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Bis Repetita Placent : la collection comme mode de construction de la cinéphile

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par Stéphanie POURQUIER
Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse - Master Sciences de l'Information et de la Communication 2007
  

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Chapitre I

La dimension temporelle

A- Un film qui grandit avec soi

En moyenne, les rencontrées ont regardé Dirty Dancing autour de 12 ans et continuent de le regarder. Ce qui, pour la plupart, constitue un espace temps relativement important. Si les spectatrices trouvent toujours du plaisir à le regarder, elles avouent elles-mêmes ne pas le regarder avec les « mêmes yeux » ni pour les mêmes raisons. Ce qui nous intéresse, c'est l'évolution de la réception à travers les âges. Emmanuel Ethis pose la question dans son ouvrage Les Spectateurs du Temps75 :

«. Qu'a-t-on fait de tous ces disques, de tous ces livres et de tous ces films que l'on encensait quand on avait quatorze ans et qui représentaient si bien l'adolescent que l'on était ? On les contemple désormais en leur prêtant une désuétude quelque peu insolite, composée d'un rapport familier auquel se mêle un sentiment «d'inquiétante étrangeté76»; ils nous rappellent à la fois au souvenir attendri de ce que l'on a été tout en nous blâmant violemment du reniement qu'on leur impose sous la pression d'une sorte d'obligation indéfinissable. (p 67)

À la fois retour en arrière attendri, et regard critique sur ce que nous avons été, les objets culturels fétiches se prêtent aussi à l'épreuve du jugement, aussi terrible soit- elle. Il en est exactement de même pour les spectatrices de Dirty Dancing. Si elles assument leur choix, elles n'en demeurent pas moins critiques.

75 ETHIS, Emmanuel, Les Spectateurs du temps, L'Harmattan, Paris, 2006, 316 p.

76 Emmanuel Ethis fait sans doute ici référence à l'ouvrage de Freud L'Inquiétante étrangeté (FREUD, Sigmund, L'inquiétante étrangeté (Das Unheimliche), Gallimard, Paris, 1933, 244 pages).

Cette notion freudienne désigne l'affect dont fait preuve un individu lorsque ses complexes infantiles refoulés sont ranimés par un élément extérieur. Cette notion développée par le psychanalyste illustre sa théorie du refoulement qui interroge la place du refoulé dans le réel, vécue par chaque individu.

« (...) Et le moment où ils sont dans l'eau aussi... voilà ! Et bien sûr la phrase de fin : « on ne laisse pas bébé dans un coin » ou « seule dans un coin » ou un truc comme ça (rires) C'est des trucs que t'aime bien à 14 ans mais quand j'en avais 18, je trouvais ça complètement con...

En fait, tu n'as plus du tout le même regard maintenant qu'à l'adolescence, finalement...ce qui te faisait fantasmer à l'adolescence...

...me fais hurler de rire maintenant ! Si ça se trouve, ce qui me fait fantasmer maintenant me fera hurler de rire dans quelques années... »

Mélanie, 28 ans

« J'ai une réplique qui me plaît beaucoup, c'est celle du père de bébé, qui lui dit... Quand il parle des jeunes... Il lui dit : « c'est une bande de margoulins ! » La bande de margoulins, me fait mourir de rire à chaque fois ! Je trouve que cette expression est merveilleuse... Personne n'utilise ce mot, mais margoulins c'est génial! Après, à part «personne ne laisse bébé dans un coin », il y a aussi la réplique magnifique de bébé qui dit ça à Johnny « tu n'as pas à courir après ta vie comme un cheval au galop !! » Ça, quand elle lui dit, ça me laisse sans voix... Franchement, le coup du cheval au galop... C'est un truc, j'aimerais bien le replacer... Maintenant, j'en rigole beaucoup ! Avant, ça me faisait franchement rêver, quand j'étais petite... Mais maintenant, quand tu prends du recul... Enfin, surtout au niveau du texte... Parce que le coup du cheval au galop ! Je trouve ça très bon !»

Delphine, 24 ans

À l'image de Mélanie et de Delphine, les spectatrices jettent un regard, parfois cynique, parfois moqueur : un « regard oblique » (Hoggart, 1970). Avec le temps, elles ont changés... Et l'idée qu'elles se font du film aussi. Cependant, il est important de noter que toutes reconnaissent encore apprécier ce film. Nous pouvons donc supposer que le regard critique ne se pose pas sur l'objet culturel en tant que tel, mais sur la jeune fille dans le miroir.

En effet, si elles ont aimé le film pour telle ou telle raison durant leur adolescence, ces raisons premières (l'histoire-d'amour-impossible-mais-qui-finit-bien) ont évoluées : elles aiment le film parce qu'elles s'en souviennent : elles apprécient de se baigner une nouvelle fois dans cette eau fraîche de leur jeunesse : d'où, outre le cynisme plus ou moins exacerbé par la situation d'enquête, le regard nostalgique sur cette « innocence perdue » :

« Quand je l'ai revu, ça m'a fait repenser à l'état d'esprit dans lequel j'étais, quand j'avais 12,14 ans ! Tu vois, je me disais... Je voyais les choses vachement comme ci, vachement comme ça... Et en fait, la vie est devenue plus difficile ! Maintenant... Tu vois, je regarde avec un regard critique... Et surtout je regarde ce que je n'avais pas vu dans le film, à 12, 14 ans...(...) Parce qu'il y avait vraiment... Parce qu'elle était vraiment entre deux : elle était tiraillée ! Donc, maintenant je le regarde différemment ce film, et je pense qu'il n'était pas très adapté à des petites jeunes... Mais je pense, je trouve que c'est très bien de rêver, on ne rêve pas assez... Ben, je trouve que ouais... Tu vas prendre un pot avec quelqu'un et systématiquement, il faudrait qu'il se passe quelque chose dans la soirée... alors que là, dans le film... Elle en tombe amoureuse ! Et je trouve que c'est bien ! Je trouve que de plus en plus, on ne tombe pas amoureux avant ! C'est l'histoire du prince charmant... Le prince charmant, on nous en a parlé avant ! C'est une analyse toute bête ! On t'en a parlé quand on était petites alors du coup, toi tu attends, tu attends... Et puis finalement, ce n'est pas comme ça que ça se passe... C'est la théorie des contes de fées, du psychologue... Bon ben finalement, on nous abreuve de trucs... Et c'est sur, qu'elle a le coup de foudre départ, elle le voit, il est beau... C'est vrai, Patrick Swayze, il était beau... Il était danseur, lui, au départ... Et c'était joli...Si ça pouvait être comme ça tout le temps ! »

Valérie, 35 ans

En appliquant, a posteriori, sa propre expérience de la vie sur sa première réception du film, les spectatrices se projettent quelques années en arrière, et quand elles évoquent l'héroïne du film... C'est aussi l'adolescente qu'elle a été. Dans le discours, il y a une fusion entre les actes de l'héroïne fictionnelle et leurs rêves de jeune fille. Cette observation rejoint l'hypothèse défendue par Serge Tisseron selon laquelle c'est le spectateur qui fabrique la confusion entre fiction et réalité :

« En fait, si un spectateur s'imagine toujours à la place des personnages représentés, c'est parce qu'il n'est capable de s'intéresser à des images qu'à la condition d'établir des liens entre ce qu'il voit et ses propres expériences. Autrement dit, le mouvement qui pousse en spectateur à s'intéresser à un spectacle passe toujours d'abord par l'annulation de la distinction entre réalité et fiction, même si celle-ci est rétablie dans un second temps. Il cherche à tout moment des analogies entre ce qu'il éprouve et pense, et ce que les personnages engagés dans les diverses situations représentées peuvent penser ou éprouver77" (p.76)

La jeune héroïne de Dirty Dancing présente et représente l'archétype de la jeune femme occidentale contemporaine que les adolescentes ont voulu ou ont pu « vouloir être ». Aujourd'hui, parfois plus de 10 ans après leur premier visionnage, les spectatrices ont fait la rupture entre ce qu'elles auraient voulu être est ce qu'elles sont, ce qu'elles ont vécu déterminant à la fois ce qu'elles sont devenues et ce qu'elles pouvaient souhaiter devenir. C'est cette « distanciation relative » dans la réception du film qui peut expliquer la différence de jugement aujourd'hui sur le film.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand