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Faute et Châtiment. Essai sur le fondement du Droit pénal chez Friedrich Nietzsche

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par Rodrigue Ntungu Bamenga
Faculté de Philosophie saint Pierre Canisius Kimwenza, RDCongo - Bacchalauréat en Philosophie 2005
  

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II.2.1.2. La faute criminelle

La faute criminelle se situe à l'horizon de la vie sociale, où les rapports de la communauté avec ses membres sont, dans leurs grandes lignes, ceux du créancier avec ses débiteurs. L'individu est ici entouré des avantages sociaux pour lesquels il doit faire preuve de reconnaissance au groupe tout entier, par la rectitude de son comportement. La seule faute du sujet serait donc l'ingratitude envers la communauté qui lui assure paix, confiance et protection. D'où la faute criminelle est l'acte de l'individu qui nie ce qu'il doit à la communauté. De la sorte, si quelqu'un a causé un préjudice à la communauté, « dans le cas d'un crime par exemple, cela signifie qu'il n'a pas rempli ses obligations envers elle »51(*). Mais l'on perçoit difficilement la subtilité qui fait passer cette dette de son caractère moral (puisqu'il s'agit d'une reconnaissance envers la communauté), à une qualification criminelle.

On sait que le Code pénal définit le crime comme l'infraction la plus haute, par opposition aux délits et contraventions.52(*) Si le manquement à ses obligations envers la communauté est considéré comme un crime par Nietzsche, le philosophe n'élève la réflexion à ce point que pour en montrer toute la gravité. Le coupable a, pour le dire comme Georges GOEDERT, rompu le contrat, il a fait des dettes dont il ne peut s'acquitter qu'en offrant à ses prochains le plaisir de prononcer une peine contre lui. Comment ceux-ci ne peuvent-ils d'ailleurs ressentir comme une haute trahison le manque de parole de ce congénère « envers la communauté qui lui assurait les avantages dont il a jusqu'alors eu sa part »53(*).  On pense même que ce coupable revêt chez Nietzsche tous les attributs d'un débiteur qui, non seulement ne rembourse pas les avances qui lui ont été faites, mais encore s'attaque à son créancier. Par conséquent, l'on ne peut pas être tendre sur le sort d'un tel sujet. Sa peine prend la forme la plus impitoyable et la plus cruelle, permettant à tous les membres de jouir du sentiment de puissance vis-à-vis de lui, d'autant plus que les créanciers sont frustrés et la communauté trahie.

Dès lors que la communauté prend en charge l'exercice du châtiment, elle supprime au malfaiteur certaines prérogatives dont il a jusqu'ici bénéficié : l'assistance matérielle (il est privé de tous les biens et de tous les avantages) et la protection sociale (il est mis hors la loi et chassé, toute espèce d'acte hostile peut alors se commettre contre lui). Le châtiment, dans ce registre des moeurs, est simplement « la mimique de la conduite normale à l'égard de l'ennemi détesté, désarmé, abattu, qui a perdu tout droit non seulement à la protection, mais encore à la pitié ; c'est donc là le droit de guerre ».54(*) Pour Nietzsche, cette dureté à l'égard du malfaiteur est cependant le propre des sociétés faibles, celles qui soutiennent que "tout a un prix, tout doit être payé". Par contre, à mesure qu'une société croît en puissance, elle accorde peu d'importance aux manquements de ses membres. Car ceux-ci ne lui paraissent plus ni dangereux pour son existence ni subversifs.

L'on comprend pourquoi Nietzsche considère les phases subséquentes de l'évolution du droit pénal comme appartenant à une période où le malfaiteur déborde de privilèges sociaux. Il n'est plus chassé ni « privé de la paix », mais on le protège contre le courroux de ses victimes. D'où la naissance de la prison55(*). La société à son tour fait effort pour localiser le cas et obvier à un trouble plus grand. Elle recherche des équivalents pour accommoder toute l'affaire (la compassion) et considère toute infraction comme pouvant être acquittée. Par conséquent, elle isole, dans une certaine mesure, le délinquant de son délit. Ceci équivaudrait à dire que « si la puissance et la conscience individuelle s'accroissent dans une communauté, le droit pénal toujours s'adoucira ; dès qu'un affaiblissement ou un danger profond se manifestent, aussitôt les formes plus rigoureuses de la pénalité reparaissent ».56(*) Le créancier toujours s'humanisera dans la proportion même où il s'est enrichi, et il peut désormais supporter les préjudices sans en souffrir. Nietzsche va même plus loin. Il imagine la possibilité de concevoir une société qui, ayant conscience de sa puissance, peut se payer le luxe suprême de laisser impuni l'auteur d'un crime. C'est la grâce.

Mais en réalité, cette hypothèse est contre la justice. Chez Nietzsche, la grâce est justement l'autodestruction de la justice, dans la mesure où cette dernière y finit par fermer les yeux et par laisser courir le coupable. Dans la mesure où la recette pénale semble ainsi basée sur la clémence, elle ouvre inéluctablement des brèches à l'impunité pure et simple. Et puisque le châtiment perd tout droit de cité, le pire à craindre serait l'émergence d'initiatives privées, visant à « sanctifier la vengeance sous le nom de la justice - comme si la justice n'était au fond qu'une transformation du sentiment de l'offense ressentie».57(*) C'est donc affirmer que l'origine de la justice est à chercher dans les régions de la vengeance, et non dans le désir d'équité. Nous y reviendrons plus loin en parlant du rapport entre justice et vengeance. Les considérations sur la faute criminelle nous mettent sur les rails pour aborder la dernière dimension de la faute, à savoir la faute morale.

* 51 Georges Goedert, op. cit., p. 287.

* 52 Art. 111-1 du Code pénal.

* 53 GM, p. 112.

* 54 Ibid., p. 113.

* 55 La prison est une institution pénitentiaire, qui vise la correction et la rééducation du malfaiteur. Mais elle offre ici un avantage que Nietzsche sera le dernier à relever : la protection du malfaiteur contre la vindicte de ses victimes. 

* 56 GM, p. 114.

* 57 Ibid., p. 116.

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