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L'identité de la démocratie américaine

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par Catherine MARAS
UPMF Grenoble - Master 1 philosophie 2005
  

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III- PROBLEME

Du grec demockratia, de demos (« le peuple ») et kratein (« commander »), on désigne littéralement par démocratie : le gouvernement du peuple. La démocratie est donc d'abord une forme de gouvernement. En ce qui concerne les Etats-Unis, il s'agit d'un gouvernement représentatif, où la volonté des citoyens s'exprime par la médiation de représentants élus par le peuple ; contrairement à Athènes, où les citoyens décidaient eux-mêmes des lois et prenaient les décisions au sein de l'Assemblée en votant à la majorité. Mais la représentativité, n'est-elle pas contraire à la démocratie ? Pour Rousseau, elle l'est assurément. La volonté des citoyens ne peut être représentée, car selon les termes de Rousseau, la souveraineté (c'est-à-dire la volonté générale) est « inaliénable », elle ne peut autrement dit se déléguer. Déléguer sa souveraineté serait, aliéner sa liberté. Ainsi, même si je peux donner mandat à quelqu'un pour exécuter une action, je ne peux lui donner mandat pour vouloir à ma place ; c'est pourquoi selon Rousseau le gouvernement ne peut qu'agir et exécuter les lois votées par la puissance législative qui émane du peuple rassemblé, il ne peut être supérieur au peuple en corps. «  Par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. Car la volonté est générale, ou elle ne l'est pas ; elle est celle du corps du peuple, ou seulement d'une partie »10(*). Autrement dit en donnant tout le pouvoir au peuple, Rousseau rejette la séparation des pouvoirs, le pouvoir souverain ne peut être exercé que par le peuple assemblé. Mais un tel gouvernement peut-il exister ? Le peuple, est-il capable de se gouverner lui-même ? Rousseau reconnaît qu'il n'a jamais existé de véritable démocratie, et il n'en existera jamais. Il est contre l'ordre naturel que le grand nombre gouverne, dit-il, et que le petit soit gouverné. On ne peut imaginer que le peuple reste incessamment assemblé pour vaquer aux affaires publiques (...) »11(*). Dès lors, si les hommes aiment vaquer à leur occupation privée, ne faudrait-il pas confier la gestion des affaires aux représentants ? La représentativité selon Montesquieu, contrairement à Rousseau et à la politique antique, est nécessaire car « comme, dans un Etat libre tout homme qui est censé avoir une âme libre doit être gouverné par lui-même, il faudrait que le peuple en corps eût la puissance législative : mais comme cela est impossible dans les grands Etats, et est sujet à beaucoup d'inconvénients dans les petits, il faut que le peuple fasse, par ses représentants tout ce qu'il ne peut faire par lui-même »12(*). En effet, plus un Etat est grand et plus les avis ont des chances d'être divergents, le peuple ne peut être assemblé physiquement dans son ensemble ; c'est pourquoi, non seulement la représentation politique devient nécessaire, mais elle est aussi indissociable d'une séparation des pouvoirs et d'un partage de la souveraineté. Aussi, si la division des trois grandes puissances de l'Etat (législatif, exécutif et judicaire) est primordiale selon Montesquieu, c'est parce que la concentration de tous les pouvoirs entre les mêmes mains ne peut conduire qu'au despotisme. Chaque type de gouvernement selon Montesquieu, a sa propre nature et ses propres principes. Ainsi le gouvernement démocratique, a une nature différente du gouvernement monarchique. Dans la monarchie, le monarque est le seul souverain, alors que dans la démocratie, le souverain, c'est l'ensemble des citoyens. La corruption peut apparaître selon Montesquieu dans chacun de ces gouvernements ; la corruption d'un gouvernement, c'est le processus par lequel le gouvernement perd son principe (le principe de la démocratie par exemple étant la vertu) et transforme par conséquent sa « nature ». La situation la plus catastrophique selon Montesquieu serait qu'un gouvernement modéré, aristocratique par exemple, bascule en gouvernement despotique. Dans un tel gouvernement, contrairement à la république ou à la monarchie, il n'y a ni loi ni règle, le gouvernement despotique repose sur un pouvoir arbitraire et donc dangereux pour la liberté des individus. Pour éviter qu'une telle corruption se produise, la solution serait de diviser les pouvoirs. Ce principe de division des pouvoirs, que théorise Montesquieu dans l'Eprit des lois, a énormément influencé le droit constitutionnel américain. Aujourd'hui ce principe constituerait selon Ackerman, l'un des fondements de la démocratie américaine. Mais pour se prémunir d'une éventuelle corruption, la démocratie américaine, prévoit aussi comme dans toutes démocraties représentatives, des élections à échéances régulières afin de limiter l'autonomie des élus. En effet, si dans un régime démocratique, les représentants n'héritent pas de leur charge, mais sont élus au terme d'une procédure élective par le peuple ; ce n'est pas pour autant qu'ils détiennent définitivement leur fonction13(*). En d'autres termes, dans une démocratie représentative il est nécessaire de mettre en place un système de contrepoids : la limitation du mandat, la séparation des pouvoir en sont des exemples14(*).

Par ailleurs, comme toutes les démocraties modernes, la démocratie américaine suppose la liberté et l'égalité des citoyens. Mais de quel type de liberté et d'égalité se prévalent les Américains ? Il existe une pluralité d'acceptations pour les mots «  liberté » et « égalité », mais quel type de liberté garantit l'Etat démocratique américain à ses citoyens ? Si l'on observe l'ensemble des amendements, Bill of Rights, qui est l'un des textes les plus sacrés de la nation américaine ( le premier amendement interdit explicitement au Congrès de faire des lois en matière de liberté religieuse, de parole, de presse, de réunion ; le deuxième amendement reconnaît aux citoyens le droit de détenir et de porter des armes ; le quatrième garantit les citoyens « dans leur personne, leur domicile, leurs papiers et effets contre toutes perquisitions et saisies déraisonnables », etc. ), on s'aperçoit que l'ensemble de ces amendements forme une sorte de charte, garantissant un certain nombre de libertés civiles et politiques aux citoyens américains. Mais ces libertés permettent-elles aux citoyens américains de faire ce qu'ils veulent ? Leur liberté peut-elle être totale, absolue ? La  liberté politique, écrit Montesquieu, « ne consiste pas à faire ce que l'on veut. Dans un Etat, c'est-à-dire dans une société, où il a des lois, la liberté ne peut consister qu'à pouvoir faire ce que l'on doit vouloir, et à n'être point contraint de faire ce que l'on ne doit pas vouloir »15(*). Autrement dit, être libre « politiquement » ne signifie pas être indépendant, n'avoir aucune contrainte, pouvoir suivre son bon plaisir sans être gêné par autrui, car dans toutes sociétés il y a des lois auxquelles nous devons obéir et la liberté est indissociable de l'obéissance aux lois, ce sont en effet les lois qui protègent les libertés, en maintenant l'ordre dans la société ; sans loi, les plus faibles se verraient privés de leurs libertés par les plus forts. Obéir aux lois, dit Kant dans son opuscule : « Qu'est ce que les lumières ? », n'est pas incompatible avec une liberté de penser. Selon Kant, tous les citoyens doivent faire ce que les institutions, dont ils sont les membres, leurs imposent ; ils font alors ce que Kant appelle un usage privé de leur raison, c'est-à-dire un usage de leur raison dans le cadre de fonctions définies par des règles qu'ils ne peuvent contester. Mais obéir aux lois, dit Kant n'interdit pas à l'homme de penser, tous citoyens est libre d'user de sa raison, de juger par lui-même du vrai et du faux, de faire autrement dit un usage public de sa raison selon les termes de Kant.

Mais les lois étasuniennes protégent-elles l'ensemble des Américains ? Garantissent-elles les mêmes libertés civiles et politiques pour tous les Américains ? Si l'on se réfère à la fin du 19ème siècle, tous les Américains n'avaient pas le même statut, tous n'étaient pas citoyens, les Noirs par exemple comptaient pour trois cinquième d'un être humain, ils durent attendre la ratification du treizième amendement (1865) pour ne plus être considérés comme des esclaves, le quatorzième amendement (1868) pour qu'ils puissent avoir le droit de vote, le Civil rights act ( 1964), qui est une loi sur les droits civiques, pour qu'il n'y ait plus de ségrégation dans les lieux publics. Ainsi, depuis la fondation de la démocratie américaine, il y a eu de nombreuses améliorations juridiques, afin de garantir l'égalité des droits, c'est-à-dire une égalité civique et politique, une égalité devant la loi, traitant ainsi les hommes de la même façon. Mais d'après les observations de Tocqueville, qui séjourna près de neuf mois aux Etats-Unis, l'égalité démocratique américaine admettrait également un autre type d'égalité. Ainsi, dès le début de son ouvrage, De la démocratie en Amérique, Tocqueville précisait :

«  ce n'est pas qu'aux Etats- Unis comme ailleurs il n'y ait des riches ; je ne connais même pas de pays où l'amour de l'argent tienne une plus large place dans le coeur de l'homme, et où l'on professe un mépris plus profond pour la théorie de l'égalité permanente des biens ».

«  Dans les démocraties, les serviteurs ne sont pas seulement égaux entre eux ; on peut dire qu'ils sont, en quelques sorte, les égaux de leurs maîtres [...]. A chaque instant, le serviteur peut devenir maître et aspire à le devenir ; le serviteur n'est donc pas un autre homme que le maître » 16(*).

Autrement dit, l'égalité dont parle Tocqueville et qui anime la démocratie américaine serait l'égalité des conditions. Cette égalité des conditions implique une réelle mobilité sociale, de sorte que, s'il y a des distinctions qui s'établissent, elles sont flexibles et passagères, on peut ainsi accéder à une position sociale supérieure et inversement. Mais l'égalisation des droits ou même une égalisation des conditions, serait-elle suffisante pour faire disparaître les différences qui existent entre les hommes ? Dire que tous les hommes sont égaux en droit, c'est dire qu'il y a entre eux une égalité « arithmétique », au sens où ils ont tous rigoureusement les mêmes droits et les mêmes devoirs. Autrement dit, deux individus égaux, ne sont pas forcément identiques, c'est-à-dire indiscernables l'un de l'autre, car un être humain peut être égal à un autre être humain sur la base d'un critère déterminé, jamais dans l'absolu. La différence désigne donc le ou les caractères qui distinguent une chose d'une autre, un individu humain d'un autre : les hommes sont différents par la force, le talent, l'état (femme, homme, enfant) etc. Le peuple américain serait donc considéré comme un tout dans lequel vient se fondre leurs différents statuts ; un melting-pot, dans lequel toutes les cultures fusionneraient.

La démocratie américaine est devenue, après la Seconde Guerre Mondiale, un modèle dominant les représentations politiques, idéologiques et culturelles du monde occidental notamment grâce à la victoire militaire qui a validé son efficacité et sa légitimité, mais aussi grâce aux implantations planétaires des multinationales (telles que Coca Cola, Mcdonald's, etc.), ou encore grâce à la culture de masse qui domine le marché mondial avec une énorme production cinématographique et télévisuelle17(*) . La démocratie américaine et même toutes les démocraties en générale, sont souvent présentées comme étant le meilleur régime politique. Or, le modèle démocratique américain présente des insuffisances. Le problème sera donc de savoir où sont ces insuffisances et si celles-ci peuvent avoir une incidence sur son identité démocratique.

* 10 ROUSSEAU, J.-J., Du contrat social, GF Flammarion, 1992, II, chap.2, p.52.

* 11 ROUSSEAU, J.-J., ibid., III, chap.4, p.95.

* 12 MONTESQUIEU, De l'esprit des loi, t.1, Paris, GF Flammarion, 1979, XI, chap.6. «  C'est moi qui souligne »

* 13 « Nul ne sera élu plus de deux fois aux fonctions de président - et nul, s'il a occupé ou exercé les fonctions de président pendant plus de deux années pour lesquelles un autre que lui avait été élu, ne sera élu aux fonctions de président plus de deux fois ». 22ème amendement, ratifié en 1951.

* 14 Nous parlerons des autres systèmes de contrepoids qu'utilise la démocratie américaine pp. 32-33.

* 15 MONTESQUIEU, ibid., livre XI, p.291-293.

* 16 A. TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, Paris, Garnier- Flammarion, I, partie I, chap. III.

* 17 « On appelle « culture de masse » un divertissement séduisant le plus grand nombre et produit dans un circuit économique. Elle s'oppose à une culture élitiste ou contre culture qui se développa aux Etats-Unis dans les années 60 (hippies, « beat generation »,...). Elle a constitué aux Etats-Unis un foyer de valeurs et de stéréotypes, propice au développement du fameux rêve américain ». JAMET, F., Les Etats-Unis : bilan et perspectives, Paris, L'Etudiant, 1999, p. 118.

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