres aux entités juridiques : elles sont invisibles, immatérielles et temporelles.

Intéressons-nous maintenant à John Dewey. Celui-ci n'a jamais parlé explicitement d'ontologie sociale, mais il s'est posé des questions très similaires à celles des ontologues sociaux actuels. Dans son livre Experience and Nature (1925), il se demande en effet « Qu'est-ce qu'une Corporation, qu'est-ce qu'une Franchise ? Une corporation n'est ni un état mental ni un évènement physique particulier qui appartiendrait à l'espace et au temps. Il s'agit pourtant bien d'une réalité objective et non d'un être dont la réalité serait idéale. (...) C'est une chose qu'il convient d'étudier de la même manière que nous étudions les électrons ; tout comme ce dernier, il exhibe des propriétés inattendues, et lorsqu'il est introduit dans de nouvelles situations il provoque de nouvelles réactions. » (p. 154) Les corporations comptent parmi ces entités que Reinach qualifie de juridiques et Znamierowski de sociales. Il s'agit d'entités qui, précise ici Dewey, ne pourraient pas exister indépendamment d'une interaction humaine. Autrement dit, ce sont des entités qui émanent des interactions humaines mais qui possèdent tout de même une existence objective, tout comme une rivière. Les corporations, les Etats, les frontières, l'argent, toutes ces choses sont des réalités objectives qui n'existent que parce que l'homme les a mises en place.

* * *

Husserl, Znamierowski, Reinach et Dewey furent donc les premiers à envisager la naissance de l'ontologie sociale et de surcroît à la définir. Mais cela sans que la discipline existe à proprement parler. On n'entend pas parler d'ontologie sociale avant la fin des années 70. C'est seulement en 1978 que l'ouvrage de Carol Gould intitulé Marx's social ontology. Pratiquemment au même moment, paraissaient les ouvrages respectifs de Georg Lukacs, The ontology of social being (1978), et de Michael Theunissen, The Other: Studies in the Social Ontology of Husserl, Heidegger, Sartre, and Buber (1984). L'expression « ontologie sociale » devient alors au goût du jour, même s'il ne s'agit pas encore de l'ontologie sociale telle que pratiquée aujourd'hui. Mais on voit bien l'aventure commune de ces trois ouvrages qui consiste à proposer une analyse philosophique d'un ou de plusieurs auteurs classiques pour mettre à jour leurs présupposés ontologiques quant à la nature de la réalité sociale. Aucun toutefois ne visait à fournir une nouvelle théorie de la réalité sociale, et c'est la différence avec l'ontologie sociale contemporaine. Retenons de ce détour la définition la plus claire de l'ontologie sociale, celle que propose Znamierowski : il s'agit de « la discipline qui vise à déterminer la vérité générale concernant chaque forme (existante ou possible) d'entité sociale. »

* *

* 4 Cité en italien dans Di Lucia, Tre modelli dell' ontologia sociale.

* 5 Citons à ce propos Pierre Livet, qui écrit dans son article «Ontologie du social, institution et explication sociologique» (L'enquête ontologique, du mode d'existence des objets sociaux), « Se poser des questions d'ontologie, c'est simplement se demander quel est le type d'entités que l'on convoque lorsque l'on parle de quelque chose, que l'on décrit un phénomène et que l'on explique, et, ajouterai-je, quelles opérations sont possibles sur ces entités, quelles transformations permettent de passer de l'une à l'autre. » (p. 15).

* 6 Adolf Reinach, « Die apriorischen Grundlagen des bürgerlichen Rechtes », 1913, p. 145. Cité en Italien dans Di Lucia, Tre modelli dell' ontologia sociale.

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