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Jésus-Christ, Résurrection et Vie pour le croyant Lobi en route pour l'au-delà. Lecture africaine de Jn 11,1-44.

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par Sansan Hervé POODA
Université Catholique de l'Afrique de l'Ouest (U.C.A.O.), Unité Universitaire d'Abidjan (U.U.A.) - Licence Canonique (Maîtrise académique) en Théologie Biblique 2007
  

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EXCURSUS : La mort et le deuil en contexte juif de l'Ancien
Testament

Par cet excursus sur la mort et le deuil dans le contexte de la société juive vétérotestamentaire, nous voulons mieux saisir le contexte de funérailles et de deuil qui marque notre récit de la résurrection de Lazare60.

Il est incontestable que les anciens Hébreux ont cru à l'immortalité de l'âme. Pour eux donc, au moment de la mort, l'être humain se divisait en deux : le corps qui retournait à la terre dans le tombeau et l'âme qui se rendait dans un séjour appelé schéol. C'est là que ceux qui mouraient étaient réunis à leurs pères (cf. Gn 25,17 ; 3 5,29 ; 49,32 ; Dt 32,50). Et une fois passé les portes du schéol (cf. Jb 38,17 ; cf. Sg 16,13), il n'y a point de retour (cf. Jb 10,21s). Telle est la perspective désolante que la mort ouvre à l'homme pour le jour où il doit être « réuni à ses pères » (Gn 49,29).

En Palestine, les cérémonies des funérailles ne paraissent pas avoir varié sensiblement chez les Hébreux depuis les temps les plus reculés jusqu'à la destruction de Jérusalem par les Romains. Même encore de nos jours, les Juifs comme les Arabes indigènes de Palestine suivent les mêmes coutumes61. Aussitôt après le décès, on ferme les yeux du défunt et on lui fait sa toilette funèbre : les pieds et les mains sont entourés de bandelettes et le corps enveloppé d'un linceul dans lequel on dispose des parfums (aromates, myrrhe et aloès : cf. Jn 19,39.40 ; cf. Jn 12,3.7). Le corps est étendu sur une bière ouverte en haut (cf. 2R 3,31), de façon à laisser voir le visage (cf. Lc 7,14) et placé souvent au milieu d'une grande pièce de la maison ou dans la chambre haute (cf. Ac 9,37). Les parents et les amis l'entourent dans les larmes et les gémissements (cf. Ac 9,39). Les manifestations de deuil sont diverses : pleurs et lamentations ; on se jette à terre (cf. Jb 1,20 ;2R 13,31), on crie en s'arrachant les cheveux comme en mode orientale, dans certains cas on se fait des incisions sanglantes (cf. Jr 16,6) d'ailleurs défendues par la Loi (cf. Lv 19,28 ; 2 1,25), on déchire ses vêtements (cf. Gn 37,34 ; 2R 3,31) ; on se couvre la tête de cendre et de poussière, on revêt le cilice, des vêtements sombres (cf. 2R 14,2 ; Jdt 10,2), on cesse de s'oindre d'huile et d'autres soins de toilette (cf. 2R 14,2) on se voile la tête (cf. 2R19,4) on s'assoit et on reçoit des visites silencieuses des

amis pendant 7 jours (cf. Ac 9,39 ; Rm 12,15), on jeûne, on va pieds nus... En plus des pleureuses qui invitent les passants par leurs chants à se lamenter (cf. Jr 9,17 ; Am 5,16 ; Mt 9,23 ; Mc 5,3 8), des musiciens font entendre sur la flûte des airs lugubres (cf. Jr 48,3 ; Mt 9,23). Les lamentations funèbres font d'ordinaire l'éloge du défunt (cf. 2R 3,33-34).

L'ensevelissement se faisait le même jour du décès car la chaleur climatique ne permet pas de garder longtemps le cadavre dans la maison. Le corps, enveloppé d'un suaire, était mis au tombeau. La tombe était creusée dans les parois rocheuses que fermait une pierre. Les cavernes naturelles faisaient aussi bien l'affaire en certaines circonstances. Le culte des morts obligeait les Hébreux à certains devoirs envers la dépouille de ceux qui ne sont plus. La privation de sépulture était considérée comme une malédiction des plus graves (cf. Jr 8,2 ; 14,16 ; 16,4.6 ; 22,19 ; 1M 7,17). Selon les Chaldéens, ancêtres des Hébreux, l'esprit du mort abandonné sans sépulture revenait tourmenter les vivants jusqu'à ce qu'il eût obtenu la nourriture, les vêtements, les armes dont il était censé avoir besoin dans l'autre monde ; prières, libations, offrandes s'imposaient également à ses enfants et à ses héritiers. En retour de ces dons divers, il les protégeait62. Moïse dût épurer ces croyances qui ne manquèrent pas néanmoins de subsister dans certains esprits (interdiction de l'offrande d'aliments aux morts et de la nécromancie surtout). La durée du deuil varie entre 7 jours et 30 jours : 70 jours de deuil pour Jacob dont 7 jours de funérailles (cf. Gn 50,3.10), 30 jours pour Aaron et pour Moïse (cf. Nb 20,29 ; Dt 24,8) 7 jours de deuil pour Saül (cf. 1R 3 1,13), 30 jours de deuil ordinaire pour le père et pour la mère (cf. Dt 21,13) ; les veuves portaient le deuil plus longtemps et quelquefois toute leur vie (cf. Gn 38,14 ; 2R 14,2 ; Lc 2,37).

Aucune cérémonie religieuse n'était liée aux funérailles qui étaient avant tout une affaire familiale. Il n'est question de la prière pour les morts que dans l'un des derniers livres de l'Ancien Testament (cf. 2M 12, 39-46)63. Cette pratique de l'offrande sacrificielle pour les morts fut d'ailleurs liée à la naissance de la foi en la résurrection des morts. On ne le retrouve dans aucun des livres sacrés antérieurs à cette époque tardive (IIème siècle avant notre ère). Nous aurons l'occasion de découvrir dans un second excursus, l'élaboration et l'évolution lentes de cette foi en la résurrection dans la société juive suivant les données bibliques.

*****

62 G. MASPERO, Histoire ancienne, t. 1, p. 683-689 cité dans AAVV, Dictionnaire de la Bible, t. 4, Paris, Letouzey et Ané, 1912, article ``les Morts'', col. 1315.

63 Comme le dit E. F. PENOUKOU, « les conceptions de vie et de mort, dans la mesure où elles apparaissent dans les livres de l'Ancien Testament, sont naturellement apparentées à celles qui étaient courantes dans tout l'Orient, et sur bien des points, elles dépendent d'idées élaborées dans les grands empires civilisés, et qui se sont répandues dans les pays voisins sous forme de notions fixées » (in Foi chrétienne et compréhension africaine. Pour une herméneutique mina de la mort et de la résurrection à partir d'une analyse critique de 1Co 15. Tome 1, Paris, Institut Catholique, 1979, p. 118).

CHAPITRE 2 : Approche Synchronique
Et Portée Théologique de Jn 11, 1-44

Introduction

Pour ce chapitre, nous ferons usage de la méthode synchronique qui nous permettra d'analyser le texte dans sa structure interne. En suivant les diverses macrostructures du texte, nous serons attentif au vocabulaire, à la grammaire, au style, à la syntaxe, aux acteurs ou personnages, à la sémantique même du texte qui sont au service d'une certaine logique narrative. Le fait que nous ayons affaire à un récit, nous amènera à privilégier une analyse narrative à côté d'autres analyses synchroniques comme l'analyse rhétorique et l'analyse sémiotique. Cela nous permettra ensuite de dégager la portée théologique du texte.

1. Analyse synchronique de Jn 11, 1-44

Nous voulons, dans les paragraphes suivants, analyser les éléments qui, dans le cadre de la synchronie, sont porteurs de sens pour la bonne compréhension de notre texte. Nous dégagerons tantôt les éléments narratifs tantôt les éléments rhétoriques du texte. Dans l'analyse de la grammaire et de la sémantique des mots64, nous ferons usage de techniques simples de sémiotique sans entrer dans les dédales de la méthode. Pour ce faire, nous suivrons les grandes structures du texte.

1.1. Analyse du vocabulaire

Nous optons de nous arrêter sur l'analyse dans notre texte du vocabulaire de la mort d'une part et du vocabulaire de la vie d'autre part65 à cause bien sûr de leur intérêt exégétique et théologique pour notre étude66.

64 Tantôt nous citons le texte grec pour mieux saisir les nuances littéraires quand il le faut, tantôt nous nous bornons à la traduction française du texte quand il s'agit d'une simple analyse du message biblique.

65 C'est à dessein que nous avons opté de porter notre attention sur les verbes et les substantifs relatifs à la mort et à la vie. Nous n'analysons pas ici leur forme dans le texte. L'analyse narrative nous en donnera l'occasion quand il le faudra. Nous voulons simplement attirer l'attention sur le double registre de la mort et de la vie sur lequel l'auteur a bâti son récit. Cela a pour but de mettre en lumière la signification interne du texte.

66 Cf. P. POUCOUTA, op. cit., pp. 164-166. Voir aussi M. CARREZ et F. MOREL, Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament, Genève, Labor et Fides et Pierrefitte, Société biblique française, 1988.

1.1.1. Le vocabulaire de la mort

Le vocabulaire de la mort recouvre essentiellement les verbes c~o9EvE'(1), KOL1tc'O1tcL,

c~iTO9vi1'oK(1), ~cK~l'(1), K?cL'(1),E~1t.pL1tc'O1tcL, et les substantifs c~o9E'vELc, 9c'vc~Oç, 1tvi11tEL'Ov.

- le verbe c~o9EvE'(1) qui revient à plusieurs reprises (vv. 1.3.6) signifie être sans vigueur, sans force, être faible, être malade. Ce verbe s'accompagne du substantif c~o9E'vELc qui désigne la faiblesse, la maladie (v. 4).

- le verbe KO L1tc'O1tc L qui revient à deux reprises dans le texte (vv. 11.12) signifie « dormir ». C'est ainsi que l'avaient compris les disciples. Mais il évoque également le sommeil de la mort. Il signifie alors mourir. C'est le sens qu'il a dans notre texte. De même le verbe c~iTO9vi1'oK(1), abondamment utilisé (vv. 14.16.21.25.26.37), signifie mourir, au sens physique du terme. Il s'agit de la mort de Lazare, mais aussi de celle dont on menace Jésus. A ces deux verbes s'ajoute le substantif 9c'vc~Oç, mort (vv. 4.13).

- le verbe K?cL'(1) signifie pleurer ou plus précisément se lamenter. Utilisé trois fois dans le texte (vv. 31.33), il est employé pour Marie et les Juifs qui pleurent et se lamentent. Le verbe K?cL'(1) évoque donc l'ambiance de la mort.

- Jean utilise un autre terme pour traduire les pleurs de Jésus. Il s'agit du verbe ~cK~l'(1), pleurer, verser des larmes (v. 35). C'est l'unique fois qu'il est employé dans le Nouveau Testament (hapax legomenon). L'évangéliste a certainement voulu distinguer le chagrin de Jésus des lamentations et de l'ambiance de deuil.

- l'évangéliste emploie également le verbe E~1t.pL1tc'O1tcL pour exprimer les sentiments de Jésus (v.33). Il signifie s'emporter, se courroucer, être violemment ému. Jésus ne critique pas ceux qui pleurent. Ne pleure-t-il pas lui aussi ? C'est plutôt l'expression de sa révolte devant le mal et la détresse humaine.

- Enfin, le terme 1tvi11tEL'Ov évoqué à trois reprises (vv. 17.3 1.38) vient de 1tvi11tOvEl'(1) (se souvenir, se rappeler). Il signifie d'abord souvenir. D'où le sens de monument commémoratif, essentiellement pour parler d'un mort, urne contenant les cendres d'un mort, chez les Grecs. Ce qui donne tombeau. Mais généralement chez les Juifs les morts étaient ensevelis dans des cavernes naturelles, ou creusées dans la paroi rocheuse que fermait une pierre comme nous l'avons vu dans l'excursus67. Du champ sémantique de la mort, l'écrivain sacré nous fait passer à celui de la vie beaucoup plus réconfortant.

1.1.2. Le vocabulaire de la vie

Si notre texte sent la mort, il exhale aussi la vie comme l'illustrent les expressions

E~%uivI.'((i), c~vI.'~t1lItI., c~vc'Otc~I.ç, ((i)11', (c'(i),iI.OtEu'(i), öO%c'((i), öó%c, c~ycic'(i).

- le verbe E~%uivI.'((i) n'est utilisé qu'ici dans le Nouveau Testament (v.11). Il signifie sortir du sommeil, réveiller et ici réveiller de la mort. Jésus annonce déjà le réveil de Lazare de la mort. - le terme c~vI.'OtTItI. qui revient à trois reprises (vv. 23. 24), est formé du verbe I.-~trItI. (placer, présenter, mettre débout) et de la préposition c)vc (de bas en haut, haut). Il signifie se lever, se dresser, ressusciter, en parlant des morts. Il est renforcé par le substantif c~vc'otc~I.ç (v.25) qui désigne l'action de se dresser ou de se mettre debout, le relèvement, la résurrection. Le terme souligne la victoire sur la mort. Jésus se présente bien comme la résurrection (v. 24-25). - le verbe (c'(i) signifie vivre au sens physique mais aussi spirituel. Il a ici les deux acceptions (vv. 25.26). De même, le substantif ((i)ii (v.25) signifie la vie au sens physique, mais aussi théologique. Liés au vocabulaire de la résurrection, les deux termes ont ici cette portée spirituelle et théologique.

- le verbe iI.atEu'(i) (croire, adhérer) est lié au thème de la résurrection (vv.15.25.26.27.42). Le signe suscite la foi, l'adhésion. Celle-ci est liée au don de la vie.

- le verbe öo%c'((i) et le substantif öó%c (v. 4.40) sont également liés au thème de la résurrection. Jésus est la manifestation de la présence active de Dieu au milieu des hommes. Il le prouve principalement par les signes qu'il accomplit, comme ici en donnant la vie (v. 44). - le verbe c~ycic'(i) (aimer) n'est utilisé qu'une seule fois dans le texte (v.5) tandis que le synonyme 4 I.?E'(i) revient à deux reprises (vv.3 .36). Les deux termes disent les sentiments de Jésus, son affection pour la famille de Béthanie. En outre, les pleurs de Jésus sur Lazare font dire aux Juifs : I.)öE i(i)~çE~4 I.'?E I. cu~tóv (voyez comment il l'aimait, v. 36).

On peut représenter les deux champs sémantiques de la mort et de la vie dans un tableau synoptique68.

Mort / Oc'vctoç

Vie / Z(i)~'

c~aeEvE'(i) (être malade) : vv. 1.3.6

c~vI.'atrItI. (se lever) : vv. 23. 24

KOI.Itc'OItcI. (dormir) : vv.1 1.12

E~%uivI.'((i) (se réveiller) : v.11

68 Cela nous permet de constater comment l'évangéliste nous fait passer du champ sémantique de la mort au champ sémantique de la vie avec Jésus, l'acteur principal de ce récit de la résurrection de Lazare.

c ~1ToeviaKc1) (mourir) : vv. 14.16.21.25.26.37

(c 'o (vivre) : vv. 25.26

öc Kp1'i) (verser des larmes) : v. 35

öo%c '(o (glorifier) : v. 4

K?c L'O (pleurer) : vv. 31.33

1TLatE1'J (croire) : vv.15.25.26.27.42

E~~.pLItc 'OItc L (être violemment ému) : v.33

c ~yc 1Tc '~ (aimer) : v.5 / 4L?E'o : vv.3.36

c ~aeE'vE Lc (maladie) : v. 4

c ~vc 'atc aLç (résurrection) : v.25

ec 'vc ~oç (mort) : vv. 4.13

(cr (vie) : v.25

~vrtEL'Ov (tombeau) : vv. 17.3 1.38

öó%c (gloire) : v. 4.40

Mort et vie, mieux, mort et résurrection, semblent vraiment les thèmes forts du récit de Lazare en Jn 11,1-44. St Jean les noue autour de sa visée théologique de la foi. En définitive, par Jésus, la vie a vaincu la mort. Et celui qui croit en Jésus devient vainqueur et vivant avec lui69. Après ces remarques sur le vocabulaire de la mort et de la vie, nous pouvons nous lancer dans l'analyse narrative de notre texte.

1. 2. Analyse narrative

Le récit de la résurrection de Lazare est entrecoupé de discours qui en éclairent le sens. Il se présente comme un drame à rebondissements (exposition-complications-dénouement). Voyons de plus près l'organisation de ce récit en faisant attention à la narratologie et à tous les éléments de synchronie qui peuvent éclairer notre compréhension du texte.

1.2.1. La scène introductive : v. 1-6

Cette partie introduit les personnages appelés à entrer en scène par la suite. Il s'agit bien de l'introduction d'un récit. Il s'ouvre à la manière d'un conte populaire : ?Hv öE' t Lç c ~aeEvc3'v (il y avait un malade). L'imparfait de EitL' nous situe dans le passé historique propre à la narration. Le pronom indéfini tig nous situe plutôt dans le général même si par la suite ce malade sera défini. Son nom est Act"ctpog qui signifie « à qui Dieu vient en aide ». Il est originaire de Béthanie, une bourgade située à 3 Km de Jérusalem. Cette Béthanie est

mentionnée comme le lieu où Jésus résidait à la fin de sa vie publique (cf. Mc 11,1.11 ; Mt 2 1,17). Remarquons l'ordre d'énonciation qui accorde une préséance à Marthe par rapport à Marie (v. 1).

Au verset 2, Marie est identifiée, dans une prolepse70, avec la femme de l'onction de Jn 12, 18. Albert Deschamps remarque ici « des redondances lourdes et malhabiles »71 témoin d'une « glose du rédacteur ecclésiastique »72. Les exégètes se sont plu à souligner d'ailleurs les difficultés de cette section introductive de notre texte. Barrett parle même d'une « introduction maladroite »73 pendant que Fortna fait remarquer que la syntaxe est gauche.74 Boismard prend appui sur la répétition du verbe ~~KOl~ELV en Jn 11, 4 et 11, 6 pour y repérer ce qu'on a appelé une Wideraufnahme et y discerner une interpolation tardive75. L'inconstance de la nomination des personnages semble lui donner un argument de plus. Aux versets 1 et 2, les deux soeurs sont nommées ensemble. Une glose parle bien de Marie. Et au verset 5, c'est Marthe qui est nominalement citée au dépend de sa soeur.

Mais l'analyse rhétorique de cette section jugée maladroite par de nombreux critiques nous apparaît au contraire très habile dans la mesure où le narrateur y a concentré une série de valeurs sémantiques qui seront ensuite monnayées tout au long du récit. Si on part du principe que le message évangélique fut d'abord oral avant d'être mis par écrit, on peut reconnaître une sorte de chiasme, certes moins net, dans cette section introductive76.

A - doOEvc~v (v. 1) : étant malade

B - Aá"apog

C - Mapia

D - Kai MdpOag

D' - TEv MdpOav (v. 5)

C' - Kai ' f'v à~E?Apf'v a'& f~ g B' - Kai' 'v Ad"apov

A' - àoOEvEi (v. 6) : était malade

70 La prolepse est une figure de style qui consiste à anticiper narrativement des faits à venir.

71 COLLECTIF, Genèse et structure d'un texte du Nouveau Testament. Etude interdisciplinaire du chapitre 11 de l 'évangile de Jean, Paris et Louvain, Le cerf et Cabay, 1981, p. 46.

72 Ibid., p. 54.

73 C. K. BARRETT, The Gospel according to St John, Londres, 1978, p. 322 cité par A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d'un récit, récits d'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, p. 73.

74 FORTNA, op. cit., p. 75.

75 M. E. BOISMARD cité par A. MARCHADOUR, op. cit., p. 74.

76 Nous nous inspirons ici du schéma de A. MARCHADOUR, Lazare. Histoire d 'un récit, récits d 'une histoire, Paris, les éditions du Cerf, 1988, p. 74.

Nous notons de nombreuses occurrences de la racine de ~~o9E'vELc (maladie) : v. 1.2.3.4.6. On en compte dans chaque verset de cette section introductive sauf au verset 5 où il est question de l'amour de Jésus pour les trois personnages principaux du récit c'est-à-dire Marthe, sa soeur et Lazare. La maladie est un thème récurent donc au début de ce récit. A côté de cela est introduit aussi le thème de la mort. Il est évoqué discrètement dans la prolepse sur l'onction de Béthanie qui est en lien avec l'ensevelissement du Christ. D'ailleurs, le verbe ~~1To9v1j'oKo (mourir) reviendra 9 fois dans le récit et 9~'v~toç (la mort) 2 fois. On notera la double mention du nom de Lazare et de son état de malade dans ces versets introductifs. Ce personnage sera nommé 15 fois jusqu'en Jn 12, 17 ; 11 fois sous son nom et 4 fois comme le ~~öE?46ç (frère). C'est dire qu'il tient une place importante dans cette partie du livre qui précède la passion sans qu'il ne prononce lui-même cependant une seule parole77 !

Au verset 3, un simple pronom cLu~~~hv renvoie à la personne de Jésus et fait le lien avec le sommaire précédent. Ici on a une simple information en apparence, mais sous laquelle se laisse entendre un discret appel à intervenir. Jean emploie ici le verbe pLXE') (aimer d'amitié) qu'on retrouvera au v. 32. Le Maître est appelé Ku~pLog (Seigneur) qui ne peut être qu'un titre christologique, fruit de l'expérience post-pascale. Ce titre reviendra 9 fois dans le récit et s'appliquera à Jésus. Boismard et Lamouille remarquent ici que la formule « cL~TE~~tELXcLv...XE~youocLL » ne se lit pas ailleurs chez Jean. « C'est un sémitisme, caractéristique surtout lorsque, comme ici, le complément direct du verbe ``envoyer'' est sous-entendu 78».

Au verset 4, le participe ~~Ko~'aoç (ayant entendu), en début de phrase et sans complément, fréquent chez Mt, ne se lit nulle part ailleurs chez Jean. Dans ce verset, Jésus réagit comme lors de la rencontre de l'aveugle-né (Jn 9, 3) par un propos sur la finalité de

cette maladie : ~~-t'q i " ~~a9E'vELc o)~KE)OtLv 1TPÔç 9~'vWtov ~~A)' 1)"1TE~Pti~ç öó%~ç to~ ~9Eo~~,L-vc

öo%~~9~~$ o" uL"ôç to~~ 9Eo~~ öL' c~~t~~ç (cette maladie ne mène pas à la mort, elle est pour la

gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle). Au niveau narratif, la première affirmation qu'entendent les disciples, contribue à préparer le malentendu qui va survenir peu après (v. 12s.). Pourtant Jésus n'oppose pas à la mort la guérison, mais la öó%c to~~ 9Eoi~ (gloire de Dieu). Cela est de grande portée et commande l'ensemble du récit. Par là, Jean nous invite à dépasser l'anecdote pour faire une lecture proprement théologique.

1.2.2. Dialogue avec les disciples : v. 7-16

L'ensemble de cette section forme une unité de sens confirmée par l'unité de personnages.

1.2.2.1. Analyse syntaxique de la section

Avec Michel Gourgues, on peut déceler dans cette section, une structure en forme de chiasme,79 où les éléments se répondent et s'explicitent les uns les autres, autour des vv. 11- 14 qui constituent le noyau central :

A - v. 7-8 : Danger encouru

B - v. 9-10 : Sens de l'intervention
C - v. 11-12 :

Annonce de l'intervention

C' - v. 13-14 :

B' - v. 15 : Sens de l'intervention

A' - v. 16 : Danger encouru

Par exemple, au O)y4~Ev E~~c tT'v 'IoU~O~~Ov 1TO~?~v (v. 7) au début de la scène répond, à la fin, le O)y4LEv KOi. ' T"pEtc (v. 16). Au danger clairement exprimé au v. 8 O)y4LEv KOL 'T"pE1c répond aussi ~t,vO O~1ToeO~v4LEv ItEt' OU~toU (v. 16). A pOeTtOic (v. 7) du début de la séquence correspond aUppOeTtOic au v. 16... Les versets centraux développent l'élément nouveau qui distingue cette scène par rapport à l'introduction : c'est l'affirmation explicite de la mort de Lazare et de la décision de Jésus d'aller le réveiller (v. 11-14).

Mais au plan purement formel, on peut remarquer la triple occurrence de l'impératif pluriel O)y4~Ev au commencement (v. 7) et à la fin (v. 15 et 16). Cette inclusion verbale est confirmée par la reprise au verset 16 du mot ~OeTtT~ attesté au verset 7. L'ensemble de ces versets se caractérise aussi par une concentration particulièrement frappante de suffixes ou d'anaphoriques de la première personne du pluriel80 :

v. 7 : O)y4~Ev v. 11 : o" %~~?oc T"p4~v v. 15 : oU~KT)tTvE~KEL ; O)y4~Ev
v. 16 : O)y4~Ev KOL 'T"LEL~cLt, vOO, 1ToeO, v4~Ev ItEt ' OU,toU~.

Ce « nous » inclusif (je + vous) associe Jésus et les disciples dans le déplacement (~'yw&~v, allons ), dans l'amitié commune pour Lazare (notre ami, o~ cpi'Xog i~&w~v). Mais une distance demeure entre Jésus (Je) et les disciples, sous la forme d'un « nous »

d'opposition ~)y~ItEv K~L ~fl"ItEL~çL-vc ~~1To9~'v~ItEv ItEt' ~u~tou (allons et mourons avec lui) et même d'un je opposé à vous : x~L'ix öL'u"It~~çL-vc 1TLOtEu'OfltE, o-tL ou~Kfl)ItflvE~KEL (je me

réjouis pour vous que nous n 'ayons pas été là afin que vous croyiez) v. 15.

1.2.2.2. La décision de Jésus d'affronter la mort

Dans la section introductive, Jésus était nommé en relation avec la famille de Lazare. Mais dans cette deuxième section, voici réapparaître les disciples 81 . Ils apparaissent brusquement au v. 7 et disparaissent au v. 16 sans qu'il soit plus jamais question d'eux dans la suite du récit. Cela forme bien une inclusion rédactionnelle. Leur opposition au départ pour la Judée permet à Jésus d'exprimer sa résolution face à la mort de Lazare et face à la sienne. Avec ce dialogue, bien distinct de l'introduction (cf. E)1TELt ItEt~~ tou~to : après quoi, v. 7), on peut dire que la tonalité de la narration change : Jésus parle à la 1 ère personne et l'action

s'engage : ~)y~ItEv EL~ç tfl~v 'Iouö~L'av~ ( v. 7). Les disciples protestent ; le rappel de la

lapidation renvoie au contexte antérieur (Jn 8, 59 ; 10, 31) et le thème de la mort de Jésus apparaît en clair. Par trois fois dans ce passage, il est clairement question de mort (v. 13. 14.16).

1.2.2.3. Le sens du proverbe de Jésus

"N'y a-t-il pas douze heures de jour? Si quelqu'un marche le jour, il ne bute pas, parce qu'il voit la lumière de ce monde; mais s 'il marche la nuit, il bute, parce que la lumière n 'est pas en lui." (v. 9-10). Malgré cette dernière expression qui rompt le parallélisme exact des deux propositions, le sens général de cette sentence d'allure proverbiale est assez clair. Son application au contexte, comme justification du comportement de Jésus est moins évident. Jésus parle-t-il de sa propre route ? Le texte rend difficile cette lecture à cause de l'expression

to~ 4iç ou~K E)OtLvE~v ~u~t~~$ ( la lumière n 'est pas en lui), v. 10, qui ne peut s'appliquer au

Christ. Ici la lumière n'est pas celle du jour ou du soleil mais la lumière intérieure qui conduit le croyant. La métaphore s'appuie sur la représentation sémitique de l'oeil conçu comme une lampe dans le corps (cf. Mt 6, 22s). De plus, 1TpooKo'1Tt~ (trébucher) se réfère ordinairement

dans la Bible à la chute dans le péché (Jr 13, 16)82. Il est préférable donc de rapprocher notre texte d'une autre parole semblable de Jésus en Jn 12, 35-37 : « Pour peu de temps encore la lumière est parmi vous. Marchez tant que vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent : celui qui marche dans les ténèbres ne sait pas où il va... ». Jésus inviterait les disciples ici à surmonter leur réticence à le suivre donc.

1.2.2.4. La connaissance par Jésus de la mort de Lazare

Dans une deuxième étape du dialogue (1tEt~~ tO1)~tO : après quoi, v.11) Jésus annonce le but de son départ : il va réveiller Lazare qui s'est endormi : KEKoL'!n-raL. La mort est volontiers assimilée au sommeil, en particulier dans le Nouveau Testament, en vue du réveil qu'est la résurrection des morts83. Jean utilise ici le verbe rare de E~%1)1TVL'(c qui est un hapax legomenon dans le N.T., plutôt que E~yEL'pc qui signifie « ressusciter » (cf. Jn 2, 22 ; 5, 21). Ainsi est amené plus sûrement le malentendu des versets 12 et 13. Nous retrouvons bien le procédé johannique du malentendu, ici très naturel du fait de l'ambiguïté du verbe « dormir » (lEloL'!n-raL : être couché ) souvent employé par euphémisme pour désigner la mort. Les disciples imaginent un Lazare convalescent que la visite de Jésus va réconforter. C'est

pourquoi ils disent bien EL~ KEKOL'1t1t~L oc 91'oEtcL (s 'il est endormi, il guérira! V. 12. ) EL~p1'KEL

öE~ O" 'I1oO1)~ç 1TEpL ~ tO1)~ 9~V~'tO1)~1)~tO1)~~ E~KEL~VOL öE ~ E)öO%~V O5tL 1TEpL ~ t1~çKOL1t1'oEc ç tO1)~ 1)51TVO1)
?E'yEL (Or Jésus a parlé de sa mort, mais eux pensèrent qu 'il parlait de la dormition du sommeil) v.13 ! Et le narrateur d'expliquer qu'ils avaient pensé à la première phase de oc '$(c (guérir) et oc '$(c (sauver) comme le dit la parole de Jésus à celui qui a été guéri : ta foi t'a sauvé (Mt 9, 22s ; Mc 10, 52 ; Lc 17, 19). Signalons que 1)51TVOç (dormition) est encore un hapax legomenon84. Le verset 13 pourrait bien être une glose du dernier rédacteur, car il explique un peu lourdement la méprise que la réponse de Jésus suffit à écourter85 : « Alors donc Jésus leur dit ouvertement : Lazare est mort, et je me réjouis pour vous, afin que vous croyiez, de ce que je n 'étais pas là. Mais allons vers lui ! » (v. 14-15). Jésus sait la mort de son ami, sans qu'un messager ne l'en ait informé. Nouveau signe de cette clairvoyance unique que Jean ne cesse de lui attribuer. Jésus tient à marquer d'avance un second aspect de la finalité de l'épisode : s'il vise à glorifier le Fils, il doit aussi fortifier la foi des disciples. Les deux aspects seront réunis au v. 40.

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"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon