Néhémie Mathieu
Master 1
Année universitaire 2005/2006
Le système de Leibniz et la physique quantique
Avant-propos
Tout d'abord nous devons préciser notre motivation
première, qui est celle d'atteindre une compréhension la plus
complète possible de la réalité. Il n'est donc pas juste
de considérer ni le système de Leibniz ni la physique quantique
ni même la simple addition des deux sujets comme l'objet premier de notre
étude. Bien plus, ces sujets sont considérés comme de
simples moyens. Si Leibniz doit occuper une place centrale c'est à cause
de la perspicacité et de la clairvoyance que nous avons cru
déceler dans son système. Mais il ne suffit pas qu'un
système soit attrayant pour qu'il participe précisément
à nos fins. En effet devons-nous établir clairement comment le
système de Leibniz peut nous aider dans notre progression vers une
connaissance plus intime du réel.
Il est clair à première vue que Leibniz fut
animé, dans son oeuvre, d'un objectif sensiblement similaire. Si son
système possède un pendant pratique et moral, il est
subordonné à la métaphysique comme l'action dérive
de la connaissance. Contrairement à Descartes qui vise bien plus
à établir les limites et les modalités de la connaissance
humaine, ou à Spinoza qui propose un système essentiellement
dirigé vers un principe pratique et une finalité humaine, Leibniz
recherche quand à lui à rendre dernièrement raison du
monde et de Dieu. Nous pas que tout soit accessible à l'humain, Leibniz
ne fait que convenir au principe de raison suffisante, qui veut que de toute
chose on puisse rendre raison, et au principe de continuité d'où
résulte qu'entre tous les êtres il n'y a qu'une différence
de degrés, bien qu'entre l'humain et Dieu la différence soit
infinie. De même c'est un élément essentiel chez Leibniz
que l'on ne puisse jamais accéder à la raison dernière
d'un particulier existant, notre entendement fini étant incapable de
saisir la série infinie qui en rend raison, mais ce n'est pas ce qu'il
recherche. Pour Leibniz tout est lié par un ordre et c'est cet ordre,
dont les vérités éternelles sont dans un certain sens les
composantes, qu'il recherche et qu'il juge accessible à notre
compréhension totale (connaissance adéquate). Aussi la
théorie leibnizienne de la substance nous la dévoilera comme un
miroir de tout l'univers qui, de par son imperfection, ne peut en saisir
distinctement toutes les parties mais néanmoins contient
intérieurement les principes du monde et de sa création,
principes que la métaphysique est chargée d'étudier.
Et c'est bien cet esprit de Leibniz, que toute perception est
un point de vue non pas vrai ou faux mais plus ou moins distinct et que le
distinct est organisation du confus, qu'on retrouve dans sa vie même.
Leibniz s'intéressera à la science comme à la
théologie, à la philosophie comme au droit, aux
mathématiques comme à l'histoire... Alors qu'une connaissance
a priori est bien plus parfaite, il est nécessaire, de par
notre imperfection, qu'une connaissance a posteriori lui soit
suppléée afin de constituer une science quelconque. Si Leibniz
recherchera bien une caractéristique universelle qui permette une
analyse et une connaissance a priori dans les domaines aussi bien
métaphysique que moral, ce n'est pas une table rase pour une philosophie
nouvelle que Leibniz tente. Bien plus est-il un conciliateur parce que selon
lui « il convient de conjuguer les deux philosophies, et commencer la
nouvelle où finit l'ancienne » (Lettre à
Coring). Leibniz défend donc Aristote face à la
réforme excessive des cartésiens et le mécanisme moderne
contre l'aristotélisme conservateur. Il voit dans tous les courants
philosophiques non pas des erreurs mais des visions qui ont un certain niveau
de confusion mais qui peuvent concourir à une vision plus distinct. Pour
son éclectisme et pour sa volonté de ne rien rejeter mais de tout
intégrer, la démarche de Leibniz nous semble plus à
même d'embrasser l'ensemble du monde et de Dieu, des possibles et des
existants, du particulier et de l`universel, et par conséquent de
participer davantage à notre entreprise de compréhension de la
structure du réel.
C'est également sur la liaison d'une connaissance
spirituelle et intrinsèque du monde et d'une connaissance scientifique
et extrinsèque, que Leibniz se montre un grand conciliateur. Il se
trouve en effet à une époque charnière, la philosophie
nouvelle des cartésiens et autres mécanistes veut se substituer
complètement à l'ancienne et à l'obscurantisme dont sont
taxés les formes antérieures de compréhension du monde
sensible. De la même manière que Descartes se refusait à la
théologie car ce n'est pas l'affaire du scientifique, Newton
élude certaines questions d'ordre métaphysique, ce qui ne
l'empêche pas de construire un système efficace (plus efficace
même que celui de Leibniz) pour établir les lois et prédire
les évènements du monde des phénomènes. Une rupture
s'opère entre science et métaphysique, ce qui fait craindre
à certains que cette nouvelle mécanique nuise à la
piété. En lame de fond on assiste au le glissement des sciences
naturelles vers une science des phénomènes et non des existences
fondamentales. Et c'est tout cela que Leibniz veut sauver, il veut
réconcilier la science avec la piété et la
métaphysique tout en admettant l'efficacité d'une
mécanique pure. Celle-ci permet de saisir les lois de l'action des corps
mais il faut la dépasser pour rendre raison de ces lois elle-même
aussi bien que de cette mécanique. Encore une fois ce n'est pas une
opposition qui doit avoir lieu mais une synthèse. Ainsi Leibniz tentera
de comprendre et d'interpréter métaphysiquement ses propres
découvertes physiques comme mathématiques mais aussi
s'attachera-t-il à vérifier, à l'aune de
l'expérience, ses conclusions métaphysiques et ses raisonnements
a priori. C'est cette intimité, entre sciences empiriques et
métaphysique, que tente de maintenir Leibniz et dont nous nous sommes
considérablement écartés. En effet, si les
dix-septième et dix-huitième siècles furent des
siècles de génies, d'hommes versés dans de nombreux et
variés domaines philosophiques et scientifiques, les vingtième et
vingt-et-unième siècles sont des siècles de
spécialistes, à l'image d'une répartition
économique des tâches. De nos jours les philosophes/scientifiques
ou les scientifiques/philosophes font figure d'exception. Et ce divorce entre
ces deux manières complémentaires de comprendre le monde est
à notre avis un frein pour l'appréhension du réel.
La physique quantique est la seule branche de la physique qui
peut présenter des aspects assez révolutionnaires et
bouleversants pour nourrir un réel et nouveau débat d'ordre
philosophique car il s'agit d'un des seuls domaines de la science moderne qui
pose de réelles questions ontologiques. Percer les secrets de la
matière est souvent le but qu'on lui assigne, quant ce n'est pas tout
simplement dévoiler l'essence des choses. Pourtant certains, dans une
optique positiviste, réduisent son rayon d'action aux seules
modalités opératoires pour tendre à limiter son rôle
à la prévision des évènements microscopiques. Nous
devrons donc analyser ces différents points de vue pour tenter de
dégager dans quelle mesure la physique quantique peut être
considérée comme une description de la réalité.
Aussi il nous faudra analyser son objet afin de déterminer s'il s'agit
de la simple matière, de l'ensemble de la réalité ou
peut-être seulement des modalités de nos processus cognitifs. La
théorie de la Relativité peut également susciter de
très intéressantes réflexions ontologiques et
épistémologiques mais elle n'a en commun avec la théorie
quantique ni son objet ni ses schèmes conceptuels et ne nécessite
donc pas d'être traitée en même temps. Ces deux aspects fort
bouleversants de la physique moderne sont par ailleurs complètement
indépendants l'un de l'autre, c'est-à-dire qu'il est aussi bien
possible de les traiter complètement séparément que
associés sans que cela ne pose le moindre problème
théorique ou expérimental. De plus, les problématiques que
soulève la Relativité sont bien davantage
maîtrisées et bénéficient d'un assez solide
consensus quand à leur interprétation. Celle-ci sera tout de
même évoquée à quelques endroits de notre
étude, car elle participera au débat, sans que son analyse
complète ne soit nécessaire.
Pour le moment il nous est aisé de dégager, par
un rapide survol de la théorie quantique, que son efficacité
prévisionnelle, associée aux polémiques ontologiques et
épistémologiques dont elle est l'objet, nous permet de supposer
que son étude devrait grandement participer à notre dessein. La
rupture que l'on évoque souvent entre la théorie quantique et la
physique classique, de même que les nombreux concepts philosophiques
inédits auxquels elle est liée, peuvent nous laisser à
penser que la microphysique est en mesure de réconcilier la science avec
la quête de la nature des existences fondamentales, et de restaurer la
jonction entre science et métaphysique que tentait de sauvegarder
Leibniz. Du moins il s'agit du dessein avouer de plusieurs des plus grands
génies de la physique moderne ayant participé à
l'élaboration de la théorie quantique. A l'opposé on
trouve de nombreux physiciens qui on pu voir dans cette nouvelle physique la
preuve de l'inéluctable échec de toute entreprise
théorique visant à décrire le réel ontologiquement.
Ce dernier point de vue nous sera tout de même d'une grande
utilité car soit nous nous approprierons certains de ces arguments pour
limiter notre perspective d'une compréhension exacte du réel soit
nous devrons clairement expliquer comment ces arguments ne suffisent pas
à restreindre le champs de notre étude.
Enfin, comme ultime raison qui nous amène à nous
intéresser à la physique quantique, on peut rappeler comment
Leibniz appuie en partie la validité de son système sur
l'adéquation qu'il présente avec les données fournies par
les sciences naturelles et, puisque la physique a considérablement
mutée depuis le dix-huitième siècle, il nous semble
nécessaire de soumettre son système au crible de ces nouvelles
données. Mais avant tout il nous faut entreprendre d'un
côté un exposé du système de Leibniz et de l'autre
celui de la problématique quantique pour avoir en main tous les
éléments permettant une telle confrontation. Ni l'un ni l'autre,
ni même leur synthèse, en tant que simples points de vue, ne
peuvent constituer, selon les principes que nous nous sommes fixés, une
description globale et définitive de la réalité, mais
cette synthèse que nous rechercherons dans un troisième temps
devrait constituer, par là même, un meilleur point de vue et par
conséquent nous rapprocher de notre objectif.
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