Débat autour du concept de journalisme de paix( Télécharger le fichier original )par Charline Burton Université Libre de Bruxelles - Licence en information et communication 2006 |
1.2.2. Petite leçon de vocabulaire...Lorsque le journaliste a choisi d'utiliser ses armes - sa plume, micro ou caméra - pour promouvoir la paix, il doit adopter une attitude particulièrement vigilante dans le choix de ses mots. Ainsi, certains termes d'usage courant sont souvent utilisés de manière erronée et l'utilisation de certains mots de façon inappropriée peut générer des conséquences parfois malencontreuses. Génocide : (de génos, race) extermination (anéantissement) d'un groupe ethnique, social ou religieux. Le terme est souvent utilisé de manière abusive et il s'agit de s'interroger : les faits consistent-ils réellement en une action visant à exterminer toutes les composantes d'un groupe ? Décimer : (de decim, dix) réduire à un dixième de sa taille originelle. Assassinat : meurtre prémédité. Ce mot est trop souvent employé sans que la notion de préméditation ne soit prouvée. Massacre : (de macecre, abattoir, fin XVIème s.) action de tuer délibérément des victimes sans défenses ou désarmées. Les victimes étaient-elles réellement sans défense, ou s'agit-il de morts au combat ? Systématique : (ex. viols systématiques) Qui est intégré dans un système, qui procède avec méthode, dans un ordre défini, pour un but déterminé. S'agit-il vraiment d'actions délibérément organisées selon un modèle ou était-ce plutôt un nombre d'incidents similaires, certes regrettables, mais indépendants les uns des autres?1 Et en ce qui concerne la question du vocabulaire utilisé, Lynch et Mc Goldrick, les deux théoriciens de référence, vont plus loin. Ils préconisent de prêter une attention toute particulière à l'utilisation des adjectifs comme << vicieux >>, << cruel >>, << brutal >>, << barbare >>. Il s'agit souvent du point de vue d'une des parties sur les actes commis par l'autre. Les utiliser situe le journaliste de ce côté et justifie une escalade de la violence. Idem avec << terroriste >>, << extrémiste >>, << fanatique >>, << fondamentaliste >>, qui donnent implicitement l'idée d'une personne irraisonnable et donc impropre à la négociation. Il vaut mieux appeler chaque groupe par le nom qu'il se donne, ou être plus précis dans les descriptions2. 1.2.3. ExempleReportage traditionnel3 : Yoho City, YNS - De nouveaux affrontements dans la guerre de gang ethnique de la ville ont fait sept jeunes tués et un entrepôt détruit dans la nuit de jeudi. Des coups de feu et des cocktails Molotov ont été lancés entre les gangs rivaux de Yoho et Atu durant presque 20 minutes, au cours de ce qu'un policier a qualifié de << fusillade ethnique >>. Un des résidents a déclaré avoir entendu un jeune homme Atu crier << Nous vous tuerons tous >> tout en lançant une bombe au pétrole à l'intérieur d'une voiture remplie de jeunes Yoho qui était garée à l'extérieur de l'entrepôt. Le jeune homme a été tué par balle par un Yoho qui a tiré depuis une fenêtre de l'entrepôt, a ajouté un autre résident. D'autres membres du gang Atu ont été vus tirant des bombes de pétrole à travers les fenêtres de l'entrepôt, qui a fini brûlé par les flammes. Les autorités policières affirment que les deux gangs poursuivent une guerre ethnique dans la zone depuis plusieurs semaines... Reportage << proactif >> : Le trafic illégal de narcotiques qui tourmente la ville a déclenché dans la nuit de jeudi une fusillade entre deux groupes trafiquant dans une zone de la banlieue. Selon les explications des résidents, la fusillade, qui a causé la mort de sept personnes, impliquait de jeunes hommes recrutés par les dealers rivaux qui essaient de prendre le contrôle du quartier. Quatre des victimes sont des jeunes 1 Le CD-Rom du Petit Robert, version électronique du Nouveau Petit Robert, version 2.1, Dictionnaires Le Robert, VUEF, 2001. 2 LYNCH J. Reporting the World: The findings. A practical checklist for the ethical reporting of conflicts in the 21st century, produced by journalists, for journalists, 2002, pp. 72-73. Disponible sur http://www.reportingtheworld.org.uk/files/rtw_booklet.pdf 3 Ces exemple et contre-exemple sont issus de HOWARD R. Conflict sensitive journalism, 2004, p. 17, disponible sur http://www.impacs.org/actions/files/MediaPrograms cliquez sur le lien << handbook pdf final french version >>. Yoho engagés pour surveiller un entrepôt, soupçonné par les résidents d'être un centre de distribution de drogues, a déclaré Jane Brown, représentante de l'association des citoyens de l'est. Tandis qu'un autre dealer, qui tente également de prendre le contrôle dans la banlieue Est, a recruté des sans-emploi Atu puis les a armés, a expliqué Mme Brown. << La police a refusé de négocier avec les trafiquants qui ont transformé notre rue en un champs de bataille. Nous avons besoin d'un poste de police, d'argent pour les centres de désintoxication... >>
Cette illustration démontre que le journalisme de paix ne se veut pas manipulateur : il ne s'agit pas de cacher des informations qui pourraient avoir des conséquences négatives aux yeux du journaliste, mais bien de présenter différemment la réalité. Dans l'exemple ci-dessus, le journaliste proactif n'a pas caché l'identité ethnique des dealers, ni leurs crimes. À bien des égards, il ne s'agit que d'un journalisme << scolaire >> qui prête attention à la distinction des faits et des opinions et à la recontextualisation. Rien d'hors normes, à première vue. Pourtant, l'impression générale diffère à la lecture des deux articles et la réaction du lecteur sera différente selon qu'il ait lu l'une ou l'autre version. À la lecture du premier compte-rendu des événements, un lecteur non averti pourrait se croire en présence d'un embryon de guerre ethnique, au risque d'attiser des tensions ethniques à plus grande échelle, qui pourraient se répercuter dans la ville entière. Alors qu'en lisant l'article << proactif >>, même s'il est lui-même Yoho ou Atu, le lecteur comprendra que cette << guerre des gangs >> n'est pas la sienne, puisqu'il s'agit en fait de narco-traficants luttant pour le contrôle d'un quartier. Il faut également noter l'effort du journaliste proactif pour trouver, dans la mesure du possible, des voies de sorties de crise, qu'elles viennent de son propre chef ou de celui d'un des acteurs du conflit. |
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