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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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LES GROUPES EXISTENT - MARGARET GILBERT.

Si Searle reconnaît l'existence propre de l'intentionnalité collective au détriment de celle du groupe lui-même, Gilbert au contraire affirme que si les individus possèdent une disposition naturelle à l'intentionnalité collective, le contenu de celle-ci en revanche dérive de l'existence du groupe, c'est-à-dire du sujet pluriel que constituent les membres du groupe. La première chose à remarquer dans la théorie de Gilbert est la nécessité, pour qu'un groupe puisse être formé, que plusieurs individus soient présents. Comme nous l'avons vu, une condition nécessaire à la constitution des sujets pluriels est l'expression directe de la volonté des individus de s'unir afin de former un groupe. Il ne peut y avoir de groupe que là où les individus se perçoivent directement les uns les autres. Un cerveau maintenu en vie dans une bassine ne serait donc pas en mesure de former des intentions collectives, et ce à moins qu'il ne perçoive directement la présence d'un autre cerveau dans la même bassine...

Pourquoi Gilbert affirme-t-elle l'existence réelle des groupes sociaux ? Après tout, le concept de sujet pluriel pourrait très bien être un concept heuristique. En ce qu'il dénote les conditions à la formation des groupes, ainsi que diverses propriétés remarquables des groupes, des chercheurs pourraient l'utiliser qui ne se soucieraient pas de savoir si les groupes existent par eux-mêmes. Mais Gilbert tient absolument à ce que l'on considère les sujets pluriels comme existants. Alban Bouvier commente ainsi cette dimension particulière de son propos : « L'auteur, manifestement, soutient la thèse en question parce qu'elle la croit vraie. »78(*) Comment, toutefois, est-il possible de situer sur un même plan ontologique l'existence des individus et celle des groupes ? N'est-il pas certain que les individus existent plus que les groupes qu'ensemble ils constituent ?

L'argument le plus solide des tenants de l'individualisme ontologique est le suivant : Les êtres humains individuels constituent la base de la société. Or, un être humain qui pense réfère à lui-même de manière appropriée en usant du pronom «Je». Par conséquent, le référent de «Je», le soi, prime d'un point de vue ontologique sur le référent de «nous». [un être humain pensant ne peut référer à lui-même de manière appropriée en usant du pronom «nous»]. Cet argument repose sur un point de vue classique en philosophie, selon lequel le soi existe. La conscience, avant d'être une perception de l'extérieur, serait une conscience de soi. Une telle opinion conduit ensuite à l'idée selon laquelle l'individu est un sujet souverain de ses actes et de ses engagements au sein de la société. On trouve une telle conception dans les écrits de Rousseau, de Descartes, etc. Pourtant, cette idée du sujet a connu de nombreuses critiques, dont l'initiateur fut David Hume. Très récemment, un livre de Vincent Descombes, Le Complément de Sujet79(*), tendait à démontrer l'impossibilité logique de l'acte d'auto position que présuppose le concept même de sujet. Selon la thèse de Descombes, on a tort de considérer que le support des actions de l'individu est le soi, car cela présuppose que dans sa pensée, l'individu peut se placer face à lui-même et s'autodéterminer. Une telle capacité ferait de l'individu un être naturellement autonome. Au contraire, soutient Descombes, l'autonomie s'acquiert progressivement à travers l'apprentissage des règles que les institutions sociales fournissent à l'individu. Le sujet n'est donc que l'agent des actions qu'on lui attribue.

Si la théorie de Descombes ne s'accorde pas parfaitement avec celle de Gilbert80(*), la description qu'il propose de l'individu comme agent d'action convient à la théorie du sujet pluriel. En effet, selon le point de vue de Gilbert, l'individu est avant tout l'agent de certaines actions individuelles ou collectives. Lorsque l'action sert l'intérêt de l'agent et uniquement le sien, l'individu agit comme un agent singulier. Lorsque l'action sert, au contraire, l'intérêt d'un groupe, l'individu agit en tant que membre de ce groupe. Ceci signifie que l'être humain est autant capable de se donner des buts à lui-même que de reconnaître ceux du groupe auquel il appartient. La conscience de soi, c'est-à-dire la conscience de ce qui se manifeste dans la pensée individuelle, est belle et bien nécessaire à la reconnaissance des objectifs autant singuliers que collectifs, mais elle ne précède pas l'existence de ces objectifs. « La conclusion semble être que les humains en tant qu'agents singuliers et les humains en tant que membres de sujets pluriels se situent sur un plan ontologique équivalent. Aussi loin se puisse pousser le raisonnement ontologique, aucun des deux ne prime sur l'autre. »81(*)

Margaret Gilbert considère que les groupes sociaux humains existent en tant que tels, et non pas seulement en tant que somme des intentions individuelles. L'intention collective désigne l'intention d'un sujet pluriel et non le partage d'une intention par différents individus. Une telle conception implique que le sujet pluriel que constitue telle entreprise ou bien tel Etat national est susceptible d'avoir des intentions qui diffèrent des intentions de la majorité des individus constituant les groupes en question. « Il pourrait y avoir une intention partagée de faire ceci et cela alors qu'aucun des participants n'a personnellement l'intention de conformer son comportement à l'intention partagée »82(*) Comment cela serait-il possible ? Simplement, les individus concernés se sentiraient obligés d'avoir cette intention. Et si on leur demandait : as-tu l'intention de le faire ? Ils répondraient oui. Nous retrouvons ici l'idée de Gilbert que les sujets pluriels donnent naissance à des droits et à des obligations. C'est parce que ces droits et ces obligations existent, c'est parce que les individus les perçoivent et agissent en fonction d'eux, qu'il est nécessaire d'admettre l'existence des sujets pluriels.

On comprend maintenant en quoi la position de Gilbert relève à la fois de l'individualisme ontologique et du holisme ontologique. En soutenant que l'engagement volontaire des individus est requis pour l'existence d'un groupe social, elle souscrit à la thèse individualiste. Mais en affirmant l'autonomie intentionnelle des groupes constitués, elle maintient une position holiste.

* 78 Alban Bouvier, Avant-propos à « Marcher ensemble, Essais sur les fondements des phénomènes collectifs » - page 10.

* 79 Vincent Descombes, Le Complément de Sujet, Enquête sur le fait d'agir de soi-même. 2004.

* 80 Descombes reproche en effet à Gilbert de considérer comme possible l'existence d'un langage privé. Dans le débat qui oppose Gilbert à Winch, il prend le parti de Winch. - Voir le texte de Descombes, Philosophie des représentations collectives, p. 6.

* 81 On Social Facts, p. 432.

* 82 Gilbert Margaret, «Sociality and Responsibility», 2000, p. 18.

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