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Les obstacles à la bonne qualité de l'eau dans les rivières péri-urbaines. L'exemple du bassin versant de l'Azergues (Rhône)

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par Nicolas Talaska
Université Lumière Lyon 2 - Maîtirise de géographie 2007
  

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Introduction

Selon une enquête de l'Ifen, réalisée en 2003, la qualité de l'eau des milieux aquatiques (rivières, lacs, nappes souterraines, mers et océans) serait la deuxième préoccupation environnementale des français après la qualité de l'air.

Le parti pris par l'Ifen de considérer l'eau de la `nature' et non pas l'eau du robinet, comme c'est souvent le cas, sous tend un point essentiel. L'eau n'est pas seulement une ressource pour fabriquer de l'eau potable ou pour produire de l'électricité, elle est aussi un milieu de vie pour les végétaux et les animaux aquatiques ainsi qu'un support d'activités humaines non extractives (loisirs, agrément paysager). La prise en compte de cette double dimension de l'eau est le résultat d'un changement de paradigme quant à la représentation de cet élément.

Si l'origine de ce changement est multiforme, l'adoption en France de la première loi sur l'eau en 1964 marque au moins son institutionnalisation. Cette loi prend acte des multiples dégradations de l'eau et des risques que cela fait peser sur la pérennisation de ses usages, au premier rang desquels la production d'eau potable. Elle crée également les conditions institutionnelles, financières et techniques d'une gestion globale et décentralisée de la ressource en eau. Pour y parvenir, la loi instaure la création d'administrations spécifiques : les agences financières de bassin, devenues Agences de l'Eau depuis. Elles ont pour objectif d'impulser les politiques de gestion de l'eau à l'échelle de territoires dont la cohérence ne repose pas sur le traditionnel maillage administratif français, mais sur l'aire d'alimentation des grands cours d'eau : les bassins hydrographiques.

Dans le fond, ces dispositions instituent la volonté d'utiliser l'eau autrement que ce qui prévalait jusqu'ici. L'eau conçue essentiellement comme une ressource illimitée au service des usages anthropiques est un élément « corvéable et malléable à merci » (Aspe, 1999, 10). L'eau est endiguée pour favoriser le transport fluvial ou pour se protéger des crues, elle est stockée pour produire de l'électricité, elle est drainée des terres qu'il faut cultiver. Elle est enfin l'exutoire de tous les rejets, qu'ils soient domestiques ou industriels. Cette intense exploitation de l'eau a été favorisée par les progrès techniques d'après guerre mais elle était surtout nécessaire pour répondre aux besoins croissants engendrés par le développement économique, agricole, démographique et urbain des Trente Glorieuses. Ce mode d'utilisation de l'eau aboutit à une dégradation tellement avancée de la ressource qu'il met en péril les usages de l'eau.

Il faut donc utiliser l'eau autrement pour pérenniser les exigences des besoins humains. C'est bien l'objectif principal de la loi de 1964 qui stipule dans son article 1er que « la lutte contre la pollution des eaux et leur régénération » a pour « but de satisfaire ou de concilier les exigences : de l'alimentation en eau potable des populations et de la santé publique ; de l'agriculture, de l'industrie, des transports et de toutes autres activités humaines d'intérêt général ». Mais au-delà des efforts de lutte contre la pollution pour mieux satisfaire les besoins humains, la loi indique aussi que ces efforts doivent permettrent « la vie biologique du milieu récepteur et spécialement de la faune piscicole ainsi que des loisirs, des sports nautiques et de la protection des sites ». D'une manière explicite la loi de 1964 instaure le principe de la conciliation. Tous les usages de l'eau doivent être réalisables sans pour autant détruire les conditions naturelles qui les permettent. L'attention porte alors essentiellement sur les pollutions de l'eau. Pour en réduire les conséquences négatives sur les usages de l'eau et sur la vie aquatique (les poissons essentiellement), la loi réglemente les rejets dans le milieu en assignant des objectifs de qualité pour chaque rivière en fonction des usages qu'elles permettent. Cette volonté d'action se double de l'élaboration d'outils et de méthodes scientifiques pour évaluer la qualité de l'eau.

Le principe de conciliation est accentué dans la deuxième loi sur l'eau de 1992 puisque l'eau devient un « patrimoine commun de la nation ». A travers cette expression se trouve affirmé le principe selon lequel tout individu a le droit de disposer d'eau à sa convenance pour satisfaire ses besoins quels qu'ils soient. Par exemple, la pratique du kayak doit pouvoir s'accorder avec celle du pêcheur à la ligne, et ces deux là ne doivent pas être entravées par la production hydroélectrique ou l'irrigation agricole. Tous les usagers deviennent également les titulaires du patrimoine-eau et en sont à ce titre responsables.

La notion de patrimoine est fondamentale en cela qu'elle modifie durablement la manière de concevoir et de gérer l'eau. On retiendra la définition de Montgolfier (1987, 241) pour qui le patrimoine est un « ensemble d'éléments susceptibles, moyennant une gestion adéquate, de conserver dans le futur des potentialités d'adaptation à des usages non prévisibles aujourd'hui ». Cette définition implique donc une vision sur le long terme et la prise en compte des générations futures. Cette position éthique est proche de la notion de « développement durable ». Malgré l'utilisation abusive de cette notion, nous nous placerons dans cette position car elle est au coeur des politiques environnementales actuelles. La définition de Montgolfier sous tend également l'idée de déterminer un certain état du patrimoine pour qu'il soit pérenne. Quelles sont alors les caractéristiques du patrimoine-eau qui permettront de satisfaire aux usages futurs ? Quelle qualité de l'eau permet de satisfaire tous les usages y compris ceux qui n'existent pas encore tout en conservant les fonctionnalités naturelles qui les permettent ?

La détermination de la qualité de l'eau et plus encore la définition d'une « bonne qualité », c'est-à-dire celle qui permet de pérenniser les potentialités d'usages du patrimoine en permettant sa régénération, est donc un préalable essentiel à toutes politiques de gestion de l'eau. Mais la conception de la « bonne qualité » a évolué puisque l'eau n'est plus seulement ressource mais aussi milieu. Or ce milieu ne concerne plus seulement les poissons mais toutes les formes de vies aquatiques (formes biotiques) ainsi que l'état du milieu physique qui les supporte (formes abiotiques). Il ne s'agit plus de considérer les seules pollutions du fluide comme le faisait la loi de 1964, mais de prendre en compte tous les compartiments de l'hydrosystème, car de leurs interactions dépend la qualité globale de l'eau. Cette approche systémique modifie donc sensiblement la manière d'évaluer la qualité de l'eau. Elle étend considérablement l'espace à considérer pour comprendre les tenants et les aboutissants de la qualité. La qualité du fluide dépend des milieux aquatiques et plus largement des activités du bassin versant. Or, considérer un espace toujours élargi pour comprendre ce qui fait la qualité de l'eau implique de prendre en considération un nombre important d'acteurs. Toutefois, la complexité de l'approche systémique semble n'être à la portée que d'experts ou de scientifiques alors que toutes personnes agit plus ou moins directement sur la qualité de l'eau sans forcément connaître ou admettre l'impact potentiellement négatif de son action sur la qualité de l'eau. Il semble donc qu'il y ait ici un contexte propice à des divergences de perceptions de la qualité de l'eau. D'un côté, des experts produisent un savoir `objectif ' de la qualité, et de l'autre, des `profanes' utilisent des critères différents pour évaluer la qualité de l'eau.

Pour autant, la « bonne qualité » de l'eau devient un objectif ultime qui s'inscrit autant dans un souci utilitariste (limiter les dégradations des milieux aquatiques pour garantir les usages humains) que naturaliste (limiter les dégradations des milieux aquatiques pour préserver leur valeur écologique en soi). Cet objectif prend même un caractère réglementaire avec l'adoption, en 2000, de la Directive Cadre européenne sur l'Eau (DCE). Elle fixe comme objectif aux Etats Membres d'atteindre à l'horizon 2015 un « bon état » des eaux. Si ce « bon état » doit permettre de satisfaire les usages actuels et futurs de l'eau, il est évalué à partir de l'état des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques. Cette définition du « bon état » postule qu'un fonctionnement optimal des écosystèmes aquatiques permet de pérenniser le patrimoine-eau. Cet état optimal correspond à un fonctionnement des écosystèmes dans un contexte  pas ou très peu perturbé par l'homme. Ainsi, cette manière d'évaluer la qualité de l'eau, à partir de ses fonctionnalités naturelles, affirme nettement la conception de l'eau-milieu et tend à primer, en apparence, sur l'eau-ressource.

En moins de 50 ans, la manière de concevoir l'eau a donc profondément changé, et cela bouleverse le rapport des sociétés avec l'eau. De fait, elle bouleverse aussi les représentations de la « bonne qualité » de l'eau. Alors qu'une rivière qui « coule bien », c'est-à-dire non entravée par des bois morts ou des bancs de graviers, est considérée par beaucoup de personnes comme un gage de bonne qualité, cette représentation est fortement remise en cause par les progrès de la recherche qui démontrent au contraire que le bois mort et les bancs de graviers sont des éléments indispensables au bon fonctionnement des milieux aquatiques et donc à la « bonne qualité » de l'eau. Alors comment parvenir à une « bonne qualité » de l'eau si tous les acteurs ne partagent pas la même représentation de cette « bonne qualité » ? Quand bien même tous les acteurs s'accordent sur une qualité à atteindre, la poursuite de cet objectif n'est pas toujours effective (Mermet, 2000) ou les résultats ne sont pas à la hauteur de ceux attendus (Salles, 2006). Quels sont alors les obstacles à la « bonne qualité » de l'eau ?

Cette question est pertinente sur le terrain d'étude retenu et pour le type d'eau concernée. Sont considérées de manière privilégiée, les eaux de surfaces courantes. Dans le bassin versant de l'Azergues, une rivière au sud du Beaujolais dont la partie aval est relativement proche de l'agglomération lyonnaise, quatre des cinq masses d'eau risquent de ne pas atteindre les objectifs de la DCE pour 2015, et pour les deux masses d'eau aval, ce risque est estimé comme fort. Le bassin versant de l'Azergues est concerné par un contrat de rivière mis en oeuvre depuis 2003.

La question des obstacles à la « bonne qualité » de l'eau est au coeur de la recherche présente, toutefois ses angles d'approche sont nombreux. Cette question de la « bonne qualité » est d'abord abordée comme un axe fondamental des politiques actuelles de gestion de l'eau (objectif DCE). A ce titre on postule que la gestion de l'eau relève d'une gestion patrimoniale, c'est-à-dire une gestion qui vise à pérenniser les potentialités du patrimoine-eau tel que cela a été définie plus haut. En reprenant les principes de la gestion patrimoniale de Montgolfier, on peut dire que s'intéresser à la qualité de l'eau nécessite de considérer trois démarches. La première est celle de l'analyse systémique du milieu aquatique. Elle vise à comprendre le fonctionnement de l'hydrosystème. La deuxième est relative aux « méthodes multicritères d'aide à la décision ». Elle vise à guider l'action sur l'hydrosystème. La troisième est celle de l'analyse du système- acteurs appliquée à la gestion de la qualité. Elle s'intéresse aux relations que les acteurs entretiennent avec le patrimoine, ici la rivière et plus précisément sa qualité.

La démarche adoptée pour ce mémoire s'inscrit dans cette troisième dimension de la gestion patrimoniale. Il ne s'agit pas de faire un diagnostic environnemental, celui-ci a déjà été réalisé dans le cadre des études du contrat de rivière. Il ne s'agit pas non plus de proposer des outils d'aide à la décision puisque les décisions ont déjà été prises et actées dans les engagements et les objectifs du contrat de rivière. Nous nous intéresserons à la relation que les différents acteurs entretiennent avec la notion de « bonne qualité » de l'eau des rivières. Il s'agit de voir si une conception de la « bonne qualité » est partagée par tous les acteurs et dans le cas contraire si des conceptions divergentes peuvent représenter des obstacles pour parvenir à la « bonne qualité » telle qu'elle est demandée par la DCE. Cette démarche repose donc largement sur des enquêtes de terrains auprès des différents acteurs impliqués dans la gestion de l'eau mais également auprès des simples usagers de la rivière.

Cette étude s'inscrit enfin dans un espace particulier puisque le bassin versant de l'Azergues, de par sa proximité de l'agglomération lyonnaise, est soumis à des dynamiques périurbaines qui modifient plus ou moins profondément les territoires du bassin versant. Ces dynamiques socio-spatiales (fort accroissement démographique, extension urbaine et pression foncière, diversification des activités économiques) sont susceptibles d'interférer avec les politiques de gestion de l'eau.

Dans la première partie, il s'agira de définir ce qu'est la qualité de l'eau. Nous verrons alors que la manière de définir la qualité de l'eau a évolué au cours du temps et que ces évolutions sont liées à des conceptions changeantes de l'eau et des milieux aquatiques (chapitre 1 et 2). Une description du bassin versant de l'Azergues permettra ensuite de mieux saisir les contrastes socio-spatiaux de ce « territoire de l'eau » (chapitre 3).

La deuxième partie reviendra sur les objectifs de la recherche et sur les méthodes utilisées pour y parvenir. Il s'agit d'identifier les obstacles aux objectifs de bonne qualité de l'eau à partir d'enquêtes de terrains. Celles-ci mettent en évidence les divergences de perceptions de la qualité de l'eau ainsi que les représentations qui leurs sont sous-jacentes (chapitre 1). Ces divergences sont approchées au sein de quelques politiques de gestion de l'eau mises en oeuvre dans le bassin versant de l'Azergues (chapitre 2).

PARTIE 1. LES ÉVOLUTIONS DE LA QUALITÉ DE L'EAU

Cette partie vise à approfondir la notion centrale du sujet de recherche : la qualité de l'eau (des rivières). Il sera démontré que la définition de la qualité a beaucoup évolué au cours des cinquante dernières années. Cette évolution est liée à des conceptions changeantes de l'eau. Considérée comme un bien dont la finalité essentielle était de servir les usages anthropiques, elle est devenue un patrimoine naturel, un milieu de vie pour les êtres aquatiques qu'il convient de préserver. Cette conception est aujourd'hui institutionnalisée dans la DCE qui fait de la biologie l'indicateur phare de la qualité de l'eau. Ces conceptions de la qualité de l'eau ne sont pourtant pas partagées par tous les individus (qu'ils soient impliqués dans les politiques de gestion de l'eau, ou qu'ils soient de simples usagers), et les perceptions que chacun se fait de la qualité et de son évolution divergent. Ces divergences peuvent être à l'origine de certains obstacles pour parvenir à une `bonne qualité' de l'eau (chapitre 1).

Après avoir définit les hypothèses et la méthodologie générale de la recherche (chapitre 2), le terrain d'étude sera présenté (chapitre 3). La description du bassin versant de l'Azergues visera à mettre en évidence les contrastes socio-spatiaux de ce territoire, ainsi que ses transformations par les dynamiques périurbaines depuis l'agglomération lyonnaise.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault