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L'Inde un enjeu cognitif et réflexif. Etude des voyageurs de l'Inde et des populations diasporiques indiennes

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par Anthony GOREAU
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - DEA 2004
  

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A/ LE PROCESSUS DE MISE EN PLACE DE L'EXTRA-TERRITORIALITE.

« La constitution d'une identité ici ne peut être comprise que replacée dans l'ensemble diasporique, dans un nous éclaté géographiquement mais reconstitué dans chacune des localités de la diaspora. Cette identité diasporique est à appréhender à travers les rapports au territoire et au processus d'extra-territorialité. La situation migratoire pose la question du lien entre identité et territoire, la réponse est trouvée dans un processus d'extra-territorialisation dans lequel la culture, comme l'ensemble des formes intériorisées devient le lieu principal de fixation des identités »76(*).

Peut-on parler de territoire, de territorialité et de territorialisation pour un peuple et/ou une communauté en dispersion (c'est-à-dire dans une configuration quasi-ubiquitaire) ? L'interrogation pour certain peut paraître tenir du non-sens (voir même du contre-sens) mais elle suscite l'intérêt d'entre apercevoir la triangulation qui s'échafaude entre territoire, culture et identité dont l'Inde et la France sont à la fois les deux directions opposées mais aussi les référents.

La diaspora suppose un ancrage fort dans le territoire d'installation et une coupure nette avec le territoire d'origine. Trois types d'appoint favorisent l'essor des liens communautaires à distance : le développement des transports, les facilités de communication et le niveau de compétences socio-culturelles. De plus, les relations avec le pays d'origine, l'Inde sont devenues avec les nouvelles technologies de l'information et des communications, de l'ordre du quotidien. La fracture entre ailleurs et ici est compensée le plus souvent (au-delà des relations qui tiennent de l'instantané) par la création dans l'ici, en France, de marqueurs territoriaux, de lieux de mémoires assurant le lien avec l'ailleurs.

Lien qui s'effectue à l'aide d'emblèmes, d'une iconographie territoriale et de divers pôles structurant.

Les représentants de la diaspora indienne en France sont peu nombreux par rapport aux autres pays comme le Royaume-Uni. Les estimations du High Level Commitee on Indian Diaspora font état de 65 000 individus en France77(*) qu'ils soient NRI78(*) (Non Resident Indians : catégorie créée par le gouvernement de l'union indienne dans les années 1970 pour désigner les citoyens indiens vivant à l'étranger et leur proposer des programmes d'investissement en Inde) ou PIO (catégorie instituée en 1999 par le gouvernement de l'union indienne pour qualifier tout citoyen d'un autre pays ayant été citoyen indien, ou dont l'un des ascendants est né et a résidé en Inde).

Cette présence est dès lors l'aboutissement d'un long processus ; la diaspora indienne étant un « peuple monde de longue durée »79(*) .

Figure 6 : Trajectoire spatio-temporelle des indiens.

(c) Bruneau, M. Peuples- monde de la longue durée : Grecs, Indiens, Chinois. In : L'espace géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 2001, p193-212.

C'est l'organisation, les pôles structurant de l'expérience collective, la mémoire et les images de cette masse chiffrée d'individus qui nous intéresse ici.

1) Mythification de la terre d'origine.

La dimension territoriale de la diaspora indienne en France s'appréhende au travers l'étude des divers marqueurs territoriaux et des instances qui les produisent. Ces marqueurs reproduisent et rappellent le pays d'origine et c'est en cela qu'ils exercent une sorte de mythification de l'Inde.

Cette mythification prend l'aspect d'un système de représentations collectives qui met en ordre les connaissances et les expériences des membres de la communauté diasporique indienne et instaure un rapport de celle-ci au monde. Rapport qui se fait gage de sa territorialité.

Cette mythification de la terre d'origine, est l'élément structurant dans la dispersion de l'identité et de la culture de la communauté. C'est elle qui fournit du lien et du sens social à la communauté (qu'elle soit appréhendée dans une perspective « centrée » ou « acentrée »).

Tout territoire social est un phénomène immatériel et symbolique. En France, la diaspora indienne, s'approprie un territoire à l'aide de marqueurs identitaires à forte valeur symbolique qui reproduisent ou rappellent le pays d'origine.

C'est d'abord la maison familiale. « La maison, construite grâce à la mobilisation des ressources communautaires et des énergies familiales, incarne un lieu de pérennité identitaire, un monde clos qui abrite le statut familial en lui permettant de se soustraire au regard des autres »80(*).

La maison est la toile de fond de l'apprentissage des normes et des valeurs de la communauté. C'est le lieu où la famille jouit de sa position de première instance de socialisation qui se joue sur deux tableaux : d'une part un mécanisme d'instruction et de formation, elle transmet à ses membres l'acquisition de réflexes, de savoir-faire, d'habitudes. Et un second mécanisme d'intériorisation (faire sienne les valeurs et les normes de la communauté) - assimilation d'autre part.

Marquage territorial qui se fait aussi dans la maison par le biais d'une architecture ou du moins d'une décoration spécifique. Spécificité qui tient compte de tout un faisceau d'images ayant attrait à plusieurs domaines de la terre d'origine. Ce peut-être une image à caractère religieux, une représentation de l'une des divinités du panthéon hindou, par exemple, ou touchant au passé politique ou encore à l'organisation sociale.

Cette iconographie peut se doubler de l'apprentissage de la langue d'origine. Ces deux ensembles formant une certaine continuité territoriale et une cohésion sociale.

Dans cette volonté de mythifier la terre d'origine, malgré l'éloignement, la cellule familiale fait aussi preuve de continuité lors du choix du prénom des enfants.

Cette complexité de prérogatives permet d'entretenir à la maison familiale l'image d'un « micro-territoire de diaspora »81(*) assurant lien et cohésion sociale, préservant ainsi ses membres d'une coupure nette entre ici et ailleurs.

Maintenir des liens apparaît indispensable pour ne pas sombrer dans l'isolement ou dans une situation anomique.

L'entreprise familiale est le prolongement dans le monde économique de ce micro-territoire. La diaspora indienne (mais de façon non exclusive) est un démultiplicateur de la relation aux autres parce qu'elle met en présence des mondes culturellement distincts, des minorités et des majorités. D'une certaine manière, elle déplace les frontières de l'altérité jusqu'aux confins d'elle-même.

Par exemple, chacun a déjà été sensible au soin apporté à la décoration dans un restaurant indien (qu'il sert de la cuisine du Nord ou du Sud, peu importe) ; où d'un coup d'oeil l'individu-client, jouissant d'une qualité d'extranéité, identifie les référents à la terre d'origine (statue de divinité, autel, encens qui se consume, motifs des tapisseries ou des peintures...).

Puis, les édifices religieux participent à ce marquage territorial. Ça et là en France, la diaspora indienne coupée de son territoire d'origine se constitue des points d'ancrages essentiels pour la formation et la consolidation de son identité. Ce sont des éléments de réinterprétation de hauts lieux, des noeuds de sa territorialité.

Une haute valeur symbolique leur est attachée, valeur puisée dans la religion (hindouisme, islam ou sikhisme) ou dans l'histoire politique de la terre d'origine (car ces lieux ont pris forme en Inde et, au moment du déracinement ils ont pu être détruits ou abandonnés).

Ces lieux reconstitués en France sous la forme la plupart du temps d'édifices religieux, remplissent une fonction : ils expriment la quintessence. « Le lieu choisi est destiné à rendre la quintessence manifeste »82(*).

Ainsi, la diaspora via son ou ses idéologies suivant les groupes (car il existe plusieurs diasporas dans la diaspora indienne : Tamoule, Sikhe/Panjabi, Gujarâtî, Jaïn, Chettiar, Pondichérienne...), pave le territoire qu'elle domine de signes destinés à manifester sa présence à toutes les échelles : des autels des dieux de l'unité familiale, de la maison, jusqu'aux grandes métropoles françaises (Paris essentiellement).

Signes de reconnaissance et d'appartenance à la communauté ou au groupe qui se décèlent aussi dans la toponymie, ou plus exactement dans les noms donnés à ces hauts lieux.

En France, le premier temple hindou, le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam dédié à Ganesha, a été fondé le 4 février 1985. Ce dernier se trouve à Paris, et représente le noyau de condensation de ce que l'on pourrait appeler un « quartier indien », c'est-à-dire dans un espace géographique se situant grosso modo entre la gare du Nord et le boulevard de la Chapelle et prenant en écharpe la rue Philippe de Girard pour finir entre la rue Lafayette et la rue de l'Aqueduc. Le coeur de ce quartier en est la rue du faubourg saint Denis.

Ce temple célèbre par un ou plusieurs prêtres trois pûjas par jour (mais celles-ci peuvent aussi être célébrées à domicile, sur un autel individuel). La pûja est un rituel extrêmement important dans la tradition hindoue. Les Hindous vénèrent des divinités de pierre ou de métal, non en tant que symboles mais en tant que corps physique des Dieux (pendant la cérémonie, les Dieux utilisent ces formes pour répandre leur puissance et leur bénédiction aux fidèles). La pûja est une communion entre les Dieux et le Monde. L'officiant ou poujari, baigne, recouvre d'huile et invoque les statues des Dieux. En plus, il fait fonction d'astrologue, de médecin, d'exorciste et de directeur spirituel. Le temple de Ganesha ou temple Sri Manicka Vinayakar Alayam à Paris organise aussi des services religieux à domicile effectués en langue Sanskrite par des prêtres indiens (voir annexe 1). Services qui prennent la forme de mariages, célébrations ou service funéraire mais aussi des rituels pour éloigner les maux de la famille, éviter les dettes ou parvenir à ses fins.

Photo 6 : Célébration d'un mariage au temple Sri Manicka Vinayakar Alayam.

(c) www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.

Ainsi ce temple, en plus d'exercer une fonction de marqueur de la territorialité de la diaspora indienne dans l'ici, agit comme un pôle structurant de cette dernière. Structuration par les rituels, les cultes quotidiens qu'ils soient à domicile ou au temple, mais aussi par des manifestations religieuses hors des murs de l'édifice, générant un face à face entre l'Inde et la France.

Ce haut lieu s'apprécie par rapport à ce qui l'environne, qui ne l'est pas. Il naît de la différence et se maintien par la distinction. Dès lors cette confrontation tient plus à une conséquence de l'extra-territorialisation de l'altérité.

Photo 7 : Ci-contre le huitième grand défilé de Ganesh à Paris

Source : www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.

Le temple Sri Manicka Vinayakar Alayam célèbre toutes les fêtes du calendrier hindou. Pour les plus importantes d'entre-elles, il organise des défilés dans les rues du quartier « indien » de Paris. Celui de Ganesh est le plus connu, mais il y a aussi la grande parade du char de Jagannath (fin juin). Les deux processions se déroulent de la même manière : le dieu est promené sur un palanquin imposant, au son des conques, des flûtes, des tambours et des champs rituels, arrosé par la foule d'eau de rose, de lait et de riz. Des centaines de noix de coco sont brisées par les fidèles au passage du cortège, en guise d'offrande.

D'autres fêtes moins spectaculaires rythment la vie de la communauté indienne, comme pongal (nouvel an tamoul, mi janvier), holi (fête des couleurs, en mars) ou durga puja (fête de l'automne).

Planche 1 : Une confrontation France-Inde : le huitième grand défilé du char de Ganesha.

(c) www.perso.wanadoo.fr/temple.hindou.

Enfin, dernière instance, dernier pôle qui remplit cette fonction de marquage territorial : les associations.

Celles-ci favorisent la mise en place de contacts entre les groupes et l'organisation d'activités visant à préserver l'identité diasporique. Elles font la relation entre l'Inde, la France et la diaspora, de sorte que ces associations peuvent devenir directement les relais de l'Inde en France.

Le nombre des associations d'indiens en France ne cesse d'augmenter. Ainsi, la diaspora indienne par le biais de ces associations accroît sa capacité d'action, d'agir territorial et, réalise précisément un processus interpolaire : une forme associative en France mais dans une localisation multiple. Bien que cela n'est aucune valeur scientifique : si l'on introduit comme discriminants de recherche les termes « associations indiennes en France » sur Internet, le moteur de recherche fournit approximativement plus de 90 000 réponses. Parmi lesquelles on trouve l'association française des Télougou, l'association des migrants de l'Inde, ou encore divers groupements reprenant le découpage linguistique de Nehru (association des Tamouls de France, des Panjabi de France...).

La diaspora indienne apparaît donc active voir activiste. Ces qualificatifs confèrent aux groupes de migrants indiens une dimension à la fois évanescente et fragile mais également vivace dans leur versatilité grâce à leur configuration ubiquitaire.

Toutefois, ces associations sont d'ordres différents et les efforts pour les fédérer en une seule et unique force d'action ont jusqu'alors peu porté leurs fruits en comparaison des groupements fondés sur quatre dimensions qui sont la religion (hindoue, sikhe, parsie, islam), la langue (hindi, tamoul, panjabi, telugu), la région d'origine (Pondichéry, Tamil Nadu, Pendjab, Gujarat, Andhra Pradesh, Sri Lanka) et la caste. Mais on peut tout de même noter une certaine réussite pour la FAFI (fédération des associations franco-indiennes) bien qu'il s'agisse au départ d'une initiative de la communauté tamoule.

En effet, cette association fondée en mars 1996 (dont le but principal est de construire un « Centre Culturel Indien » à Paris) est le fruit d'une longue maturation issue de l'initiative de la France tamil sangam ou fédération tamoule de France.

L'ensemble de ces groupements et de ces coalitions volontaires, institués par plusieurs personnes s'unissant dans une entreprise commune et s'enchâssant dans le cadre de la loi du 1er juillet 1901, prennent une autre dimension avec les NTIC. Dès lors, le tamilnet83(*), sorte de toile transnationale permet aux tamouls de puiser toutes sortes d'informations sur leur Etat d'origine, (le Tamil Nadu) mais aussi sur d'autres thématiques qui cristallisent l'opinion comme le renouvellement des conflits au Sri Lanka, ils peuvent aussi acquérir et écouter les dernières compositions à la mode dans l'ensemble du faisceau de la diaspora tamoule84(*). Encore plus étonnant, le net permet aux familles indiennes de trouver depuis la France une femme pour leur fils, qui répondra aux exigences d'appartenance linguistique, culturelle et hiérarchique (de caste similaire). En effet, plusieurs sites sont spécialisés sur les mariages ( www.punjabimarriage.com par exemple), certains affichent clairement leurs objectifs en proposant des unions arrangées85(*). La révolution Internet a modifié le marché matrimonial en le transformant.

Cette révolution est le support à un lien et à une cohésion sociale hors de la terre d'origine. Mais elle peut aussi servir des l'intérêts plus pernicieux, voir subversifs.

En effet, les NTIC peuvent alimenter des mouvements violents orchestrés par des retour d'argent désormais immatériels alimentant par exemple la LTTE (Tigres de la libération de l'Eelam tamoul) ; cette dernière revendiquant la séparation des régions nord et est du Sri Lanka, à majorité tamoule.

La communauté indienne visible ici, en France, est le prolongement, l'extension extra-territoriale de l'identité de la terre d'origine, mais en reste un référent majeur, par exemple dans la distance et les moyens de la surmonter. Les marqueurs territoriaux, ces différents points d'ancrage de la diaspora dans le territoire forment une véritable épine dorsale pour la communauté indienne. Cette communauté, même dépouillée de la plupart de ses racines, de toutes projections matérielles dans l'ailleurs, impose les notions de continuité, de cohésion, d'équilibre et de reproduction.

* 76 Ma Mung, E. La diaspora chinoise - géographie d'une migration. France, Gap : Ed : OPHRYS, collection Géophrys, 2000, 175p.

* 77 www.indiandiaspora.nic.in/

* 78 www.nriol.com

* 79 Bruneau, M. Peuples- monde de la longue durée : Grecs, Indiens, Chinois. In : L'espace géographique, Num3, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 2001, p193-212.

* 80 Hovanessian, M. Les Arméniens et leurs territoires. France, Paris : Ed. Autrement, 1995, 173p.

* 81 Bruneau, M. Diasporas et espaces transnationaux. France, Paris : Ed. Economica, collection Anthropos, 2004, 249p.

* 82 Gentelle, P. Haut lieu. In : L'espace géographique, Num2, France, Montpellier : Ed. Belin-Reclus, 1995, p135-138.

* 83 www.tamilnet.com

* 84 www.intamm.com

* 85 www.thendal.com

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"I don't believe we shall ever have a good money again before we take the thing out of the hand of governments. We can't take it violently, out of the hands of governments, all we can do is by some sly roundabout way introduce something that they can't stop ..."   Friedrich Hayek (1899-1992) en 1984