B. Le développement durable : mythe ou
réalité dans le domaine du marketing ?
Depuis que les entreprises se lancent dans la grande aventure
du développement durable, chacune tente à sa manière de
trouver une personne responsable d'un tel projet soit dans le comité de
direction, soit en créant spécialement un service ou un poste
pour s'en occuper ou alors en demandant à son service marketing ou
communication de s'en charger, comme c'est le cas pour Monoprix. Quoi qu'il en
soit mettre en place une telle stratégie demande un effort et une
volonté de la part de tous les salariés, cadres ou hauts
dirigeants.
On a souvent reproché au marketing de refuser de
changer sa philosophie et ses habitudes pour intégrer le concept au
quotidien. Or un service marketing-communication est au contraire la porte
ouverte entre l'entreprise et son environnement, c'est pourquoi il est
essentiel qu'aujourd'hui les marketeurs et professionnels de la communication
entrent à leur tour dans l'ère du développement
durable.
1. Intérêts d'une telle alliance
- La bousculade de nouveaux concepts
La combinaison du marketing et du développement n'en
est encore qu'à ses balbutiements, c'est pourquoi chacun utilise les
termes qu'il préfère : marketing vert, responsable,
durable... Quelle est la signification de ces mots ?
Selon Michèle Bernard et Jacques Boisvert, professeurs
à HEC, il existerait deux approches de ce qu'ils nomment le marketing
vert :
o Volontaire : autrement l'idée est de
laisser agir les forces du marché. Le pilier de cette vision est la
« consommation verte » que ce soit celle des consommateurs
comme celle des entreprises. Pour qu'on puisse parler de ce type de
consommation, il faut que celle-ci soit traduite par des actes, des changements
de comportements d'achat suffisamment importants pour exercer une pression
principalement sur les fabricants. La seconde condition pour qualifier ce
concept de volontaire est que les entreprises elles même soient sensibles
à ce sujet. Autrement dit, si elles ne se sentent pas prêtes
à répondre à ces changements d'habitudes de la part du
consommateur, alors cette théorie perd toute consistance.
o Incitative : l'idée est que le
marketing vert soit à la source une initiative de l'état qui
à travers lois et règlements pousse l'entreprise, et par
conséquent le consommateur, a adopté un comportement plus
responsable. Par exemple, une loi va imposer de prendre en compte un aspect
environnemental dans les procédés de fabrication pour un bien de
consommation donné.
En résumé, ces professeurs estiment que
l'appellation « marketing vert » correspond aux
conséquences de la transformation des modes de consommation sur la
fabrication, la distribution et la commercialisation des biens et services.
Mais il s'agit ici d'une approche un peu théorique. Or
des professionnels du conseil en développement durable ou de la RSE
exposent de façon plus pratique leur conception. Selon Stanislas
Dupré, directeur général d'Utopies, agence
pionnière dans le domaine, il existe plutôt trois types de
publicité responsable :
o Le marketing vert : il met en avant la valeur
éthique du produit
o Le marketing responsable : il prévient
les débordements du marketing
o Le marketing social : il fait la promotion des
comportement durables
Un autre professionnel du marketing, ABC marketing, reprend un
peu l'idée énoncée par M.Dupré mais encore une fois
de différente manière. En effet, cette entreprise parle
plutôt de trois niveaux d'implications du développement durable
dans la stratégie des organisations :
o Niveau 1 : la « peinture
verte » : les actions de communications de ces entreprises ne
seraient qu'une façade, un leurre pour attirer le client.
o Niveau 2 : les entreprises pensent saisir des
opportunités de nouveaux marchés en développant des offres
produits ou services « durables ».
o Niveau 3 : les entreprises intègrent le
développement durable au coeur même de leur stratégie.
Marie Le Gall, chercheuse au CNRS et maître de
conférence en économie et gestion à l'Université de
Rennes 1, présente elle aussi deux conceptions mais plus axé sur
l'aspect environnemental :
o Le marketing écologique : il suppose
que les comportements que ce soient ceux des entreprises ou des consommateurs
ne pourront se modifier qu'à partir du moment où nous auront
tous compris dans sa globalité les problèmes
environnementaux. Autrement dit, elle estime que l'écologie devrait
être avancé comme un argument de vente uniquement si c'est le
meilleur moyen de parvenir à préserver les ressources naturelles.
En résumé, l'offre des producteurs est supposée de ne pas
suivre une demande effective des consommateurs, mais résultée du
choix de l'entreprise de proposer un service ou un produit
« vert ».
o Le marketing vert : il s'agit plutôt de
l'hypothèse contraire. Les producteurs seraient sensibles à la
demande en produits « durables » des consommateurs mais ils
auraient tendance à la surestimer. Ainsi la démarche des
entreprises relèverait des pressions du marché et non d'une
motivation morale et sociétale. Selon l'auteur, cet conception reste
limitée. En effet, elle estime qu'il existe encore trop peu
d'entreprises répondant à cette demande, elle-même
restreinte.
Finalement, une dernière vision de l'alliance du
marketing et du développement durable nous est proposée par
Christine Bathelier, auteur d'un article paru sur le site internet Technologies
Propres. L'approche apparaît ici sous un jour plus critique que les
précédentes. Elle perçoit en effet cette alliance sous la
forme d'un nouveau « 3P » :
o Production : l'environnement est pris
en compte dans les processus de fabrication. C'est là qu'apparaissent
selon elle les technologies propres qu'elle définie comme utilisant
moins de matière première et ayant un faible impact sur
l'environnement.
o Produit : des produits eux même
moins toxiques pour la santé quotidienne des consommateurs
o Poubelle : l'objectif de ce qu'elle
appelle l'écolomarketing serait de diminuer le volume de déchets.
Sous la bannière de l'écolomarketing,
elle regroupe la vente de produits annoncés
« verts » (biodégradable, sans phosphate,
recyclable, sans conservateur, écoproduit, etc.) mais également
le mécénat « vert ». Un exemple de ce
dernier : Rhone Poulenc, partenaire de l'émission Ushuaia pendant
de nombreuses années. Ce type de mécénat permettrait de
créer et d'entretenir une image positive de l'entreprise.

En définitif, il n'existe pas encore aujourd'hui une
approche permettant de définir clairement l'implication du marketing
quand il est question de développement durable et vice versa. Cela
n'empêche pas qu'il existe un lien réel entre ces notions :
quel est son intensité et surtout son intérêt ?
- Pourquoi cela est-il important ?
A l'heure actuelle, on reproche au marketing et à la
communication d'être loin derrière les autres services qui on su
intégrer les principes de RSE dans leur quotidien. A qui la faute ?
Qu'importe. Une chose est sure : il existe un réel
intérêt à faire cohabiter marketing et développement
durable, voire beaucoup mieux : les faire
« travailler » ensemble pour de bon.
Le marketing est le service en entreprise qui permet de
centraliser les attentes des consommateurs avec l'offre produit de cette
dernière. Or, plus qu'une tendance, les motivations, attentes et
habitudes de consommation sont petit à petit en train de se transformer.
Ethicity, agence de conseils stratégiques en
développement durable, a rendu public le 23 novembre 2006 sa
3ème étude sur le sujet : « les
attentes des consommateurs évoluent vite, leur sensibilisation au
développement durable s'approfondit, et ils sont de plus en plus
nombreux à mettre en cohérence leurs actes d'achats avec leurs
déclarations ». En pratique, cette enquête, menée
en partenariat avec Aegis Media Expert auprès de 6000 personnes,
démontre que plus de 35% des personnes interrogées relient leur
acte d'achat avec leurs convictions. Or ces préoccupations rassemblent
des gens d'âge et d'opinion très diverses : un nouveau
phénomène en la matière. On parle même de
consomm'acteur.
On considère souvent que le rôle du marketing
est d'apporter des profits à l'entreprise. Ainsi selon M. Camenish,
« le marketing consiste à informer les consommateurs sur le
produit, de façon à ce que les ventes augmentent ».
Mais avant d'être un outil de séduction du consommateur, le
marketing doit comprendre les attentes, motivations et freins de ces derniers
afin de pouvoir proposer un produit en adéquation avec sa cible finale.
C'est pourquoi, les marketeurs ne peuvent plus ignorer aujourd'hui ces
tendances en terme de consommation, voire même l'avènement d'ici
une dizaine d'année d'un véritable nouveau mode de consommation.
Le marketing et la façon de communiquer sont
voués à changer d'autant plus que les personnes accordent de plus
en plus d'importance à l'engagement des entreprises, si elles sont
devenues socialement responsables. En effet, les entreprises engagées
dans une telle démarche mettent en jeu leur réputation et leur
image de marque. Pari risqué ?
Au contraire puisque 64.8% des français seraient
d'accord avec le fait de privilégier les marques qui ont une
véritable éthique, contre 40% il y a deux ans (toujours selon la
3ème étude d'Ethicity). Ils sont même 31%
à déclarer choisir des produits respectueux de l'environnement
contre la moitié en 2004. Une enquête de la TNS Sofres nous
apprend que 10% des consommateurs affirment boycotter les entreprises qui
polluent et ne respectent pas les réglementations en matière
d'environnement. 7% des personnes interrogées lors de cette étude
annoncent même consommer systématiquement des produits bio.
On ne peut cependant réduire ce que l'on appelle
aujourd'hui l'éco marketing aux seuls attentes du consommateur.
Il s'agit en fait d'une voie grande ouverte, pleine d'opportunités. On
aborde une communication plus transparente, « qui revient au coeur du
produit puisqu'elle raconte la véritable histoire du
produit », selon Elizabeth Pastore-Reiss, directrice d'Ethicity qui
ajoute même « cela redonne du sens à la
communication ». En terme d'éco conception,
« l'environnement leur a donné de nouvelles idées de
différenciation » souligne Nadia Boegin, chef du
département éco conception et consommation durable à
l'ADEME. La créativité et l'innovation ont un nouveau
combat : celui du développement durable. Un bel exemple de
réussite récente est celle d'Yves Rocher qui a lancé une
gamme entièrement éco conçue "Inositol
Végétal", pour laquelle l'entreprise a reçu un prix.
D'autant plus que c'est aujourd'hui qu'il faut agir pour notre
planète de prime abord, mais aussi ne pas se faire distancer par les
opportunistes qui prendraient en marche le train de l'éco marketing.
Elisabeth Laville, fondatrice et présidente de l'agence Utopies, nous
explique d'ailleurs les avantages à mettre en place une telle
stratégie : « En amont, cela permet de prévenir
les crises, de réduire les coûts et d'innover. En aval, on peut
ainsi marquer sa différence, fidéliser sa clientèle,
valoriser sa marque, et, enfin, assurer sa performance
économique ».
Si les éco citoyens, comme on aime à appeler ces
nouveaux consommateurs, sont encore marginaux, ils devraient rapidement voir
leur nombre décupler. Au risque d'être à la traîne,
les entreprises ont tout intérêt à se prendre en main
aujourd'hui afin de proposer des produits éco conçus, verts ou
durables afin de ne pas être dépassées par ses concurrents.
Au-delà de ces considérations, il ne faut pas
oublier que d'une manière ou d'une autre, un nouveau produit est
lancé par un service marketing qui le suit du début à la
fin, met toutes ses forces pour que son lancement s'opère au mieux et
que le produit devienne pérenne. On ne peut qu'espérer que les
efforts des marketeurs seront à la hauteur du développement
durable qui compte énormément sur cet aspect de l'entreprise pour
devenir un jour le modèle de tout bien de consommation.
- Les conditions pour
réussir
La réussite complète d'une telle alliance est
optimum lorsque le développement durable a été
intégré à la source : autrement dit quand la
direction d'une entreprise décide d'ajouter ce dernier dans sa
stratégie d'entreprise. Il doit alors s'opérer un
véritable changement de fond qui passe prioritairement par
l'information. En effet, si l'on souhaite impliquer tous les salariés au
projet, la meilleure solution est de former cadres et employés afin
qu'eux même prennent conscience de la situation mais plus encore du
rôle qu'ils peuvent jouer.
En effet, la mise en place d'une telle démarche ne doit
pas être subie, au risque alors de courir droit à l'échec.
Monoprix est un bel exemple illustrant ces propos : lorsque le groupe a
décidé de supprimer les sacs plastiques, les hôtesses de
caisses et leurs responsables ont suivis des formations qui leur ont permis de
comprendre l'enjeu d'une telle action, et qui ont pu ainsi transmettre
l'information aux clients de Monoprix, surpris au départ de se voir
retirer ces petits sacs transparents.
Les Français ont été déçus
par la vague verte (profusion de produits éco conçus,
recyclables, etc.) des années 90, d'autant plus que la communication
environnementale était trop générale et
l'efficacité des produits peu convaincante. Or Christine Bathelier a mis
en avant les "facteurs clés pour une communication verte
réussie" :
o Avoir des réalisations concrètes
o Ne pas être défensif
o Etre réaliste : se montrer d'abord sceptique
envers soi même, ce sur quoi on va communiquer, maintenir la
qualité du produit, offrir un choix, démythifier la nature.
o Choisir des créneaux indiscutables
o Ne pas s'avancer seul
o Etre le premier
Comme le conseille également ABC Marketing, la mise en
place du telle stratégie demande une réelle réflexion
marketing qui devrait comprendre les points suivants :
o Le positionnement initial de l'entreprise
o L'image perçue par les clients
o La légitimité de l'entreprise à se
positionner sur des axes environnementaux (au risque de ne pas paraître
crédible)
o La perméabilité des clients à recevoir
un discours ou une offre « verte »
o Les attentes des clients
o La perception de bénéfice pour les clients
Autrement dit, le développement durable au sein des
entreprises, et notamment au sein d'un service marketing et communication,
demande des efforts, de la préparation et surtout une très bonne
organisation. Il ne faut pas oublier qu'il n'est plus question d'être
cloisonné à sa propre mission : tous les services doivent
travailler au mieux main dans la main afin de toujours rechercher comment
améliorer la mise en oeuvre d'une telle démarche.
- Les petits pas de la communication et du
marketing dans la sphère durable
Malgré les critiques adressées au marketing et
à la communication pour leur retard dans ce domaine, des gens de la
profession commence à nous montrer le chemin : leur engagement est
un bel exemple et devrait être le moteur des modifications qui devraient
avoir lieu prochainement dans le métier.
Dans ce contexte, comment ne pas parler de Nature et
Découvertes, pionner et symbole de la RSE ? Cette entreprise
française créée en 1990 a pour ambition de faire
connaître et respecter la nature aux urbains, et c'est aujourd'hui un
succès : plus de 4 millions de clients et 600 employés,
voilà les chiffres clefs de la réussite. Mais bien plus qu'une
sélection de produits bien pensés, Nature et Découverte
dépasse aujourd'hui les murs de son enseigne pour proposer à ses
clients des actions telles que des sorties pédagogiques ou des
conférences. Ceci n'est que la partie immergée de l'iceberg,
puisque l'entreprise est aussi responsable à l'interne avec la formation
et la sensibilisation continues de ses employés et encore bien d'autres
faits comme la certification ISO 14001 de son siège social. Autrement
dit, Nature et Découvertes est un modèle que d'autres entreprises
s'évertuent à suivre, pour le bien être de tous.
Un autre exemple d'engagement en terme d'offre produit est
celui du groupe E.Leclerc. Non content d'être devenu le premier
distributeur de produits équitables en volume, cette enseigne appuie son
axe de bataille écologique sur les sacs plastiques. En effet,
après avoir été le premier (à nouveau !)
à supprimer ces sacs transparents en 1996, les centres E.Leclerc ont
lancé en avril 2006 le premier sac en coton 100% bio labellisé
Max Havelaar.
Les modèles de réussite sont nombreux pour ceux
qui se sont lancés dans l'aventure, mais il est vrai qu'on ne parle pas
encore des expériences avortées ou celles qui se
révèlent être des échecs retentissants. Peut
être faudra t-il attendre encore quelques années avant que ces
contre exemples fassent surface, afin d'abîmer un peu l'image parfois
surfaite que le développement durable est forcément une source
d'avantage concurrentiel.
L'offre produit, les achats responsables, etc. ne sont pas le
seul tenant de ce mouvement. En effet, les agences de communication prennent
elles aussi leur destin en main. APACOM (Association des Professionnels
Aquitains de la Communication) est engagée depuis quelques
années dans cette voie. En effet, l'ADEME a lancé une
réflexion sur les principes d'éco conception appliqués aux
activités de communication afin de réduire les impacts
environnementaux liés à leur mise en oeuvre. Dans ce contexte,
APACOM a voulu s'intégrer à ce mouvement et surtout mobiliser les
personnes concernées.
C'est ainsi qu'est né le projet "Com'Avenir" en
partenariat avec l'ADEME. Cet échange s'est concrétisé par
la création en 2004 d'un guide de bonnes pratiques d'actions de
communication respectueuses de l'environnement. L'engagement de cette
association ne s'arrête pas là ! Elle continue à
réfléchir sur le sujet et a lancé en 2006 une nouvelle
démarche "Com'Avenir Acte 2". L'objectif est d'inciter les communicants
à créer ou valoriser les produits éco conçus ainsi
que de développer une offre de produits
« durables ». En pratique, un groupe de dix agences de
communication ont été sélectionnées pour
créer ou valoriser un outil de communication plus respectueux de
l'environnement.
Le dernier exemple en date est celui de l'agence DraftFCB.
Depuis que celle-ci est dirigée par Bruno Walther, la
responsabilité sociale et notamment environnementale, est devenue la
base des valeurs de cette entreprise. En effet, le 30 mai 2007, elle a
créé l'évènement en lançant un
« minifesto » : "Une autre pub est possible ". Ce
manifeste explique les raisons qui devraient pousser toute agence de
communication à prendre le parti de réfléchir sur son
fonctionnement afin de devenir elle-même actrice du mouvement. Vous
pourrez retrouver ce document en annexe 2 afin de mieux comprendre le
discours de DraftFCB.
Ainsi décrit, allier le développement durable
à une activité marketing semble prometteur, voire une
opportunité à ne surtout pas rater. Tout dépend des
valeurs de l'entreprise, des avantages que cela lui procureraient, mais surtout
de la motivation des dirigeants, premier facteur d'engagement. Il existe
toutefois des risques et des limites au modèle, qui sont d'ailleurs les
raisons pour lesquelles certains n'osent pas encore tenter l'expérience.
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