WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Le Réseau Formation Fleuve au Sénégal : pour une régulation participative de l'offre de formation agricole et rurale

( Télécharger le fichier original )
par Xavier MALON
Université Toulouse 1 Sciences sociales - Diplôme d'Université - Ingénierie de formation et des systèmes d'emploi 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

DEUXIEME PARTIE
APPROCHE THÉORIQUE D'UN RÉSEAU D'ACTEURS DE LA FORMATION AGRICOLE ET RURALE DANS UN TERRITOIRE

II- DEFINITION DES CONCEPTS MOBILISES

DEUXIEME PARTIE

Approche théorique d'un réseau d'acteurs de la formation agricole et rurale dans un territoire

DEFINITION DES CONCEPTS MOBILISES

II.1- FORMATION AGRICOLE ET RURALE

Cette appellation peut sembler saugrenue, en raison de l'apparent pléonasme qu'elle renferme ; en effet les formations agricoles sont déjà incluses dans le domaine des formations rurales.

Avant d'aller plus loin, nous nous sommes tournés vers Alain Maragnani et Pierre Debouvry, qui nous proposent un glossaire mentionnant ces deux termes15(*) :

FORMATION AGRICOLE

Formation professionnelle concernant les activités de production, transformation, distribution des produits agricoles et alimentaires et de services à l'agriculture.

Elle peut être initiale (apprentis, élèves et étudiants), ou continue (exploitants et exploitantes agricoles, jeunes en cours d'installation, salariés agricoles ou des organisations professionnelles agricoles).

FORMATION RURALE

Les formations rurales concernent toutes activités de formation en zones rurales.

Elles peuvent être d'éducation primaire, d'éducation de base, d'enseignement technique (agricole ou non), de formation professionnelle initiale (notamment d'apprentissage) ou continue.

A l'origine, il était question de formations agricoles au sens premier du terme, c'est à dire « agricolo-agricoles », centrées sur le métier d'agriculteur, mais par la suite est apparue la nécessité d'adopter une approche plus systémique.

Nous notons que le concept de « Formations Agricoles et Rurales » (FAR) semble plutôt réservé aux pays en développement. En qualité de pur produit de l'enseignement agricole public français, nous devons avouer que cette terminologie nous était inconnue jusqu'au moment où nous nous sommes expatriés.

Dans les lycées agricoles, outre l'enseignement et la formation professionnelle agricole, on parlait jusqu'à aujourd'hui de ruralité, de diversification, voire de pluri activité (de plus en plus), de gîtes ruraux, de transformation et de vente à la ferme...mais pas de formations agricoles et rurales.

La raison est en sans doute, qu'en France, les professions sont parfaitement définies et que la quasi totalité des activités est encadrée par autant de réglementations (ou de législations) spécifiques et fort détaillées. (en tout cas depuis la fin de la seconde guerre mondiale). A l'inverse, dans un pays d'Afrique sub-saharienne tel que le Sénégal, les normes sont l'exception :

  • n La mise en place d'un Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) n'en est encore qu'à ses balbutiements,
  • n L'économie nationale est informelle à plus de 90%, et bien plus encore en milieu rural,
  • n Dans cette frange sahélienne, l'agriculture est peu productive et extrêmement dépendante de la courte et unique saison des pluies et, sans les capacités d'investissements nécessaires pour la maîtrise de l'eau, bien rares sont les familles qui tirent leurs revenus des seuls produits de l'activité agricole.

De ce fait, le « métier » de paysan (certains parlent plutôt de condition) consiste à gérer de courtes périodes de pointe et une inactivité agricole qui peut s'étaler sur huit mois de l'année.

Les rendements sont faibles (largement inférieurs à dix quintaux par hectare en vivrier, quand les agriculteurs du Bassin Parisien se plaignent de rendements inférieurs à 90 qx en blé tendre) tout comme le sont les superficies unitaires des exploitations familiales (de dix à vingt fois inférieures à leurs homologues françaises en céréaliculture et polyculture-élevage). Pourtant, il faut générer un revenu qui permette à la famille de subvenir à ses besoins toute l'année.

Dans ces conditions, chacun des membres de la famille en âge de se livrer à une activité professionnelle essaie ailleurs de monnayer en morte saison ses compétences et sa force de travail. C'est ainsi que la grande majorité des paysans possède au moins les rudiments de deux ou trois métiers différents : agriculteur, maçon ou menuisier, conducteur d'engins de TP, etc.

Les jeunes p artent temporairement dans les grandes villes avec un attelage pour y être charretier, d'autres manutentionnaires ou manoeuvres. Les femmes s'emploient sur place à la vannerie, au tissage, à la teinture et à la cueillette de nombreux produits végétaux et forestiers. Selon les opportunités, elles n'hésitent pas à partir travailler comme ménagères à la ville ; elles sont nombreuses dans la Vallée du Fleuve Sénégal à traverser le fleuve pour trouver à s'employer comme « bonnes » en Mauritanie.

Cette extraordinaire diversité de situations n'a jamais été prise en compte par les différentes catégories d'opérateurs de formation agricole, dont l'offre de service trop spécialisée conduirait la plupart du temps à segmenter artificiellement un ensemble cohérent d'activités professionnelles complémentaires et parfaitement synchronisées tout au long de l'année, pour sécuriser le revenu de la famille.

D'un autre côté, la formation professionnelle classique, dans les secteurs secondaire et tertiaire, s'intéresse exclusivement elle aussi à la technicité de métiers parfaitement identifiés et spécialisés dans un seul domaine, comme la plupart des métiers de l'artisanat (s'agissant du monde rural). C'est donc en réponse au décalage important entre l'offre de formation spécialisées et la demande, caractérisée par une pluri activité élevée au rang de règle généralisée, qu'est né le concept de formation agricole et rurale.

Rapidement cependant, ce concept engloba l'ensemble des activités professionnelles, pour peu qu'elles se déroulent en milieu rural. C'est ainsi que s'en emparèrent les professionnels de la santé, de l'aménagement du territoire, de l'environnement, de la démographie et du planning familial, de la décentralisation, de la nutrition, et bien d'autres encore.

Très vite, les problématiques de l'agriculture stricto sensu se sont retrouvées noyées, pour ne pas dire à la marge Ainsi sommes nous tentés de justifier cet apparent paradoxe : formations agricoles et rurales, pour que l'agricole ne soit pas oublié dans la masse des préoccupations s'intéressant à un (juste) titre ou un autre aux acteurs du monde rural dans son ensemble.

Après une période assez stérile de polémiques, où les adeptes du « tout-global » se sont vu opposer une résistance farouche des « agriculturophiles » , chacun a fini par se rendre à l'évidence : vouloir intervenir simultanément sur toutes les facettes de la ruralité conduit à la dispersion des efforts et des ressources, sans véritable impact visible si ce n'est un accord général sur la complexité d'une telle approche.

La FAR est ainsi revenue naturellement à sa vocation première : s'intéresser au développement rural, plutôt qu'au développement provincial ! Son champ d'intervention mieux circonscrit, les difficultés ne font pourtant que commencer tant le domaine est étendu, depuis l'alphabétisation, fonctionnelle ou non, jusqu'aux formations supérieures agronomiques et vétérinaires. S'ajoute à cette difficulté l'approche (pas toujours critique) par les formateurs de la notion de professionnalisation, dans le contexte des agricultures paysannes que nous avons brièvement évoqué plus haut.

En effet, dans le domaine agricole également, le formateur lambda de la formation professionnelle a le défaut d'être avant tout un technicien, aux yeux duquel les savoirs paysans traditionnels ne trouvent pas grâce. Le technicien est épris de techniques modernes et productives (et de techniques seulement) qui sont sous ces cieux généralement importées et rarement adaptées en l'état à un contexte fort différent de celui pour lequel elles ont été mises au point. Le second défaut du formateur tient au fait que la prégnance de la dimension pédagogique tend à réduire son champ de vision et de compréhension, dans son approche de la formation, comme le rappellent Denis Pesche et Loïc Barbedette16(*) dans l'encadré ci dessous.

Relativiser la dimension "pédagogique" dans l'approche de la formation : Cette première remarque - dont nous forçons volontairement le trait - peut paraître paradoxale, d'autant que nous sommes nous-mêmes issus de "l'espace des pédagogues" ; elle s'est pourtant imposée à nous à travers l'expérience : les questions de méthodes pédagogiques ne sont pas premières et sont souvent des "questions refuge". En cela nous partageons tout à fait l'hypothèse qui avait été avancée par le groupe "formation" du réseau recherche-développement dans le travail précédemment cité et selon laquelle l'adoption d'innovations et l'acquisition de nouveaux savoir-faire par les paysans (et de façon plus générale les acteurs adultes) n'est pas d'abord une question de pédagogie : quand les conditions externes (économiques, écologiques, institutionnelles...) favorables existent ou sont créées, les acteurs qui ont une structure cognitive de base (ce qui est le cas de la plupart des adultes, même non alphabétisés) apprennent vite s'ils peuvent avoir accès aux sources d'information pertinentes.

On reviendra à propos de "l'apprentissage" sur les implications de cette observation. Pour le moment elle indique l'importance qu'il y a à prendre en considérations d'autres domaines (le développement global, la profession, le cadre de dialogue...) que le seul domaine de la formation, et ainsi de pouvoir identifier les "conditions-cadres" dans lesquelles vont s'inscrire les stratégies de formation, mais sur lesquelles il peut aussi s'avérer prioritaire d'agir pour permettre le développement de capacités.

Tous ces éléments contribuent à faire douter de la pertinence d'un dispositif de formation agricole et rurale, qui serait calqué sur le modèle conventionnel de la formation professionnelle classique. (ce qui peut expliquer l'état comateux de l'actuel dispositif mis en place au lendemain de l'Indépendance)

L'inéluctable nécessité de prendre en compte l'apprentissage familial ( Pierre Debouvry )17(*)

(...) "En Afrique de l'Ouest, la formation professionnelle agricole est de fait assurée, dans la très grande majorité des cas, par le canal de l'apprentissage familial. Dans ce contexte, la formation gestuelle se fait principalement par l'observation ; l'apprenti regarde ses parents travailler, peu à peu, il essaie seul, par mimétisme, de reproduire ce qu'il a vu, il se corrige et se fait corriger ; il s'informe, notamment sur le "comment" et le "pourquoi" auprès de ceux qui savent. Il n'a pas de "cours" mais des "situations de formation" apportant des enseignements au fur et à mesure de la maîtrise des techniques par l'apprenant et au rythme des calendriers agricoles.

L'apprenti est d'abord un autodidacte. Cette formation ne se limite pas à la transmission des pratiques manuelles et des savoirs technologiques comme le font le plus souvent les écoles; elle prépare également le/la formé(e) à toutes les fonctions de relations sociales du métier : avec la famille et la collectivité villageoise (éducation sociale), les fournisseurs et les clients (qui, quoi, où, comment, combien ?), l'Etat (état civil, fiscalité, législation foncière), les autres producteurs/trices et autres métiers ruraux avec les systèmes d'épargne et/ou de crédits (formels, informels).

Tous ces aspects relationnels sont, en règle générale, sous-estimés dans les enseignements initiaux, y compris professionnels, qui sont censés former des "agents du secteur moderne" (fonction publique, entreprises agricoles, agro-industrie), où le futur employeur assumera l'essentiel de ces relations avec l'extérieur, pour ne laisser aux employés que la production et la relation au savoir technique. L'apprentissage familial est donc beaucoup plus qu'une simple transmission de savoirs gestuels et techniques. Fondé sur la "pédagogie de l'activité" et "l'auto-formation", il permet à l'apprenant de se forger par l'expérience des attitudes (ajustement, défense, expression, caractérisation) nécessaires à l'exercice des fonctions sociales.../...

Cette distinction entre formation et apprentissage bouleverse l'univers de pensée traditionnel...des formateurs, comme l'explique très clairement le même Loïc Barbedette :

« .../... le quatrième cas de figure identifié par Quaternaire-Education (transformation d'un milieu de travail en milieu éducatif) était à l'époque le plus nouveau et apparaissait comme le plus porteur d'avenir. La mise en oeuvre d'interventions selon cette orientation supposait que "toutes les tâches d'ingénierie dont un milieu de travail est le siège soient faites sous une forme participative". La perspective éducative est ici inversée : elle n'est plus centrée sur la formation et la relation du formateur vers le formé, mais sur l'apprentissage, c'est à dire sur la construction du rapport de l'apprenant au savoir. Depuis lors, le courant de pensée D.O. ("développement organisationnel") a élaboré cette distinction entre formation et apprentissage. »

dans un secteur très exposé aux conséquences de la mondialisation, qui peut faire d'une culture rentable aujourd'hui une spéculation déficitaire demain, la finalité n'est plus le transfert de connaissances et l'acquisition de savoirs-faire techniques, mais bien de développer davantage l'autonomie de pensée et d'action des acteurs, en développant leurs capacités d'auto apprentissage.

Enfin, la dimension sociologique a été trop longtemps sous estimée par les professionnels de la formation agricole ; la plupart du temps, les dispositifs classiques de formation s'efforcent de préparer les individus à exercer un métier, alors que l'apprentissage familial, sur le tas, s'est toujours donné pour mission première de préparer à vivre dans la société rurale, et à y exercer des responsabilités au plan social.

Les paroles de plusieurs responsables de la Fédération des ONG au Sénégal (FONGS), lors d'un échange avec Daouda Diagne18(*) et Denis Pesche en 200219(*), sont édifiantes sur ce dernier point :

« La formation traditionnelle était un support pour acquérir les connaissances globales pour s'insérer dans la société, disposer des éléments pour cela. La motivation n'était pas le métier, mais vivre dans sa société. Cela existe toujours dans les temps modernes. Quand je pars dans le champ avec mon fils, je lui explique que ce que l'on fait apporte la sécurité à la famille. Ce n'est pas l'apprentissage du métier qui est déterminant, mais qu'il comprenne que le travail est indispensable pour vivre. »

« Former, oui, mais pour qui ? est-ce individuel ou plus global ? Je reviens sur l'exploitation familiale : est-ce que dans la famille la transmission ne se faisait pas en fonction d'un objectif global, qui touche toute la famille (j'apprends en fonction de tous), alors que l'apprentissage moderne ne concerne que l'individu. Celui qui est formé globalement appliquait de façon collective, alors que l'individu trace son avenir en solo. »

« Dans le bassin arachidier, c'est le chef d'exploitation seul qui a bénéficié de la vulgarisation agricole, pourtant, les femmes travaillaient aussi dans les champs. Cela a créé un déséquilibre. Cette tare des techniciens, on en retrouve les effets aujourd'hui. Impliquer les femmes, cela a été le défi de l'animation rurale, faire en sorte qu'elles participent aux réunions sous l'arbre à palabre. Dans la famille, il faut qu'il y ait un équilibre dans la formation entre les différentes personnes. »

« Quand tu vas à l'école, tu es calé à partir du diplôme ; quand tu es formé sur le tas, tu es calé à partir de la responsabilisation. »

Comment prendre en compte et valoriser le modèle dominant de formation que représentent les apprentissages paysans au Sénégal ?

Cette question nous ramène instantanément à la réflexion que devrait logiquement s'approprier les acteurs qui se positionnent sur la régulation du sous secteur de la FAR. Le RESOF est l'un de ces acteurs dans la Vallée, et l'appui à la mise en oeuvre de la régulation participative est l'une de ses principales missions...

* 15 Extrait de « Ingénierie des dispositifs de formation professionnelle agricole et rurale - Glossaire ». Pierre DEBOUVRY, Alain MARAGNANI. 2005. http://www.agropolis.fr/formation/pdf/2005_Glossaire.pdf

* 16 Denis Pesche et Loïc Barbedette : in « Formations professionnelles rurales en Afrique sub-saharienne. Prendre en compte les modes d'apprentissages paysans » - Annexe 3 : Repenser l'appui à la définition de stratégies de formation rurale dans les pays de la Zone de Solidarité Prioritaire ; Février 2002 Inter-Réseaux - http://www.inter-reseaux.org

* 17 Annexe 4 de l'ouvrage « Prendre en compte les apprentissages paysans... », déjà cité plus haut

* 18 appui technique de la FONGS, et membre du comité directeur d'Inter-Réseaux.

* 19 Mécanismes d'apprentissages et modes d'acquisition des savoirs et savoirfaire chez les paysans, hier et aujourd'hui (Sénégal)

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le doute est le commencement de la sagesse"   Aristote