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Les obstacles à la bonne qualité de l'eau dans les rivières péri-urbaines. L'exemple du bassin versant de l'Azergues (Rhône)

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par Nicolas Talaska
Université Lumière Lyon 2 - Maîtirise de géographie 2007
  

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2.2 La dégradation physique des milieux aquatiques : entre problèmes hérités d'usages passés de la rivière, et développement contemporain contre la rivière

2.2.1 Les seuils, problèmes actuels hérités d'usages passés de la rivière

A l'instar de toutes les rivières de France, avant l'entrée dans l'ère industrielle et urbaine d'après la seconde guerre mondiale, l'Azergues faisait entièrement partie de la vie quotidienne et économique des sociétés locales. Avant que l'eau courante n'arrive dans les foyers, la rivière était utilisée pour y laver le linge. La présence de lavoirs encore visibles au bord de la rivière en témoigne. Dans la basse Azergues, des professionnelles (« les laveuses ») se chargeaient de laver les vêtements après les gros travaux agricoles annuels : les moissons en été et les vendanges en automne. Le sable et les graviers de la rivière étaient utilisés par les maçons pour la construction et jusqu'à récemment pour les remblais des chemins. Les bois morts dans le lit de la rivière et à ses abords étaient ramassés et servaient aux usages domestiques comme `bois de chauffe'. Enfin la rivière servait surtout d'exutoire aux eaux usées et divers déchets.

Figure 21. « Les Laveuses » à Anse sur les bords de l'Azergues au début du XXème siècle. Source : Géo-Anse.com

Au-delà de ces usages anecdotiques, bien que nécessaires, la rivière avait une importance bien plus grande pour diverses activités économiques. La multitude de seuils et de moulins tout au long de l'Azergues, encore visibles aujourd'hui, témoigne du fort usage de la fonction hydromotrice de la rivière. Cet usage de l'eau est ancien puisque certaines prises d'eau sont mentionnées dans un document datant de 1321. Ces dérivations avaient de multiples finalités. Certaines faisaient tourner des moulins à blé ou à huile, d'autres des battoirs à chanvre ou des martinets à minerai, des tissages et des scieries. Certaines dérivations servaient aussi à irriguer des prairies. Un inventaire des dérivations de l'Azergues réalisé en 1854 par un ingénieur des Ponts et Chaussées faisait état de 36 dérivations faisant fonctionner 45 usines hydrauliques uniquement sur l'Azergues121(*). Un conflit qui opposa plusieurs communes de la vallée à une compagnie privée dans le cadre d'un projet de captage des eaux de l'Azergues révèle l'importance de la rivière pour les activités économiques de la haute et moyenne vallée. En 1899 le Maire de Chénellette est informé qu'une compagnie privée souhaite capter une partie des eaux de l'Azergues à sa source pour alimenter les communes de Beaujeu et Belleville (respectivement situées à l'extrême amont et aval d'une rivière du nord Beaujolais : l'Ardières). Cette proposition suscita une vive opposition des élus des communes des cantons de Lamure-sur-Azergues et du Bois d'Oingt durant deux années au cours desquelles l'affaire fut portée jusqu'au Conseil d'Etat. L'argumentaire de la contestation portait sur le risque de voir disparaître de nombreuses activités économiques d'importance pour toute la vie de la vallée mais dépendantes des débits de l'Azergues pour faire tourner les outils de production. L'extrait du délibéré d'un conseil municipal de Lamure-sur-Azergues témoigne de la situation conflictuelle. « Un spéculateur, le sieur Perret, voudrait dériver une partie de la source de l'Azergues dans la vallée de l'Ardières, et ce au détriment des nombreux usiniers comprenant les moulins, scieries, féculeries et huileries que cette eau fait mouvoir dans tout le parcours de la vallée d'Azergues qu'elle traverse, pour en tirer son profit et son intérêt personnel. Le Conseil Municipal [...] considérant que la captation, dont voudrait s'emparer le sieur Perret, de cette source, serait [...] une perte irréparable qui aboutirait d'une façon évidente à la ruine complète du Pays, attendu que cette source n'est pas assez suffisante et surtout que pendant quatre ou cinq mois de l'été elle est presque tarie dans la vallée de l'Azergues. [...] Espérant que MM. Les Membres du Conseil d'Etat ne voudront pas sacrifier au profit d'une seule personne les intérêts de plusieurs cantons. »122(*). Dans sa partie amont et médiane, l'Azergues avait donc une très grande importance pour les activités industrielles, artisanales et agricoles nécessaires à la vie des populations des territoires que la rivière traversait.

Ces usages de la rivière ont aujourd'hui disparu. Quelques prises d'eau comportent encore un enjeu économique123(*) mais pour la grande majorité d'entre elles, la disparition des usages qui leur étaient associés conduit à l'abandon de ces aménagements hydrauliques. Bien qu'ils n'aient plus d'usages, ces aménagements existent toujours. C'est justement leur présence et parfois leur ruine qui contribuent aujourd'hui aux dégradations physiques des milieux aquatiques des rivières du bassin versant de l'Azergues.

Pour les seuils encore existants, dans le cadre de la DCE, leur présence est identifiée comme un obstacle à la « continuité écologique » des cours d'eau. Cette notion renvoie à l'idée d'une circulation des éléments de la rivière (eau, êtres vivants, sédiments) non entravée par des obstacles (seuils, par exemple, photo 10). Cette libre circulation doit être longitudinale (de l'amont vers l'aval) et transversale (de l'exutoire vers les affluents). La DCE place cet élément comme une condition hydromorphologique participant au « bon état écologique ». Le « très bon état » de la qualité hydromorphologique sur l'élément « continuité de la rivière » est défini comme suit : « La continuité de la rivière n'est pas perturbée par des activités anthropogéniques et permet une migration non perturbée des organismes aquatiques et le transport de sédiments »124(*).

Cette préoccupation pour la continuité est assez ancienne en France. En 1865, une loi avait soumis certains cours d'eau à des obligations d'aménagements pour faciliter la circulation des poissons dans le but de garantir l'alimentation de populations rurales. La Loi de 1919 relative à l'utilisation de l'énergie hydroélectrique instaure dans son article 2 que sur des rivières dites « réservées », au titre de l'intérêt de certains poissons migrateurs, aucune autorisation d'exploitations hydroélectriques nouvelles ne sera accordée afin de limiter la segmentation des rivières par l'édification de barrages. De la même manière un article du Code de l'environnement, issue de la Loi Pêche de 1986, impose aux exploitants d'ouvrages hydrauliques de rendre franchissable les ouvrages sur les rivières classées au titre de cet article.

L'Azergues n'est pas classée au titre de ces deux lois, cependant le SDAGE RMC de 1996 identifie, dans une note technique, d'après les conclusions du Schéma Départemental de Vocation Piscicole, certains secteurs de l'Azergues comme prioritaires à « décloisonner » pour permettre la reproduction de la truite et du brochet, mais aussi pour faciliter le transit sédimentaire.

Figure 22. Un exemple de seuil infranchissable. Source : Nicolas Talaska, 2007.

Ce type d'action vise à pérenniser l'existence d'espèces de « poissons nobles », par ailleurs très appréciées des pêcheurs (Truite, Brochet). Toutefois certains pêcheurs sont farouchement opposés à l'idée de franchissabilité des seuils. En effet, les seuils sont assez appréciés des pêcheurs car les poissons, bloqués dans leur circulation, se concentrent au pied des seuils. Ces lieux sont ainsi propices à de bonnes pêches125(*). Ce point de vue fut exprimé explicitement en réunion publique par le président d'une association locale qui disait que « les passes à poissons c'est cher et ça ne sert à rien »126(*). Ce discours est par ailleurs assez éloigné de celui des acteurs de la pêche au niveau de la Fédération. De la même manière les plans de gestion piscicole des Associations Agrées de Pêche et de Protection des Milieux Aquatiques (AAPPMA) sont critiqués au niveau de la Fédération pour leur incohérence. En effet, alors que les AAPPMA ont pour mission la restauration, sinon l'entretien des milieux aquatiques, leurs actions se résument la plupart du temps à des empoissonnements de la rivière. Certains empoissonnements sont par ailleurs peu en phase avec les conditions écologiques des cours d'eau. Des lâchés de truites sont fréquents dans des cours d'eau de 2ème catégorie, c'est-à-dire ceux qui ne présentent pas les conditions « naturelles » propices à la reproduction de la truite. Des études menées par la Fédération de Pêche démontrent bien le caractère conjoncturel des lâchés qui servent plus à satisfaire une demande temporaire de pêche qu'à repeupler les milieux127(*). Non seulement les poissons lâchés sont pêchés très rapidement mais en plus leur survie est limitée dans des milieux auxquels ils ne sont pas adaptés. Ces modes d'actions sont dénoncés par les acteurs de la Fédération de pêche, mais ils précisent que ces façons de faire sont difficiles à faire évoluer car elles s'inscrivent bien souvent dans des « traditions », « ça fait partie du folklore local ». Les empoissonnements sont des temps forts de la saison de pêche. Ils marquent l'ouverture de la pêche, et sont l'occasion de moments sociaux conviviaux.

On voit donc bien le décalage des discours entre les acteurs régionaux, impliqués dans les orientations de la DCE, et les acteurs locaux dont les représentations de la qualité de l'eau des rivières sont assez éloignées des premiers.

Figure 23. Les seuils, aujourd'hui identifiés comme des obstacles à la « continuité écologique », sont très appréciés des pêcheurs justement pour leurs rôles d'obstacles car le poisson se concentre au pied du seuil. Cet usage des seuils a donné lieu, dans ce cas présent, au surnom d'un seuil en « barrage de la truite ». Source : BERGERON (A.), 1989, Lamure-sur-Azergues au fil du temps. (La photo date du début du XXème siècle mais cette pratique est également visible sur une photo en page 5 de la plaquette de présentation nationale de la DCE, élaborée par le MEDD et consultable sur le site Internet du Ministère)

* 121 GADIOLET (P.), 2000, étude des biefs et des droits d'eau, Communauté de communes des Pays du Bois d'Oingt, Contrat de Rivière Azergues, Contrat de rivière, 24 p.

* 122 BERGERON (A.), 1989, Lamure-sur-Azergues au fil du temps

* 123 C'est le cas de l'eau d'un bief utilisée dans le process industriel de la teinturerie des établissements Mathelin. C'est la seule prise d'eau à usage industriel sur tout le bassin versant. Une prise d'eau sur le Soanan alimente une microcentrale électrique à usage domestique ainsi qu'un moulin à céréales travaillant pour de petites demandes. Dans la haute et la moyenne vallée les biefs traversant des pâturages servent à l'abreuvage du bétail. Dans la Basse Azergues l'eau du Béal et du bief d'Ambérieux servent ponctuellement à l'arrosage des plantations maraîchères et horticoles. Ces ponctions tendent à disparaître au profit de captages d'eaux souterraines. Source : GADIOLET (P.), ibid.

* 124 DCE, annexe V, 1.2.1

* 125 La figure 23 illustre cette pratique ancienne

* 126 Entretien avec Pierre Gadiolet, janvier 2007.

* 127 FAURE (J.P.), (Fédération de Pêche du Rhône), La gestion durable et raisonnée des ressources piscicoles, conférence donnée à la Maison Rhodanienne de l'Environnement le 15 novembre 2006.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery