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L'Inde un enjeu cognitif et réflexif. Etude des voyageurs de l'Inde et des populations diasporiques indiennes

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par Anthony GOREAU
Université Michel de Montaigne Bordeaux 3 - DEA 2004
  

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B/ DIMENSION ANAGOGIQUE ET ALLEGORIQUE DE L'INDE.

« Je vécus là une des périodes les plus décisives de mon séjour. Je me trouvais soudain plongé dans cette authentique « indianité » à laquelle j'avais tant aspiré »54(*).

L'Inde est pourvoyeuse d'images et d'imaginaires qui permettent de se transporter dans un univers fantasmagorique, idéal ou obscur. Elle nourrit aussi nos utopies les plus folles, nos désirs d'évasion, d'envie d'un système idéal. C'est aussi le faciès par excellence de l'exotisme, du dépaysement. C'est ainsi que bon nombre se l'approprie, parfois d'une façon moins idyllique, plus terre à terre rehaussée de misérabilisme, de maladies, d'étouffement et de pauvreté. L'idée que l'on s'en fait pousse au voyage (« visiter signifie vérifier la conformité de la copie à l'original, à savoir la fidélité de l'image mentale ou physique avec la réalité de l'objet, là sous les yeux »55(*)), au tourisme, à la pérégrination. Voyage qui exprime une quête d'authenticité, mais ailleurs, sous d'autres cieux, c'est une recherche nostalgique de la « vraie vie » dans une société indienne ancienne, exotique et « traditionnelle », une recherche de la réalité des choses.

Le temps du retour, épreuve difficile, particulièrement pour les expatriés et les routards, dont le temps en Inde est beaucoup plus long que celui des touristes des tours-opérateurs (en moyenne 122 jours contre seulement 11 jours pour les circuits organisés et séjours balnéaires56(*)) est difficile, et teintée de nostalgie. Commence alors le flou des références, et une réinterprétation selon ses schèmes perceptifs des normes et valeurs de l'Inde (histoire de se créer un territoire d'entre-deux).

Les français entretiennent une relation sacrale avec l'Inde, faite d'une fascination mystique, philosophique contribuant à forger la dimension anagogique du sous-continent, qui se ressent dans l'appropriation en France des figures allégoriques de l'Inde et des symboles de l' « indianité ».

1- L'hindouisme, le catalyseur de l'affect.

Dans une approche téléologique de la culture, celle-ci est un réservoir d'images dans lequel à des moments donnés, les groupes humains puisent les ressources nécessaires à la fabrication de références collectives.

Les productions culturelles marquent les lieux dans lesquelles elles se déroulent : si plusieurs se révèlent fugaces, transitoires, d'autres établissent des rapports étroits avec les lieux dans lesquelles elles s'inscrivent.

Mais une production culturelle peut changer l'utilisation, la perception d'un lieu, le donner à voir différemment, le transfigurer. Les figures de l'hindouisme et la philosophie indienne font partie de ces productions culturelles ambivalentes, à cheval entre un fort ancrage local et allégorique et, un réservoir de références pour les français.

Le voyageur retient de l'Inde son trait de caractère le plus appréciable : la dimension religieuse, anagogique, tout en opérant en parallèle une figure de rhétorique. Il use de synecdoques (voire parfois d'un style fait d'hypallages) et écarte les autres convictions (islam particulièrement) de son champ perceptif. Rhétorique qui n'est pas spécifique au profane mais commune aussi aux universitaires, aux journalistes qui parfois confondent hindous et indiens (les hindous se définissant eux-mêmes comme ceux qui reçoivent l'enseignement des Veda ou ceux qui suivent la voie, dharma déterminée par les quatre castes varna et, les quatre âges de la vie : ashrama).

L'hindouisme est l'élément qui provoque une réaction par sa seule présence ou intervention. Réaction qui est du domaine de l'affect : impression élémentaire d'attraction ou de répulsion. L'affect, l'émotion prennent une dimension sociétale plus prononcée mais servent de biais permettant la transition avec l'altérité, l'extérieur mais surtout de modalité de résolution des oppositions entre la réalité et l'illusion, le virtuel et l'authentique, l'art et la culture. L'affect sert alors de médiateur entre ici et ailleurs, entre l'imaginaire et la réalité indienne doublement subjectivée, in visu et in situ, et permet dès lors de comprendre les procédés de l'élaboration d'une interspatialité (créant une nouvelle territorialisation). Il est difficile ici dans une perspective de géographie culturelle et sensitive de mesurer cette attraction par des modèles scientifiques proposant des analyses chiffrées se targuant d'une représentation des différentes énergies concentrées et diffusées (on est loin de pouvoir offrir une cartographie des différentes forces en présence).

Longtemps l'imagerie de l'Inde merveilleuse a exercé une véritable fascination sur les esprits d'Occident, tandis que ses différences avec l'Occident voué au Logos ont toujours fait de l'Inde, et ce encore aujourd'hui, une sorte de lieu mythique où se cristallisent maintes aspirations secrètes et un certain ésotérisme mystique que le rationalisme occidental refoule avec vigueur.

Les sagesses de l'Inde, l'hindouisme et la philosophie sont sources d'intéressement pour les français, précisément parce qu'ils se dégagent des concepts philosophiques occidentaux héritiers des pensées de Platon ou d'Aristote, de même que des systèmes stoïciens, sceptiques etc., en ce que la raison est ce qui permet d'articuler la pensée dans un discours, et qu'en ce sens une connaissance du monde est possible : la raison est logos, langage (Pour Hegel, « ce qui est rationnel est réel et ce qui est réel est rationnel ». Affirmant l'identité du rationnel et du réel, cette forme de rationalisme est absolue). Les concepts philosophiques indiens parfois issus de textes mythiques (donc non réels) se distinguent de la main mise de la raison, du rationalisme, de la scientificité occidentale et de la distinction ontologique du sujet et de l'objet.

Ainsi les Français allant en Inde, en plus du dépaysement, de la diversité (par opposition à la standardisation) réinventent la modernité. L'attrait est porté sur les voies de réalisation spirituelles consubstantielles à l'hindouisme.

En effet, la préoccupation principale des Upanishad (textes ésotériques et mystiques indiens, regroupés dans les aranyaka qui font partie des Veda) est la nature de Brahma, l'âme universelle. La doctrine fondamentale exposée est l'identité entre atman, ou l'âme, et Brahma. Les autres thèmes abordés sont la nature et le but de l'existence, les différentes façons de méditer et de vénérer les dieux, l'eschatologie, le salut et la théorie de la transmigration des âmes.

La vie humaine est également cyclique : après la mort, l'âme passe dans un nouveau corps, qu'il soit humain, animal, végétal ou minéral. Ce processus ininterrompu de morts et de renaissances est appelé samsara. Cette nouvelle existence est déterminée par les mérites et les erreurs accumulées, conséquence de toutes les actions commises durant les vies antérieures, ou plus généralement de ce que les hindous appellent le karma. Il est possible d'en contrer les effets par des rituels, des pratiques expiatoires, d'en sortir grâce à l'expérience de la sanction et de la récompense, mais surtout par la libération (moksha) du processus global de samsara, qui s'obtient par le renoncement à tous les désirs mondains.

Parallèlement au sanatana dharma, de nombreuses tentatives furent entreprises pour réconcilier les deux voies de l'hindouisme. La Bhagavad-Gita parle de trois voies de réalisation spirituelle. À la voie de l'action ou karma (qui désigne ici les actes rituels et sacrificiels), et à celle de la connaissance ou jnana (la méditation sur le Dieu suprême recommandée par les Upanishad), vient s'ajouter une voie médiane, bhakti ou chemin de la dévotion et de l'amour pour Dieu : un idéal religieux qui transcende et mêle les deux autres voies.

L'évocation de ces quelques préceptes permet de comprendre le fossé qu'il existe entre philosophie occidentale et orientale, et plus particulièrement indienne. Philosophie débouchant sur plusieurs convictions religieuses (jinisme, bouddhisme, çivaïsme etc.) pourtant née du même creuset : l'hindouisme et qui suscitent ça et là des émules. Bien sûr il ne s'agit pas de se convertir à l'hindouisme, mais plutôt d'adopter une partie des concepts des Upanishad, en adhérant par exemple aux préceptes du bouddhisme (d'ailleurs, niché entre l'arc de Triomphe et la tour Eiffel, dans un ancien hôtel particulier se cache un musée se consacrant au panthéon bouddhique, recevant de multiples adeptes français).

Appropriation de l'indianité qui peut aussi se faire sous d'autres formes à l'instar des centres d'apprentissage du Yoga (l'un des six systèmes classiques de la philosophie hindoue qui se distingue des autres systèmes par les méthodes de contrôle du corps et les pouvoirs magiques attribués à ses adeptes avancés, les doctrines et pratiques datant de la période des Upanishad), mais aussi tantrisme, terme impropre qui n'existe pas en sanskrit ; que cela soit en Inde (Pune ou Poona, capital intellectuel de L'Inde organisant des séminaires d'apprentissage de la pratique des tantras ouvert aux français) ou en France. Ainsi, qu'ils aient reçu ou non une formation religieuse, à notre époque, nombreux sont les français qui se tournent volontiers vers des pratiques apparemment profanes (ou qu'ils envisagent comme telles), lesquelles en réalité se confondent avec des rituels indissociables des philosophies indiennes.

Le yoga affirme que, par la pratique de certaines techniques, on peut réussir à se libérer des faiblesses de la chair, des illusions des sens et des embûches de la pensée et à atteindre ainsi la communion avec l'objet de la connaissance ; « s'approchant du Kaivalaya (délivrance), les adeptes du yoga sont présumés acquérir des pouvoirs hors du commun. Ils deviennent insensibles à la chaleur ou au froid, aux blessures, aux plaisirs ou aux douleurs. Ils peuvent accomplir des exploits extraordinaires sur le plan spirituel et physique, ils sont à même d'infléchir les lois de la nature. Ils sont en mesure de distinguer les éléments les plus subtils de la matière et, simultanément, de contempler l'univers dans son ensemble, appréhendant le microcosme et le macrocosme dans la même pensée »57(*). C'est sûrement cela qui attirait (à l'instar de Mircea Eliade, d'Aldous Huxley et de Yehudi Menuhin) et attire encore les adeptes occidentaux.

À l'aspect mondain de l'hindouisme correspondaient, à l'origine, trois Veda, trois castes (varna), trois âges de la vie (ashrama) et trois objectifs essentiels assignés à la vie des hommes (purusharthas). La répartition des trois premières castes (les brahmanes ou prêtres, les kshatriya ou guerriers et les vaishya qui représentaient le peuple) fut élaborée sur le modèle de la division tripartite de l'ancienne société indo-européenne. Une quatrième caste fut créée, celle des Shudra ou serviteurs.

La stratification de la société indienne selon les castes et l'opposition pur/impur est sans doute ce qui motive le plus le couple attraction/répulsion, l'altérité devenant radicale (voir C).

Toutefois, loin des préoccupations philosophiques, l'hindouisme frappe ne serait-ce que par son caractère surréaliste, surprenant, principalement lors des défilés où une telle dévotion, une telle foi ne se retrouvent nulle part ailleurs. Assister à un pèlerinage ou à une procession revêt une grande singularité. Il n'est pas commun de faire un face à face avec des éléphants parés d'or massif et parcourant en ligne les ruelles d'une ville millionnaire.

Photo 5 : Procession dans le quartier hindou à Cochin (Kérala, Inde du Sud) :

(c) Goreau, A. Janvier 2003. Après s'être arrêté devant chaque maison hindoue, pour récolter des dons sous forme de céréales, le cortège, accompagné de joueurs (de percussions, de flûtes et de trompette) et d'une quinzaine d'éléphants se rend au temple pour une ultime représentation où les sonorités répétitives des tablas mettent en transe les dévots. Ici, rassemblement en ligne des éléphants pour la représentation finale.

Enfin, une des dernières « sagesses orientales » suscitant de l'admiration et une certaine appropriation est le principe de non-violence du Mahatma. Mohandas Gandhi tenta également d'extraire de l'hindouisme les éléments utiles à ses objectifs sociopolitiques, et proposa son interprétation de l'ahimsa qui devint une résistance passive pour obtenir des réformes en faveur des intouchables et pour « chasser les Anglais » de l'Inde.

Le voyage en Inde est de plus en plus culturel et se concentre autour de la visite des temples et des vestiges passés de l'hindouisme. Vestiges architecturaux dans le sens où les édifices ont traversé les époques et que la question de la patrimonialisation ne se pose pas encore.

C'est bien cela qui excite la curiosité et la sagacité de l'oeil occidental : la prépondérance de l'hindouisme et de ses concepts philosophiques dans la société indienne. On oppose souvent le spiritualisme hindou au matérialisme occidental mais, c'est plus dans la forme spécifiquement hindoue de rupture avec le monde et les conceptions qui la sous-tendent, commandées par la manière spécifiquement hindoue d'être au monde qu'il faudrait plutôt chercher la source de la résistance à la modernité. C'est donc cette manière d'être au monde que certaines catégories de la population française essaie de s'approprier via de multiples emprunts à la culture indienne (que cela soit par l'apprentissage du yoga, des tantras, ou encore des dogmes religieux). C'est ainsi que de nombreux indiens religieux se sont déclarés maîtres (guru) et ont émigré vers l'Europe et les États-Unis où ils ont inspiré bon nombre de disciples.

* 54 Eliade, M. Sur l'érotique mystique indienne. France, Paris : Ed. L'Herne, collection « Confidences », 1997, 104p.

* 55 Amirou, Rachid. Imaginaire touristique et sociabilités du voyage. France, Paris : Ed. PUF, La sociologie, 1995, 281p

* 56 Selon le Tourism of India Department.

* 57 Chenet, F. La philosophie indienne. France, Paris : Ed. Armand Colin, collection synthèse, 1998, 96p.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera