1. Exposé du système leibnizien
1.1. Introduction
Avant d'entreprendre ici un tel exposé, nous devons
mettre en garde le lecteur de ne pas se méprendre en pensant que cet
exposé est une fin en soi. L'objectif que nous nous sommes fixé
n'est ni l'exhaustivité, que nous jugeons inaccessible à nos
capacités et à la taille retenue pour notre étude, ni la
fidélité chronologique, car ce n'est pas un travail historique
que nous envisageons. Si un tel exposé est ici proposé, c'est
qu'il est un moyen à une fin que nous nous sommes proposée. Il
nous permettra de mettre en question par la suite certains aspects de la
pensée leibnizienne, d'envisager sa saisie indépendamment de son
contexte pour enfin avoir à notre disposition les outils
nécessaires à une meilleure compréhension du réel.
Ce n'est donc pas fortuit si certaines parties de la
pensée de Leibniz pourront paraître plus développées
à proportion de leur place dans l'oeuvre même de l'auteur. Bien
que ce soit un mérite du système leibnizien que tous ses
thèmes s'entre-répondent comme les monades entre elles dans
l'harmonie préétablie, le développement qu'en a fait
Leibniz n'est pas exempt de considérations pratiques (ce qui ne les
empêche pas d'être louables). Ainsi la place qu'il accordera au
problème de la connaissance, et notamment des idées
innées, dans les Nouveaux Essais tient au souci de s'opposer
à Locke pour le réconcilier avec Descartes, le premier fondant
son empirisme sur la critique de la théorie erronée des
connaissances innées du second. La Théodicée
témoignera pour sa part de la volonté de Leibniz de
participer à la réunification religieuse, sur fond de schisme et
de monter de l'athéisme, et à la conciliation de la providence et
de la liberté ainsi que de la raison et de la foi, terrains sur lesquels
Bayle déclarait alors forfait. Donc, précisément parce que
notre entreprise n'est pas historique, nous ne respecteront pas exactement les
proportions en vigueur entre les différentes parties de l'oeuvre de
Leibniz. Par contre il sera de notre devoir de n'en omettre aucune et de
maintenir leur interdépendance naturelle car c'est un des piliers d'un
tel système que tout y soit lié harmonieusement. Bien que de
tailles plus réduites, les Discours de métaphysique,
Système nouveau de la nature et de la communication des
substances et Monadologie constitueront, dans cette optique, des
sources beaucoup plus précieuses en tant qu'exposés globaux que
Leibniz fit de son système.
Nous ne respecterons pas non plus exactement la chronologie du
développement de l'oeuvre de Leibniz car, si ce dernier se fixa assez
tôt sur l'essentiel de sa doctrine, son exposition fut soumis aussi bien
à des contraintes historiques que, là encore, à des
impératifs pratiques. Mais le système proprement dit n'est pas
lui-même exempte de chronologie, et c'est celle-ci que nous allons tenter
de suivre. Si cette chronologie n'est pas sans analogie avec celle de
l'exposition historique de l'oeuvre, elle rend plus compte de la méthode
que de la vie de Leibniz. A la manière d'une monade, un système
tend à une plus grande perfection en tentant de rendre mieux compte des
choses et, conformément au principe de continuité, ce n'est pas
par sauts que Leibniz construit un système de plus en plus pertinent
mais par une progression réglée. Chaque étape de la
progression est comme un point de vue différent du même univers,
et toutes ces étapes, correctement organisées et mises en
harmonie doivent concourir à un point de vue plus distinct, à une
perception plus parfaite de l'univers. Cependant Leibniz ne part pas pour cela
d'un seul point de vue, il dispose de deux points de départ principaux
qui devront eux aussi se fondre dans une meilleure vision. Ainsi, c'est par
deux cheminements complémentaires que le philosophe doit accéder
à l'essence des choses, les données a posteriori devant
s'accorder avec les déductions a priori. Le premier cheminement
peut-être dit extrinsèque et correspond à la vision
physique que Leibniz a lorsqu'il regarde le monde d'un oeil extérieur et
qu'il endosse ses attributs de scientifique empirique. Le second est une vision
intrinsèque, plus profonde, où Leibniz part de l'âme, des
notions essentielles et des vérités éternelles pour en
déduire, en métaphysicien rigoureux, tout ce qu'il en est
possible. Ces deux cheminements constitueront donc les deux premières
parties de notre exposition, car il nous faut, pour rendre justice au
système, montrer les différentes manières de le prouver.
Mais leur ordre d'exposition ne devra pas laisser penser à un quelconque
ordre chronologique correspondant à l'histoire de la pensée
leibnizienne, il s'agit d'un ordre formel qui n'est en vigueur que pour la
clarté de notre exposé car Leibniz empruntera de manière
combinée et alternée ces deux voies dans sa progression. Comme
nous venons de le dire, ces deux optiques, pour que le système conserve
sa cohérence, doivent cependant se dissoudre dans une exposition finale
du système qui doit, seule, exprimer l'univers avec un maximum de
perfection, bien que, de la même manière qu'on rend compte d'une
perception par la perception antérieure, les deux cheminements soient
nécessaires pour rendre raison du système dans son entier. Cette
vision plus globale sera l'objet de notre troisième et dernière
partie et se révélera la plus nécessaire et la plus
fructueuse pour la suite de notre étude.
|